Chronique de Victor Fouquet, Doctorant en droit fiscal, chargé d’enseignement à Paris I Panthéon-Sorbonne, parue dans la Revue Conflits n°52 :
En 2022, les dépenses de protection sociale ont représenté 849 Md€, soit près du tiers du produit intérieur brut (PIB), et leur financement a fait appel à plus de 70 % des prélèvements obligatoires (1 188 Md€), qui ont atteint un peu plus de 45 % du PIB. Au niveau individuel toutefois, compte tenu de la très forte progressivité des prélèvements obligatoires en France, les taux marginaux combinés peuvent être très nettement supérieurs à 45 %, et même atteindre dans certains cas 75 %. Au-delà de l’importance des dépenses de la Sécurité sociale et de leur dynamisme, l’attention doit alors se porter sur la déconnexion croissante entre contributions et prestations. Niant au fil du temps toute composante assurantielle à la protection sociale, essayant au contraire de la fonder sur un principe d’assistance et de redistribution pure, sous couleur de « solidarité », les pouvoirs publics ont fragilisé l’adhésion au système des personnes les plus qualifiées, au détriment de la productivité de l’économie française.
Cotisations sociales et impôts obéissent en théorie à deux régimes juridiques distincts, leur différence de nature reposant sur leur différence d’objet : tandis que l’impôt ne donne droit à aucune contrepartie liée au montant du versement, les cotisations sociales sont supposées ouvrir des droits à prestation croissant avec le montant des cotisations, et donc avec le revenu d’activité. Si l’impôt peut donc être progressif suivant une logique « redistributive », la cotisation sociale doit en principe demeurer proportionnelle afin de ne pas être déconnectée du niveau des droits à prestation qu’elle finance, suivant cette fois-ci une logique « assurantielle ». Philippe Nemo fait néanmoins subtilement remarquer que cette proportionnalité-là s’apparente à une « progressivité cachée ». En effet :
« Dans un système d’assurances, on paie une prime proportionnelle à la valeur du bien assuré, puisque, en cas de sinistre, l’assurance devra rembourser des frais eux-mêmes proportionnés à cette valeur. C’est ainsi que l’assurance d’une grosse berline coûte plus cher que celle d’une petite voiture. Mais, en matière de santé, le corps d’un “riche” ne coûte pas plus cher à soigner que celui d’un “pauvre”, ni l’inverse ; les prestations sont égales, et il est heureux qu’il en soit ainsi. Dès lors, pourquoi les cotisations devraient-elles être proportionnelles, donc inégales ? Ceci montre bien qu’il ne s’agit pas d’une prime d’assurances, mais, déjà, d’un mécanisme de redistribution. »
La « progressivité cachée » des cotisations sociales restait cependant limitée tant que s’appliquait le mécanisme dit du « plafonnement ». Celui-ci, en cantonnant le prélèvement à une fraction du salaire mensuel, revenait à fixer un montant maximum de cotisations qui en préservait le caractère « assurantiel ». Or, l’évolution des cotisations sociales au cours des dernières décennies, et en particulier leur déplafonnement, a fait qu’il leur a de plus en plus été conféré le caractère d’impôts progressifs supplémentaires sur les revenus du travail. Au désavantage des cadres supérieurs mais aussi des jeunes diplômés, dont le risque de morbidité est plus faible, et par conséquent moins disposés à soutenir un système social qui leur coûte bien plus qu’il ne leur rapporte.
Bref, l’évolution des mécanismes de cotisations sociales illustre non seulement le passage de l’assurance à l’assistance, les fractions déplafonnées étant versées en pure perte par les cotisants, mais elle illustre plus globalement le passage de la « sécurité-propriété » à la « sécurité-droits ». Or, ces « droits » par lesquels la sécurité est accordée aux salariés créent ni plus ni moins « un droit de tirage permanent sur les richesses de la société », ce qui, abîmant les notions de propriété privée et de responsabilité individuelle, entrave la prospérité de l’économie.
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