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culture et histoire - Page 1174

  • Anthropologie politique. Une société anti-humaine. Comment rétablir le prestige social et visible de l'aristocratie ?

    L'aristocratie moderne, comme l'ancienne, est dépendante de l’État, car il représente l'institution tutélaire la mieux à même de distinguer les talents et de leur donner une reconnaissance qui fasse autorité.

    Mais, cette mainmise de l’État sur la reconnaissance du caractère aristocratique d'un homme engendre le risque accru de l'oligarchie, plaçant dans l'ombre d'authentiques aristocrates au profit du petit groupe des oligarques courtisans ou administrateurs zélés et obéissants.

    Il apparaît donc nécessaire que la société produise elle-même une part de son aristocratie. C'est de fait déjà le cas, puisque chaque groupe social a ses meilleurs. Cependant, il leur manque la reconnaissance sociale commune et l'assise familiale qui, dans la dynastie, donne un surcroît de légitimité à l'aristocrate dans le monde et augmente donc la vertu de son exemple.

    Le meilleur moyen de donner une assise sociale à l'aristocrate est de favoriser la patrimonialisation et son passage trans-générationnel. C'est-à-dire que l'aristocrate doit pouvoir s'appuyer sur un patrimoine. Pour que cela soit possible, il faut, d'une part, une fiscalité mesurée, et d'autre part la capacité de transmettre ce patrimoine sans trop d'écornures. Ce thème a déjà été abordé dans de précédents articles. La préférence doit aller au patrimoine foncier. C'est lui qui doit être exonéré de droits de succession et reposer sur une totale liberté testamentaire. En effet, le foncier représente une forme de fortune en soi vertueuse, par rapport à la fortune financière. C'est un patrimoine plus humble, plus lent à acquérir et bâtir, qui nécessite des soins d'entretien constants et produit un revenu moindre que le patrimoine financier. En ce sens, c'est une fortune moins attirante. Mais elle est aussi plus solide car son incarnation la place relativement à l'abri des crises. Les loyers peuvent chuter demain et remonter après-demain, l'immeuble sera toujours là… En outre, le type de revenus générés par ce patrimoine implique la patience et la modération. En effet, on ne peut aller plus vite que le calendrier et il faut attendre toujours la fin du mois pour son loyer, ou la fin des récoltes. Enfin c'est une fortune incarnée et enracinée qui rend nécessaire le contact humain.

    La transmission aux héritiers crée un attachement à une région, une terre, un sol mais aussi à des hommes qui habitent les lieux possédés.

    La grande humilité de ces fortunes ne doit pas être négligée. Elle ne permet pas de susciter la forte  croissance de l'économie industrielle ou financière. Mais elle permet aux propriétaires une  participation beaucoup plus robuste, quoique plus discrète, à la vie économique. En effet, si les revenus peuvent être grignotés à l'excès, le capital demeure et peut recréer du revenu.

    Cette forme de richesse est la plus aristocratique de toutes parce qu'elle est à la fois la plus dépendante des contingences humaines et la plus indépendante des turbulences de l'économie financière quotidienne. Ce n'est pas un hasard si ainsi pensaient déjà les Grecs et les Romains, il y a plus de vingt siècles.

    Bien sûr, rien ne garantit qu'un aristocrate propriétaire foncier aura des enfants à sa mesure. Mais ce foncier rend plus aisée la transmission du talent, à des héritiers partiellement ou totalement déchargés de l'angoisse de la survie, grâce à la rente. Quid du mauvais héritier ? De celui qui n'a pas de talent et fait dégénérer l'aristocratisme ? Il ne faut pas croire qu'il y aurait une injustice à le faire hériter du patrimoine de ses pères. Il y a une cruelle justice toute humaine et perpétuellement à l’œuvre ; le mauvais héritier dilapidera et perdra ce qui avait été accumulé par les siens. Il dispersera en même temps que ses talents moraux les talents d'or qui lui avaient été transmis, et ce qu'il vendra sera récupéré par des personnages industrieux, économes et entreprenants, en somme les aristocrates de demain, qui bâtiront leur assise sur la ruine de ceux d'hier. Nous en avons l'exemple chaque jour dans les études notariales ou des fortunes d'hommes brillants sont totalement défaites en une ou deux générations.

