Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1418

  • Pour déniaiser les libéraux-conservateurs

    "Libéralisme conservateur" est un oxymore, voici pourquoi : 

    La presse parisienne adore étiqueter, c'est moins fatigant que de réfléchir et ça va plus vite : ainsi le néo-bourgeois est catalogué « libéral-libertaire » (voir la note précédente). Par opposition, le bourgeois à l'ancienne se dit volontiers « libéral-conservateur ». 

     

    Mais « libéralisme conservateur » est un oxymore : comme « obscure clarté », « nain géant » ou « impitoyable tendresse ». 

    Au sens estimable du terme, le « conservateur » est celui qui veut maintenir un patrimoine de civilisation. (Une « civilisation » est l'état dans lequel l'individu, en naissant, trouve incomparablement plus qu'il n'apporte). 

    Le terme « libéralisme » véhicule une idée tout autre. Son seul vrai critère de valeur est le marché. Mme Thatcher disait : « Je ne connais rien qui s'appellerait “société” ; il n'existe que l'individu et le marché. » La logique du libéralisme est de réduire la vie sociale au marché et de tout transformer en marchandise. Donc de dissoudre tout ce qui «freinerait » la société, c'est-à-dire l'empêcherait de se soumettre entièrement au marché... Résultat : la perte de ce que les vrais « conservateurs » (au bon sens du terme) savent être des fondamentaux de la condition humaine sous toutes les latitudes. 

     

    Si la société de marché va jusqu'à s'en prendre à ces fondamentaux de l'humain, c'est que le marché est devenu la seule force terrestre depuis la démission du politique. Il s'empare donc de tout : ressources naturelles, ressources humaines, domaines les plus intimes de l'existence. Son stade suprême est maintenant de rendre artificiel et payant ce qui était (depuis toujours) naturel et gratuit : « Dans un monde où la croissance risque d'être ralentie par l'épuisement des énergies fossiles, le vivant est une nouvelle source de profit. La possibilité de le transformer et de le manipuler permettra de poursuivre la croissance. Dans ce cadre, les processus biologiques dans leur ensemble doivent être exploités. Les organismes vivants sont considérés comme une ressource renouvelable et non polluante grâce à laquelle la croissance infinie peut continuer... »

     

    L'extension illimitée du domaine marchand touche la bioéthique (Londres : notre note du 3/02), la culture (songez à Fleur Pellerin), la politique (voyez ce que sont devenus nos dirigeants de droite et de gauche). 

     

    C'est un engrenage : 

    ouvrir sans cesse de nouveaux marchés, parce que sans cela le productivisme tomberait en panne ; 

    donc pouvoir commercialiser tout et n'importe quoi ; 

    ce qui implique la suppression du bien et du mal, suppression prônée dès 1708 par le précurseur londonien de la pensée libérale : l'idéologue Bernard Mandeville... Ce qui implique aussi – par dérivation – l'hostilité (qui se répand en Occident depuis trente ans) envers un catholicisme vu comme frein à la marchandisation des « biens humains trop précieux et fragiles pour être livrés à l'arbitraire du marché », comme disait Jean-Paul II. 

     

    On constate ainsi le lien étroit entre le libéralisme économique et le libéralisme sociétal ; lien évidemment nié par les libéraux-conservateurs, qui déplorent les effets de causes qu'ils chérissent. 

     

    Ce lien étroit se vérifie en tous domaines. Par exemple à propos de l'emploi ! Alors que la rhétorique libérale prétend que tous les problèmes – dont celui du chômage – seront résolus par la « nouvelle économie » (« créativité » + « technologie » = abracadabra), la réalité de cette « nouvelle économie » est toute différente : son mot d'ordre interne – peu divulgué sur la scène publique – est « la croissance sans emplois », dont l'outil d'hier fut la délocalisation, et dont l'outil de demain est la robotisation (voir ici). La robotisation menace désormais 47 % des emplois aux Etats-Unis et 140 millions de « travailleurs du savoir » dans le monde, selon les chercheurs Frey et Osborne de l'université d'Oxford... 

     

    Par ailleurs, « l'économie numérique », cette fameuse « économie de la Silicon Valley » qui fait l'extase de nos radios, ne représente que 4 % des emplois aux États-Unis et 3 % en Europe ; et ses perspectives ne dépassent guère ce pourcentage. Le rêve hors-sol de la « nouvelle économie » se déploie donc dans un espace extérieur à l'humanité. D'où la suggestion d'une chroniqueuse économique de France Culture, il y a quelques jours : « Les gens sont trop nombreux sur cette Terre pour profiter de la nouvelle économie ! » C'est le retour à Malthus, c'est-à-dire aux origines mêmes de l'idéologie libérale. En 1995 on nous expliquait que les gens sont au service de l'économie ; en 2015 on nous explique que l'économie aura de moins en moins besoin des gens. 

     

    Deux observations à ce propos : 

    1. Le capitalisme tardif est donc miné par une contradiction croissante entre son productivisme et sa destruction des emplois. Comment vendre toujours plus d'objets à des gens toujours plus chômeurs ? Pris dans le vertige du casino financier global, les stars de la « nouvelle économie » ne semblent pas avoir aperçu cet aspect de la réalité. 

    2. Par rapport à ces réalités nouvelles, la rhétorique des libéraux-conservateurs est totalement ringarde. Comment peuvent-ils rabâcher qu'en 2015 la problématique est toujours l'opposition madelinesque (1985) entre « l'entrepreneur qui prend des risques » et « l'étatisme-assistanat » ? Ce discours paléo-bourgeois n'a plus rien à voir avec le nouveau trend. 

     

    Peut-on déniaiser les libéraux-conservateurs ? La chose paraît aussi difficile que de déniaiser les libéraux-libertaires : les uns et les autres sont enfermés dans une posture. Les lib-lib ne peuvent pas imaginer que leur posture (un hyper-individu libéré du réel par les technologies) est dictée par la Machine du big business. Les lib-con, si j'ose cet américanisme, ne peuvent pas imaginer que leur posture (maintenir en 2015 un discours déjà faux en 1985) fait d'eux les idiots utiles d'un big business qui n'a plus besoin d'eux. 

     

    En fait, il ne s'agit pas de déniaiser les lib-lib et les lib-con : il s'agirait plutôt de les réveiller. Ce sont des somnambules.

     

    Source

    http://www.oragesdacier.info/

  • [Entretien exclusif Novopress] Alain de Benoist : “Se rebeller contre le système exige d’adopter des modes de vie ou des styles de vie différents” 2/2]

    Figure de ce qu’il est convenu d’appeler la « Nouvelle Droite », Alain de Benoist (photo) a – par ses très nombreux travaux – profondément renouvelé notre famille de pensée, dans une optique transversale et métapolitique. Il vient de publier« Quatre figures de la Révolution Conservatrice allemande », ouvrage qui nous fait pénétrer dans l’immense richesse de ce mouvement d’idées, apte à nous donner des pistes pour les défis actuels.

    Propos recueillis par Pierre Saint-Servant

    La Révolution Conservatrice semble trouver des échos inattendus dans la nouvelle critique anti-libérale qui émerge actuellement avec des auteurs tels que Jean-Claude Michéa, Dany Robert-Dufour mais aussi Hervé Juvin, ou encore le jeune Charles Robin que vous avez édité récemment. Que manque-t-il à ce renouveau pour qu’il puisse « faire école » ?

    Disons que certaines thématiques propres à la Révolution Conservatrice resurgissent incontestablement aujourd’hui. Mais on pourrait en dire autant des idées des « non-conformistes des années trente », qu’il s’agisse de Thierry Maulnier, Bertrand de Jouvenel, Alexandre Marc, Robert Aron, Bernard Charbonneau et tant d’autres. Ce qu’il faut, c’est que cette tendance s’amplifie. Au-delà des évolutions individuelles, de plus en plus nombreuses, ce qui me paraît le plus de nature à y contribuer, c’est le fait que l’on voit aujourd’hui s’imposer de nouveaux clivages qui rendent chaque jour plus obsolète le vieux clivage droite-gauche. Le clivage essentiel est désormais celui qui oppose partisans et adversaires de la mondialisation, ou encore le peuple et la classe dominante. La critique du libéralisme peut dans cette optique jouer un rôle fédérateur

    « Droite libérale et gauche sociétale semblent communier dans un même aveuglement », résume Christopher Gérard pour évoquer le récent ouvrage de Paul-François Paoli, Malaise de l’Occident. Vers une révolution conservatrice ? C’est la collusion de ces deux camps que vous démontrez implacablement depuis des décennies. Avez-vous le sentiment que cette compréhension avance ?

