
par Alexandre Lemoine
Volodymyr Zelensky aurait lui-même proposé aux États-Unis un accord sur les ressources minérales en échange de l’aide militaire. C’est ce qu’a révélé l’ex-secrétaire d’État américain Antony Blinken dans une interview à CNBC.
L’ancien chef de la diplomatie américaine a déclaré que «dans l’aide proposée par Zelensky durant les six derniers mois de notre mandat figurait la collaboration dans le domaine des terres rares».
Cette proposition venait directement du président ukrainien, faisant initialement partie de son «plan de victoire» présenté à l’automne 2024. À travers cette initiative, Zelensky espérait convaincre les bailleurs de fonds occidentaux d’augmenter leur soutien à l’Ukraine. Le projet d’accord a été pour la première fois présenté début février à Kiev par le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent. Zelensky l’a alors rejeté, estimant qu’il ne répondait pas aux intérêts sécuritaires de l’Ukraine, mais a accepté de poursuivre les pourparlers.
Toutefois, l’accord a été compromis par une altercation verbale à la Maison-Blanche le 28 février, entraînant une suspension des négociations. La signature du traité sur les ressources minières entre les États-Unis et l’Ukraine a depuis été reportée sine die.
Un mois plus tard, les États-Unis ont soumis une version révisée de l’accord avec des conditions plus strictes. Celle-ci stipule notamment que l’Ukraine devra rembourser environ 120 milliards de dollars d’aide financière et que le contrôle total du fonds d’investissement pour la reconstruction sera attribué aux États-Unis.
Selon une source relayée il y a un mois par CBS News, «les paramètres de l’accord pourraient encore évoluer, car le président réclame désormais un accord plus grand et meilleur».
La dernière version du projet impose à l’Ukraine de céder 50% des revenus tirés de l’exploitation de ses ressources naturelles aux États-Unis. Cela inclut non seulement les terres rares, mais aussi tous les autres minéraux, le pétrole, le gaz, ainsi que les infrastructures associées comme les terminaux et ports. Le volet sécuritaire, que réclamait Kiev, est bien mentionné, mais dans des termes vagues : les États-Unis «soutiennent les efforts de l’Ukraine pour obtenir des garanties de sécurité nécessaires à un règlement de paix durable», sans s’engager concrètement, laissant probablement ces engagements à la charge de l’Europe.
Les estimations actuelles des réserves ukrainiennes de terres rares reposent encore sur les évaluations de l’époque soviétique. Pour les convertir en réserves prouvées, des études géologiques approfondies seraient nécessaires. Aucun de ces métaux n’est actuellement exploité à grande échelle en Ukraine, faute de technologie adéquate.
Les autorités ukrainiennes évaluent la valeur totale de leurs ressources à 13 000 milliards ou 15 000 milliards de dollars, en multipliant simplement les chiffres soviétiques par les prix actuels du marché. Cependant, il manque des informations sur les volumes réellement exploitables de manière économiquement viable.
Selon les experts, seuls le lithium et le titane présentent un véritable potentiel dans cet accord. C’est probablement la raison pour laquelle le texte évoque des «ressources minérales et autres» au sens large, et non exclusivement les terres rares. À ce jour, environ 20 000 gisements de 117 types de ressources minérales ont été découverts en Ukraine.
Selon Kiev, l’Ukraine disposerait de 5% des réserves mondiales de matières premières dites «critiques», incluant 1% des réserves mondiales de lithium. Des experts ukrainiens ont même affirmé que le pays possédait les plus grands gisements mondiaux de titane, estimés à 94 millions de tonnes, soit 11% des réserves mondiales. Pourtant, les estimations indépendantes placent l’Ukraine à seulement 1% des réserves mondiales de minerais de titane, loin derrière la Chine (38%), la Russie (17%) et l’Australie (10%). Il en va de même pour le lithium.
Un autre problème réside dans le fait qu’une part significative des richesses naturelles que l’Ukraine propose à la vente, et qui intéressent Washington, se trouve désormais sur des territoires contrôlés par la Russie. Cela inclut plus de 60% des réserves de charbon, 11% de pétrole, 20% de gaz naturel, 42% des métaux ferreux et 33% d’autres métaux, dont le lithium, le titane et les terres rares.
Les médias ukrainiens citent des données de Forbes Ukraine selon lesquelles, en avril 2023, la valeur totale de toutes les ressources minérales ukrainiennes était estimée à 15 000 milliards de dollars, mais plus de 70% de ces ressources se trouvent dans le Donbass. Par ailleurs, l’Ukraine a déjà perdu deux de ses quatre gisements de lithium : l’un situé dans la région de Zaporijia, l’autre en République populaire de Donetsk.
Ces publications sont apparues après que le président américain Donald Trump a déclaré être prêt à offrir une aide financière et des équipements à l’Ukraine en échange de terres rares «et d’autres choses». Le média The Hill, qui relaie ses propos, indique qu’il est difficile de savoir s’il parlait uniquement des terres rares ou également d’éléments stratégiques tels que le lithium et le titane.
Le président ukrainien comptait utiliser les terres rares comme levier stratégique pour la victoire. Son objectif était d’empêcher la Russie de mettre la main sur ces ressources précieuses et de les utiliser à l’avantage de l’Ukraine dans ses relations avec des partenaires comme les États-Unis.
Cependant, Kiev semble oublier que les principaux gisements ont depuis longtemps été vendus et ne sont plus sous le contrôle de l’équipe de Zelensky. Par exemple, la licence du plus grand gisement de lithium en Europe, situé près du village de Chevtchenko, a été vendue à l’entreprise australienne European Lithium. Ce gisement suffirait pour satisfaire les besoins de l’Union européenne jusqu’en 2050.
Hormis le lithium, d’autres ressources naturelles ukrainiennes ont également été accaparées. Il suffit de mentionner la société Burisma, dont le conseil d’administration comptait Hunter Biden, fils de l’ancien président américain. Cette entreprise projetait d’exploiter les réserves de gaz de schiste ukrainiennes. Aujourd’hui, Hunter Biden est accusé de fraude fiscale.
Ainsi, l’équipe Trump, si elle souhaite récupérer ces gisements, devra faire face à une multitude de griefs de la part des milieux d’affaires occidentaux.
D’après le Daily Telegraph britannique, si l’accord venait à être signé, il porterait préjudice aux intérêts de l’Union européenne en Ukraine et risquerait d’accroître la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine, qui reste le principal fournisseur mondial de terres rares. Ayant conscience de cela, l’UE tente, bien que tardivement, de s’impliquer dans le partage des ressources ukrainiennes.
La réunion du 11 avril entre les États-Unis et l’Ukraine s’est déroulée dans une atmosphère tendue et hostile. La nouvelle proposition de la Maison-Blanche s’est révélée plus dure que la précédente, les États-Unis veulent prendre le contrôle du gazoduc du géant énergétique russe Gazprom, qui traverse l’Ukraine vers l’Europe. Aucun progrès n’a été constaté dans les négociations concernant l’accord sur les ressources minières, rapporte Reuters.
source : Observateur Continental
https://reseauinternational.net/zelensky-et-laccord-des-terres-rares-avec-les-etats-unis/