    En ce sens il serait gravement dommageable que des privilèges héréditaires de type nobiliaires soient assimilés à l'aristocratie moderne. Cela reviendrait à gripper la justice humaine naturelle, aussi dure soit-elle, mais nécessaire au corps social. Le seul rôle de l’État doit, ici, se limiter à rendre possible l'exercice de cette justice naturelle en donnant aux hommes la liberté de disposer de leur patrimoine dans leur famille comme ils l'entendent, au moins pour le foncier. L'usage de la liberté est ici essentiel, car si la dynastie est grande et belle, il peut parfois être préférable pour le bonheur commun de la famille que la dynastie cesse et que le bien soit partagé à parts égales. L’État ne saurait imposer ici des partages ou un droit d'aînesse préjudiciables à chaque histoire familiale. La liberté doit régner. Elle permet la mobilité et la fluidité sociale.

    Cette assise sociale est une reconnaissance économique et rend l'aristocrate indépendant des largesses publiques, grâce à son bien, gagné ou transmis. Enfin, elle crée une aristocratie locale, enracinée, qui renforce le corps social, échelon par échelon.

    Cette notion de renforcement du corps de la société, strate par strate est essentiel, car il permet une véritable aristocratisation de tout le pays, du bas vers le haut, du petit bourg à la patrie entière, créant partout des forces à la fois éclairantes et modératrices.

    La pleine réalisation de ce point nécessite des institutions communautaires qui permettent de publiquement reconnaître les aristocrates, mais aussi de les faire se rencontrer, pour créer une nécessaire émulation.

    A suivre…

    Gabriel Privat

    Du même auteur :

    -          Publié le jeudi 17 septembre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. La Famille

    -          Publié le vendredi 16 octobre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. L'enracinement territorial

    -          Publié le 18 novembre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. Le lien professionnel

    -          Publié le 28 décembre 2015 : Anthropologie politique. Une-société anti humaine. Promouvoir une famille humaine

    -          Publié le 27 janvier 2016 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. Promouvoir un enracinement territorial.

    -          Publié le 20 février 2016 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. Créer un monde du travail.

    -           Publié le 15 mars 2016 : Anthropologie politique. Une société anti-humaine. Faut-il une aristocratie à la société humaine.

    http://www.vexilla-galliae.fr/royaute/idees/1916-anthropologie-politique-une-societe-anti-humaine-comment-retablir-le-prestige-social-et-visible-de-l-aristocratie

  • Mavrakis contre Badiou par Daniel COLOGNE

    Lorsqu’il fonde en 1973 la revue maoïste Théorie et Politique, Mavrakis se considère toujours comme un disciple d’Alain Badiou.

    Mais aujourd’hui, l’élève s’éloigne du maître quasi-octogénaire. Sa distanciation commence en 2005, quand Badiou publie Le Siècle, le « plus contestable de ses écrits » selon Mavrakis. 

    Il s’agit bien sûr du XXe siècle, caractérisé, selon Badiou, par la hantise de l’« homme nouveau », qui s’exprime à travers les avant-gardes artistiques, via les totalitarismes et « sur l’horizon de la mort de Dieu ». 

    Mavrakis réplique en dénonçant cette « utopie nihiliste » comme un « rêve mortifère ». Il ne partage pas l’admiration de Badiou pour « la splendide et violente ambition » des années 1900.

    Mavrakis redoute la prolongation, en mode inavoué et indolore, sous les auspices de la techno-science et du néo-capitalisme, du projet d’extermination de l’homme ancien attaché à ses origines, ses dieux et ses formes artistiques. 

    Daniel Cologne 

    • Kostas Mavrakis, De quoi Badiou est-il le nom ? Pour en finir avec le (XXe) siècle, L’Harmattan, coll. «Théôria », 2009, 130 p., 13 €.

     
     

     

     

  • La fin de la prolophobie?