    J’ai en effet ce sentiment. Jean-Claude Michéa a joué à cet égard un rôle très important, en montrant (ou en rappelant) l’identité de nature existant entre le libéralisme économique, surtout défendu par la droite, et le libéralisme culturel ou sociétal, surtout défendu par la gauche. La révolution permanente des mœurs ne peut qu’aller de pair avec la libération totale du marché, l’une et l’autre relevant d’une même conception anthropologique, fondée sur l’axiomatique de l’intérêt et sur ce que Heidegger appelle la « métaphysique de la subjectivité ». Un gouvernement associant à la fois Emmanuel Macron et Najat Vallaud-Belkacem en est une illustration frappante. Le fait nouveau est la réapparition « à droite » d’une critique radicale du capitalisme libéral, que je crois aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Elle a l’avantage de faire apparaître l’inconséquence tragique de ces « nationaux-libéraux » qui veulent à la fois défendre le système du marché et des « valeurs traditionnelles » que ce système ne cesse d’éliminer.

    Disons que certaines thématiques propres à la Révolution Conservatrice resurgissent incontestablement aujourd’hui. Mais on pourrait en dire autant des idées des « non-conformistes des années trente », qu’il s’agisse de Thierry Maulnier, Bertrand de Jouvenel, Alexandre Marc, Robert Aron, Bernard Charbonneau et tant d’autres. Ce qu’il faut, c’est que cette tendance s’amplifie.

    Paoli évoque « la précarité intellectuelle de nos enfants, des adolescents qui n’ont aucun repère et dont la culture historique est très pauvre. » et poursuit : « Le mode de vie consumériste fondé sur la consommation de masse a appauvri ce pays. Il l’a appauvri culturellement et symboliquement ». Pour conclure, ne peut-on pas envisager que si une révolution conservatrice est en germe, elle s’incarne plus dans des modes de vie dissidents (citadelle ou grain de sable) que dans une énième structure politique ?

    Vous avez sans doute raison. Face à un système de l’argent en passe de se détruire lui-même du fait de ses contradictions internes, l’action politique, si utile qu’elle puisse être, trouve très vite ses limites. Se rebeller contre ce système exige d’adopter des modes de vie ou des styles de vie différents, ce qui implique un patient dessaisissement par rapport à l’idéologie dominante, à commencer par le primat des valeurs marchandes. Serge Latouche parle à ce propos de« décolonisation » de l’imaginaire symbolique, formule qui me paraît bien trouvée. C’est à cette condition que l’on pourra voir réapparaître à l’échelon local des « espaces libérés » où la réanimation du lien social permettra l’émergence d’une nouvelle citoyenneté sur la base de valeurs partagées.

    http://fr.novopress.info/182033/entretien-exclusif-novopress-alain-de-benoist-se-rebeller-contre-le-systeme-exige-dadopter-des-modes-de-vie-ou-des-styles-de-vie-differents-22/

  • Entretien avec Charles Robin : « Cette culture libertaire du libéralisme est une nouvelle forme d’esclavage. »

    Charles Robin est essayiste. Dans la lignée du philosophe Jean-Claude Michéa, il formule une critique radicale de la société libérale et de la gauche libertaire, notamment dans deux ouvrages : Penser le libéralisme (2013) et La Gauche du Capital (2014). Il est également un contributeur régulier des revues Rébellion,Éléments et Perspectives libres. 
    PHILITT : Vous rejetez les Lumières car vous voyez en elles l’origine du libéralisme. Cependant, les Lumières ont aussi été une source d’inspiration pour les premiers socialistes, notamment Rousseau et Montesquieu. N’est-ce pas paradoxal ? 
    Charles Robin : Résumer mon propos sur la philosophie des Lumières et ses liens avec le libéralisme à une position de « rejet » me semble relever, pour le moins, du raccourci philosophique ! Le fait est que le libéralisme, tel qu’il s’est formalisé au cours de l’histoire moderne (et, plus particulièrement, au XVIIIe siècle), s’appuie essentiellement sur cette vision de l’Homme – défendue à l’époque par la plupart des penseurs des Lumières – comme d’un individu rationnel, dont le sens et la finalité ultimes de l’existence se réduiraient à la recherche de l’intérêt. Je vous renvoie, à ce sujet, aux textes de Locke et de Hume (deux figures majeures des Lumières britanniques) qui, dans leurs traités d’anthropologie philosophique, s’accordent à voir dans l’homme « cette chose pensante, sensible au plaisir et à la douleur, apte au bonheur ou au malheur et portant de ce fait intérêt à soi ». Or, c’est de cette définition de l’homme comme être naturellement mu par son égoïsme que le libéralisme entend partir (définition supposée reposer sur l’ « expérience » et l’ « observation des faits ») pour concevoir un modèle de société rendant possible la coexistence pacifique des individus concurrents. 
    C’est là qu’interviennent les deux grandes instances de régulation, parallèles et conjointes, du système libéral : le Droit, censé garantir la liberté de tous les citoyens dans le cadre de la loi (je vous rappelle ici que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 stipule que « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ») ; et le Marché, censé résoudre mécaniquement l’antinomie des intérêts particuliers par un phénomène providentiel d’ « harmonisation spontanée » (je vous renvoie, sur ce point, aux textes fameux d’Adam Smith sur les vertus de la « main invisible » du Marché). On voit donc ici en quoi la philosophie des Lumières, en s’appuyant sur une vision de l’Homme comme être foncièrement « libre », « égoïste » et « rationnel » – aptitudes qu’il ne s’agit, du reste, aucunement de nier ou de minimiser –, a fourni aux théoriciens du libéralisme le matériau anthropologique à partir duquel le modèle d’une société libérale, c’est-à-dire d’une société qui fait de l’égoïsme des individus le moteur unique de son fonctionnement, allait pouvoir prospérer jusqu’à nos jours. Quant à votre remarque sur Rousseau et son apport dans la constitution de la pensée socialiste, je ne peux que vous rejoindre, dans la mesure où je reconnais moins dans l’auteur de L’Essai sur les sciences et les arts un philosophe des Lumières qu’un philosophe contre les Lumières (ses lignes sur la liberté et sur le désir lui vaudraient probablement, aujourd’hui, les plus violentes accusations de « totalitarisme », voire de « fascisme », de la part des descendants intellectuels d’un libéral comme Voltaire, son pire ennemi). 
    PHILITT : Rousseau ne s’inscrit donc pas, selon vous, dans le mouvement des Lumières ? 
    Charles Robin : En effet, contrairement aux Lumières – qui n’envisageaient la problématique de la liberté que du point de vue de l’individu – Rousseau, quant à lui, voyait essentiellement dans cette dernière une aspiration collective et un projet commun (ce en quoi il représente, selon moi, le dernier penseur véritable du problème politique). Je ne m’étendrai pas ici sur sa notion politique centrale d’ « intérêt général », qui ne pourra que heurter la sensibilité individualiste de tout libéral authentique, qui n’admet, par définition, que le bien-fondé et la toute-puissance du « droit privé ». Daniel Cohn-Bendit n’est-il pas celui qui nous a rappelé, récemment, que la démocratie consistait dans « la défense des minorités contre la majorité » ? Lorsque de telles insolences dialectiques se retrouvent permises, on n’ose à peine imaginer le sort qu’aurait réservé notre intelligentsia libérale à ce pauvre Rousseau ! 
    PHILITT : Selon vous, le libertarisme est, dès le départ, un élément constitutif du libéralisme. Mais peut-on vraiment mettre Proudhon, Bakounine et Kropotkine dans le même sac que Serge July et Daniel Cohn-Bendit ?
    Charles Robin : Il convient d’abord de s’entendre sur le sens des mots. Par l’adjectif « libertaire », j’entends caractériser le discours qui érige la « liberté individuelle » et le « droit privé » au rang de norme politique, sociale et culturelle suprême, et qui, partant, fait de la contestation de toutes les structures et de toutes les normes symboliques et collectives existantes un idéal anthropologique et un impératif pratique. Or, ce qu’il me semble important de noter, c’est que dès lors qu’on redéfinit la liberté comme le droit offert à l’individu de satisfaire sa tendance – supposée naturelle et inévitable – à poursuivre son intérêt et son désir, il est clair que le but atteint n’est pas ce que Marx nommait, à son époque, la « liberté réelle ». C’est, au contraire, la soumission grandissante des individus aux exigences capitalistes de « libération pulsionnelle » et de « satisfaction libidinale », en vue d’une extension indéfinie des sphères de la consommation. Soit l’exact antithèse de la conception des sages grecs de l’Antiquité, qui voyaient dans la liberté cette capacité proprement humaine à la retenue et à la « maîtrise des passions » (ce que les philosophes grecs appelaient la sophrosyne: la tempérance, et qu’ils opposaient à l’hybris : la démesure). On est donc loin, selon ce critère, de ce que notre cher Rousseau appelait, dans ses Lettres écrites de la montagne, un « état libre », dans lequel, disait-il, la liberté de chaque individu est subordonnée à la liberté du groupe ! 
    Philitt : C’est donc l’illusion de liberté de nos sociétés libérales que vous souhaitez dénoncer ? 
    Charles Robin : Oui, le philosophe Dany-Robert Dufour n’hésite d’ailleurs pas à parler, au sujet de cette culture « libertaire » du libéralisme, d’une nouvelle forme d’esclavage, en tant qu’elle fait de l’individu consentant (c’est-à-dire de celui qui a définitivement intériorisé l’idée que le droit et le désir devaient constituer l’unique moteur de tous ses agissements) le complice inconscient de sa propre servitude – celle de son souverain désir. Une servitude objective aux attentes du Marché vécue subjectivement comme une liberté et un droit (d’où l’urgence de réintroduire dans la réflexion philosophique le concept d’ « aliénation »), alors même qu’elle participe de la dépossession des sujets de leur dimension supra-matérielle, celle par laquelle nous pouvons accéder à la sphère, abstraite et immatérielle, du « don » et de la « gratuité » (vérifiable au fait, par exemple, qu’il puisse nous arriver d’agir sans rien attendre en retour). Difficile, dans ce contexte, de déceler une quelconque parenté philosophique entre un tel libéralisme libertaire (expression forgée par Michel Clouscard en 1973, pour lequel, au passage, Daniel Cohn-Bendit représentait déjà l’emblème incandescent), qui fait de l’atomisation des individus et de la promotion de l’idéologie du désir son armement idéologique privilégié, et le socialisme libertaire d’un Proudhon ou d’un Bakounine, qui voyaient dans le lien à autrui – le lien représentant, dans la doxa libérale, la marque caractéristique de la « dépendance » et de la « servitude » – la condition profonde de toute liberté réelle, puisqu’elle conditionne l’existence du groupe. Une idée que le NPA semble décidément avoir le plus grand mal à entendre… 
    PHILITT : Vous faites du NPA l’un des plus grands promoteurs actuels du capitalisme. Or, il s’agit également d’un parti fortement influencé par Daniel Bensaïd, un grand disciple de l’École de Francfort, et où on trouve encore aujourd’hui des intellectuels comme Michael Löwy. Votre analyse ne gagnerait-elle pas à être plus nuancée ?
    Charles Robin : Sans doute ! Mais, comme l’écrivait déjà Günther Anders, « s’il peut y avoir la moindre chance d’atteindre l’oreille de l’autre, ce n’est qu’en donnant le plus de tranchant possible à son propos ». On pourra toujours me reprocher certaines généralisations ou approximations – qui n’en fait pas ? Je réponds que toute théorisation est à ce prix. Or, au-delà des quelques exemples que vous me citez (auxquels, par ailleurs, je souscris en grande partie), je constate une tendance générale à l’œuvre dans le discours politique et « sociétal » du NPA, et des représentants de la « gauche libertaire » en général – dont, par exemple, le philosophe « hédoniste » Michel Onfray a longtemps fait partie –, que je tiens pour infiniment plus influente sur l’air du temps médiatique et le « débat public » (comme l’on doit dire de nos jours) que ne pourraient l’être les réflexions rigoureuses d’un théoricien du mouvement communiste révolutionnaire comme Daniel Bensaïd. Si je focalise mon attention critique sur le cas spécifique de cette « extrême gauche », c’est dans la mesure exacte où celle-ci symbolise, selon moi, le contresens idéologique moderne qui fait obstacle à toute approche pertinente (et, partant, à l’analyse qui en découle) de la question de la domination. En articulant sa lutte contre l’hégémonie capitaliste et l’injustice sociale à une disqualification systématique de toute notion de « norme », d’ « autorité » ou de « limite » (ces notions étant, bien entendu, à définir), l’extrême gauche s’interdit ainsi par avance de défendre les conditions symboliques et anthropologiques d’institution réelle d’une société juste et égalitaire, qui ne peut espérer s’édifier que sur la base d’un « monde commun » – ne serait-ce que celui des règles minimales de la morale commune et de la décence. 
    Pour le dire d’une manière simple, on ne peut à la fois s’élever contre la logique de marchandisation et de réification croissantes de l’existence humaine par le libéralisme triomphant (l’exploitation salariale, l’anéantissement des acquis sociaux, l’augmentation du coût de la vie) et encourager, dès que l’occasion s’en présente, la déliaison des individus de toutes les attaches symboliques, culturelles et morales qui empêchent, précisément, la réduction de l’existence humaine à la seule dimension matérielle du désir et de l’intérêt (comme l’œuvre radicale et cohérente du Marquis de Sade l’a brillamment illustré). Si l’on admet cette idée que le capitalisme ne peut espérer se maintenir qu’avec la participation des sujets qu’il englobe et asservit, on doit, du même coup, consentir à l’examen de ce qui, dans nos propres schémas d’action et de représentation, rend encore possible l’emprise sur notre économie, mais aussi sur nos vies, de la domination libérale. Ce qu’on appelle, communément, prendre le mal à sa racine. Et qu’aucun militant anticapitaliste authentique ne saurait, a priori, me reprocher ! 

