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14 siècles de traite négrière arabo-musulmane : un génocide occulté

L'esclavage, on le sait, est un crime contre l'humanité. Mais quand on parle d'esclavage, on pense souvent à la traite atlantique et à son abolition au XIXe siècle. Or, bien avant que les Européens ne s'embarquent dans ce commerce infâme, les Arabes et les musulmans avaient déjà mis en place un système esclavagiste d'une ampleur sans précédent. Pendant quatorze siècles, des millions d'Africains ont été arrachés à leur terre, vendus comme des bêtes, et réduits à la condition d'esclaves. Un génocide oublié qui continue de marquer la mémoire de nombreuses sociétés africaines.

L'expansion de l'islam et le commerce d'esclaves

La traite arabo-musulmane a émergé dans le contexte de l'expansion de l'islam, qui a commencé au VIIe siècle avec la prédication du prophète Muhammad. Les nombreuses conquêtes musulmanes ont ouvert de nouvelles routes commerciales et ont facilité les échanges entre l'Afrique, l'Asie et l'Europe. Les marchands arabes ont rapidement établi des réseaux commerciaux qui incluaient la vente d'esclaves, principalement en provenance d'Afrique subsaharienne.

Contrairement à la traite transatlantique, qui a été largement documentée et critiquée, la traite arabo-musulmane a toujours été minimisée, voire carrément invisibilisée dans les manuels d'histoire. Pourtant, elle a été tout aussi dévastatrice, et bien plus cruelle et meutrière, avec des millions de personnes réduites en esclavage, sur une durée de 14 siècles. Les estimations varient, mais on parle souvent de 10 à 20 millions d'Africains déportés vers le Moyen-Orient et l'Asie.

La machine impitoyable à esclaves

La traite arabo-musulmane s’est appuyée sur un système bien rodé de capture et de transport. Les esclaves, principalement originaires d’Afrique subsaharienne, étaient arrachés à leur terre natale par des méthodes brutales. Des raids organisés, souvent en marge de conflits armés, permettaient de capturer des hommes, des femmes et des enfants. Ces derniers étaient ensuite conduits, par des routes terrestres souvent éprouvantes ou par la mer, vers les grands marchés d’esclaves du monde arabo-musulman, tels que Bagdad, Le Caire ou Damas.

Une fois arrivés à destination, les esclaves étaient soumis à une exploitation sans merci. Les hommes étaient généralement affectés aux travaux les plus pénibles : agriculture, mines, construction. Souvent castrés pour les empêcher qu'ils aient une descendance en terre d'islam, ils étaient réduits à l’état de simples outils. Les femmes, quant à elles, étaient destinées aux travaux domestiques ou à la vie de concubine. Elles étaient presque systématiquement stérilisées. Lorsque que ce n'était pas le cas, les enfants qui naissaient étaient tués. Les arabo-musulmans avait souvent recours à l'infanticide. 

Ce système esclavagiste a eu des conséquences désastreuses pour les sociétés africaines. Les raids répétés ont entraîné des pertes démographiques importantes, désorganisé les communautés et affaibli les structures politiques. Les traumatismes psychologiques infligés aux captifs et à leurs familles ont laissé des traces indélébiles. De plus, l'esclavage a alimenté des rivalités entre les peuples africains, certains étant incités à capturer leurs voisins pour les vendre.

Les cicatrices d'un passé douloureux

La traite arabo-musulmane a laissé des cicatrices profondes sur les sociétés africaines. Au-delà des pertes humaines considérables, elle a bouleversé l’équilibre social et culturel de nombreuses régions. Les raids répétés pour capturer des esclaves ont fragilisé les communautés, semant la discorde et la méfiance. Ces conflits internes ont souvent été entretenus par les trafiquants d'esclaves qui jouaient les différentes factions les unes contre les autres.

L'Afrique de l'Est et l'accélération de la traite arabe au 19e siècle

Parallèlement à ces conséquences négatives, la traite a également engendré des métissages culturels. Les esclaves africains, une fois arrivés dans le monde arabo-musulman, ont apporté leurs traditions, leurs langues et leurs savoir-faire. Leurs contributions à la culture, à l’art et à la musique sont indéniables. Cependant, il est essentiel de souligner que ces échanges culturels se sont souvent déroulés dans un contexte d’asservissement et de domination. L’héritage de la traite est donc ambivalent : il témoigne à la fois d’une richesse culturelle métissée et d’une profonde injustice.

Un passé occulté

L'histoire de la traite négrière arabo-musulmane est longtemps restée dans l'ombre. Alors que la traite atlantique a fait l'objet de nombreux travaux historiques et a été largement médiatisée, ce chapitre sombre de l'histoire africaine est resté largement méconnu. Plusieurs facteurs expliquent cette occultation :

  • Une histoire eurocentrique : pendant longtemps, l'historiographie a été dominée par une perspective occidentale, qui a privilégié l'étude de la traite transatlantique, qui a duré un peu plus de 3 siècles. Ce biais a contribué à occulter les autres formes d'esclavage, notamment celle pratiquée par les Arabes.
  • Des enjeux politiques et idéologiques : aborder la question de l'esclavage dans le monde arabo-musulman peut être délicat, car il touche à des questions identitaires et religieuses sensibles. Certains États ont cherché à minimiser l'implication de leurs ancêtres dans la traite, afin de préserver une image positive de leur histoire.
  • Un manque de sources : les sociétés africaines précoloniales étaient souvent orales, ce qui rend la reconstitution de leur histoire plus complexe. De plus, les archives arabes concernant la traite sont souvent incomplètes ou difficiles d'accès.

Par ailleurs, la perception de l'esclavage dans le monde islamique a souvent été idéalisée. Certains historiens ont tenté de présenter la traite arabo-musulmane comme une forme d'esclavage plus "bénigne", plus "douce" que la traite atlantique, en soulignant les possibilités d'ascension sociale pour les esclaves ou en insistant sur les liens familiaux qui pouvaient se nouer entre maîtres et esclaves. Cette vision romantique ne tient absolument pas compte des réalités du terrain : les conditions de vie des esclaves étaient souvent atroces, leur espérance de vie faible, et leur statut social extrêmement précaire.

Dans les pays arabo-musulmans, il ne reste presque plus d'héritage démographique de cette traite ignoble. La traite transatlantique, quant à elle, a laissé plus de 70 millions de descendants d'esclaves. C'est ce que soulignait l'éminent historien franco-sénégalais Tidiane N'Diaye dans son livre Le Génocide voilé.

La traite arabo-musulmane nous rappelle que l'esclavage est un fléau qui a touché toutes les civilisations et toutes les régions du monde. En étudiant ce chapitre sombre de notre histoire, nous contribuons à une meilleure compréhension des mécanismes universels de la domination et de l'exploitation. Cette connaissance est essentielle pour lutter contre les formes modernes d'esclavage et promouvoir les droits de l'homme. À quand le mea culpa du monde arabo-musulman ?

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/14-siecles-de-traite-negriere-257990

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