    Trois films sortis en ce début 2016 - "Merci Patron", "Nous ouvriers" (diffusé ce mardi sur France 3) et "Comme des lions"- viennent consacrer le retour des ouvriers sur les grands écrans des salles obscures et sur nos écrans plats. Il ne s'agit pas à proprement parler du retour de la "classe ouvrière" mais bien plutôt de celui des ouvriers et de la dure réalité sociale qu'ils vivent. Les mondes ouvriers avaient, dans un même mouvement, tout simplement disparu de nos écrans et des écrans radars de la vie politique.
    Il est vrai que les mondes ouvriers ont muté. La chute des grandes citadelles industrielles a induit, au fil des années, un changement de perception de la réalité sociale de notre pays par les élites du pouvoir. Si Billancourt n'existait plus, à quoi bon cela servait-il ne pas la désespérer ? Cette disparition a surtout été médiatique mais elle a aussi été vrai pour ce qui est des discours politiques. En 2008, dans un article du Monde Diplomatique, Mathias Roux faisait observer la quasi absence d'ouvriers dans la série "Plus belle la vie". Il ne s'agit que d'un aspect parmi bien d'autres de cette disparition.
    Or la désindustrialisation n'a pas fait disparaitre les ouvriers. Elle les a rendus moins visibles ou elle les a déplacés. Les externalisations des années 1990 ont aussi permis de casser la forteresse ouvrière. Nombre d'entreprises nouvelles, plus petites ont aussi été le cadre de conditions de travail encore plus difficiles. Il suffit de se reporter aux travaux de Stéphane Beaud et Michel Pialoux pour contrecarrer une des phrases chocs du quinquennat de François Hollande prononcée par l'ancienne Ministre Fleur Pellerin en octobre 2012 : "Dans les PME, je ne crois pas à la lutte des classes". Les méthodes de gestion du personnel "à l'américaine" avaient dès l'origine pour corollaire l'absence de syndicats afin de ne pas gêner la course à la productivité mais aussi une augmentation constante du stress ainsi qu'un accroissement des maladies professionnelles (pas toujours déclarées pour ne pas être "remercié"). La précarité institutionnalisée avec l'obtention, éventuelle, d'un CDI après un véritable parcours du combattant fait de stages, CDD, formations et entretiens, est devenu le lot commun de millions de salariés. La fragilisation sociale des ouvriers (souvent des ouvrières comme dans l'industrie agro-alimentaire) est devenue pour l'entreprise un gage de loyauté. Une plus grande diversification des métiers ouvriers, une diminution importante des métiers non qualifiés, a aussi changé les mondes ouvriers. Autre réalité, la mutation géographique des mondes ouvriers: les mondes ouvriers sont aujourd'hui d'abord des mondes ruraux et les mondes ruraux d'abord des mondes ouvriers (on peut renvoyer à l'excellent ouvrage de Nicolas Renahy, Les Gars du Coin, La Découverte, 2005). C'est encore là, dans les zones rurales, qu'on trouve une bonne part de l'activité industrielle. De la ville vers les campagnes, avec un déplacement également de l'activité industrielle vers l'Ouest (le département de la Vendée en est un exemple) mais aussi avec l'essor de nouveaux métiers ouvriers dans les services au cœur de nos métropoles, une importante mutation géographique a brouillé la perception que la France pouvait avoir de sa population ouvrière.
    Avec la désindustrialisation, ce sont aussi des formes de sociabilité qui ont disparu et qui ont contribué à faire muter l'idéologie des ouvriers français. Il n'en demeure pas moins, comme le dit Julian Mischi (dans Le Bourg et l'Atelier, Agone, 2016), que le combat syndical a une importante dimension de structuration pour les mondes ouvriers. Affaibli, il n'a pourtant pas disparu.