  • À propos de l’Occitanie par Robert-Marie MERCIER

    La question de l’existence d’une « Occitanie » a toujours suscité des débats, parfois enflammés, et souvent faussés par la confusion existant, et parfois entretenue par certains, entre défenseurs de la langue et prosélytes d’une mythique entité politique.

    Nous allons essayer d’y voir plus clair et, ce, sans volonté de polémique et d’affrontements stériles. Étant les ardents défenseurs d’un pays dont la langue, le nissart, ou plutôt les langues : nissart et gavouòt,  font partie de ce grand ensemble des langues d’Oc (appelé officiellement occitan par l’éducation nationale française), nous avons recherché dans l’Histoire les traces de cette « Occitanie ».

    « Rien ne serait plus contraire à la vérité que de voir dans l’affirmation de l’identité culturelle de chaque nation, l’expression d’un chauvinisme replié sur soi-même. Il ne peut y avoir de pluralisme culturel que si toutes les nations recouvrent leur identité culturelle, admettent leurs spécificités réciproques et tirent profit de leurs identités enfin reconnues. »

    M. Amadou Mahtar M’Bow, directeur général sénégalais de l’U.N.E.S.C.O.

    C’est seulement après que j’eusse eu vingt ans que j’entendis, pour la première fois parler d’Occitanie. C’est dire si ce concept est récent au regard de notre histoire. Et, il faut savoir que la perception, voire la compréhension, de ce concept regroupait tout et son contraire. Il est vrai qu’au premier abord, le fait d’évoquer l’Occitanie évoquait une vision romantique d’un Éden disparu, dans nos jeunes esprits, conscients qu’ils appartenaient à une culture et à une histoire qu’on leur avait confisqué. Cela était d’autant plus vrai chez nous, dans le Pays Niçois, que nous avions gardé ce côté rebelle et cet esprit de résistance qui caractérise les habitants de ce petit bout de terre à l’extrémité des Alpes.

    Dans la foulée du grand mouvement de Mai 68, caractérisé, à droite comme à gauche, par cette contestation de la société de consommation et (déjà) du système mondialiste marchand, la lutte politique enclenchée par le monde étudiant s’appuyait sur des revendications culturelles fortes qui précédaient les exigences politiques et sociales.

    Dans le sud de l’Hexagone, un mouvement issu du Comité occitan d’études et d’action (C.O.E.A.), Lucha Occitana (Lut’Oc) était en pointe dans le combat pour la reconnaissance culturelle et politique des populations des territoires de langue d’Oc. Lut’Oc avait compris l’importance décisive de la culture comme précurseur essentiel de la lutte politique. Il n’était plus question de séparer la pensée de l’action. Nous retrouvons derrière tout cela, la philosophie d’Antonio Gramsci qui affirmait (à juste titre) que la pensée précédait l’action et que la prise de pouvoir culturel était un préalable indispensable à la prise de pouvoir politique. Cette vision était partagée, en 1968, aussi bien par de jeunes intellectuels issus de la droite (mais ayant rompu avec la droite politique) que par de jeunes intellectuels de gauche (ayant rompu avec les partis institutionnels) tous en lutte contre la société de consommation. Les uns comme les autres mettront en avant la notion gramscienne « d’intellectuels organiques ».

    C’est par cette mise en valeur de la culture et particulièrement de l’art, que Lut’Oc permit à plusieurs artistes engagés de devenir des prototypes de l’intellectuel organique militant de la cause occitane. En prenant cette nouvelle voie, Lut’Oc voulait aller au delà de la vision purement « économiste » du C.O.E.A. C’est ainsi que ses militants s’engagèrent dans les mouvements sociaux populaires du Sud (lutte des viticulteurs, lutte sur le Larzac…). Il faut dire que leur action fut largement favorisée par les mouvements d’émancipation qui éclataient au sein de la jeunesse un peu partout dans le monde, de Berkeley à Prague et de Rome à Berlin, dans ce grand ébranlement international des consciences que fut Mai 1968. Nous pourrions, sans problème, établir un parallèle entre l’action de Lut’Oc et l’action de Frédéric Mistral lors de la révolution de 1848 qui secoua fortement la société de l’époque.

