Yves Smith discute du rapport du Washington Post sur les négociations entre la Russie et l’Ukraine pour mettre fin aux attaques sur les infrastructures :
Un aveu de faiblesse russe à long terme ou un calcul plus complexe ?
J’avais déjà discuté de l’article du WaPo ici :
Yves suggère que les négociations, si elles se sont vraiment déroulées comme décrit, étaient une ruse ukrainienne pour distraire la Russie de la préparation de l’incursion dans l’oblast de Koursk par l’Ukraine. Les discussions ont été inutiles pour la Russie, dit-elle. Elle doute que la Russie soit favorable à l’arrêt des attaques sur les capacités de production et de réseau électriques ukrainiennes. Elle suggère que les attaques ukrainiennes contre la Russie ne causent que peu de dégâts. Elle n’est pas d’accord avec ce point de vue.
L’hiver va déjà devenir très difficile pour les civils ukrainiens. Il n’est pas nécessaire d’augmenter les dégâts sur les infrastructures ukrainiennes au-delà du niveau déjà atteint.
Les attaques ukrainiennes ont jusqu’à présent créé des dommages réparables en Russie. Mais ce ne sera peut-être pas le cas pour toujours. Un jour, l’une de ces attaques pourrait en fait créer une véritable catastrophe. Les attaques mobilisent également de nombreuses ressources russes. Il faut un nombre considérable de soldats et d’équipements pour assurer au moins une certaine protection des sites les plus exposés. L’économie russe manque actuellement d’hommes. Ne pas dérouter 100 000 hommes pour des objectifs de défense aérienne locale peut faire la différence.
Je crois que la Russie était vraiment intéressée par un tel accord. Mais l’attaque ukrainienne sur l’oblast de Koursk l’a fait voler en éclats.
De nouvelles suggestions existent sur la manière dont l’incursion ukrainienne en Russie a été préparée.
Le Times de Londres affirme qu’elle a largement suivi un plan britannique (archivé) :
Lorsque des images de chars de combat britanniques Challenger 2 utilisés par l’armée ukrainienne pour sa contre-invasion de la Russie sont apparues mardi, Downing Street et le ministère de la Défense étaient prêts.
Pendant les 48 heures précédentes, des responsables et des assistants politiques travaillant pour Sir Keir Starmer et John Healey, le secrétaire à la Défense, avaient discuté de la mesure dans laquelle il fallait aller pour confirmer l’implication croissante des Britanniques dans l’incursion vers Koursk.
Les enjeux étaient élevés. Invisibles aux yeux du monde, les équipements britanniques, dont les drones, ont joué un rôle central dans la nouvelle offensive ukrainienne et le personnel britannique conseille étroitement l’armée ukrainienne depuis deux ans, à une échelle qu’aucun autre pays n’égale.
Les États-Unis, au contraire, ont affirmé ne pas avoir été au courant des plans ukrainiens et de leurs objectifs. Cela conduit Kit Klarenberg à développer une théorie :
Kit Klarenberg @KitKlarenberg – 15:02 UTC · 18 août 2024
“ : J’avais émis l’hypothèse plus tôt que la Grande-Bretagne était probablement derrière l’opération suicide de Koursk. Et voilà, un article du Times le confirme. Plus largement, le contenu souligne amplement le dernier effort de Londres pour maintenir les États-Unis dans cette guerre par procuration – et il semble que Washington en ait finalement eu assez.
Le Times révèle que les images très médiatisées des chars britanniques Challenger 2 à Koursk étaient une décision consciente et délibérée prise par le nouveau Premier ministre Keir Starmer et son secrétaire à la Défense John Healey. L’équipement britannique aurait “joué un rôle central” dans la “contre-invasion“.
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Starmer et Healey auraient pris la décision de faire connaître l’implication de Londres “pour être plus ouvert sur le rôle de la Grande-Bretagne dans le but de persuader les principaux alliés de faire plus pour aider“. En d’autres termes, pour encourager/faire pression sur les États-Unis et autres pour qu’ils redoublent d’efforts dans ce bourbier impossible à gagner.
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Cependant, les États-Unis seraient mécontents de l’incursion de Koursk, car elle a fait échouer les négociations de paix. La prétendue culpabilité de Kiev pour les bombardements du Nord Stream est, semble-t-il, utilisée pour justifier la fin de l’aide allemande à l’Ukraine. Et les États-Unis empêchent Kiev de tirer des missiles de fabrication britannique sur la Russie.
La théorie de Kit est que l’article du Washington Post sur l’échec des négociations ainsi que la dernière rumeur du WSJ selon laquelle “l’attaque du Nord Stream a été faite par l’Ukraine” sont l’expression de la colère américaine envers le gouvernement ukrainien et son invasion de la région de Koursk.
Le Times rapporte également que la Grande-Bretagne pousse ses alliés à fournir plus d’armes et à autoriser leur utilisation contre des cibles situées au plus profond de la Russie :
Dans les semaines à venir, Healey participera à une nouvelle réunion du Groupe de coordination de la défense de l’Ukraine, où la Grande-Bretagne fera pression sur les alliés européens pour qu’ils envoient plus d’équipements et donnent à Kiev plus de latitude pour les utiliser en Russie. Healey s’est entretenu la semaine dernière avec Lloyd Austin, le secrétaire américain à la Défense, et a courtisé Boris Pistorius, son homologue allemand.
