Cela a été un des buzz de la semaine : la révélation d’échanges entre Malika Sorel et Macron, où elle lui aurait fait des offres de service. Mais si la contre-offensive médiatique a été véhiculée bien docilement, et sans la moindre contextualisation par Le Canard Enchainé, le Figaro a permis à l’intellectuelle d’y apporter sa réponse. Une réponse auquel je me permets d’apporter ma contribution, parce que je la connais, et que je crois que l’on peut apporter un autre regard, complémentaire, sur cette polémique.
Un bien mauvais procès
Ici, je parle d’autant plus facilement de cette affaire que je ne vais pas voter pour la liste qui a la chance de compter cette intellectuelle de qualité dans ses rangs. Si mon chemin politique a croisé celui de Malika fin 2006, et si nous sommes restés en contact, politiquement nous n’avons pas pris les mêmes routes. Il faut reconnaître que l’Élysée a compris l’impact que l’essayiste pourra avoir dans la campagne et dans le futur en rejoignant le RN. Par-delà la robustesse de son discours, qui tranche avec les poids légers de la macronie qui ânonnent leurs éléments de langage sans parfois sembler comprendre ce qu’ils disent, elle est un symbole de la faillite de ceux qui nous dirigent, parce qu’elle alerte sur les pièges du communautarisme depuis près de 20 ans. Elle est aussi un symbole de l’exigence républicaine et patriotique qu’ont certaines personnes d’origine étrangère, dont on se demande si elles ne finissent pas par être plus françaises que certains français de souche oublieux de ce qu’ils doivent à leur pays.
C’est sans doute pour cette raison que des textos du résident de l’Elysée ont fini en page 2 du Canard Enchainé deux jours à peine après son entrée en campagne. Il fallait une contre-attaque rapide et forte, et le portable du chef de l’État a donc été ouvert au volatile le plus célèbre de la presse française, qui a servilement repris les extraits qui lui ont été rapportés, sans la moindre mise en perspective. Ce faisant, même s’il est un contre-pouvoir souvent utile, le Canard se révèle ici être un relais bien trop complaisant de ce pouvoir qu’il a si souvent mis en difficulté. Il est étonnant que ne soit pas davantage questionné le fait que des textos du téléphone du président atterrisse dans la presse. Normalement, de tels échanges ont vocation à rester privés et confidentiels. Ce président sans gène ne pourra pas se plaindre qu’on rapporte des extraits de ses dires privés après avoir carrément offert son téléphone à la presse…
La motivation de l’Élysée pour les sortir devrait forcément être questionnée, et les rapporter devrait imposer une mise en perspective, sans quoi lls sont sortis de tout contexte, comme quand on extrait une phrase d’un discours ou d’une conversation, ce qui peut en changer le sens. Comme Malika Sorel le précise au Figaro, c’est l’entourage du président qui a sollicité l’intellectuelle. Alors que le camp présidentiel affermit dernièrement son discours contre les communautarismes, échanger avec une des intellectuelles les plus en vue du combat pour le modèle français d’intégration n’est pas si surprenant. Après tout, Macron n’avait-il pas échangé avec Philippe de Villiers pendant un temps ? Il est parfaitement légitime qu’un intellectuel réponde aux sollicitations du chef de l’État pour échanger avec lui. Avec un président si plastique, c’est une occasion de le pousser dans la bonne direction et donc de servir les idées que l’on défend.
En prenant du recul, il faut rappeler que le premier livre de Malika Sorel, « Le puzzle de l’intégration » critiquait sévèrement le Sarkozy très communautariste du début du siècle... C’est même l’hostilité à Sarkozy qui avait fait que nos chemins politiques s’étaient brièvement croisés, pour Dominique de Villepin. Puis, Malika Sorel a été nommée par le même Sarkozy au Haut Conseil à l’Intégration et la ligne politique du président s’est infléchie et s’est éloigné du communautarisme qu’il brandissait en étendard dans son livre de 2004 « La République, les religions, l’espérance ». Malika Sorel est une des personnes qui a fait prendre conscience à notre personnel politique, jusqu’au président d’alors, des dangers du communautarisme et des vertus de notre modèle républicain. Alors qu’une partie de l’entourage du président actuel n’est pas insensible au communautarisme et qu’une lutte semble se mener avec les partisans du modèle assimilationniste, il est probable que ce sont ces derniers qui l’ont introduite à Macron.
Bien sûr, certains voient une forme d’opportunisme dans les textos rapportés par le Canard. C’est un mauvais procès. Pour qui prend du recul, il faut rappeler deux éléments. D’abord, nous n’avons aucune connaissance des discussions amont, qui donneraient sans doute une coloration différente aux échanges : un conseiller de Macron pourrait avoir poussé sa candidature pendant les longues semaines où l’équipe gouvernementale n’était pas complète, et les réponses de Macron sont absentes. En dehors de tout contexte, il est impossible de juger les propos de Malika Sorel. Et finalement, qu’une intellectuelle plutôt proche de LR, et dont le combat porte sur la défense du modèle français échange avec le président, puis rejoigne le RN n’est pas non plus si surprenant : c’est un symbole du tiraillement dans lequel est LR. Et faute de réponse satisfaisante de Macron sur ce qui est important pour elle, ne peut-elle pas considérer logiquement que le RN est aujourd’hui le meilleur véhicule des idées qu’elle a toujours défendues ?
Finalement, ce que révèle cet épisode, c’est l’indécence d’un président qui a l’extraordinaire impudeur et inélégance d’ouvrir son téléphone pour tenter de faire mal à un adversaire en révélant des bribes de propos privés décontextualisés. Ensuite, cela montre la légèreté partiale du Canard, qui relaie trop docilement le narratif de l’Elysée pour tenter d’affaiblir Malika Sorel Mais surtout, cela rappelle à nouveau qu’il ne faut pas compter sur Macron pour défendre notre modèle républicain et la France...
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