    Mais, (et Gramsci le soulignera) toutes les révolutions politiques issues du « Printemps des peuples » de 1848 en Europe ont échoué (y compris celle du Félibrige en Occitanie). Car cette société moderne avait profondément changée par rapport à l’époque du mouvement des Encyclopédistes (qui amènera la révolution bourgeoise de 1789 en France). Un mouvement populaire bref et spontané ne pouvait plus renverser un pouvoir central établi à la suite d’un évènement imprévu à la manière des Vêpres siciliennes qui, au XIIIe siècle, permirent aux Palermitains de se libérer, en quelques jours, du joug capétien (1). Un évènement spontané de cet ampleur ne peut plus réussir depuis le « Printemps des peuples » de 1848. La société des pays modernes (État centralisé, contrôle par le pouvoir central des forces de répression, contrôle de l’information, institutions intermédiaires mises en place par le pouvoir central, notion d’État-Providence…) avait tellement évolué que, encore (et surtout) de nos jours, les forces d’émancipation d’un peuple qui voudraient transformer un État occidental de type jacobin (É.O.T.J.), doivent, auparavant, avoir investi (ou neutralisé) les principales institutions culturelles soumises au (ou contrôlées par le) pouvoir politique centralisateur. C’est ce que les réseaux sociaux ont rendu possible, aujourd’hui, en Écosse ou en Catalogne. Ces réseaux sociaux qui peuvent redonner une fierté, alors perdue, au peuple, culpabilisé qu’il avait été, pendant si longtemps, par l’idéologie dominante émanant du pouvoir central, au point d’instiller ce « sentiment de honte d’être soi-même ». C’est exactement ce qui s’est passé parmi les peuples de langue d’Oc, en faisant intérioriser par ceux-ci la vergonha (la honte) d’être eux-mêmes.

    Ce mécanisme intellectuel et moral pour aboutir à la destruction de la culture des peuples fut rendu possible en mettant en place les conditions pour que la langue de l’administration centrale française se substitue à celle du cœur et des sentiments depuis que tout le Sud (de langue d’Oc) fut intégré au Royaume de France à la fin du XIIIe siècle. De ce fait et à la différence de l’Écosse (indépendante jusqu’en 1707), ou de la Catalogne (qui perdit son autonomie en 1714) et qui, de ce fait, ont pu s’appuyer sur un sentiment national ancien pour construire leur avenir européen, l’Occitanie n’a jamais pu exister en tant que nation. La seule référence que l’on puisse faire avec un territoire existant (relativement autonome) est la période de l’Empire romain lorsque existait une grande province allant de la rive droite du Var jusqu’à l’Espagne appelé la Narbonnaise. De même, une différence existe avec le Pays Niçois, qui ne fut annexé frauduleusement qu’en 1860 et ne se résigna pas puisque dix ans plus tard, après la chute du Second Empire, celui-ci exprima, légalement, dans les urnes, sa volonté de reprendre son indépendance (ceci amènera la « République une et indivisible » à employer les armes pour annuler des élections démocratiques) (2).

    C’est pourquoi il faudrait que les « occitanistes  » actuels regardent la réalité en face au lieu de la fuir dans le pantaï (le rêve) d’une Histoire fantasmée.

    L’Histoire… parlons en… quelle fut l’attitude des peuples de langue d’Oc tout au long de leur histoire. À la fin du XIIIe siècle, tout le territoire que les « Occitanistes » appellent aujourd’hui « l’Occitanie » est intégré au Royaume de France, à l’exception de la Provence et du Comtat Venaissin (et bien entendu du Comté de Nice – alors appelé Provence Orientale- qui a toujours eu une histoire particulière). Durant tout ce temps, nos « occitanistes » eurent-ils des occasions de s’émanciper ? Plutôt dix fois qu’une ! Des preuves, en voici.

    En 1429, l’héritier du trône, le futur Charles VII, ne contrôle que le « royaume de Bourges », soit pour l’essentiel, des provinces occitanophones (y compris l’Aunis, la Saintonge et le Poitou qui parlent encore des dialectes proches du limousin), et pourtant, aucun mouvement irrédentiste ne se développe pour autant. Bien au contraire, les meilleurs compagnons d’armes de Jeanne d’Arc, qui veut « bouter les Anglois » hors de France, sont pratiquement tous issus de l’Armagnac. C’est en gascon qu’ils se parlent dans leurs régiments : à tel point que les Anglais appellent la Jeanne venue de Lorraine, « l’Armagnageoise » ! Voilà la réalité !

    Continuer à regarder la réalité en face, c’est aussi se souvenir du fonctionnement, un siècle plus tard, d’un vaste ensemble politique méridional, les Provinces Unies du Midi, de 1573 à 1594. Au lendemain des massacres de la Saint-Barthélemy, les protestants du Royaume de France décident de s’administrer eux-mêmes pour sauver leur peau. Nulle visée séparatiste ne se fera jour : ils se placent, de leur propre volonté, sous l’autorité d’un seigneur de sang royal, le Prince Henri de Condé. La lecture du « Règlement » des Provinces Unies du Midi est, sur ce point, sans ambiguïté : leur objectif n’est pas de faire sécession mais de rendre à la France « la grandeur de son renom, l’intégrité de son État avec la fermeté des lois ». Voilà la réalité !

    Continuer à ne pas se voiler la face, c’est se souvenir, tout simplement, que l’hymne national français s’appelle La Marseillaise et que s’il en est ainsi, c’est que le bataillon des cinq cents Fédérés, venus de Marseille à l’appel du gouvernement girondin qui avait décrété la Patrie en danger, va jouer un rôle déterminant dans la prise du Palais royal des Tuileries le 10 août 1792. Ce jour-là commence ce que beaucoup d’historiens appellent la Deuxième Révolution. La Première Révolution, commencée par la prise de la Bastille par le peuple en juillet 1789, avait généré une monarchie constitutionnelle. L’action du bataillon des Marseillais, engendre cette Deuxième Révolution qui permet d’établir la République. Ce moment, essentiel, de la chute de l’Ancien Régime est d’ailleurs évoqué dans le très beau film de Jean Renoir, en 1938, La Marseillaise. Voilà la réalité !

    Regarder encore la réalité, c’est se souvenir, également, de la « Ligue du Midi » dans le dernier tiers du XIXe siècle, alors que la Guerre de 1870 – 1871 vient de provoquer la chute du Second Empire. Tout le Nord de la France, de l’Alsace à la Normandie et de l’Orléanais à la Picardie est occupé par les forces allemandes. Une confédération des régions non encore envahies se crée le 18 septembre à Marseille. Elle réunit treize départements dont ceux de la ville phocéenne mais aussi de Lyon, Saint-Étienne, Narbonne, Toulouse et Limoges. Son objectif ? S’instituer en État indépendant ? Non, simplement participer activement à la défense de la Patrie : « Ce que nous voulons, ce n’est pas former une association politique méridionale en dehors des autres régions de la France… La République doit rester unie et indivisible, mais vu les circonstances, il y a lieu de former une sorte de confédération provisoire qui nous permettrait d’agir de concert. Le Midi pourra peut-être sauver le Nord, si nous unissons les forces des départements du Midi. » Voilà la réalité !

    Et quand la Commune de Marseille se soulève quelques mois après, elle proclame immédiatement, sa solidarité avec celle de Paris. Cela est relaté par Prosper Lissagaray (journaliste gascon et historiographe du mouvement) : « À midi, francs-tireurs, gardes nationaux, soldats de toutes armes se mêlent et se groupent sur le cours Belzunce. Les bataillons de la Belle-de-Mai et d’Endoume arrivent au complet, criant : “ Vive Paris ! ” … » Voilà la réalité !

    Bien sûr, tout cela fut rendu possible, pendant le XIXe siècle, par l’action virulente de l’État français qui fit tout pour propager la langue française, au détriment des langues du cru : vers 1850, les derniers villages où l’on continue à parler exclusivement le provençal sont également ceux, géographiquement reculés, où l’information et l’éducation sont faibles. Ailleurs, dans les centres urbains plus importants, les valeurs républicaines nouvelles ont pu être diffusées en l’espace d’une génération. Ce fut le fait de jeunes gens issus de la petite bourgeoisie qui les avaient acquises pendant leurs études, faites exclusivement, faut-il le rappeler, en français. À leur contact, les autres couches de la population deviennent peu à peu francophones.

