Des « besoins théoriques » réducteurs
Premier enseignement : « Un quart des résidences principales ont au moins trois pièces de plus que les besoins théoriques de leurs habitants. » Car nous avons, en matière d’habitat, des besoins théoriques. Quels sont-ils ? Une salle de séjour, une chambre par couple, un chambre par enfant de plus de 19 ans, une chambre par enfant (une pour deux, éventuellement, en fonction des âges et des sexes). Ces besoins théoriques font penser à ceux du poulet Label rouge qui a droit à ses deux mètres carrés en extérieur - mais il peut avoir davantage, alors que ceux que la sociologie laisse à l’humain sont terriblement étriqués. Une pièce supplémentaire qui fait chambre d’ami, bibliothèque, bureau, atelier, lingerie… est à ses yeux superfétatoire.
Sans surprise, ces logements qui outrepassent les besoins supposés des habitants concernent majoritairement (à 60 %) des personnes de 60 ans et plus (les enfants ont quitté le nid et libéré des chambres), et des maisons individuelles (à 93 %). Et, toujours sans surprise, les habitants des logements sous-occupés « sont le plus souvent satisfaits de leurs conditions de logement ». Personne n’a envie de vivre dans une cage à lapins, s’il peut faire autrement. Et les pièces vides se repeuplent l’été, accueillant des petits-enfants. La vie, quoi, telle que chantée par Bénabar dans « Quatre murs et un toit ».
« Logement trop grand »
La conclusion de l’étude - « Un quart des ménages vivent dans un logement en sous‑occupation très accentuée » - a été immédiatement traduite en ces termes par BFM TV : « Un quart des ménages vivent dans un logement trop grand par rapport à leurs besoins ». BFM TV a-t-elle surinterprété l’étude en y ajoutant un jugement de valeur (« un logement trop grand ») ou a-t-elle juste exprimé le message implicite de l’étude ? Sous ses dehors neutres, celle-ci peut nourrir un sentiment d’« injustice sociale », générateur d’aigreur et d’envie.
Même en imaginant que ce n’était pas son but, l’étude apporte de l’eau aux moulins collectivistes. On connaît la chanson - pas celle de Bénabar, pour le coup. Premier couplet, stigmatisation de « la maison individuelle », que Geoffroy de Lagasnerie reliait aux « habitus réactionnaires », tandis que le ministre du Logement Emmanuelle Wargon y voyait un « non-sens écologique ». Deuxième couplet, appel à la réquisition des logements vacants, leitmotiv à l’extrême gauche. Ces deux idées se combineraient en un troisième couplet : réquisition des chambres surnuméraires. Pour y loger des bénéficiaires du logement social ou des migrants, c’est selon.
L’État nous connaît au mètre carré près
C’est dans ce sens que Marine Le Pen a commenté le post de BFM TV : « Vous allez obliger les Français à cohabiter ? […] S’ils ont envie d’avoir deux pièces de plus, c’est leur affaire, ils ont acheté leur maison ou la louent, c’est leur argent ! Non, mais ça devient l’URSS ! » En effet, l’URSS a été pionnière en la matière, avec les kommunalka, appartements communautaires : « On laisse aux bourgeois anciens propriétaires deux pièces et on logeait d’autres personnes dans les pièces restantes. » Adieu propriété, adieu intimité, et vive la surveillance mutuelle !
Mais n’exagérons rien, l’État se contentera peut-être de taxer les chambres vides. Il a déjà tous les renseignements sous le coude, comme l’a souligné Jean-Frédéric Poisson : « Voilà à quoi servent les déclarations immobilières fiscales obligatoires : fliquer. […] Tout est scruté, jugé. Nos libertés s’étiolent. Le crédit social se profile. » Pris entre des collectivistes irresponsables qui lorgnent à travers les vitres et un État intrusif qui met le pied dans la porte, le propriétaire qui outrepasse ses « besoins théoriques » a-t-il du souci à se faire ? L’INSEE ne fait pas des statistiques dans le vide. Il faut bien, à un moment ou à un autre, qu’elles inspirent une action ou une « solution » politique.