Plus de 450 000 bénéficiaires de l’AME
Laurent Nuñez commençait pourtant bien son raisonnement. Par définition, le chiffre des étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire national n’est pas connu « de manière très précise ». Cependant, comme l’assument plusieurs instances officielles, il existe plusieurs faisceaux d’indices permettant d’établir approximativement le nombre de clandestins en France. Le premier est à chercher du côté de l’aide médicale d’État (AME). Ce généreux dispositif permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Pour pouvoir y prétendre, il suffit de résider de manière irrégulière en France depuis au moins 3 mois. Selon un rapport d’information du Sénat, publié en juillet dernier, « 465 744 » étrangers clandestins bénéficiaient de l’AME au 30 septembre 2024. Autrement dit, au 30 septembre 2024, il y avait au moins 465 744 étrangers en situation irrégulière en France. L’ordre de grandeur donné par Laurent Nuñez est déjà dépassé…
Or, comme le rappelle la Cour des Comptes en janvier 2024, tous les clandestins n’ont pas recours à l’AME. On peut donc déjà affirmer sans trop se tromper que la France compte plus d’étrangers en situation irrégulière que de bénéficiaires de l’AME. Des chercheurs de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) ont ainsi « constaté que seuls 51% des étrangers en situation irrégulière éligibles à l’AME en bénéficient ». Selon ce calcul, il y aurait donc un peu plus de 900 000 clandestins en France (fourchette haute).
Auditionné en 2022 par le Sénat dans le cadre de la préparation du projet de loi finances, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, estimait, quant à lui, « entre 600 000 et 900 000, le nombre de personnes présentes irrégulièrement sur le territoire national ». Un an plus tôt, dans les colonnes du Parisien, Darmanin évoquait déjà entre « 600 000 et 700 000 » sans papiers présents en France. L’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), qui travaille au quotidien avec sérieux sur des thématiques liées à l’immigration, suggère également de son côte qu’il y aurait « probablement entre 500 000 et 900 000 personnes » en situation irrégulière. Des chiffres concordants et bien supérieurs à ceux avancés par Laurent Nuñez…
Une méconnaissance de la situation migratoire ?
Même les associations immigrationnistes donnent des chiffres plus importants que ceux présentés par le ministre de l’Intérieur ce 20 octobre. En 2021, la Cimade affirme ainsi que « plus de 400 000 personnes sont toujours sans papiers, sans être régularisées ». Un chiffre affirmé à nouveau l’année suivante.
Contactés pour justifier l’ordre de grandeur avancé par Laurent Nuñez, les services du ministère de l’Intérieur n’ont pas répondu à nos sollicitations. Pour comprendre l’estimation très basse donnée par le locataire de la place Beauvau, plusieurs explications semblent alors possibles. Ou bien le ministre n’avait pas révisé et connait très mal la situation migratoire à laquelle est confronté le pays (explication possible mais alarmante pour un ministre de l’Intérieur). Ou bien Laurent Nuñez veut minimiser la situation pour éviter « la polémique ». C’est raté… Son estimation de l’immigration irrégulière fait déjà couler beaucoup d’encre. Jordan Bardella, président du Rassemblement national, demande du coup au ministre de l’Intérieur de faire preuve de « transparence » et de rendre public une « estimation précise ». Un peu de courage, celui de la vérité !