Éric Naulleau se fait une spécialité d’étriller les gens de son supposé camp, la gauche. Après avoir consacré un premier pamphlet à Sandrine Rousseau l’année dernière (son totalitarisme woke, son féminisme punitif, son carriérisme sans foi ni loi), il récidive avec le gourou Mélenchon. Dans « La République, c’était lui ! », l’essayiste et chroniqueur dénonce les trahisons du grand mufti des Insoumis, passé de « laïcard de dingue », selon l’expression d’Houria Bouteldja, à imam de l’émeute.
ÉLÉMENTS : Jean-Luc Mélenchon, comme une bonne partie de la gauche, applique les recommandations du laboratoire d’idées Terra Nova (évacuation de la question sociale au profit des thématiques sociétales et remplacement de l’électorat classique de la gauche – classe ouvrière blanche – par le présumé discriminé issu des minorités) ; s’agit-il d’un simple calcul électoral ?
ÉRIC NAULLEAU : Ce grand remplacement électoral procède à l’origine d’un pur cynisme politique. On ne peut cependant exclure qu’à force de pisser les mêmes éléments de langage, Jean-Luc Mélenchon n’ait fini par prendre sa vessie pour une lanterne, à ne plus bien distinguer la conviction de la démagogie. Mais l’hypothèse du froid calcul reste de loin la plus probable. Il aurait sinon battu le record de la conversion la plus rapide en passant en quelques années de la défense enthousiaste du traité de Maastricht au Frexit, de la lutte farouche contre l’islamisme (« Le voile est un vêtement obscène », « On a le droit d’être islamophobe », etc.) aux défilés bras dessus, bras dessous, avec les pires représentants de cette mouvance. Cette stratégie se poursuit et prend une dimension très inquiétante à l’occasion de la campagne pour les élections européennes. Chez les Insoumis, le thème unique, obsessionnel, en est la guerre entre Israël et le Hamas. Leur véritable tête de liste est en réalité Rima Hassan, une activiste qui milite pour une Palestine « de la rivière à la mer », c’est-à-dire pour la destruction d’Israël — et non pas l’ectoplasmique Manon Aubry, réduite à quelques déclarations bouffonnes (« De nombreux pays nous envient Jean-Luc Mélenchon ») pour tenter d’exister. La France Insoumise officialise ainsi son statut de parti de l’étranger.
ÉLÉMENTS : Défense systématique du lumpenprolétariat, appels à l’émeute à la suite du décès du petit ange Nahel, condamnations du bout des lèvres des massacres du 7 octobre 2023 commis par le Hamas… la gauche – et LFI en particulier – s’est d’elle-même marginalisée. Cette stratégie électorale semble perdante, comment expliquez-vous cet aveuglement ?
ÉRIC NAULLEAU : Cette stratégie de soutien du pire et des pires serait perdante si le but était de parvenir au pouvoir par des voies démocratiques. Mais tel n’est pas l’objectif. À force d’agitation et de conflictualisation (également nommée « bordélisation »), le plan est de parvenir au second tour de la Présidentielle et de s’incliner face à Marine Le Pen. Les Insoumis basculeraient alors immédiatement dans une logique insurrectionnelle, donneraient libre cours au grand fantasme révolutionnaire qui n’a cessé de travailler l’imaginaire extrême-gauchiste et à la violence politique qu’ils n’ont eu d’ailleurs de cesse d’encourager chez les émeutiers de banlieue et les casseurs qui sévissent en marge des manifestations. Une guerre civile serait dès lors inévitable. Elle opposerait les forces républicaines à la coalition des Insoumis, des islamistes, des nervis de tous poils, des petits-bourgeois en quête de sensations fortes et des voyous en quête de rapine. Éric Coquerel, l’un des plus fanatiques du gang insoumis, a déclaré qu’il avait manqué 400 000 voix à Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière présidentielle et qu’il fallait aller les chercher où elles se trouvaient. C’est-à-dire dans les banlieues islamisées. En conséquence, la secte ne s’adresse plus qu’à cet électorat, non seulement en qualifiant le Hamas de « mouvement de résistance », non seulement en érigeant l’antisémitisme (dont Jean-Luc Mélenchon illustre toutes les nuances ainsi que mon pamphlet en fait la démonstration) en outil principal de la conquête du vote communautaire, mais en expliquant à cette population que la banlieue française est en réalité Gaza et la France Israël en plus grand. Et qu’il lui revient donc d’en tirer les conséquences logiques. Compte tenu de la faible participation électorale dans les quartiers, il convient aussi de tenir des propos de plus en plus outranciers à leur intention, jusqu’à récemment comparer l’interdiction administrative d’un meeting dans une université lilloise au sort de milliers de personnes envoyées dans les camps de la mort. Pour ce qui se rapporte à la guerre entre Israël et le Hamas, Jean-Luc Mélenchon joue sur du velours et ne craindra jamais de commettre le moindre excès de langage : seulement 24 % des musulmans britanniques sondés par la Henry Jackson Society « admettent que le Hamas a perpétré des meurtres et des viols en Israël lors de l’attaque terroriste du 7 octobre. 39 % estiment que le mouvement islamiste n’a pas commis de telles exactions. » Quels résultats donnerait pareil sondage en France ?
