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Sur le chaos syrien

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La chronique flibustière de Georges Feltin-Tracol

Le Système médiatique occidental d’occupation mentale ne surprend jamais ceux qui connaissent son fonctionnement interne, examinent son incessante propagande mortifère et détectent son bourrage de crâne. La chute soudaine de la Syrie néo-baasiste en est une éclatante preuve.

Les plumitifs louent les soi-disant « libérateurs » islamo-terroristes et dénigrent le régime déchu. L’islamisme étant un cosmopolitisme, les journalistes occidentaux ne peuvent que se féliciter de cette sinistre victoire. Les Bisounours barbus paradent dans Damas. Dans leur précipitation, les médiacrates commettent cependant des erreurs factuelles.

C’est le 8 mars 1963 que la branche syrienne du Parti socialiste de la Renaissance arabe (ou Baas) s’empare du pouvoir à Damas, un mois après la révolution des 8–10 février à Bagdad. Or, si le gouvernement baasiste irakien demeure orthodoxe, celui de la Syrie s’allie bientôt aux communistes et impose une planification économique proto-soviétique. Des tensions émergent au sein du Baas syrien entre les partisans socialistes du Premier ministre Salah Jedid et la faction politico-militaire du ministre de la Défense nationale Hafez Al-Assad. Ce dernier provoque en 1970 une « révolution de rectification » et élimine la tendance rivale. Al-Assad père renonce implicitement au projet panarabe et entérine une ambition grande-syrienne naguère défendue par Antoun Saadé. L’épouse du dirigeant syrien et mère de Bachar Al-Assad, Anissa Makhlouf, milita dans sa jeunesse auprès du Parti social-nationaliste syrien (PSNS) de Saadé. Ces corrections idéologiques agacent fortement le fondateur du baasisme, Michel Aflak, qui se réfugie en Irak avant de décéder à Paris en 1989.

Déclenchée le 15 mars 2011, le conflit en Syrie reste un exemple de « guerre moléculaire ». Par cette expression, l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger dépasse l’habituelle opposition entre deux ensembles belligérants. On dénombre en effet sept protagonistes en Syrie qui se détestent mutuellement (ou presque).

La rébellion se divise en une trentaine de groupes eux-mêmes rivaux dont les plus importants s’appellent l’Armée syrienne dite libre (ASL), le bras armé régional de la Turquie, et Hayat Tahrir al-Cham (HTC ou Organisation de libération du Levant). Par Levant, il faut comprendre l’espace géographique s’étendant de la Syrie au Sinaï en passant par l’Irak, le Liban, la Jordanie, la Palestine et Israël. Son chef actuel, Abou Mohammed Al-Joulani, pseudonyme d’Ahmed Hussein Al-Chara, serait né en 1982 à Riyad en Arabie Saoudite. Ses parents viendraient du Golan annexé par Tel-Aviv.

D’abord affilié à Daech, Al-Joulani s’en détache et se rallie ensuite à Al-Qaïda. Auparavant, parti combattre en Irak les troupes étatsuniennes, il a séjourné une durée indéterminée dans le camp de rééducation psychologique (avec des drogues issues du projet MK – Ultra ?) d’Abou Ghraib. Travaillerait-il ou a-t-il travaillé pour la CIA ? Des drones d’origine ukrainienne avec un personnel technique compétent semblent avoir contribué à la progression fulgurante des rebelles vers la capitale. Par ailleurs, HTC entretient d’assez bonnes relations avec les forces kurdes, ce qui semble paradoxal quand on sait qu’Ankara cherche à empêcher toute autonomie territoriale kurde. Al-Joulani dirige depuis plusieurs années la région d’Idleb aux portes de la Turquie. Par-delà un rigorisme islamiste avéré, HTC veut montrer aux journalistes occidentaux que son style de gouvernement ne s’inspire ni de Daech, ni d’Al-Qaïda ou des Talibans. Ce mouvement doit aussi composer avec l’ASL et d’autres factions islamistes plus radicales encore guère enclines à partager un éventuel pouvoir.

Bien qu’affaibli, l’État islamique conserve toujours des poches territoriales discontinues dans l’Est syrien près de l’Irak. Contrairement aux rebelles victorieux qui comptent des musulmans venus d’Occident, le volontariat étranger en faveur de Daech s’est fortement tari.