    Cette « déculturation » sera accentuée par les « hussards noirs de la république », ces instituteurs de la IIIe République qui, dès 1913, sous les directives de Jules Ferry, pratiquèrent une véritable « inquisition » envers ceux qui persistaient à parler leur langue natale dans toutes les « patries charnelles » (Alsace, Bretagne, Catalogne, Corse, « Occitanie », Pays Basque, Pays Niçois, Savoie…).

    Les révoltes des viticulteurs, quand le Midi s’embrasera en 1907, aussi appelé « révolte des gueux » du Midi, ne se fera qu’en référence à la « République » et n’aboutira à aucune volonté d’émancipation malgré les discours des meneurs faisant référence à l’Histoire et à l’antagonisme du Sud et du Nord, perceptible depuis la croisade des Albigeois, dans leurs déclarations enflammées. Le maire démissionnaire, Ferroul, fait savoir à Albert Sarraut, envoyé du gouvernement : « Quand on a trois millions d’hommes derrière soi, on ne négocie pas. » Et pourtant ! Pas plus, la fraternisation du 17e Régiment d’infanterie de ligne, composé de réservistes et de conscrits du pays, avec les manifestants réunis à Béziers n’amènera un quelconque mouvement de sécession.

    Environ cinq cents soldats de la 6e compagnie du 17e Régiment vont se mutiner, ils pillent l’armurerie et prennent la direction de Béziers. Ils parcourent une vingtaine de kilomètres en marche de nuit. Le 21 juin, en début de matinée, ils arrivent en ville. Accueillis chaleureusement par les Biterrois, « ils fraternisent avec les manifestants, occupent les allées Paul-Riquet et s’opposent pacifiquement aux forces armées en place ». Les soldats s’installent alors sur les Allées Paul-Riquet, mettent crosse en l’air. La population leur offre vin et nourriture. Malgré cela, ils resteront tous de « bons petits Français ». Voilà la réalité !

    Enfin, regarder la réalité en face, c’est enfin se souvenir de ce qui s’est passé en 1944. Les troupes alliées ont débarqué en Normandie au mois de juin et, après la percée d’Arromanches, ont commencé à foncer vers l’Est. Quant à celles qui ont délivré la Provence à partir du 15 août, elles progressent le long de la vallée du Rhône pour venir à leur rencontre. Les conditions sont donc réalisées, à ce moment-là, pour que le grand quart Sud-Ouest de l’Hexagone puisse se libérer lui-même. La Résistance, issue des maquis, prend le pouvoir du Languedoc au Limousin et de la Gascogne à l’Auvergne. Cependant nous ne notons aucune velléité de créer une république autonome occitane pour autant. C’est tout le contraire. Georges Guingouin, chef de la 1re Brigade de marche limousine, déclare en 1944 : « Nous sommes des soldats de la France et non d’un parti politique, notre mission sacrée, c’est de restaurer la République, de rendre la souveraineté au peuple pour qu’il puisse l’exercer en toute liberté. Il n’est pas question d’imposer par les armes un pouvoir politique. » Et cependant, le peuple en armes a pris partout le pouvoir. Pour ne prendre qu’un dernier exemple, celui de la Bigorre, c’est un simple instituteur, Honoré Auzon, issu d’une famille de petits paysans, qui a fait signer, à Lourdes, la capitulation des troupes allemandes qui contrôlaient les Pyrénées centrales. Simultanément, un de ses amis, sympathisant, communiste de surcroît, Louis Le Bondidier, est devenu maire de la cité mariale ! Celui-ci est pourtant un amoureux de l’Occitanie : son épouse, Margalide, née en Lorraine comme lui, avait tenu à prendre ce prénom occitan pour mieux exprimer leur enracinement dans leur patrie d’adoption. Nous notons une réaction identique lorsque les combattants de Mourèze, le maquis « Bir Hakeim », arrivent sur la place de l’Œuf (La Comédie) à Montpellier le 26 août 1944 : « Une ovation délirante se produit et la Marseillaise est cent fois reprise », raconte la chronique de la Libération à Montpellier. Voilà la réalité !

    Vivre sur le souvenir d’un passé mythique (et purement virtuel) ne fera pas avancer les choses. Admettre cette réalité et pousser plus loin l’analyse, amène à découvrir une vérité encore plus dérangeante pour les apologistes occitans. Dès que les régions du Sud de la France vont cesser d’être la chasse gardée des idées royalistes après l’épuration que fut la Terreur Blanche de 1815, la perte d’identité de « l’Occitanie » va être enclenchée et inéluctable. Cela sera accentué par les insurrections populaires contre le coup d’État de Napoléon III en décembre 1851 qui amènera ce qu’il sera convenu d’appeler le « Midi rouge ». Mais plus ces régions du Sud se mettent à voter radical, radical-socialiste, socialiste voire communiste dans un esprit républicain et plus elles perdent leur identité linguistique. Or en défendant la « République une et indivisible », elles en viennent à perdre leur langue et leur identité. Les « Félibres rouges » eux-mêmes, n’arriveront jamais à surmonter cette contradiction : en militant, en tant que citoyens, pour le succès des idées de gauche, ce faisant, ils scient la branche sur lesquels ils s’appuient en tant que poètes. Les progrès de la démocratie en « Occitanie » ont donc abouti à l’extension de l’usage du français.

    Mais le développement d’une telle contradiction n’a rien d’étonnant. Un d’entre eux, Félix Gras, a bien écrit : « Ame moun vilage mai que toun vilage (J’aime mon village plus que ton village) », « Ame ma Prouvenço mai que ta prouvinço (J’aime ma Provence plus que ta province) », « Ame la Franço mai que tout (J’aime la France plus que tout) ». Or être Français, depuis Richelieu, Robespierre et Jules Ferry, c’est, avant tout, accepter de passer à la moulinette d’une machine à décerveler qui détruit les cultures enracinées.

    Un autre exemple: au moment de la période trouble qui allait amener les évènements de Montredon (encore une révolte sévère des viticulteurs du Sud) Claude Marti, chef de file emblématique des artistes engagés de « l’Occitanie », lors de sa radioscopie chez Jacques Chancel en 1975, déclare : « Je suis de nationalité occitane et de citoyenneté française. » Voilà bien le nœud de la contradiction dans laquelle les militants occitanistes se débattent encore aujourd’hui.

    Le mouvement occitan a évolué dans le temps, bien sûr, et, après la disparition de Lutte Occitane, c’est le mouvement politique occitan Volem viure al Païs (V.V.A.P.), qui va prendre la relève et s’engager dans une voie sans issue : fonder sa stratégie sur un nationalisme sans nation. Faisant comme si le problème de l’existence d’une nation occitane avait, depuis toujours, été résolu (une langue = une nation selon les thèses ethnistes de Fontan), il ne tient absolument pas compte de la réalité historique précédemment développée. Pour eux, « l’Occitanie » n’est qu’une belle princesse endormie qu’un baiser réveillera un jour. Seulement l’Histoire n’est pas un conte de fées et après le succès du début (40 000 personnes sur le Larzac peu de temps après la création de V.V.A.P.), ce mouvement va péricliter très vite jusqu’à sa disparaître en 1987. Dans le même temps, pour les mêmes raisons, l’Institut d’études occitanes (I.É.O.) va entrer en crise avec deux tendances qui s’y affrontent : les « populistes », animée par Yves Rouquette, et les « intellos », menée par Robert Lafont. La première avait pris le pouvoir en 1981 obligeant la seconde à plier bagages. Depuis, livrés à eux-mêmes, ces intellectuels traditionnels continuent à faire ce qu’ils savent bien faire, des colloques universitaires, pendant que les autres réinventent le Félibrige. Mais il n’y a plus (ou si peu) d’intellectuels organiques qui, comme leurs prédécesseurs, auraient porté leur art à un prestige international attirant à eux les autres créateurs… Comme l’avaient constaté Pierre Bayle, peu avant sa disparition, lors d’une soirée avec son ami Jean-Claude Peyrolle, quand il disait que « les militants occitanistes sont devenus chauvins » et que leur mouvement n’est toujours pas sorti de sa maladie infantile. Et contrairement à une maladie qui développe des anticorps, qui nous protègent ensuite tout au long de notre vie, le chauvinisme ne permet pas de développer un véritable patriotisme, c’est-à-dire l’amour des siens. Il dérive malheureusement, trop souvent, vers la haine des autres.

    Or, aujourd’hui les conditions historiques sont réunies pour que puisse disparaître la contradiction dans laquelle s’étaient enfermés les « Félibres rouges ». Aujourd’hui, les trois piliers sur lesquels devrait reposer un état régalien ne jouent plus leur rôle: le service militaire obligatoire n’existe plus depuis 1995, la moitié des citoyens français (51,5% en 2014) ne remplissent plus l’un des devoirs civiques les plus élémentaires puisqu’ils ne paient pas d’impôts sur le revenu, et l’école de la République est devenue la championne du monde des inégalités (selon les normes PISA). Viennent surtout s’y ajouter les perspectives politiques concrètes ouvertes, au niveau européen, par les Ecossais, les Catalans, les Basques et les Flamands qui ont mis en place un nouveau contexte de solidarité : l’Occitanie ne devrait plus avoir à se faire contre ses voisins, Catalans, Franchimands ou Italians, mais sans eux et si possible avec leur accord (ce qui sera certainement plus difficile avec certains).