ÉLÉMENTS : Il y a quinze ans, Mélenchon représentait une alternative derrière laquelle vous auriez pu vous ranger. Comme vous, quelques intellectuels se montrent critiques du tournant pris par cette gauche (Marcel Gauchet, Michel Onfray, sans parler de Jean-Claude Michéa), mais ce mouvement réfractaire ne se concrétise pas politiquement. La gauche que vous défendez (ligne sociale, laïque et républicaine) est-elle morte politiquement ?
ÉRIC NAULLEAU : Mon pamphlet porte comme sous-titre : Grandeur et déchéance du camarade Mélenchon, car il fut un temps où cet homme déchu incarnait la grandeur des idéaux républicains, lesquels se confondent avec quelques valeurs fondamentales de la gauche (laïcité, universalisme, émancipation par l’éducation…). En ce sens, si la gauche que je représente est morte, cela signifie que la République la suivra bientôt dans la tombe. Le retour d’une gauche digne et authentique suppose tout d’abord qu’avec l’aide des grands noms que vous citez, nous reprenions le dessus sur la gauche indigne et authentoc, tout comme le firent en leur temps Camus, Orwell ou Simon Leys, dont le courage intellectuel triompha du stalinisme, du maoïsme et d’autres criminels égarements totalitaires du camp progressiste. Nous viendrons pareillement à bout du wokisme et de l’islamisme, les deux mamelles de la France insoumise, ces deux idéologies antagonistes et pourtant provisoirement alliées qui ont juré la perte de notre pays, de nos valeurs, de notre culture et de notre civilisation. De tout ce qui nous est cher. Une fois reconstruite une véritable pensée de gauche, il sera temps de se préoccuper de son incarnation. Gardons-nous de la tentation si française de l’homme providentiel dont Raphaël Glucksmann paraît être à gauche le plus récent avatar. Pour ma part, je n’oublie pas que du temps où cela servait les intérêts de sa boutique électorale, il acceptait d’être le vassal de Jean-Luc Mélenchon, auquel tout l’oppose, de la poutinophilie à l’europhobie.
ÉLÉMENTS : Ces valeurs laïques, républicaines et sociales ne sont-elles pas davantage défendues par des partis patriotes comme le RN ? Si ce dernier arrive au pouvoir, vous envisagez dans votre essai une guerre civile, appuyée par LFI et menée par une alliance « de casseurs gauchistes et de nervis banlieusards », expliquez-nous.
ÉRIC NAULLEAU : Une des grandes erreurs de la gauche fut d’abandonner à la droite et à la droite de la droite les notions de patriotisme, de laïcité et bien d’autres encore. Il ne sera pas facile de leur reprendre ces glorieux drapeaux, il convient pourtant de s’y employer. En attendant, force est de constater les dégâts. Le peuple congédié par Terra Nova en 2011 a déménagé avec armes et bagages chez Marine Le Pen et, tragique ironie de l’Histoire, les Juifs de France se réfugient également dans un vote pour le Rassemblement national tant le poison antisémite distillé par LFI et l’extrême gauche leur fait à raison craindre le pire. Mais je pense d’une part que les valeurs que vous mentionnez seront mieux défendues d’un point de vue de gauche. Et d’autre part, que rien ne se passera de ce point de vue, même si le Rassemblement national parvenait au pouvoir, ce parti en voie de notabilisation n’est porteur d’aucun projet de rupture. Quand Marine Le Pen se présente deux fois de suite dans un risible état d’impréparation au rendez-vous le plus important da sa vie politique, à savoir un débat d’entre-deux-tours, il devient clair qu’elle ne se sent animée d’aucune mission, qu’elle n’est porteuse d’aucune possibilité de dépassement. Le seul homme politique qui place les enjeux à leur juste hauteur, c’est-à-dire à une hauteur existentielle, se nomme Éric Zemmour. Voilà pour ce qui nous unit. Quant à ce qui nous sépare, quant aux analyses très divergentes que nous développons à partir d’un constat partagé, je vous renvoie aux archives de nos quinze années de débats télévisuels (qui se poursuivent désormais dans un cadre privé et toujours aussi fraternel). Il n’empêche, pour finir de répondre à votre question, que dans la France de 2024, le principal danger n’est plus l’extrême droite, mais bien l’extrême gauche, France insoumise en tête.
Propos recueillis par Anthony Marinier