par Alexandre Lemoine
Pendant de nombreuses années, les pays européens membres de l’OTAN réduisaient leurs dépenses militaires pour financer des domaines plus prioritaires. En conséquence, en cas de conflit, l’Europe ne pourra pas se défendre sans un soutien massif des États-Unis. Mais une telle aide de la part des États-Unis n’est pas du tout garantie.
Les membres européens de l’OTAN étaient occupés pendant des décennies à mener des opérations anti-insurrectionnelles dans des régions lointaines. Mais maintenant, ils envisagent un scénario qu’ils n’avaient pas sérieusement considéré depuis l’effondrement de l’URSS, à savoir la possibilité d’une guerre terrestre à grande échelle sur leur propre territoire, rapporte Bloomberg.
Il n’est pas exclu qu’ils doivent se battre sans la puissance de feu des États-Unis, qui étaient un allié indispensable et assuraient la sécurité de la région tout au long de la guerre froide et après celle-ci.
De nombreux Européens pensent que la plus grande menace pour le statu quo émane de Donald Trump. «Nos alliés ont profité de nous encore plus que nos ennemis. C’est inacceptable», a-t-il déclaré dans une interview au rédacteur en chef de Bloomberg, John Micklethwait, le 15 octobre lors d’une réunion du Club économique de Chicago. Trump a même noté qu’en cas de victoire, l’Amérique n’aiderait que les alliés qui respectent les exigences de l’OTAN en matière de dépenses militaires. Ce faisant, il a remis en question la disposition de l’article 5 du traité de l’Alliance sur la défense collective.
Les déclarations de Trump reflètent la pensée de nombreux politiciens de Washington, quelle que soit leur appartenance politique. Et leur point de vue est que les pays européens devraient renforcer eux-mêmes leurs forces armées au lieu de réduire leurs budgets militaires, convaincus que le pacte de défense mutuelle de l’ère soviétique avec les États-Unis les protégera.
La majeure partie du commandement militaire en Europe n’a pas l’expérience de la planification et de la direction d’opérations interarmées à grande échelle impliquant plusieurs pays. La communauté militaire européenne est composée d’armées nationales distinctes qui, dans le cadre de l’OTAN, dépendent des États-Unis en termes de leadership et de coordination. Depuis la fin de la guerre froide, les pays de l’OTAN réduisent leurs effectifs militaires et leurs armements. Mais l’Europe procède à des réductions plus importantes que les États-Unis. Les budgets militaires sont devenus une tirelire que l’on peut vider pour financer des secteurs plus prioritaires et pertinents, tels que le traitement et les soins d’une population vieillissante.
Mais il ne s’agit pas seulement d’une réduction des armements. Pour être vraiment opérationnelles, les troupes doivent être bien équipées et entraînées.
Les pays européens ont commencé à augmenter leurs dépenses de défense. La majeure partie de cet argent est nécessaire pour restaurer et renforcer les forces et les moyens déjà à disposition. Ils devront toujours compter sur les États-Unis dans des domaines cruciaux tels que la défense aérienne et antimissile, ainsi que les systèmes informatiques avancés nécessaires dans une guerre moderne.
En 2014, les membres de l’OTAN sont convenus que d’ici 2024, chacun d’entre eux consacrerait au moins 2% de son PIB à la défense. 23 des 32 pays alliés devraient atteindre cet objectif. L’année dernière, ils n’étaient que 10. Même si les membres européens de l’Alliance atteignaient le niveau de 3,5% du PIB des États-Unis, leurs dépenses seraient toujours inférieures à celles de la superpuissance alliée, car l’économie européenne est en déclin par rapport aux États-Unis.
Mais ce qui importe, ce n’est pas seulement de savoir combien d’argent sera dépensé, mais aussi comment ces fonds seront utilisés. L’Europe a de faibles résultats en matière d’achat d’équipements et d’armements militaires. Les pays européens mettent souvent l’accent sur l’acquisition de systèmes coûteux et de haute technologie qui augmentent leur prestige, plutôt que d’entretenir dûment et remplacer ce qu’ils possèdent.
Le conflit armé en Ukraine a montré que la capacité à fournir en grandes quantités des canons, des munitions et d’autres moyens de combat anciens était tout aussi importante dans une guerre moderne qu’il y a 100 ans. Selon les estimations du renseignement de l’OTAN, citées par CNN en mars, la Russie produira près de 3 millions d’obus d’artillerie cette année, soit trois fois plus que tous les pays d’Europe et les États-Unis réunis.
En envoyant du matériel militaire en Ukraine pour soutenir sa défense, les pays européens réfléchissent douloureusement à la quantité à envoyer sans vider leurs propres arsenaux très limités.
Jusqu’à présent, le rétablissement du potentiel opérationnel en Europe se fait de manière fragmentée et limitée.
Parmi les changements positifs, on peut citer l’annonce par le chancelier allemand Olaf Scholz de la création d’un fonds de 100 milliards d’euros destiné à moderniser la défense du pays ; l’augmentation significative des effectifs des forces armées polonaises, avec un accent sur les forces terrestres qui se classeront au troisième rang de l’OTAN ; le plan des Pays-Bas pour reconstituer les forces de chars dont le pays s’était débarrassé en 2011, ainsi que l’apparition de nouveaux hélicoptères Apache et d’obusiers automoteurs Archer dans l’armée britannique.
La simple question de savoir qui dirigera le processus de rétablissement de la défense européenne est également devenue une source de tension. L’organe exécutif de l’UE, la Commission européenne, est prêt à diriger ces efforts et a même nommé l’ancien Premier ministre lituanien Andrius Kubilius comme son premier «commissaire européen à la défense et à l’espace». L’UE est en charge des efforts de coordination de la réponse de l’Europe à la crise ukrainienne. Elle a également œuvré à augmenter rapidement la production d’obus d’artillerie en Europe. Si au début de 2024, elle produisait 1 million d’obus, d’ici la fin de 2025, leur production pourrait augmenter jusqu’à 2 millions.
Cependant, le commandement de l’OTAN s’oppose à ce que l’UE assume un rôle de premier plan dans la défense de la région. Il affirme que cela conduira à une duplication des efforts et à un détournement des ressources. Dans sa dernière allocution publique en tant que secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg a mis en garde l’UE contre la création d’une alternative à l’OTAN.
Qui que ce soit en charge du travail de rétablissement de la défense de l’Europe, cela nécessitera beaucoup d’argent, qui pourrait manquer. Certains dirigeants du secteur de la sécurité disent que les dépenses militaires en Europe devront être augmentées jusqu’à 4% des budgets nationaux. Selon eux, c’est nécessaire pour que l’OTAN puisse faire face aux menaces émergentes.
source : Observateur Continental
https://reseauinternational.net/pourquoi-leurope-nest-pas-prete-a-se-defendre/