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Fin de partouze : le jour où Tom Cruise aurait pu sauver le monde pour de vrai

Tom Cruise à la cloture des Jeux Olympique de Paris en 2024

La société du spectacle ne fait jamais relâche, elle fonctionne H24, sous tous fuseaux horaires, dans une orgie planétaire de divertissement. À peine les JO de Paris sont clôturés que ceux de Los Angeles s’ouvrent dans un jour qui n’en finit pas.

Jusque-là, il faut dire, les sportifs, focalisés chacun à leur manière sur leur discipline, avec tout ce que cela exige de rigueur et de concentration, n’avaient guère pu goûter l’immense partouze olympique organisée, depuis bientôt trois semaines, en leur honneur. Avec la cérémonie de clôture d’hier, c’est désormais chose faite ; le stade de France se sera transformé le temps d’un soir en un monstrueux terminal d’aéroport où sportifs, bénévoles et spectateurs en tout genre se seront entassés en musique ; et tout aura enfin été consommé.

Derrière la télévision, forcément, ça part un peu dans tous les sens, c’est long, souvent même très long, et puis ça tourne toujours un peu en rond. Alors je me réconforte comme je peux, me disant que je n’ai au moins pas payé quelque centaines ou milliers d’euros pour assister à cette merde, et que, depuis mon canapé, j’ai encore en mon pouvoir – pour combien de temps qui sait ? – la possibilité d’éteindre temporairement ce monde à tout moment pour aller me coucher. Il me faut pourtant lutter contre l’ennui, scruter la partouze ambiante pour en détecter ses lignes de failles éventuelles ; pondre enfin à ce cher François Bousquet, dans les jours qui ne manqueront pas de suivre – le monde hélas ne s’arrête pas après les Jeux Olympiques ! –, ma modeste contribution à la drôle de guerre en cours.

Me voici donc embarqué bien seul dans ce voyage au bout de l’ennui, projeté devant un planisphère insipide, face à face avec cette tour de Babel aplatie où des imbéciles venus du monde entier déambulent dans l’indifférenciation d’une étrange joie morbide d’après la fin des temps. Il me faudra encore endurer, après toutes ces interminables parades entremêlées, ces karaokés et ces spectacles de Martiens, les relents davocratiques du président du Comité olympique. « Paix universelle » et avènement d’une « nouvelle ère »… Quand tout, autour de lui ce soir, semble hélas donner raison à l’optimisme germanique de ce discours désespérant.

Mission impossible

Est-ce que j’ai véritablement cru, après tout ça, que Tom Cruise allait soudainement sauver le monde une fois pour toute ? Pour être franc, je ne pense pas. Mais quelle étrange sensation que cette apparition ! Et comme la modernité, aussi dommageable fût-elle, pour quelques secondes, me sera apparu bien légère et si tendre, au regard de l’infâme postmodernité où nous croupissons tous actuellement. Après tout, Tom Cruise, quoi qu’on en pense par ailleurs et même le visage tiré à quatre seringues, ça reste un individu, le souvenir fugace et nostalgique d’une singularité clairement identifiable dans le grand tohu-bohu de la décréation universelle.

La modernité, finalement, dans tout cet immense bordel, ça reste un sas de décompression, un refuge enfoui dans notre présent, un échelon inférieur sur l’échelle de la déchéance anthropologique inexorable de l’humanité. Et Tom Cruise, avec son style et sa moto, seul au milieu de la masse interchangeable de posthumains décontractés du style, n’était-ce pas lui, tout compte fait, le véritable OVNI de la soirée ? Le problème avec les sportifs, dès qu’on se prend à les filmer en dehors de leur terrain de jeu, hors de leur champ de spécialité, c’est qu’on se retrouve toujours à errer à mi-chemin entre de la mauvaise propagande d’État et le grotesque d’une publicité pour des Kinder Bueno. Et comme Tom Cruise dans tout ça, et avec lui le florilège de personnages fictifs qu’il charrie inévitablement, nous seront apparus hier soir mille fois plus authentiques que l’ensemble du pauvre simulacre de réel organisé auquel nous sommes tous lamentablement condamnés.

Est-ce que j’ai véritablement cru – ne serait-ce qu’à un seul instant ? – que Tom Cruise allait s’envoler à jamais sur Mars avec le drapeau olympique, qu’il s’apprêtait à l’égarer dans les airs ou à s’abîmer en mer avec lui, emportant pour toujours ce malheureux fanion olympique et mettant ainsi un terme définitif à l’éternel retour de cette malédiction tous les quatre ans ? Non, en vérité, je ne crois pas avoir cru un seul instant à cela. L’apparition de Tom Cruise, pour quelques secondes, m’aura simplement offert l’occasion de sourire, et reprendre par-là un peu d’air, avant la fin d’un bal planétaire qui n’en finirait pas. Tom Cruise, même lui, se sera ce soir montré finalement décevant ; sauver le monde, ce jour-là, était bel et bien sa véritable mission impossible.

2028, nous voilà !

La fièvre parisienne n’est pas encore retombée, que déjà le drapeau olympique accoste à Los Angeles. Là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, la même partouze olympique va déjà bon train et nous attend sagement en bord de mer. Là-bas – c’est-à-dire nulle part –, déjà les mêmes posthumains décontractés du bulbe s’agitent au milieu du sable et s’échinent miraculeusement à rendre notre monde toujours plus invivable. Snoop Dog, cet infâme spécimen de toutes nos abdications individuelles et collectives, entre alors en scène, et la boucle, enfin, est parfaitement bouclée. J’éteins ma télévision ; j’ai bien compris que ces maudits JO ne finiraient jamais et qu’il n’y a pas de vie après l’Histoire.

En attendant 2028, les plus chanceux d’entre nous auront tout loisir de partir çà et là en vacances, certains même de faire le tour du monde une ou deux fois en continuant à s’en mettre plein le nez et à baiser la terre entière ; quant aux autres, les partouzeurs du low cost, il leur faudra rester sagement branché sur Netflix entre deux séances de fitness et l’apéro du vendredi soir. Alors bien sûr, entre-temps, il nous faudra travailler aussi encore un peu, histoire de remplir au moins nos journées et nos frigos, et la vie ne sera pas rose bonbon tous les jours. Et quand le soir venu, dans vos chaumières aseptisées, vous entendrez désormais parler de « droitisation » du pays sur les chaînes télévisées du conservatisme chloroformé, ne vous méprenez pas, c’est bien de la volonté populaire d’une sécurisation policière accrue de l’immense partouze en cours qu’il sera fait état.

Mais encore un peu de courage chers zombis ! Après tout, 2028, c’est déjà presque aujourd’hui…

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