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culture et histoire - Page 1170

  • Action française & Histoire • Jean-Pierre Fabre-Bernadac : « L'affaire Daudet, un crime politique »

    ENTRETIEN. En novembre 1923 éclate « l'affaire Philippe Daudet ». Le fils du célèbre homme de lettres et figure de proue de l'Action française Léon Daudet est retrouvé mort dans un taxi. Un prétendu suicide aux allures de crime politique. Jean-Pierre Fabre-Bernadac, ancien officier de gendarmerie, diplômé de criminologie et de criminalistique, a rouvert le dossier à la lueur de sources nouvelles.

    ROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËL DE GISLAIN

    LE 24 NOVEMBRE 1923, BOULEVARD MAGENTA, PHILIPPE DAUDET EST RETROUVÉ AGONISANT DANS UN TAXI. QUE S'EST-IL PASSÉ EXACTEMENT CE JOUR-LÀ ?

    Il y a deux choses importantes à rappeler à propos de Philippe Daudet pour comprendre ce qui s'est effectivement passé. Le jeune homme avait une grande admiration pour son père et il avait tendance à faire des fugues. Agé de 15 ans lors des faits, il avait l'âme excessivement romanesque, exaltée. Juste avant sa mort, il essaie de partir pour le Canada. Mais une fois au Havre, il s'aperçoit qu'il n'ira pas plus loin...Dès lors, comment revenir chez lui sans subir les foudres de ses parents ? Comment faire pour que cette nouvelle fugue ne déçoive pas trop son père ? Dans son esprit, il s'agit d'être à la hauteur ; son grand-père Alphonse est un immense écrivain et son père Léon une figure royaliste brillante et redoutée. Comme il sait que les anarchistes ont déjà essayé de tuer son père un an plus tôt, il se dit qu'un acte de bravoure, qui consisterait à révéler la préparation d'un nouveau complot pourrait faire oublier cette fugue... De retour à Saint-Lazare, il se rend donc au Libertaire, journal qui hait Léon Daudet, pour infiltrer les cercles anarchistes. Il tombe dans un panier de crabes parce que le milieu est complètement infiltré par la police politique. Avec son air de bourgeois et son projet fumeux d'assassinat de haute personnalité, Philippe Daudet n'a pas dû faire illusion très longtemps. Son identité certainement devinée, on l'envoie vers un libraire, un certain Le Flaoutter, indic notoire, et son sort bascule. La Sûreté générale, l'organe de la police politique, est prévenue, onze hommes débarquent pour arrêter le jeune homme... qui est retrouvé mort dans un taxi.

    LA THÈSE OFFICIELLE CONCLUT À UN SUICIDE. VOUS MONTREZ QU'ELLE EST COUSUE DE FIL BLANC...

    En effet, les incohérences se succèdent. Philippe Daudet a récupéré chez les anarchistes un « 6.35 ». Il tenait-là la preuve de son courage vis-à-vis de son père. Pourquoi ne rentre-t-il pas chez lui à ce moment-là ? Par ailleurs, il était extrêmement croyant et on ne comprend pas ce geste de suicide - un péché absolu -, d'autant qu'il était heureux chez lui même s'il aimait l'aventure. En reprenant le dossier - j'ai pu accéder aux archives nationales de la Police et à l'ensemble des documents de la famille Daudet -, les partis pris de l'enquête m'ont sauté aux yeux. Des témoignages fondamentaux sont écartés, des pistes ne sont pas exploitées et les conclusions sont pour la plupart approximatives. Le « 6.35 » qui a donné la mort au jeune homme n'est manifestement pas celui retrouvé, vu qu'aucune balle ne s'est chargée dans le canon après le coup de feu comme elle aurait dû le faire automatiquement ; la douille réapparaît dans le taxi dix jours après le drame au moment de la reconstitution, alors qu'il avait été soigneusement nettoyé ; aucun des onze policiers postés spécialement ne voit Philippe Daudet entrer ou sortir de la librairie, les horaires ne concordent pas, etc.