    Il est vrai qu'au début des années 1980, une autre mutation d'ampleur, électorale celle-là, a frappé les mondes ouvriers. Elle s'est accélérée et a pris un tour spectaculaire depuis 2011. Le FN a largement progressé dans les mondes ouvriers au point qu'aux dernières élections régionales, il a recueilli 51% des suffrages exprimés chez les ouvriers). Cette captation du vote ouvrier par le FN a suivi la période de désalignement du vote ouvrier par rapport à la gauche. Ces réalités électorales sont connues (les débats sont nombreux à ce sujet) et ont donné lieu à de solides travaux, comme l'ouvrage coordonné par Jean-Michel De Waele, Fabien Escalona et Mathieu Vieira. Le vote ouvrier de classe a été "enterré vivant", c'est-à-dire qu'il est encore avéré pour les ouvriers les plus âgés, beaucoup moins pour les plus jeunes. Le vote de plus en plus important des ouvriers en faveur du FN est de fait venu corroborer un discours répandu, y compris à gauche, consistant à déprécier les ouvriers. Depuis les années 1970 s'était développée, en France, une forme de prolophobie, dont le coup d'envoi a été contemporain du célèbre film d'Yves Boisset, Dupont-Lajoie, dans lequel les personnages incarnés par Jean Carmet (Georges Lajoie, assassin d'une jeune fille) et Victor Lanoux ("Le costaud", ancien d'Algérie) rivalisent de veulerie, accusent et lynchent des ouvriers algériens du meurtre commis par Lajoie pendant que l'inspecteur de police (incarné par Jean Bouise) mène l'enquête. Les ouvriers disparaissent et laissent la place à des classes populaires qui ne pouvaient être, pendant les dernières décennies, que "beaufs", "racistes" et "homophobes". Depuis la crise de 2008, c'est davantage la révolte sociale qu'on criminalise, ainsi que le fait remarquer avec justesse François Davisse, la réalisatrice de Comme des Lions.
    Nous comptons encore entre 5,5 et 6 millions d'ouvriers, auxquels on doit évidemment ajouter les retraités de la classe ouvrière (puisque eux, en général, ont davantage connu l'époque de la classe ouvrière). Cette disparition de la classe ouvrière et cette heureuse réapparition des ouvriers viennent consacrer l'idée selon laquelle la gauche, telle qu'elle a existé, n'existe plus mais qu'elle peut cependant se refonder, se redéfinir. A bien des égards la disparition médiatique, mais aussi la disparition des discours politiques et syndicaux, ainsi que la dépréciation de la classe ouvrière ont été et sont les puissants révélateurs d'une mutation d'ampleur de l'idéologie de notre pays. Si la gauche parvient à comprendre ce qui s'est passé depuis trois décennies, elle pourra engager une reconquête du pays. Elle est aujourd'hui "structurellement" minoritaire. L'intérêt des ouvriers, comme celui des autres catégories sociales, n'est pas donné. Il se construit intellectuellement et moralement, socialement et politiquement et, évidemment, culturellement et idéologiquement. La réapparition médiatique des ouvriers est l'occasion de renouveler l'offre discursive des forces de gauche (celles, du moins, pouvant se revendiquer comme étant encore de gauche. A elles de le dire et de le prouver). Engager un processus politique nouveau est désormais de leur responsabilité. A la Gauche radicale, la social-démocratie et l'écologie politique d'y répondre... la fin de la prolophobie en est l'occasion.
    Gaël Brustier, docteur en science politique, avait publié en 2009 avec Jean-Philippe Huelin "Recherche le peuple désespérément" (François Bourin Editeur). Il a publié en octobre 2015 "A demain Gramsci" (Editions du Cerf).

