La récente cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques a fait couler beaucoup de salive et d’encre, pour de bonnes ou (et ?) de mauvaises raisons : il n’est pas dans mon intention d’en tirer un bilan, même s’il est tout de même peu surprenant de constater qu’elle a, en France, rouvert quelques plaies toujours mal cicatrisées et qu’elle a nourri, y compris au-delà de notre scène nationale, nombre d’indignations. Quelques scènes et postures, en effet, gâchent un peu (beaucoup, penseront certains) ce qui devait être, selon les autorités olympiques et sportives, une fête de la paix et de la convivialité, à défaut d’être celle de l’amour universel des peuples les uns envers les autres, un bel idéal, certes, mais rarement atteint…
Le soir de cette fameuse cérémonie, j’étais ainsi à la terrasse d’un café, indifférent au spectacle de la Seine, mais un malencontreux hasard et une pluie devenant agaçante me firent rentrer dans le débit de boissons au moment même où, en gros plan, apparaissait la tête tranchée et sanguinolente de la reine Marie-Antoinette (à moins que ce ne soit celle de la princesse de Lamballe…) : cette simple image me transporta d’indignation, je l’avoue, au point d’avoir en public des mots peu amènes à l’égard de ceux qui avaient pu autoriser une telle ignominie ! Une tête tranchée, voilà qui ne me paraît guère appropriée à un événement festif, à moins que notre société soit revenue à l’ère romaine (antéchrétienne) ou qu’elle considère la guillotinade comme un spectacle vivant (sic) destiné à l’édification des masses comme, justement, en cette période terrible de la première République et de la Terreur… Nombre de spectateurs, lors des débats postérieurs sur les réseaux sociaux, arguèrent « c’est notre histoire » pour défendre cette présentation morbide. L’argument s’entend, mais il mérite explication et contextualisation sans forcément mener à acceptation de la présentation de ce fait historique en cette occasion olympique : doit-on valoriser ce qui va à l’encontre de l’esprit humaniste, surtout en un temps où il est de bon ton de dénoncer la peine de mort et à peine enterré celui qui, en France, a fortement contribué à son abolition au début des années 1980 ? Et, puisque l’on nous parle d’histoire, pourquoi se contenter de cette seule évocation, au-delà des grands principes « Liberté-égalité-fraternité » à qui, d’une certaine manière, l’on peut faire dire ce que l’on veut sans beaucoup de raison et encore moins de mesure ? Mais c’est bien la tête coupée de Marie-Antoinette, cette mal-aimée de l’histoire de France, que les organisateurs ont jetée à la face du monde, crânement…
Ainsi, 235 ans après 1789, la France semble n’en avoir pas fini avec la Révolution française : un court message sur les réseaux sociaux d’un membre de la famille autrichienne des Habsbourg se moquait d’ailleurs de cette fixation française (républicaine, plutôt) sur la reine Marie-Antoinette ! Même M. Mélenchon, pourtant robespierriste en diable (c’est le cas de le dire…), s’est étonné de cette présentation inappropriée de la femme d’un roi qu’il lui paraissait plus logique, s’il s’agissait d’évoquer la fondation républicaine, de dénoncer plutôt qu’elle-même… En tout cas, toute cette agitation m’a convaincu de relire l’ouvrage de l’écrivain Stefan Zweig (autrichien comme l’enfance de la reine) sur sa célèbre compatriote d’origine, un livre écrit en 1932 à la veille des tempêtes et des horreurs qui, en somme, étaient préfigurées (annoncées aussi ?) par la période des années de la Révolution parisienne (dite française) qui allait bouleverser l’Europe et son au-delà. Ce n’est pas un panégyrique de la reine, et il ne cherche pas à en masquer les défauts, voire les fautes. On peut même le trouver parfois injuste, en particulier à l’égard du roi son époux, et lui faire quelques remarques sur les événements et leur sens. Mais Zweig n’est pas un dogmatique comme il en existe tant en cette nouvelle ère des moralistes et des censeurs, et ses critiques à l’égard de la Monarchie finissante peuvent être entendues : après tout, la méthode maurrassienne de l’empirisme organisateur n’est pas le travestissement de l’histoire ou sa pieuse formulation dans le sens désiré (ce qui serait alors de l’idéologie !), mais la prise en compte des expériences passées (y compris les plus douloureuses) pour en tirer l’honorable profit de ne pas refaire les mêmes erreurs ou, du moins, d’en amortir les effets.
Le meilleur moyen de répondre aux incultes et aux robespierristes de salon qui se réjouissent de la tête tranchée de la reine est de lire Zweig, ne serait-ce que par amour de la littérature qui, souvent mieux que l’histoire rationnelle et sèche - sans âme quand pourtant elle traite des hommes et de leurs faits (ou méfaits…) -, permet de saisir le sens des choses et l’esprit des êtres, voire leur âme : la compréhension de l’événement y gagne alors en profondeur, en densité, et l’histoire en sens et en hauteur, parfois. Ainsi, quand un Patrick Boucheron (l’historien officiel de la doxa mondialiste en France et l’une des plumes de la cérémonie d’ouverture) travestit l’histoire pour servir son idéologie si peu française, Zweig nous rappelle à l’humanité des êtres et à la complexité d’un passé jamais simple, sans oublier de nous avertir, discrètement, des risques de l’histoire, dont le moindre n’est pas l’amnésie organisée…
(à suivre)