Le troisième groupe en présence est les Kurdes et leur coalition, une vingtaine de mouvements plus ou moins réunis dans les Forces démocratiques syriennes (FDS). Sous l’impulsion de l’antenne locale du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), les contrées kurdes de Syrie – le Rojava – assistent à la formation d’un proto-État pluricommunautaire féministe inclusif écolo-libertaire suivant les indications municipalistes de Murray Bookchin. Maints militants occidentaux d’extrême gauche ont intégré les FDS et souscrivent à cette utopie politique en difficile gestation. L’existence d’un Kurdistan autonome en Syrie irrite un quatrième intervenant, la Turquie qui, pour la circonstance, retrouve des aspirations néo-ottomanes.

Un cinquième, collectif, aide plus ou moins directement l’action kurde. Il s’agit d’une alliance militaro-diplomatique qui comprend les États-Unis, le Royaume Uni, la France et l’Arabie Saoudite. Surtout orientée contre Daech, cette entente internationale applaudit néanmoins la chute du baasisme syrien. De façon informelle, les troupes étatsuniens disposent en zone kurde de bases militaires clandestines. Cette présence scandaleuse viole en toute impunité une souveraineté syrienne aujourd’hui bien dissipée. Comment réagirait la Maison Blanche si la Chine installait une base militaire en Irlande ou la Russie au Mexique ?

Le sixième protagoniste est désormais le grand perdant de la période actuelle de cette longue guerre. L’armée loyaliste syrienne n’a pas résisté à la multiplicité des menaces armées. À côté des unités militaires de la République arabe syrienne combattaient diverses milices plus ou moins disciplinées. Outre les sections armées du PSNS probablement passées en clandestinité, le Baas a formé des Forces de défense nationale. Dès 2013 se constitue une Garde nationaliste arabe dont les références politiques divergent du baasisme officiel. Si elle salue le Vénézuélien Hugo Chavez, elle vante aussi l’Égyptien Nasser (guère apprécié d’Al-Assad père) et l’Irakien Saddam Hussein (grand rival de Hafez et de Bachar Al-Assad).

Le front syrien a vu des nationalistes-révolutionnaires originaires d’Europe venir combattre. Lancé en 2018 par la Ligue scandinave active en Islande, en Norvège et en Suède, Thorbrand aurait réuni une cinquantaine de volontaires. Dans la foulée des événements du Donbass en 2014, des nationaux-bolcheviks limonoviens auraient expédié en Syrie vers 2015–2016 jusqu’à deux mille combattants enregistrés dans le Mouvement des volontaires Interbrigade. Ils côtoient les quelques Grecs du Lys Noir fondé en 2013 à partir d’un site éponyme hellène qui se réclame des frères Gregor et Otto Strasser. Enfin, le Polonais Bartosz Bekier anime la Falanga (la « Phalange »). Héritier radical du théoricien nationaliste russophile Roman Dmowski, il mêle un nationalisme grand-polonais qui lorgne sur l’Ukraine occidentale et une vision néo-eurasiste encouragée par Alexandre Douguine. Il est presque certain que ces combattants ont été rapatriés sur le front ukrainien.

Le septième intervenant est enfin l’État d’Israël. Il fait dorénavant face à cinq fronts simultanés (Gaza, Sud-Liban, Cisjordanie, Yémen et donc Syrie). Les bombardements massifs des sièges de commandement syriens, des arsenaux, des centres de stockage d’armes chimiques et techniques développées, des aéroports militaires et des installations navales représentent un entraînement grandeur nature dans la préparation de la prochaine attaque aérienne et informatique contre l’Iran. Cette offensive contre les laboratoires de recherche nucléaire iraniens commencera au lendemain de l’investiture de Donald Trump fin janvier 2025. De plus en plus christianophobe (qu’en pensent les idiots utiles d’une supposée droite nationale française servile ?), l’État hébreu prépare la déportation générale des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie occupée vers la Syrie. Le retour de Trump au pouvoir facilitera probablement l’annexion à venir des terres palestiniennes au mépris de toutes les conventions internationales.

L’« Axe de la Résistance » anti-sioniste est brisé. Le jour où l’Arabie Saoudite obtient de la FIFA l’organisation de la Coupe du monde de football 2034, une déflagration géopolitique inouïe bouleverse tout le Proche- et Moyen-Orient. Les nervis occidentaux de la presse de grand chemin n’ont toujours pas compris que la prise de Damas par les islamistes constitue déjà un très rude coup porté contre la civilisation européenne.       

Salutations flibustières !

• « Vigie d’un monde en ébullition », n°138, mise en ligne le 17 décembre 2024

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