    DANS QUEL CONTEXTE IDÉOLOGIQUE S'INSCRIT ETTE DISPARITION ?

    Marius Plateau, le secrétaire général de l'Action française, a été tué de 5 balles un an auparavant par Germaine Berton, une anarchiste. À l'issue d'un procès absolument inique, la meurtrière est acquittée... Le contexte est donc extrêmement tendu. Des élections approchent, qui vont être gagnées par la gauche. Poincaré, qui a eu un lien amical avec l'Action française pendant la guerre - il sait le nombre de soldats et d'officiers qui ont été tués dans ses rangs - change son fusil d'épaule lorsqu'il voit que sa carrière est en jeu. Une tension sous-jacente vient du fait que l'Action française essaie de se rapprocher par le cercle Proudhon du mouvement ouvrier. Cela fait peur au pouvoir. On craint qu'une forme de national populisme ou monarchisme ne s'installe, d'autant que les scandales comme Panama ou le trafic des légions d'honneurs n'ont fait que discréditer la classe politique. Il faut bien voir que les tranchées ont donné naissance à une fraternité nouvelle considérable entre des français d'horizon divers. Le bourgeois et l'ouvrier ont maintenant un point commun : ils ont risqué leur peau de la même manière. Le fascisme, et d'une certaine façon, le national-socialisme sont nés de ce même élan à l'époque. Cette union qui bouleverse les classes effraie et on veut y mettre un terme à tout prix.

    DANS CE CLIMAT, POURQUOI ABATTRE LE FILS DE DAUDET ?

    Disons que, parmi les personnalités de l'Action française, mouvement qui suscitait une inquiétude grandissante, Léon Daudet avait des enfants et que Maurras n'en avait pas... Philippe, avec ce caractère éloigné des réalités, était quelqu'un de facilement manipulable. Voir cet enfant se jeter dans la gueule du loup était une aubaine pour des adversaires politiques. Je ne pense pas qu'il y ait eu de préméditation. Je ne crois pas qu'on ait voulu le tuer au départ mais que les circonstances ont conduit la Sûreté générale à le supprimer, lorsqu'elle a su qui elle tenait... Les Daudet étaient des sanguins ; il est possible que, se sentant démasqué, Philippe se soit rebellé, qu'un coup de feu soit parti et que l'on ait voulu maquiller les choses en suicide... On y a vu le moyen d'ouvrir une brèche et d'affaiblir l'Action française, qui bien sûr était visée in fine.

    IL Y A AUSSI CET INCROYABLE PROCÈS POLITIQUE CONTRE LÉON DAUDET...

    C'est la cerise sur le gâteau. Le père vient de retrouver son fils mort dans un taxi. Il fait un procès au chauffeur et voilà qu'il se retrouve condamné à cinq mois de prisons ! Il faut bien saisir la perfidie de ce jugement, à travers lequel on a opposé de façon fictive un père et un fils, salissant la réputation de l'un et la mémoire de l'autre. Les anarchistes n'ont cessé de répéter au cours du procès que Philippe était des leurs, ce qu'il n'a bien sûr jamais été. Lorsque l'on sait que les anarchistes étaient à l'époque le bras armé de la République, la manoeuvre est particulièrement écoeurante. Léon Daudet va finir par se rendre, mais l'histoire ne s'arrête pas là. Grâce au détournement des lignes téléphoniques du ministère de l'intérieur par une militante de l'Action française, il parvient à s'évader d'une façon rocambolesque. Après quoi il est contraint de se réfugier plusieurs années en Belgique...

    UNE TELLE AFFAIRE POURRAIT-ELLE SE REPRODUIRE AUJOURD'HUI ?

    Le pouvoir donne tous les moyens pour agir en cas de menace. Je crois qu'évidemment de tels évènements pourraient se reproduire aujourd'hui et qu'ils ne sont pas l'apanage d'une époque. Depuis 1945, les disparitions troubles d'hommes proches du pouvoir n'ont pas cessé - on en compte au moins trois. La police politique n'a pas disparu, elle est inhérente à la République. 