    Les conditions sont à présent réunies, malgré les résistances des États-nations en fin de cycle, d’édifier, tous ensemble, une nouvelle Europe qui ne serait pas bâtie originellement (et structurellement), comme l’U.E. actuelle, sur la prééminence de l’économie, mais sur la volonté de vivre ensemble au sein de territoires historiquement cohérents, une Europe des peuples. Certains auteurs, comme le philosophe, sociologue et anthropologue Pierre Fougeyrollas dans son essai, Pour une France fédérale. Vers l’unité européenne par la révolution régionale (Denoël 1968), ouvrait des pistes, sans remettre, cependant, en question l’existence des États-nations pas plus que les institutions anti-démocratiques de l’Union européenne. Or, ceci est pourtant indispensable pour que naisse cette Europe des peuples, puisque ces États-nations, issus du XIXe siècle, ont tracé des frontières virtuelles séparant des territoires, et des peuples, unis par des siècles d’histoire. Les aspirations nationales en Écosse, en Catalogne, au Pays Basque ou dans les Flandres ne participent donc pas d’un mouvement anti-européen comme d’aucuns voudraient le faire croire, mais bien de la volonté de construire une autre Europe basée sur la volonté des peuples et, de ce fait, bien plus démocratique. Lutte Occitane se situait déjà dans cette perspective d’unification de notre continent à partir d’un soutien aux luttes populaires locales, mais, c’est bien là, que l’on voit les limites de ce mouvement trop limité aux idéologies, désormais dépassées, de la lutte des classes.

    Car, le combat de demain n’opposera plus la droite et la gauche, le libéralisme et le socialisme, mais les forces d’enracinements culturelles et historiques, celles qui défendent la cause des peuples – de tous les peuples – et le système technomorphique américano-centré, ce « Système à tuer les peuples », dans lequel s’intègrent, aujourd’hui, à vive allure des forces hier encore opposées.

    Pour cette vieille terre hérétique que certains nomment « Occitanie », cette terre où leurs ancêtres cathares furent brûlés vifs, rien n’est perdu si l’Esprit continue à souffler où il veut… sans volonté hégémonique mais avec un esprit d’ouverture et de solidarité.

    Robert-Marie Mercier

    Notes

    1 : Le mardi de Pâques 1282, à la sortie de l’office vespéral, un chevalier français manque de respect à une jeune Sicilienne. La population se révolte et, très rapidement, chasse les envahisseurs.

    2 : Lors de l’Histoire du Pays Niçois, nous constatons une permanence de cette volonté de conserver une souveraineté locale et une préservation, reconnue par nos souverains, de nos droits et privilèges. 48 avant notre ère, le Pays Niçois (Alpae Maritimae) est une province autonome de l’Empire romain. 879 de notre ère, la Provence Orientale (Pays Niçois) fait sécession. En 1150, Nice se déclare indépendante. En 1176, Nice réintègre la Provence après qu’Alphonse Ier d’Aragon, comte de Provence, eusse reconnu nos droits et privilèges. En 1388, notre souverain ne pouvant plus nous défendre face aux visées des Anjou de Provence, le Pays Niçois se dédie à la Maison de Savoie.

    À l’époque moderne, bien après que le gouvernement d’Adolphe Thiers eut réprimé dans le sang des élections démocratique favorable aux indépendantistes en 1871, le Pays Niçois se caractérisera en permanence par une volonté d’exister en tant que tel. Je rappellerai, pour mémoire l’action menée par les élus niçois refusant de siéger au Conseil régional à Marseille dans les années 70. Cette politique de la chaise vide voulait signifier que nous refusions en tant que capitale régionale potentielle (ce que l’Histoire nous permettait de revendiquer) d’être inféodé à Marseille, de retrouver notre rang (ainsi que notre cour d’appel) et que l’on tienne compte de notre spécificité historique.

    • D’abord mis en ligne sur Racines du Pays niçois, le 21 octobre 2014.

    http://www.europemaxima.com/

  • Un jour, un texte ! La guerre, la discipline par Paul CLAUDEL (5)

    « La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. » Georges Bernanos, La France contre les robots.

    Notre premier ministre a déclaré que la France est en guerre. Mais l'ennemi est chez nous, au sein même de la population française. Il ne s'agit plus d'envoyer des professionnels, formés et aguerris combattre loin de nos terres, mais de se battre contre un ennemi sournois et impitoyable, qui use pour ses attaques de toutes nos libertés et des droits des citoyens français. Avant de faire une telle déclaration, encore eût-il fallu cultiver au sein du peuple français les valeurs qui font la force morale des nations. Cette nouvelle rubrique a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, aujourd'hui : la guerre, la discipline par Paul CLAUDEL(5)

    « MAURICE – Qu'est-ce qu'un soldat ? (Un temps) Un oiseau voyageur… mais qui ne suit jamais son plaisir ni sa fantaisie et qui ne règle pas son vol sur la rigueur ou la douceur de la saison. On lui commande d'aller – et il va ; de s'arrêter – et il s'arrête ; de frapper – et il frappe ; de se faire tuer – et il meurt. Et c'est bien ainsi. Il est dans les mains de son supérieur, comme dans la main du Créateur la créature, et il détient sur la terre le privilège de proposer aux autres hommes l'image de l'obéissance parfaite qui règne dans le ciel – et qui devrait partout régner. (Tristement) Mais l'obéissance n'est plus aimée, même chez les chrétiens.

    EXUPÈRE – Oh ! chef ! Pourvu qu'elle soit à peu près maintenue.

    MAURICE – Non, Exupère, non ! Obéir sans amour c'est, selon moi, mal obéir. Je ne saurais souffrir qu'on diminue une vertu si haute. – N'oublie pas que c'est à son ombre que, dans notre métier, croissent toutes les autres vertus : l'humilité, la pauvreté, la patience… la chasteté et la bravoure… le respect du chef et le don de soi.

    EXUPÈRE – Les vertus chrétiennes sont donc des vertus militaires ?

    MAURICE – Je le crois, ami. Ce qui fait le vrai soldat, comme le vrai chrétien, c'est le détachement de tout. – Aussi bien, il ne lui vaut rien, s'il a une famille, une maison, un champ, de trop songer à ce qu'il laisse. Il rentrera dans son bien lorsqu'il sera vieux. En attendant il est pareil aux apôtres pêcheurs, débauchés par Jésus au bord des lacs de Galilée. Comme eux, il a opté pour un plus haut devoir qui consiste à suivre le maître. Et tant qu'il n'a pas versé tout son sang ou épuisé toute sa force, il n'est pas quitte envers celui-ci.

    EXUPÈRE, après un temps de réflexion – Vous ne m'en voudrez pas de vous le dire en face. Oui, chef, je connais certains maîtres auxquels il est facile d'obéir. Ceux-là ont qualité pour commander aux hommes, au nom du Maître tout-puissant qui délègue le commandement à tel ou tel. Ceux-là sont dignes, bons et justes. Mais, s'ils ne le sont pas, dois-je les écouter ?

    MAURICE – Sans doute.

    EXUPÈRE – Même s'ils donnent l'exemple de tous les vices ?

    MAURICE – Tu le dois.

    EXUPÈRE – S'ils sont ivrognes, fourbes, débauchés, prévaricateurs ?

    MAURICE – Certainement.

    EXUPÈRE – Même s'ils persécutent mes frères ?

    MAURICE – Oui. Même en ce cas, Exupère. Et d'autant plus tu devras te montrer fidèle – à condition qu'ils ne te commandent pas le mal… je veux dire rien de contraire à ce que prescrit notre loi. Ici s'arrête leur pouvoir, au nœud de notre conscience ; mais seulement ici. »

    Paul CLAUDEL

    Extrait de : « Saint Maurice et ses compagnons »

    Lois Spalwer http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • [Chez nos confrères] La France face au multiculturalisme – par Gabriel Robin

    « Laissez la culture à la gauche, ça lui donnera un os à ronger », avait dit Charles de Gaulle, une erreur majeure dont nous payons encore les conséquences aujourd’hui. A vouloir projeter par la force la France dans le monde d’après, post-historique, les tenants du pouvoir depuis quarante ans ont rendu la France orpheline d’elle-même, expatriée de son être propre. La cohésion et la force d’un ensemble de civilisation, et ce quel que soit son système politique organique, résident dans l’identification culturelle profonde que s’en font ses composantes humaines (subséquemment avec son histoire et son essence), et non pas dans ses richesses territoriales ou matérielles. Les peuples sont attachés à leur(s) histoire(s), nonobstant les positionnements idéologiques d’une élite politique de plus en plus déterritorialisée. L’immigration massive nous a contraints à aménager notre façon de vivre, à noyer notre culture dans un maelstrom informe qui est devenu au fil du temps le théâtre de l’affrontement stérile de micro-tribus antagonistes.