L’Allemagne, dont les missiles Taurus ont une portée de 250 km similaire à celle du Storm Shadow mais une ogive plus puissante, est le pays qui subit le plus de pression pour agir. Cependant, il a été révélé hier que l’Allemagne a en fait gelé l’aide militaire à l’Ukraine en raison d’une crise budgétaire intérieure. Pistorius avait demandé 3,4 milliards de livres sterling de fournitures supplémentaires, mais cette demande a été rejetée par le ministère des Finances.
Une fuite précédente indiquait que les missiles à longue portée Taurus sont compliqués et doivent être programmés par des officiers allemands. L’Allemagne ne soutient pas une telle implication dans les attaques contre la Russie.
Il me semble que la Grande-Bretagne a promis à l’Ukraine qu’elle obtiendrait de ses alliés qu’ils acceptent l’utilisation d’armes à plus longue portée contre la Russie en échange de l’attaque de l’Ukraine contre la Russie.
Seul cela peut expliquer cette plainte de Zelenski à propos de Starmer :
Le président ukrainien s’est plaint que l’aide britannique à Kiev avait commencé à diminuer alors que ses forces poursuivaient leur incursion sans précédent sur le territoire russe dans la région de Koursk.
« Malheureusement, la situation s’est ralentie récemment », a déclaré M. Zelensky, faisant référence à l’aide militaire britannique.
Sir Keir a maintenu l’interdiction des conservateurs d’utiliser des Storm Shadows de fabrication britannique pour frapper des cibles au plus profond de la Russie, à cause des craintes que cela puisse conduire à une escalade contre Moscou, doté de l’arme nucléaire.
« Nous allons discuter de la manière de résoudre ce problème, car les capacités à longue portée sont vitales pour nous. Le monde entier voit à quel point les Ukrainiens sont efficaces – comment notre nation entière défend son indépendance », a déclaré M. Zelensky.
Cela s’est produit alors que quatre anciens secrétaires à la Défense conservateurs ont appelé le 10 Downing Street à faire davantage pour soutenir l’Ukraine, certains exigeant que Kiev soit autorisé à utiliser des missiles Storm Shadow dans l’offensive russe.
Mais ce n’est pas Starmer qui bloque les missiles, ce sont les États-Unis d’Amérique. (archivé) :
Washington empêche en effet la Grande-Bretagne d’autoriser Kiev à tirer des missiles Storm Shadow à l’intérieur de la Russie, alors que l’administration Biden craint une escalade de la guerre en Ukraine.
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Il est entendu que bien que le Royaume-Uni veuille donner à l’Ukraine la liberté de faire ce qu’elle veut avec l’arme à longue portée, cela nécessite un consensus des alliés, dont les États-Unis, la France et un troisième pays de l’OTAN non divulgué. Une source gouvernementale a souligné que le Royaume-Uni ne blâmait pas les États-Unis pour un quelconque retard, ajoutant que de tels changements de politique prenaient du temps.
En combinant tout ce qui précède, on peut (re)construire cette histoire.
La Grande-Bretagne, dans un mouvement bipartisan, veut prolonger la guerre en Ukraine. Elle a suggéré à l’Ukraine d’envahir la Russie et l’a aidée à le faire, même si elle savait que cela interromprait les pourparlers de paix en cours au Qatar. Elle a également promis de faire pression sur ses alliés pour obtenir l’autorisation d’attaquer la Russie à longue portée. Mais les États-Unis et l’Allemagne bloquent toujours de telles attaques. Zelensky se plaint maintenant que la Grande-Bretagne n’a pas tenu sa promesse.
Les États-Unis, vexés par l’implication britannique dans une attaque ukrainienne probablement inutile contre la Russie, divulguent des informations sur les négociations ukraino-russes au Qatar.
Ce qui précède est largement basé sur les affirmations des États-Unis selon lesquelles ils n’étaient pas vraiment impliqués dans la planification de l’incursion de Koursk.
Il y a bien sûr de bonnes raisons de douter de ces affirmations :
Alors que la guerre en Ukraine entre dans sa phase la plus périlleuse, avec les forces de Kiev combattant en Russie, les États-Unis gèrent un détachement officiel « d’activités sensibles » qui fournit activement un soutien militaire direct au pays assiégé. Le détachement, dont l’identité n’a jamais été dévoilée auparavant, est dirigé par les forces d’opérations spéciales américaines et, avec ses homologues ukrainiens, fournit un soutien sur le champ de bataille, notamment des renseignements de ciblage en temps quasi réel, selon les opérateurs.
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Un opérateur anciennement déployé au sein du 10e groupe des forces spéciales de l’armée, affecté à un détachement d’activités sensibles, m’a dit que leur travail comprenait la création de réseaux humains clandestins pour la collecte de renseignements, ainsi que l’identification des faiblesses militaires russes en matière de ciblage.
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Un deuxième opérateur a également décrit avoir été chargé de fournir un soutien de renseignement de dernière minute aux forces ukrainiennes.
Les opérateurs américains en Ukraine n’ont certainement pas manqué de voir les préparatifs que les Ukrainiens faisaient pour leur attaque.
P.S. Bonus de l’article du Times :
« Il ne s’agit pas seulement de soutien militaire, mais aussi de soutien industriel, économique et diplomatique », a déclaré la source de la défense. « Si Poutine réussit en Ukraine, il ne s’arrêtera pas là. Mais les implications économiques de cela sont également énormes, car nous avons tous vu à quel point la Grande-Bretagne a été durement touchée lors de la première invasion. »
Oui, les sanctions, destinées à nuire à la Russie, ont été très préjudiciables à ceux qui les ont imposées. Il est bon de voir que cela est enfin reconnu.
Par Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.