    À LIRE : ON A TUÉ LE FILS DAUDET, de Jean-Pierre Fabre-Bemardac, éditions Godefroy de Bouillon, 265 p., 26 euros.

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/

  • Péguy contre Combes : du lien entre mystique républicaine et mystique chrétienne

    À les entendre, la laïcité serait l’alpha et l’oméga de la République. La laïcité serait la condition de possibilité de la République. La République serait laïque ou ne serait pas. En cela, ils commettent une erreur logique : ils prennent la partie pour le tout. Au triptyque républicain « liberté, égalité, fraternité », les mêmes voudraient ajouter le mot de laïcité. Ils commettent une deuxième erreur : ils confondent le mode d’organisation des institutions avec l’idéologie.

    Rappelons d’abord que la République précède la laïcité, que la laïcité n’épuise pas le républicanisme. Disons-le clairement, la laïcité n’a pas le monopole de la République. La laïcité doit demeurer ce qu’elle est : un mode d’organisation des institutions. Sinon, elle se fait laïcisme. Elle se fait idéologie et la neutralité qu’elle revendique n’est plus alors qu’une illusion. La laïcité devenue idéologie (ou laïcisme) veut substituer le rationalisme à la foi. Elle trouve son origine dans la philosophie des Lumières et dans le positivisme d’Auguste Comte. La laïcité ainsi comprise est une « contre-église », une contre-église moderne. Et dans la modernité, la République se défait car elle n’a plus de mystique.

    Péguy a voulu montrer, contre les tenants de la réaction, que la République n’était pas un produit de la modernité, qu’elle n’était pas cette « gueuse » que les nationalistes de l’Action française abhorraient. Selon lui, la République est fille de l’ancienne France car elle a été faite par les hommes de l’Ancien Régime. La République, si elle possède sa mystique propre, est imprégnée de mystique chrétienne. Et Péguy de prévenir : « Qu’on ne s’y trompe pas, et que personne par conséquent ne se réjouisse, ni d’un côté ni de l’autre. Le mouvement de dérépublicanisation de la France est profondément le même mouvement que le mouvement de sa déchristianisation. C’est ensemble un même, un seul mouvement profond de démystification », écrit-il dans Notre Jeunesse. En coupant la République de ses sources chrétiennes, le combisme (idéologie violemment anticatholique défendue par le Président du Conseil Émile Combes) a compromis la mystique. Et la République sans mystique n’est plus la République, elle n’est plus que la domination du parti intellectuel, c’est-à-dire la domination de « ceux qui n’ont plus rien à apprendre », de « ceux qui ne sont pas dupes », de « ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien », de « ceux qui n’ont pas de mystique et qui s’en vantent ».

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  • 1865 : Le roi protecteur des humbles

    Le 20 avril 1865, le comte de Chambord publie sa Lettre publique sur les ouvriers. Tandis qu'émerge la grande industrie, il promeut le droit d'association sous la surveillance de l'État.

    Cette année-là, Henri V, comte de Chambord, quarante- cinq ans, de jure roi de France depuis les abdications le 2 août 1830 de son grand-père Charles X et de son oncle Louis XIX duc d'Angoulême, et chef de la maison de France depuis la mort de ce dernier le 3 juin 1844, montrait que, même écartés du trône, les Bourbons, restaient bienfaisants.

    Enfant du miracle

    Ce prince, salué à sa naissance le 29 septembre 1820 comme « l'enfant du miracle » parce qu'il avait déjoué les projets de Louvel, assassin de son père le duc de Berry le 14 février précédent, n'allait pas tarder à s'affirmer comme l'incarnation de la monarchie traditionnelle dans sa foi profonde, dans sa haute dignité et dans son amour sans faille pour les plus humbles. À treize ans, âge de la majorité royale, ayant dû quitter Holyrood en Angleterre pour le château royal de Prague, il avait élevé une protestation contre l'usurpation de son cousin Louis-Philippe d'Orléans porté par les bourgeois libéraux et francs-maçons sur le trône de "roi des Français". Dès 1844, à vingt-quatre ans, l'année où il avait quitté Goritz à la frontière italo-slovène pour s'installer au château de Frohsdorf au sud-est de Vienne, il avait annoncé ce qu'il allait toujours considérer comme un devoir dans la grande tradition de sa lignée : « étudier tout ce qui se rattache à l'organisation du travail et à l'amélioration de sort des classes laborieuses ».

