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Le manifeste pour les producteurs de Tatiana Ventôse

Le manifeste pour les producteurs de Tatiana Ventôse

Dans son dernier livre, Il est venu le temps des producteurs (Éditions Le fil d’Actu, 348 pages, 22 euros), la vidéaste politique Tatiana Ventôse, qui compte plus de 300 000 abonnés sur Youtube, s’adresse de manière fervente aux « artisans, ouvriers, paysans » de la France périphérique, victimes d’un « pillage à grande échelle » causé par l’économie financiarisée, en les invitant à « prendre le contrôle de la société » pour sauver la France. Depuis une cinquantaine d’années, les capacités de production du pays ont été détruites par la volonté des dirigeants successifs, qui ont relégué les véritables producteurs de richesses loin des centres de décision et d’influence tout en les caricaturant avec mépris.

La France périphérique

Cette locution, empruntée au concept théorisé par le géographe Christophe Guilluy, désigne les villes petites et moyennes et les territoires ruraux qui représentent 90 % du territoire français et comptent près de 45 millions d’habitants, par opposition aux grandes métropoles qui bénéficient des avantages de la mondialisation économique.

Cette France périphérique vote aujourd’hui largement en faveur du Rassemblement national, au grand dam des adversaires politiques de ce parti qui s’interrogent sur la meilleure manière de « parler » à cet électorat à « (re)conquérir ».

Par-delà le mépris que lui vouent ceux « qui saturent les plateaux télévisés, arpentent les ministères après avoir fréquenté les mêmes universités et grandes écoles », c’est bel et bien « cette France qui produit la richesse, la véritable richesse, matérielle, contrairement à ce qu’on nous assène depuis des décennies », tout en subissant un appauvrissement croissant du fait de la désindustrialisation et des délocalisations.

Des régions qui déchantent

« De l’ouvrier mosellan à l’éleveur limousin, une même réalité : celle des perdants de la mondialisation, exclus des centres dynamiques des métropoles, de plus en plus privés de représentation (…), dont l’existence même est une preuve que le système qui nous a été imposé comporte une faille béante, un gigantesque trou laissé par la disparition de l’outil de production, qu’aucun discours, aucun faux-semblant ne peut combler, car il est le résultat concret d’une évolution logique du système économique dans lequel nous vivons. »

Face au libre-échange prôné par les « élites », « de quel poids peuvent peser des agriculteurs, même en s’associant, pour racheter des terres cultivables, face à des investisseurs internationaux bénéficiant de fonds illimités pour racheter d’un coup des centaines d’hectares, d’immenses parcelles de notre pays ? »

Des parcs de panneaux photovoltaïques et une multitude d’éoliennes implantées sur le sol fertile du pays, « destinés à rapporter de l’argent facile à quelques-uns sur notre dos sous couvert de production d’électricité », rappellent quotidiennement aux habitants de la France périphérique qu’ils ne sont plus chez eux.

« Les très sérieuses notes publiées par le gouvernements pour aider les élus (ruraux) à faire accepter l’arrivée de plusieurs dizaines de migrants à leurs administrés, en mettant en lumière la chance de “redynamiser” le territoire » sont peu propices à leur faire éprouver un sentiment contraire…

Le fruit pourri d’une volonté politique

Le modèle vendu au grand public par les décideurs politiques, les médias et les « intellectuels organiques » au service de l’idéologie dominante était celui d’une France prospère, moderne et citadine, « où les biens de consommation seraient disponibles à l’envi, sans toutefois que les Français n’aient plus à travailler de leurs mains pour les produire ». L’avenir était à l’économie des services. « Nous avons été sommés de célébrer les délocalisations, les fermetures de nos usines, de nos mines, et l’abandon de nos capacités de production. »

« Le mouvement de destruction de la production et d’effacement des producteurs correspond à une logique. Il a été orchestré, promu, et organisé savamment par les véritables maîtres du jeu. La classe dirigeante, servie par une caste politico-médiatique et le concours d’idiots utiles, intellectuels et fonctionnaires, a, en cinquante ans, mis la France à terre, torpillé notre capacité à survivre, et effacé jusqu’à l’idée même qu’une véritable opposition à son règne, construite autour d’un intérêt commun, puisse exister. »

Une nouvelle lutte des classes

Tatiana Ventôse, qui ne croit pas en l’existence d’une « classe moyenne » dont l’unité lui paraît équivoque, distingue, dans la France d’aujourd’hui, des catégories sociales en fonction de leur implication dans le processus de production matérielle et de leur localisation géographique. Ainsi, un même emploi de service dans la France périphérique ou dans les grandes métropoles diffère selon sa « place dans les rapports de production » (un restaurateur provincial qui sert des routiers sert des producteurs, au contraire de son homologue d’un grand restaurant parisien).

Selon elle, la société française se structure autour de deux pôles antagonistes constitués par, d’un côté, les « profiteurs », à savoir la « bourgeoisie financière » qui a succédé dans les années 1970 à la « bourgeoisie industrielle », et, de l’autre, le pôle des producteurs.

Cette bourgeoisie financière et ses « serviteurs », la « petite bourgeoisie » et le « lumpenprolétariat » des banlieues, ont des intérêts communs dans la préservation de l’ordre social existant et bénéficient en conséquence d’une représentativité culturelle, tout en devant leur conditions matérielles d’existence au travail des secteurs primaire et secondaire.

