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La guerre tarifaire de Trump : la fin du système de Bretton Woods ?

par Alexandre Lemoine

À première vue, la politique économique de Donald Trump semble chaotique : il impose des droits de douane, puis les annule, semant la confusion sur les marchés. Certains pays se préparent à la confrontation, d’autres, comme dans la région de l’Asie du Sud-Est, acceptent stoïquement la décision comme inévitable et ont l’intention de négocier.

Cependant, derrière cette agitation se cache un dessein précis.

La figure clé dans l’équipe de Trump est Stephen Miran, conseiller économique en chef, qui propose une restructuration radicale du système commercial mondial. Ses idées ont déjà été surnommées l’accord de Mar-a-Lago, d’après le nom de la résidence de Trump où sont élaborés les contours d’un nouvel ordre mondial.

La nomination de Stephen Miran comme président du Conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche (Chairman of the Council of Economic Advisers) pourrait effectivement témoigner de changements majeurs dans l’architecture économique mondiale. Ses idées, exposées dans «A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System» (Guide pour la restructuration du système commercial mondial), indiquent la volonté de l’administration Trump de réviser l’ordre de Bretton Woods établi après 1944.

Ce système créé en 1944 était basé sur le dollar comme monnaie de réserve mondiale, rattaché à l’or (jusqu’en 1971), et les institutions comme le FMI et la Banque mondiale.

Miran propose un modèle plus décentralisé, où les États-Unis peuvent passer à des accords commerciaux bilatéraux ou régionaux plutôt qu’à des structures multilatérales.

L’accord de Mar-a-Lago est encore un nom officieux, mais il reflète l’aspiration de Trump à une diplomatie personnalisée et à des négociations en dehors des institutions traditionnelles (comme le G7 et l’OMC).

Trump déteste véritablement les institutions internationales et il prépare progressivement le monde à l’idée que les États-Unis négocieront directement avec chaque pays concret, en contournant les institutions supranationales. Naturellement, en mettant l’accent sur le protectionnisme et les intérêts nationaux américains. Étant donné que pratiquement tout pays du monde pris individuellement est plus faible que les États-Unis, la position de Trump n’apparaît pas du tout comme anti-hégémonique. Trump se dirige vers l’hégémonie, mais par une voie différente.

Pourquoi les États-Unis changent-ils les règles du jeu ? Miran affirme que l’Amérique a financé pendant des décennies deux «biens publics» pour le monde entier : la protection militaire et le dollar comme monnaie de réserve. Le premier fait référence à la sécurité mondiale assurée par l’Otan et les bases américaines dans le monde entier. Le dollar, quant à lui, est à la base de tout le commerce international. Mais si auparavant les États-Unis étaient une hégémonie mondiale grâce à la force militaire et aux finances, maintenant Trump a soudainement décidé que ce fardeau était trop lourd pour les États-Unis.

Il n’y a pas encore d’unanimité au sein de l’administration Trump sur ce que devrait être le dollar dans les nouvelles conditions, faible ou fort. Un dollar affaibli pourrait aider les producteurs américains et réduire le déficit commercial. Un dollar fort maintient le statut de monnaie de réserve, mais complique la compétitivité des produits américains. Miran penche probablement pour une politique flexible, où le taux du dollar sera un instrument de pression dans les négociations commerciales.

Désormais, Washington exige que le monde paie pour ces biens, soit en argent, soit en concessions. D’où ces décisions si soudaines sur les tarifs.

Miran propose les options suivantes pour les autres pays :

  • avant tout, accepter les tarifs américains sans mesures de représailles, ainsi les États-Unis obtiendront des revenus supplémentaires;
  • ouvrir les marchés aux produits américains, réduisant ainsi le déficit commercial;
  • augmenter également les dépenses militaires, en achetant des armes aux États-Unis;
  • investir dans l’industrie américaine, en construisant des usines aux États-Unis.

En général, les économistes considèrent les tarifs comme nuisibles, estimant que le déficit commercial devrait être corrigé par l’affaiblissement du dollar. Mais en 50 ans, le déficit n’a fait qu’augmenter et le dollar s’est renforcé, tout cela en raison de son statut de monnaie de réserve mondiale.

L’expérience a déjà montré que les tarifs imposés pouvaient effectivement profiter aux États-Unis. Par exemple, lorsque Trump, a imposé des tarifs à la Chine durant son premier mandat, Pékin a été contraint de dévaluer le yuan. D’une part, cela a réduit le pouvoir d’achat des Chinois, d’autre part, les États-Unis ont obtenu des revenus supplémentaires, s’en servant pour réduire les impôts.

Maintenant, Trump va plus loin : les tarifs doivent non seulement renflouer le budget, mais aussi ramener la production aux États-Unis, réduisant la dépendance vis-à-vis de la Chine et privant cette dernière de son statut d’usine mondiale.

On ignore encore comment cela fonctionnera. Il est à supposer que les États-Unis retrouveront au moins partiellement leur rôle de puissance industrielle où il existe réellement des productions nationales de machines, d’équipements, de gadgets, etc. Mais l’inconvénient est également évident : on ne peut pas forcer les gens aux États-Unis, avec leur niveau de vie, à travailler dans les usines pour des salaires chinois. Cela signifie que le coût de production sera plus élevé, les prix augmenteront, ce qui accélérera l’inflation.

Cependant, la plupart des pays perçoivent les exigences de Trump comme du chantage. Et cette position semble également justifiée. Car ce sont précisément les États-Unis qui imposaient leur système au monde pendant des décennies, avec l’Otan, le FMI et le dollar. Après avoir imposé ce système, les États-Unis ne veulent plus le financer et ont l’intention de faire payer les autres. Mais ni la Chine ni l’Europe, qui étaient les principaux bénéficiaires de l’ancien système, ne veulent payer. L’ancien système convenait parfaitement à la Chine, car avec ses ressources humaines et les technologies occidentales, elle a couvert le monde entier de ses produits et, en 3-4 décennies, a transformé un pays pauvre du tiers monde en une véritable économie capitaliste, devenant une locomotive industrielle mondiale, avec ses propres milliardaires, corporations et son expansion internationale sur les marchés. L’UE, quant à elle, s’est complètement déshabituée à dépenser de l’argent pour la défense, se concentrant sur l’économie.

Après 100 jours de Trump au pouvoir, on peut dire avec certitude que son administration continuera à essayer d’affaiblir des institutions comme l’Otan, le FMI, etc. Par conséquent, le système mondial va connaître une période de turbulence, pendant laquelle les acteurs mondiaux établiront des contacts entre eux de manière indépendante.

En attendant, le monde reste figé dans l’attente : acceptera-t-on de payer pour le nouvel ordre américain ? Pour l’instant, la réponse est non. Les pays tenteront par tous les moyens, légitimes ou non, d’atténuer l’impact des tarifs de Trump.

source : Observateur Continental

https://reseauinternational.net/la-guerre-tarifaire-de-trump-la-fin-du-systeme-de-bretton-woods/

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