    Atteint de claudication par suite d'une chute de cheval dans ses jeunes années, il ne semble guère avoir reçu une grande affection de la part de la stérile Marie-Thérèse de Modène, une Habsbourg qu'il avait épousée en 1846 faute d'avoir pu obtenir la main de sa soeur Marie-Béatrice, déjà promise au prétendant carliste à la couronne d'Espagne... Très sourcilleux sur les liens de famille, il n'était point rancunier et avait fait célébrer une messe à Frohsdorf pour le repos de l'âme du "roi des Français" quand celui-ci mourut en 1850, deux ans après avoir été à son tour renversé de son trône : le comte de Chambord avait ainsi déjà marqué sa volonté de pardonner aux Orléans, n'oubliant pas que la "reine des Français", née Marie-Amélie de Bourbon-Siciles, était la tante de sa propre mère, la duchesse de Berry.

    Dès 1855, il marquait à nouveau son intérêt pour les associations ouvrières, voulant qu'elles fussent « représentées et entendues pour pouvoir être suffisamment protégées ». Et le 20 avril 1865, il publia sa Lettre publique sur les ouvriers, célèbre et grand texte politique dont l'effet marqua pour longtemps l'histoire des idées sociales dans ce XIXe siècle où la grande industrie s'érigeait sur fond de concurrence égoïste et de misère ouvrière 1.

    Lettre sur les ouvriers

    Nous ne pouvons ici que le survoler : « La royauté a toujours été la patronne des classes ouvrières. Les établissements de saint Louis, les règlements des métiers, le système des corporations en sont des preuves manifestes. » Le prince reconnaît que des abus s'y étaient introduits avec le temps, mais la Constituante n'a rien résolu en détruisant les jurandes et les maîtrises : « La liberté du travail fut proclamée mais la liberté d'association fut détruite du même coup. De là cet individualisme dont l'ouvrier est encore aujourd'hui la victime. Condamné à être seul, la loi [Le Chapelier] le frappe s'il veut s'entendre avec ses compagnons, s'il veut former pour se défendre, pour se protéger, pour se faire représenter une de ces unions qui sont de droit naturel, que commande la force des choses et que la société devrait encourager en les aidant. » Le tableau est saisissant des conséquences de « cet isolement contre-nature » qui laisse l'individu « en proie à une concurrence sans limite » et à la domination oppressive des « privilèges industriels ».

    Après le constat, les remèdes : « À l'individualisme opposer l'association ; à la concurrence effrénée le contrepoids de la défense commune ; au privilège industriel la constitution volontaire et réglée de corporations libres. » Le prince étudie ensuite comment doivent s'articuler dans le souci du bien commun les diverses associations. « En résumé, droit d'association sous la surveillance de l'État et avec le concours de cette multitude d'oeuvres admirables, fruits précieux des vertus évangéliques, tels sont les principes qui semblent devoir servir efficacement à délier le noeud si compliqué de la question ouvrière. » Et puis, idée cruciale pour l'avenir, faire entrer ces corporations « dans l'organisation de la commune et dans les bases de l'électorat et du suffrage ».

    Ainsi donc la premier texte social au XIXe siècle ne fut pas le Capital de Karl Marx paru en 1867, mais la lettre parue en 1865 de celui qui aurait dû être le roi de France et aurait possédé toutes les vertus pour appliquer de si salutaires principes.

    Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 21 octobre au 3 novembre 2010

    1 Texte intégral dans Xavier Vallat : La Croix, les Lys et la Peine des hommes ; Ulysse. 1982.