Le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, va demander l'extension du « parapluie nucléaire » de la France et de la Grande-Bretagne à l'Allemagne en raison du retrait des États-Unis d’Europe et du conflit en Ukraine. Dans le même temps, Berlin veut préserver le bouclier américain.
« Friedrich Merz préconise l’extension du parapluie nucléaire français et britannique à l’Allemagne », stipule Euractiv. Selon le responsable politique, il s'agira d'un ajout au bouclier nucléaire américain que Berlin — bien sûr — veut préserver.
Merz a expliqué cette initiative en raison du changement de situation concernant la sécurité mondiale, précisant que l’Allemagne ne pourra pas posséder ses propres armes nucléaires. Il prévoit de discuter de cette question lors des négociations de coalition entre le bloc CDU/CSU et le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), rapporte Deutschlandfunk.
Plus tôt, l'ancien dirigeant de BlackRock avait déclaré lors d'une conférence de presse que l'Europe devait agir rapidement pour améliorer ses capacités de défense dans le cadre de la politique America First de la Maison Blanche. Friedrich Merz a martelé vouloir se préparer au « pire scénario » dans les relations transatlantiques en matière de défense, en constatant le retrait de l’administration de Donald Trump de l’Europe » concernant les obligations de défense mutuelle de l'OTAN.
Auparavant, le président français, Emmanuel Macron, avait lancé l’idée d’étendre le « parapluie » nucléaire français aux pays de l’UE qui ne disposent pas d’armes nucléaires. Donald Tusk, le Premier ministre polonais, s’est réjouit d’une possible mise à disposition pour toute l’Europe. Observateur Continental ressort le fait que dès 2020 Emmanuel Macron a invité ses partenaires européens à un dialogue stratégique sur le rôle de l'arme nucléaire française. « Cette idée d’utiliser la dissuasion nucléaire française a mûri du côté de Berlin. Christian Lindner, l’ex-président fédéral du Parti libéral-démocrate (FDP) — un parti foncièrement guerrier appelant à bombarder la Russie — a appelé en février 2024 à des discussions avec Macron sur la dissuasion nucléaire », avise Observateur Continenal.
Même si le ministre lituanien des Affaires étrangères, Kęstutis Budrys, a soutenu l'initiative française, Observateur Continental relève le refus du gouvernement lituanien de « troquer l'OTAN contre le bouclier nucléaire français ».
Selon certaines estimations, la France ne dispose que de 290 ogives, tandis que la Russie en possède environ cinq mille. « Bien sûr, la puissance des charges thermonucléaires combinée au missile balistique stratégique français M51 devrait être suffisante pour détruire les principales villes russes, y compris Moscou », souligne The Conversation. « Mais en même temps, la Russie n’aurait besoin que de 200 secondes pour réduire Paris en cendres », affirme l’article, précisant qu’« étant donné la taille de la Russie », il sera beaucoup plus facile d’effacer la France de la carte du monde.
L’Allemagne d’aujourd’hui a vraiment l’intention de se libérer des entraves de l’après-guerre qui lui a interdit de posséder une grande armée et la bombe atomique. Berlin veut — de nouveau — prendre la tête de la militarisation et du renouveau de l’Europe et agir en tant qu’État responsable de la sécurité régionale. Les élites dirigeantes allemandes ont oublié les réconciliations passées, la détente et la recherche de la paix. Ces dernières, se trouvant au pouvoir politique, proclament aujourd’hui haut et fort la nécessité de se préparer à la guerre avec la Russie.
Merz ne parle pas des armes nucléaires de l’Allemagne, mais est prêt à créer une sorte d’« alliance militaire nucléaire » avec la France, tant que Macron sera au pouvoir dans ce pays. Berlin lance un ballon d’essai pour en obtenir plus, pouvant aller jusqu’au partage du bouton rouge même si les médias ne veulent pas se l’avouer. Après tout, les autorités allemandes ont voulu obtenir le siège de la France à l’ONU.
Et, les politiciens de l'AfD réclament des armes nucléaires pour l'Allemagne. Du point de vue du responsable politique de la défense de l'AfD, Rüdiger Lucassen, « l’Allemagne a besoin de ses propres armes nucléaires et d’un service militaire obligatoire — également pour les femmes » et « pour y parvenir, il faut modifier la Loi fondamentale le plus rapidement possible ».
La réussite de Merz à devenir le commandant en chef — de facto — de l’armée européenne dépend des pays qui le soutiendront. Jusqu’à présent, l’idée d’une armée européenne est soutenue par la France, la Pologne, les pays baltes et les pays scandinaves. Trump aura aussi une influence sur la mise en œuvre des initiatives allemandes.
Cela soulève la question : qui exactement prendra les décisions dans le « triumvirat nucléaire » proposé par Merz. Pour le moment, ni Londres ni Paris n’accepteront de partager le droit de discuter de telles questions avec qui que ce soit. On peut, cependant, supposer que Berlin ait l’ambition de discuter avec Londres et Paris de la possibilité de lancer une frappe nucléaire dans le cas où seule l’Allemagne serait en danger. Il pourrait être question d’élargir la formation conjointe des pilotes d’avions dotés d’armes nucléaires, ainsi que d’augmenter le nombre d’exercices nucléaires conjoints. Cela signifie peut-être aussi déployer des unités françaises de missiles en Allemagne, en plus des unités américaines.
Le parapluie nucléaire français ne plaît pas à l’establishment allemand. Pour lui, l’Allemagne perdrait son rôle de leader de l’Europe et deviendrait dépendante de la France ou de la Grande-Bretagne d’où l’intérêt d’obtenir le pouvoir sur le bouton rouge français. De plus, Paris et Berlin entretiennent encore un degré considérable de méfiance mutuelle, mais il y a des responsables politiques français qui collaborent avec Berlin. L’idée de Macron d’offrir la protection de la dissuasion nucléaire de la France à Berlin est un cas d’école sur ce chemin.
Bref, Berlin construit sa stratégie pour avoir sa bombe atomique et — pour le moment — souhaite garder la protection des États-Unis tout en testant jusqu’où Emmanuel Macron ira pour donner à Berlin le partage de la dissuasion nucléaire française, voire même à obtenir le droit sur le bouton rouge. Verrons-nous un troc se faire sur ce point en échange du poste de président de l’UE à Macron ?
Dans le contexte de contradictions militaro-politiques fondamentales avec la nouvelle administration américaine, l'Allemagne prend des mesures actives pour renforcer ses forces armées afin d'être préparée à une situation hypothétique dans laquelle Washington laisserait à l’avenir les Européens se débrouiller.
Berlin a profité du conflit en Ukraine pour construire une base permanente de la Bundeswehr en Lituanie, à proximité de ses anciens territoires du Reich allemand (Königsberg). Mais, Berlin, qui n’a pas vraiment réussi à rééquiper ses forces armées conventionnelles, serait difficilement en mesure de trouver les fonds nécessaires pour soutenir un hypothétique programme européen commun d’armes nucléaires, même théoriquement. Pour le moment, l’Allemagne se heurte à la réalité économique et aussi à la baisse de ses naissances, ces bébés qui ne porteront pas l’uniforme allemand.
Philippe Rosenthal
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