La révolte des agriculteurs est venue à point nommé remettre le nez de tout ce petit monde dans ses turpitudes. Et, donc, la même Ursula von der Leyen est priée par son parti d'adopter désormais pour son éventuel second mandat une politique aux antipodes de celle qu'elle a menée. C'est ce qui a été décidé au congrès du PPE à Bucarest, jeudi. Sauf que le grand écart paraît difficilement défendable pour certains, en particulier pour les eurodéputés LR qui, menés par François-Xavier Bellamy, ont, avec l'onction d'Éric Ciotti, voté contre Ursula von der Leyen dans le processus de désignation du candidat du PPE. Si la présidente de la Commission a obtenu 400 voix sur les 489 exprimées, sa position est nettement fragilisée par ces 89 « non », un chiffre qui va bien au-delà des 23 délégués LR français. Par ailleurs, des centaines de délégués se sont abstenus ou n'ont pas pris part au vote : ce sont près de 20 % des votes exprimés et plus de 50 % des délégués qui ne la soutiennent pas, comme le relève Le Figaro. Plus qu’une fragilisation, un camouflet.
Du côté de M. Bellamy, on ne peut que se réjouir de cette position qui montre que sa croisade anti-von der Leyen est soutenue en dehors de l’Hexagone : « Le résultat du congrès du PPE montre que notre ligne a été largement partagée », jubilait François-Xavier Bellamy, sur X.
Faut-il y voir les prémices d’une fracturation plus profonde du groupe PPE, avec une tendance vraiment conservatrice ? On se prendrait même à rêver à la constitution d’une union des droites rassemblant les trois groupes de droite distincts où siégeront les députés LR, Reconquête et RN pour mettre fin à cette cogestion qui, comme le « en même temps », penche toujours plus à gauche qu’à droite. En tout cas, Ursula von der Leyen est devenue un boulet pour le PPE, et s'il perd sa première place, ce sera en partie à cause d'elle. Peut-être que cela les aiderait à se souvenir de leurs électeurs et de leur ancrage à droite...
Mais la fragilisation de la présidente sortante due à sa droitisation forcée, le temps d’une campagne, a aussi donné des ailes au camp centriste, incarné à la Commission par le Français Thierry Breton. Celui-ci n’a pas hésité, non plus, à bousculer les usages policés de Bruxelles pour montrer ses dents : le commissaire français au Marché intérieur s’est moqué des résultats de sa présidente et a émis des doutes sur sa légitimité pour un second mandat : « Malgré ses qualités, Ursula von der Leyen est mise en minorité par son propre parti. La vraie question, désormais : est-il possible de (re)confier la gestion de l’Europe au PPE pour cinq ans de plus, soit vingt-cinq ans d’affilée ? Le PPE lui-même ne semble pas croire en sa candidate. » Ambiance.
Macroniste convaincu, Thierry Breton se verrait bien calife à la place du calife. Il a été recadré par les porte-parole de la Commission : « Le secrétaire général [de la Commission] va envoyer un rappel à tous les commissaires sur les directives qui ont été définies pour la période de campagne électorale qu’ils doivent respecter », a déclaré la porte-parole, Veerle Nuyts, ajoutant : « Nous demandons aux commissaires de faire preuve de discernement dans l’application de ces règles. »
Une chose est sûre : les grandes manœuvres pour le partage des postes après l’élection ont déjà commencé. Mais M. Breton a peu de chances car le groupe Renew dans lequel siégeront les députés macronistes risque de subir une réelle érosion. Une bonne raison de plus de voter le 9 juin.
Frédéric Sirgant