    D’aucuns, tel Laurent Bouvet, parlent de « crispations identitaires » ; celles-ci sont le produit d’une déculturation totale, d’une quête de sens inassouvie car rendue impossible par le déracinement des êtres que l’on jette dans le monde comme étant des « fils de personne ». L’homme n’est pas un être jeté là, l’homme n’est pas qu’un animal rationnel animé d’un égoïsme forcené, il est aussi le fruit d’une lignée culturelle. Nous ne savons plus qui nous sommes, et, paradoxalement, l’autre nous est encore plus étranger, nous sommes comme « expatriés du réel ». Aimé Césaire soulignait fort justement qu’une « civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente ». Le pouvoir est incapable de résoudre l’insécurité culturelle dans laquelle se retrouve plongé son peuple car il est incompétent pour définir précisément les maux qui affligent notre nation : en effet il en est le responsable direct ! Si la France était incarnée par la république apaisée, voire irénique, que nous présente François Hollande, il n’y aurait pas eu ces attentats, il n’y aurait pas eu ces manifestations de soutien d’une jeunesse en marge qui ne veut plus se reconnaître comme appartenant à l’ensemble culturel dans laquelle se trouve notre identité nationale. Il faut dire qu’on leur a inlassablement répété que la France était désormais multiculturelle (ou de toute éternité pour certains), que son histoire précédente était monstrueuse, qu’elle devait faire repentance ; comment alors vouloir s’assimiler à une nation vidée de sa substance, faible, présentant pour seule transcendance un tout uniformisé et mondialisé qui n’est qu’un rien.

    D’aucuns, tel Laurent Bouvet, parlent de « crispations identitaires » ; celles-ci sont le produit d’une déculturation totale, d’une quête de sens inassouvie car rendue impossible par le déracinement des êtres que l’on jette dans le monde comme étant des « fils de personne ». L’homme n’est pas un être jeté là, l’homme n’est pas qu’un animal rationnel animé d’un égoïsme forcené, il est aussi le fruit d’une lignée culturelle. Nous ne savons plus qui nous sommes, et, paradoxalement, l’autre nous est encore plus étranger, nous sommes comme «expatriés du réel ».

    C’est pour toutes ces raisons, extrêmement préoccupantes, que nous devons de toute urgence retrouver notre identité culturelle nationale, et, surtout, la valoriser et la transmettre. Notre culture a pour caractéristique sa capacité à l’examen critique et à la raison, ces deux éléments ayant permis l’émergence du débat d’idées garantissant l’épanouissement des libertés d’expression et d’opinion (qui n’ont pas grand-chose en commun avec l’injure et la dialectique éristique constamment mises en avant sur les plateaux de télévision, mais passons). Plutôt que de subventionner des œuvres qui nient la culture nationale, l’Etat devrait aider une création d’avant-garde qui soit une force de projection de notre culture historique et une arme diplomatique conséquente. Non, nous n’avons pas à nous résoudre à l’abaissement, à la petitesse d’une culture sans relief, sans élévation. L’effacement de notre culture traditionnelle devait faciliter l’intégration de tous dans une société post-nationale. Mais le « vivre-ensemble » à la manière post-moderne est d’abord un « vivre avec », puis un « revivre » sous une autre forme foncièrement différente de celle qui fut auparavant, il n’y a donc pas de volonté d’assimiler des peuples à notre culture mais bien plutôt le projet de tous nous assimiler à marche forcée à une vision du monde globalisante fondée sur une utopie conceptuelle dont on ne peut mesurer les conséquences. L’échec est total, dramatique.

     

    N’hésitons plus à le dire : remporter la bataille culturelle est impératif à un sursaut national. En présentant un contre-modèle fédérateur, les mouvements patriotiques susciteront un élan puissant qui trouvera un écho populaire conséquent. La dialectique sociologique marxiste qui se base sur la relation entre les oppresseurs et les opprimés (hier le colon par rapport aux damnés de la terre, puis le sexe masculin par rapport au sexe féminin, et ainsi de suite, jusqu’à nos jours où les relations entre citoyens ne se conçoivent que dans un rapport de concurrence victimaire) est la norme inversée de notre société.

    Pour autant, il serait dangereux de sombrer dans une posture réactionnaire stérile et sclérosante. « Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent le plus haut », avançait le poète provençal Frédéric Mistral, et la France possède une tradition avant-gardiste qu’elle doit à tout prix conserver. Sociologiquement, la culture s’entend comme ce qui a trait au domaine « psycho-affectif », à la « sensibilité », voire très subjectivement au goût qu’entretient, en commun, un collectif d’hommes donné et plus ou moins réduit. Il y a dans la culture nationale, une culture cultivée (conception centrée sur les humanités classiques et les beaux-arts) et une culture populaire (culture de masse). Au sein même de la culture cultivée nationale s’opère une nouvelle division entre la contre-culture d’élite ou d’avant-garde et la culture classique, etc. Le fait culturel prend donc l’aspect d’une poupée russe ou d’une polyphonie. Ce qui signifie que notre société est devenue complexe, et donc polyculturelle, depuis déjà fort longtemps. Cette polyculture ne saurait se confondre avec la multiculture qui est un danger mortel pesant sur un Etat-nation unitaire ; à rebours de la polyculture qui apporte une saine émulation, la multiculture se présente souvent comme une stérile juxtaposition, voire opposition des contraires.

    N’hésitons plus à le dire : remporter la bataille culturelle est impératif à un sursaut national. En présentant un contre-modèle fédérateur, les mouvements patriotiques susciteront un élan puissant qui trouvera un écho populaire conséquent. La dialectique sociologique marxiste qui se base sur la relation entre les oppresseurs et les opprimés (hier le colon par rapport aux damnés de la terre, puis le sexe masculin par rapport au sexe féminin, et ainsi de suite, jusqu’à nos jours où les relations entre citoyens ne se conçoivent que dans un rapport de concurrence victimaire) est la norme inversée de notre société. Notre choix est de ne pas reconnaître de communautés autres que la communauté nationale, et la France ne reconnaîtra à son tour publiquement que sa culture historique. Nous préférons élever le peuple (dans son ensemble et sans considération pour les origines particulières de chacun) à la grandeur de son histoire, que le cantonner à cette sous-culture dominante qui s’est imposée partout. C’est à ce prix du ré-enracinement historique que pourra être abattue l’insécurité culturelle propre aux sociétés multiculturelles.

    Gabriel Robin,
    secrétaire général du Collectif Culture pour le Rassemblement Bleu Marine

    http://fr.novopress.info/182037/chez-nos-confreres-la-france-face-au-multiculturalisme-par-gabriel-robin/#more-182037

  • [Entretien exclusif Novopress] Alain de Benoist : “La Révolution Conservatrice n’est pas du tout un mouvement unitaire” (1/2)

    Figure de ce qu’il est convenu d’appeler la « Nouvelle Droite », Alain de Benoist a – par ses très nombreux travaux – profondément renouvelé notre famille de pensée, dans une optique transversale et métapolitique. Il vient de publier « Quatre figures de la Révolution Conservatrice allemande », ouvrage qui nous fait pénétrer dans l’immense richesse de ce mouvement d’idées, apte à nous donner des pistes pour les défis actuels.

    Propos recueillis par Pierre Saint-Servant

    La Révolution Conservatrice retient depuis plusieurs décennies votre attention. Dans votre dernier ouvrage, vous avez choisi de l’aborder par l’intermédiaire de quatre personnalités, symbole probable de la grande diversité de ce mouvement. Comment définiriez-vous cette Konservative Revolution ?

    Les représentants de la Révolution Conservatrice allemande n’ont que rarement utilisé ce terme pour se désigner eux-mêmes. L’expression ne s’est imposée qu’à partir des années 1950, à l’initiative de l’essayiste Armin Mohler, qui a consacré à cette mouvance un énorme « manuel » (La Révolution Conservatrice en Allemagne, 1918-1932) traduit en France en 1993. Elle désigne couramment ceux des adversaires de la République de Weimar, hostiles au traité de Versailles, qui se réclamaient d’une idéologie « nationaliste » distincte de celle du national-socialisme. Mohler les regroupe en trois familles principales : les jeunes-conservateurs (Moeller van den Bruck, Othmar Spann, Oswald Spengler, Carl Schmitt, Wilhelm Stapel, etc.), les nationaux-révolutionnaires (Ernst Jünger [photo], Franz Schauwecker, Ernst Niekisch, etc.) et les Völkische, qui sont des populistes à tendance souvent biologisante ou mystique. La Révolution Conservatrice n’est donc pas du tout un mouvement unitaire, même s’il existe entre ses représentants certains points communs. C’est plus exactement une mouvance, qui ne comprend pas moins de trois ou quatre cents auteurs, dont seule une minorité ont été traduits en français. Cette mouvance n’a pas à proprement parler d’équivalent dans les autres pays européens, mais pour ce qui concerne la France, on pourrait à bien des égards la rapprocher de ceux que l’on a appelés les « non-conformiste des années trente ».