Le « non » au référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, le mouvement des Gilets jaunes en 2018-2019 (réprimé avec une « brutalité inouïe ») et les manifestations d’agriculteurs de 2024 témoignent pourtant de la résistance des classes populaires.

« L’ascension des producteurs est inéluctable ; la question est de savoir combien de litres de sueur, de sang et de larmes elle nécessitera. » Ceux-ci « doivent désormais reprendre le pays des mains de ceux qui l’ont confisqué pour leur bénéfice personnel, et organiser la société à leur place », car « tout se passe comme si, à la tête de la France, sévissait une classe dirigeante dont les intérêts n’étaient tout simplement pas en phase avec les intérêts des Français ».

Une nécessaire refonte structurelle

Les dominants manipulent la vérité au mépris des faits tangibles, en disqualifiant les discours critiques et en médiatisant les « agents du système » qui décrivent une population française désunie et sans destin commun, selon le principe du « diviser pour mieux régner ».

« Aujourd’hui, le fossé est profond entre le bloc dirigeant et les producteurs, sur la question fondamentale du libre marché, véritable pilier de l’organisation sociale de la bourgeoisie financière, condition de son règne et de sa survie, dont toute l’idéologie de la classe dominante avait vocation à assurer la défense, en l’érigeant en un principe immuable et sacré. »

La France a su se relever après la Seconde Guerre mondiale et connaître le « miracle » des Trente Glorieuses. Un état des lieux pourrait être dressé par une structure s’inspirant de ce que fut le commissariat général au Plan, comprenant des producteurs compétents (« exit les “experts” qui vendent la France » !) et excluant « toute personne ayant participé de près ou de loin à la mise en place de la mondialisation et au saccage de l’outil de production français ». Ce Plan devra être approuvé par les Français par référendum.

Pour recouvrer la souveraineté, et donc la liberté, il sera nécessaire de relancer les capacités de production du pays en donnant la priorité au marché intérieur, en protégeant les secteurs trop importants pour être laissés à la « liberté » du marché tels que l’énergie ou la production de médicaments, en nationalisant les infrastructures essentielles ou stratégiques comme les autoroutes, les aéroports ou les lignes de chemins de fer (dont les gérants seront choisis parmi les salariés ayant un minimum d’ancienneté et non pas nommés par les dirigeants politiques) et en créant des fonds souverains pilotés par la Banque de France.

Le rachat de terres agricoles par des entreprises, des États ou des fonds d’investissement étrangers sera interdit, ainsi que la concentration des terres entre quelques privilégiés, qu’ils soient des personnes physiques ou morales.

Des tribunaux citoyens pourront également être mis en place pour « juger ceux qui ont participé au grand pillage des Années sombres (depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui) »…

Il faudra aussi en finir avec les parcs d’énergies renouvelables en mettant à contribution tous ceux qui auront eu une responsabilité directe dans leur implantation, « par exemple en participant physiquement au démantèlement des socles des éoliennes au moyen de marteaux et de burins » !

« L’État devra être au service exclusif de la Nation et veiller au respect absolu de sa volonté », en se débarrassant « de toutes les structures parasites, privées comme publiques, qui ne vivent aujourd’hui que de la captation de l’argent des Français ».

« Il conviendra également de rétablir nos frontières et de les réguler au niveau des flux humains. » Une politique souverainiste implique un protectionnisme en rupture avec les traités de directives de l’Union européenne, de même qu’un retour à une monnaie nationale.

Ces mesures, parmi d’autres, permettront d’envisager un équilibre budgétaire jusqu’ici impossible dans un pays vidé de ses moyens de production.

« Sans production, il n’y a pas de création de richesse (…) ; pas d’argent pour payer les fonctionnaires ni faire tourner les services publics », sauf à choisir la voie non pérenne de l’endettement massif.

« Les producteurs doivent désormais prendre conscience de leur propre force. C’est uniquement à cette condition qu’ils pourront assurer leur salut, et notre survie à tous. Lorsque ce sera le cas, rien ne pourra les arrêter. »

***

Si le constat de la catastrophe produite par la désindustrialisation du pays et la nécessité impérative d’agir en sens contraire paraît pleinement valide, il est permis d’être plus sceptique sur la perspective « révolutionnaire » défendue par Tatiana Ventôse.

Un de ses inspirateurs, Christophe Guilluy, reconnaît lui-même qu’« en un demi-siècle, le modèle globalisé a fait basculer les gens ordinaires d’un statut de producteur à celui de travailleur précaire et parfois à celui de simple consommateur » (« Le temps des gens ordinaires », Éditions Flammarion, page 160).

Envisager l’avènement d’une telle classe des producteurs paraît donc quelque peu utopique sauf à ce que celle-ci s’allie à d’autres catégories sociales, notamment avec la bourgeoisie entrepreneuriale qui n’a pas complètement disparu depuis cinquante ans.

Les Trente Glorieuses n’ont d’ailleurs pas correspondu à la prise du pouvoir politique par les ouvriers, les paysans ou les artisans. Quand l’un d’eux accède à des fonctions de dirigeant, à l’instar de Lech Wałęsa en Pologne, il cesse d’exercer son métier initial.

Selon nous, c’est d’une union des classes dont le pays a besoin pour travailler à sa réindustrialisation. Une perspective qui ne manquera pas d’être qualifiée à son tour d’utopique par les tenants de la lutte des classes, mais plus que jamais nécessaire…

Johan Hardoy 14/12/2024

https://www.polemia.com/le-manifeste-pour-les-producteurs-de-tatiana-ventose/

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