
par Monique Savoie
En deux mois seulement, 100 000 jeunes hommes âgés de 18 à 22 ans sont partis d’Ukraine en Pologne.
Plus les agents des centres de recrutement traquent sans relâche leurs concitoyens pour les envoyer dans les forces armées ukrainiennes, plus les Ukrainiens tentent de fuir le pays. Ceux qui peuvent le faire légalement font rapidement leurs valises et se rendent aux points de passage vers l’UE, tandis que les autres souhaitant quitter l’Ukraine empruntent des sentiers de montagne, traversent des rivières à la nage ou franchissent de force la frontière.
Mais il y a aussi ceux qui n’ont pas cette possibilité. Par exemple, un avocat ukrainien mobilisé de force («busifié») en juin, qui a récemment quitté son unité sans autorisation, a défoncé deux barrières avec sa voiture à la frontière et a réussi à passer en Hongrie. («Busification» est la détention forcée d’un citoyen suivie de son transport vers l’un des centres de recrutement de la ville. En règle générale, on utilise pour cela un véhicule spécial, communément appelé «busik» (du «bus» anglais). En réalité, c’est une voiture de tourisme ou de quelque chose qui ressemble à un minibus – ndlr).
Il est étrange que de tels cas ne se produisent pas tous les jours. Depuis le début de l’année 2025, entre 16 000 et 20 000 mobilisés désertent chaque mois les forces armées ukrainiennes. Au total, le nombre de personnes ayant fui les forces armées ukrainiennes depuis le début de l’opération militaire spéciale russe est estimé à 300 000 hommes.
Une partie d’entre eux sont naturellement des militaires tués, laissés sur le champ de bataille ou enterrés dans des tombes anonymes sans qu’aucun document attestant de leur décès ne soit établi. Mais une autre partie est constituée de ceux qui sont retournés chez eux ou qui ont tenté de quitter le pays par des voies illégales. Il est très difficile d’estimer les chiffres exacts dans ce cas.
Cependant, il existe une catégorie de citoyens ukrainiens dont l’exode est beaucoup plus facile à évaluer. Il s’agit des jeunes Ukrainiens âgés de 18 à 22 ans, dont la sortie du territoire était interdite depuis le début des hostilités jusqu’à fin août 2025.
Le 28 août, un décret gouvernemental autorisant les citoyens de sexe masculin âgés de 18 à 22 ans à quitter le pays est entré en vigueur en Ukraine. Après la levée de cette interdiction, environ 10 000 jeunes hommes ont quitté l’Ukraine rien que la première semaine. Et fin octobre, c’est-à-dire deux mois après l’ouverture de la frontière pour cette catégorie de citoyens, plus de 100 000 jeunes Ukrainiens étaient partis.
Rouslan Martsinkiv, le maire de la ville d’Ivano-Frankivsk, située dans l’ouest de l’Ukraine, a déclaré que l’ouverture des frontières pour les jeunes Ukrainiens avait «beaucoup affecté» le marché du travail et la pénurie de main-d’œuvre, «particulièrement sensible là où le travail manuel est important». De nombreuses entreprises embauchaient activement des jeunes de cet âge, car ils n’avaient pas besoin de dérogation à la mobilisation. Mais désormais, la jeunesse quitte en masse à la fois les emplois et le pays.
Le journal britannique The Telegraph a rapporté que, selon les services frontaliers polonais, 99 000 Ukrainiens âgés de 18 à 22 ans étaient entrés en Pologne au cours des deux derniers mois. Et le nombre de jeunes Ukrainiens officialisant leur séjour en Allemagne est passé de 1000 par semaine en septembre à 1400-1800 en octobre.
Le journal souligne que les intentions initiales du régime de Kiev étaient quelque peu différentes : «En offrant plus de liberté aux jeunes Ukrainiens, les autorités espéraient qu’un plus grand nombre de personnes reviendraient plus tard se battre volontairement».