    Sous le IIIe Reich, peu de révolutionnaires conservateurs se sont ralliés au régime. Quand ils l’ont fait (comme Carl Schmitt), cela a généralement été pour peu de temps. Certains se sont exilés, quelques uns ont été assassinés (Edgar J. Jung), d’autres sont entrés dans la Résistance, ce qui leur a valu d’être emprisonnés (Ernst Niekisch) ou exécutés (Harro Schulze-Boysen). La plupart ont vécu dans une sorte d’exil intérieur (Jünger) rarement dépourvu d’ambiguïté.

    Si la Révolution Conservatrice reste méconnue en France, n’est-ce pas en partie à cause de la contradiction des termes qu’elle semble contenir ? Les définitions françaises et allemandes des termes « conservateur » et « révolutionnaire » seraient-elles à ce point différentes ?

    En France, le mot « conservatisme » est assez péjoratif. On le tient volontiers pour synonyme de « réactionnaire ». Il en va très différemment en Allemagne, où le mot « droite » est en revanche peu employé. L’association, à première vue surprenante, des mots « conservateur » et « révolutionnaire » témoigne d’abord, d’un point de vue théorique, d’une volonté de conciliation des contraires (c’est au fond l’idée hégélienne d’Aufhebung, de dépassement d’une contradiction). Mais elle répond aussi à l’idée que, dans le monde tel qu’il est devenu, seul un bouleversement général, c’est-à-dire une révolution, permettra de conserver ce qui vaut la peine d’être conservé : non pas le passé, mais ce qui ne passe pas. Arthur Moeller van den Bruck écrit ainsi : « Le réactionnaire se représente le monde tel qu’il a toujours été. Le conservateur le voit comme il sera toujours ». Il ajoute que, par opposition aux réactionnaires, qui ne comprennent rien à la politique, « la politique conservatrice est la grande politique. La politique ne devient grande que lorsqu’elle crée de l’histoire ».

    Sous le IIIe Reich, peu de révolutionnaires conservateurs se sont ralliés au régime. Quand ils l’ont fait (comme Carl Schmitt), cela a généralement été pour peu de temps. Certains se sont exilés, quelques uns ont été assassinés (Edgar J. Jung), d’autres sont entrés dans la Résistance, ce qui leur a valu d’être emprisonnés (Ernst Niekisch) ou exécutés (Harro Schulze-Boysen). La plupart ont vécu dans une sorte d’exil intérieur (Jünger) rarement dépourvu d’ambiguïté.

     

    La confusion sémantique ne s’arrête pas là. Le terme « socialiste » est aujourd’hui utilisé (tant par ceux qui s’en réclament que par ceux qui s’y attaquent) à tort et à travers. Voir l’équipe Hollande-Valls-Macron se réclamer du socialisme est aussi ridicule qu’entendre certains invoquer une « dictature socialiste » pour nommer le désordre libéral-libertaire actuel. Que recouvre le socialisme dont se réclament à la fois Arthur Moeller, Werner Sombart ou encore Ernst Niekisch, au-delà de leurs nuances respectives ?

    Une idée propre à de nombreux révolutionnaires conservateurs est que « chaque peuple a son propre socialisme » (Moeller van den Bruck). Sous Weimar, la notion de« socialisme allemand » est d’usage courant aussi bien à droite qu’à gauche, y compris au sein des organisations nationalistes. Werner Sombart, grand spécialiste de l’histoire du mouvement social et du capitalisme, est d’ailleurs l’auteur d’un livre portant ce titre (Le socialisme allemand, traduction française en 1938). Oswald Spengler parle de « socialisme prussien », c’est-à-dire d’un socialisme porté par l’éthique et le style prussiens, qui rejette d’un même mouvement les valeurs bourgeoises et la « prolétarisation ». Expliquant que Marx a dévoyé le socialisme en l’entraînant en Angleterre, patrie du libéralisme, il affirme qu’il faut maintenant le« rapatrier » dans le pays où « chaque Allemand véritable est un travailleur ». Ces références montrent que pour la Révolution Conservatrice l’ennemi principal est très clairement le libéralisme.

    L’association, à première vue surprenante, des mots « conservateur » et « révolutionnaire » témoigne d’abord, d’un point de vue théorique, d’une volonté de conciliation des contraires (c’est au fond l’idée hégélienne d’Aufhebung, de dépassement d’une contradiction). Mais elle répond aussi à l’idée que, dans le monde tel qu’il est devenu, seul un bouleversement général, c’est-à-dire une révolution, permettra de conserver ce qui vaut la peine d’être conservé : non pas le passé, mais ce qui ne passe pas. Arthur Moeller van den Bruck écrit ainsi : « Le réactionnaire se représente le monde tel qu’il a toujours été. Le conservateur le voit comme il sera toujours ». Il ajoute que, par opposition aux réactionnaires, qui ne comprennent rien à la politique, « la politique conservatrice est la grande politique. La politique ne devient grande que lorsqu’elle crée de l’histoire ».

    L’un des riches débats qui animèrent les rangs de la Révolution Conservatrice opposa les tenants d’un « ruralisme », admirateurs de la paysannerie et contempteurs du mode de vie urbain aux partisans d’une prise en main de la technique et de la figure mythique du Travailleur (que contribuèrent à forger tant Jünger que Niekisch). Que peut-on en retenir ?

    C’est en effet l’un des traits qui distinguent les jeunes-conservateurs des nationaux-révolutionnaires. Les premiers, très influencés par l’idée du Reich médiéval, en tiennent souvent pour une société des « états » (Stände) où la paysannerie, lieu par excellence des solidarités organiques et des traditions populaires, joue un rôle essentiel, tandis que les seconds se veulent à la fois plus radicaux et plus « modernistes ». Cela dit, un auteur comme Oswald Spengler n’hésite pas à donner une interprétation « faustienne » de la technique. Le cas d’Ernst Jünger est plus complexe. Son livre sur Le Travailleur (1932), qui oppose à la Figure du Bourgeois une sorte de métaphysique du Travail, est une apologie « titanesque » de la Technique en tant que facteur de « mobilisation totale », mais l’auteur des Orages d’acier reviendra par la suite sur cette façon de voir, notamment sous l’influence de son frère, Friedrich Georg Jünger, auteur dans l’immédiat après-guerre d’un livre très hostile à la technique (Die Perfektion der Technik) que l’on peut considérer comme un ouvrage fondateur de l’écologisme actuel.

    Ce qui frappe dans les portraits que vous dressez, c’est la difficile incarnation politique des idéaux portés par la Révolution Conservatrice. L’extraordinaire fécondité intellectuelle de ce mouvement donne d’autant plus le vertige que ses réalisations politiques paraissent faibles. Qu’en est-il ?

    Il est exact que la Révolution Conservatrice n’a pas réussi à s’imposer politiquement, ce qui est fort dommage, car elle aurait évidemment constitué une alternative positive à l’hitlérisme. Sur le plan politique, elle s’est plutôt manifestée par des activités « ligueuses », des clubs de réflexion, des associations multiples et variées, ce qui n’empêche pas qu’on repère sans peine son influence à l’intérieur du Mouvement de jeunesse (Jugendbewegung) issu de l’ancien Wandervogel, ou à la faveur d’événements ponctuels, comme la révolte paysanne dans le Schleswig Holstein. Mais cela n’a pas suffi à en faire une dynamique de premier plan. Cela s’explique notamment par le fait qu’à quelques exceptions près, les représentants de la Révolution Conservatrice n’étaient pas des politiciens, mais des écrivains et des théoriciens. D’un autre côté, c’est aussi ce qui nous permet de les lire encore aujourd’hui avec profit.

    C’est en effet l’un des traits qui distinguent les jeunes-conservateurs des nationaux-révolutionnaires. Les premiers, très influencés par l’idée du Reich médiéval, en tiennent souvent pour une société des « états » (Stände) où la paysannerie, lieu par excellence des solidarités organiques et des traditions populaires, joue un rôle essentiel, tandis que les seconds se veulent à la fois plus radicaux et plus « modernistes ».

    http://fr.novopress.info/182021/entretien-exclusif-novopress-alain-de-benoist-la-revolution-conservatrice-nest-pas-du-tout-un-mouvement-unitaire-12/