  • Lecture critique la Constitution de 1791

    Dès que, par un véritable coup d’État, les États Généraux se sont déclarés Assemblée Nationale représentant la Nation souveraine, ils ont proclamé qu’ils étaient appelés à fixer la Constitution du royaume, à opérer la régénération de l’ordre public et à maintenir les vrais principes de la monarchie. Ils ont juré, au jeu de paume, de rester assemblés jusqu’à ce que la Constitution du Royaume « soit établie et affermie sur des fondements solides ». Dès son origine, l’Assemblée s’impose l’établissement d’un ordre constitutionnel stable comme but de son action révolutionnaire.

    Fixer la Constitution, ou en créer une ? 

    Fixer la Constitution française : la tâche allait immédiatement s’avérer épineuse. La Révolution française devait, dès ses premières années, révéler une incompatibilité absolue entre les notions de révolution et de constitution : il fallait bien s’en douter. On allait découvrir qu’il serait impossible de trouver une traduction constitutionnelle au mouvement révolutionnaire, et, d’ailleurs, de 1789 à 1799, les constitutions vont fleurir. Lorsqu’on a commencé à les appliquer, on s’est dépêché de les violer, de les tourner, puis de les suspendre.

    La Constitution de 1791 est donc un intéressant sujet d’investigations, d’abord parce qu’elle est la première du genre, et ensuite parce qu’elle est une sorte de modèle de ce qu’il ne faut pas faire.

    Pour tenter de comprendre, nous examinerons d’abord les difficultés d’élaboration, et puis nous verrons les fruits de ce chef d’œuvre inlassablement célébré.

    Des difficultés existaient d’abord en un point précis de l’esprit des députés. On s’était solennellement et inconsidérément grisé de discours en jurant qu’on allait « fixer » la Constitution du Royaume mais le mot lui-même recouvrait une ambiguïté :

    • allait-on préserver et défendre la constitution coutumière existante ? ou
    • allait-on en créer une ?

    Du sens donné au mot Constitution 

    La Constitution de l’Ancienne France : entre sa déformation par le janséniste Le Paige et sa négation par un abbé Mably socialisant

    Cette ambiguïté prolongeait en réalité un conflit ancien, engagé au milieu du siècle. En effet, aux côtés du parlement, Le Paige avait, dans ses Lettres historiques [1] évoqué la Constitution de la Monarchie, et il s’était empressé, comme ses amis parlementaires, de déformer cette constitution pour attribuer aux magistrats un partage de fait du pouvoir législatif royal, partage totalement incompatible avec la réelle Constitution qui existait, et sur laquelle on vivait.

    Contre cette doctrine artificielle, badigeonnée d’histoire, Mably a nié l’existence d’un ordre constitutionnel et il a cherché à démontrer la présence d’une espèce de champ intellectuel instable qui était marqué par les alternances d’anarchie et de despotisme. Dans son ouvrage Observations sur l’Histoire de France (Genève, 1765, 2 vol.) Mably avait exposé que les Français n’avaient pas encore de Constitution parce qu’ils n’avaient pas encore été en mesure de manifester une volonté politique soutenue, volonté politique absolument nécessaire à la fixation des formes de leur existence politique et à la préservation de leur liberté.

    Vattel et Rousseau changent le sens du mot « Constitution »

    Dans les pamphlets politiques pré-révolutionnaires, le conflit entre Le Paige et Mably trouve un écho d’autant plus large qu’un autre débat se développe autour de la notion même de constitution. Vattel, dans son Droit des gens, puis Rousseau, ont changé la signification traditionnelle de « constitution ».

    « Constitution » jusque là, désignait le mode d’existence, la disposition d’une entité quelconque comme, par exemple, la constitution du corps humain dont, depuis l’Antiquité, la Cité était regardée comme le prolongement. Dans la conception française, le Royaume est un corps dont le Roi est la tête, et dont les groupes sociaux naturels sont les membres.

    Vattel, lui, analyse la Constitution comme une forme de gouvernement instituée par une nation pour s’assurer les plus grands avantages de l’association politique, association politique individualiste et volontariste.

    L’argumentation de Vattel est développée dans un sens encore plus radical, bien sûr, dans le Contrat social. À partir de ce moment-là, (mais le processus était déjà commencé précédemment) on rejette l’analogie classique entre la Constitution de la Cité et la constitution du corps humain. Le Contrat social souligne que si la première est l’œuvre de la nature, la seconde est un acte politique, produit de la volonté de la nation, par lequel un peuple souverain crée sa forme spécifique de gouvernement. Cet acte n’est d’ailleurs pas accompli définitivement, selon l’interprétation de Rousseau. Ce serait trop simple ; une fois la Constitution fixée, l’instance souveraine doit se rassembler régulièrement pour manifester sa présence et sa force. En de pareils moments où l’être politique suprême, le peuple souverain, se rassemble, les effets de la Constitution sont suspendus. En somme, la Constitution ne dépend pas seulement d’un acte fondateur, mais aussi d’une réaffirmation perpétuelle de cet acte. Citons Rousseau :