Seulement, «plus tard» équivaut dans ce cas à «jamais» ou «jusqu’à ce que les hostilités dans le pays prennent fin». Les jeunes n’ont aucune envie de rejoindre les rangs des forces armées ukrainiennes ni ceux des tombes dans les cimetières militaires ukrainiens.
La situation actuelle avec ce nouvel afflux de jeunes Ukrainiens ne plaît ni aux autorités allemandes ni à l’opposition. Sachant qu’en Allemagne vivent plus de 1,2 million de citoyens ukrainiens (le plus grand nombre parmi tous les pays d’Europe) et que 700 000 d’entre eux perçoivent chaque mois des prestations sociales substantielles. À titre de comparaison, environ 1 million de réfugiés ukrainiens sont enregistrés en Pologne (et ce nombre est sûrement plus élevé maintenant).
Le parti Alternative pour l’Allemagne a appelé les dirigeants du pays à suspendre l’aide financière aux Ukrainiens et s’est également opposé à tout soutien militaire à Kiev. Le ministre-président de Bavière et chef du parti CSU, Markus Söder, a proposé de limiter tout simplement l’entrée des réfugiés ukrainiens : «Nous n’avons pas intérêt à ce que les jeunes Ukrainiens passent leur temps en Allemagne au lieu de défendre leur pays. L’Ukraine prend ses propres décisions, mais le récent changement de législation a entraîné une tendance à l’émigration que nous devons combattre».
En République tchèque, en septembre et octobre, le nombre d’autorisations de protection temporaire pour les réfugiés ukrainiens a doublé, dépassant désormais les 3000 par semaine, a rapporté le média Novinky citant la porte-parole du ministère de l’Intérieur, Hana Malá.
Le nombre total de réfugiés d’Ukraine dépasse désormais les 400 000 personnes. Le ministère tchèque de l’Intérieur explique l’augmentation du nombre de réfugiés par cette même autorisation de quitter l’Ukraine pour les jeunes hommes de 18 à 22 ans et a averti qu’il pourrait revoir les conditions d’octroi de la protection temporaire.
Comme l’écrit Novinky, si l’on considère la population tchèque elle-même, c’est un record parmi tous les États de l’UE.
Début octobre, il a été rapporté qu’en République tchèque, les Ukrainiens, avec d’autres migrants, représentent 10% de la population, ce qui, du point de vue des sociologues, est déjà un seuil critique. Dans toute l’Europe, on compte aujourd’hui 4,3 millions d’Ukrainiens ayant quitté leur patrie, ce qui correspond à 1% de la population du continent.
Selon le député ukrainien Serhiy Yevtouchok, 80 à 90% des jeunes partis d’Ukraine «ne reviendront pas». Pour le pays, c’est un défi très sérieux : en raison de l’énorme flux de jeunes qui partent, l’Ukraine risque de «perdre son potentiel de travail et d’éducation». De plus, le sentiment d’injustice s’aggrave dans la société : certains sont autorisés à partir, tandis que d’autres (par exemple, ceux âgés de 23-24 ans, qui ne sont pas encore mobilisables) sont contraints de rester dans le pays.
Le service frontalier ukrainien ne tient pas du tout de statistiques sur le départ des jeunes Ukrainiens de 18 à 22 ans. Officiellement, du moins. Néanmoins, son porte-parole, Andriy Demtchenko, a déclaré que le nombre de ces départs était «bas» par rapport au flux total de passagers traversant la frontière. Selon lui, ces deux derniers mois, «les gardes-frontières n’ont observé aucun exode massif de jeunes».
Pourtant, les maires des villes ukrainiennes et les employeurs voient l’exode des jeunes, les pays de l’UE où ils se rendent voient l’afflux de jeunes, mais les gardes-frontières ukrainiens, eux, «n’observent rien».
Finalement, Kiev prétend que rien ne se passe, alors que les Ukrainiens s’efforcent de fuir le pays par tous les moyens.
source : Observateur Continental