    « Il n’y a dans l’État aucune loi fondamentale qui ne se puisse révoquer, non pas même le pacte social. »

    L’abbé Sieyès, ou la Constitution expression d’une volonté nationale

    Sieyès a exprimé avec clarté les implications de ce volontarisme dans sa brochure Qu’est-ce que le Tiers-État ? Il rejette le sens traditionnel de « constitution » entendue comme un ordre social et politique inhérent à la nature des choses, et il lui préfère le sens d’une institution artificielle de gouvernement. Pour Sieyès, la nation est l’ultime réalité politique :

    « La volonté de la nation est toujours légale, elle est la loi elle-même ; il suffit que sa volonté paraisse pour que tout droit positif cesse devant elle comme devant la source et le maître suprême de tout droit positif. »

    Ces lignes étaient écrites contre les partisans d’une Constitution traditionnelle de la Monarchie française, mais elles étaient en même temps très inquiétantes pour les auteurs mêmes de la nouvelle Constitution.

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  • Le Meilleur des mondes ou l’illusion d’un bonheur éternel

    Le visionnaire Aldous Huxley, dans sa célèbre dystopie Le meilleur des mondes, crée une société fictive mêlant productivisme, technocratisme, eugénisme et contrôle intégral de l’individu. En préfigurant les totalitarismes, il a montré avant l’heure en quoi le scientisme aveugle ne pouvait mener qu’au désastre.

    Paru en 1932, période de la montée des nationalismes et des totalitarismes, Le meilleur des mondes est devenu une référence du roman d’anticipation, à l’instar du 1984 de George Orwell. Cette dystopie, arborant un visage terrifiant, se déroule en 600 N.F (Nouvelle Ford). Ford, devenu une sorte de Jésus Christ moderne dans le livre, est l’un des créateurs d’une forme de travail dans laquelle les ouvriers consomment ce qu’ils produisent pour un salaire de 5 dollars. C’est la naissance de la célèbre Ford T noire si uniforme, si novatrice, initiatrice de la consommation de masse. Pétri d’une culture autant scientifique que littéraire, Aldous Huxley est l’auteur de quarante-sept livres qui ont pour principaux thèmes les dangereuses mutations des sociétés occidentales et la quête spirituelle des êtres.

    La dystopie d’Huxley est eugéniste, elle n’hésite pas à mettre à mort les enfants qui ne correspondent pas aux critères prédéfinis. Les êtres humains ne sont plus vivipares, les enfants sont créés dans des tubes par des machines et leur destin est tracé dès le départ. Lors de leur développement, si une difformité ou une malformation apparaît, ils appartiendront aux castes inférieures Deltas et Epsilon, celles des monstres. On peut délibérément augmenter le nombre de cette caste en intervenant tôt dans la gestation et en modifiant le milieu de croissance. En revanche si un surplus d’intelligence est détecté, les êtres appartiendront à l’élite, la caste des Alphas et Bêtas. Dès leur naissance, les enfants sont conditionnés. Les mécanismes cérébraux qui sous-tendent la mémoire, les pensées, les émotions, les comportements sont sous contrôle permanent grâce à des procédés multiples et sophistiqués. Des livres et des fleurs sont montrés accompagnés très tôt aux enfants accompagnés systématiquement d’une décharge électrique ; l’objectif est d’associer de façon permanente douleur et lecture ou douleur et fleurs. La lecture est proscrite car pouvant amener des idées subversives, de même que la contemplation de la Nature susceptible de favoriser la solitude, état insupportable dans cette société où la présence des autres autour de soi se doit d’être permanente. L’innovation scientifique poussée à l’extrême empêche les gens de vieillir, et les prive de la survenue des marques dues au temps, comme les rides. Nous sommes sur le chemin du rêve transhumaniste, celui de l’homme augmenté, qui grâce à la science voit ses capacités croître jusqu’à faire de lui un être immortel. Mais serait-il toujours humain à ce moment-là ? La réalité de la mort donne du prix à la vie ; s’en affranchir, est-ce vivre encore ? [....]

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    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Le-Meilleur-des-mondes-ou-l