Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1416

  • Une vague de démolition d'églises menace le patrimoine

    C'est, en entrant dans la nef, le silence saisissant d'un patrimoine menacé : l'église de Sainte-Gemmes-d'Andigné (Maine-et-Loire) résiste à une vague de démolitions lancées par des maires - cinq déjà détruites à travers la France depuis le début de l'année. "Toute la nef devrait disparaître", dit à l'AFP Benoît Patier, 51 ans, président de l'Association de sauvegarde de l'église Sainte-Gemmes-d'Andigné, montrant l'imposante nef de quatre travées promise à la destruction. 
    Le maire, Jean-Claude Taulnay, qui n'a pas souhaité être interviewé, veut détruire cette nef bâtie il y a 148 ans en tuffeau, pierre de taille tendre de la région, et la remplacer par un bâtiment circulaire en béton coiffé d'un toit en zinc. Il estime toute restauration trop onéreuse pour ce village de 1 500 habitants. "Restaurer l'église coûterait entre 1,2 et 1,5 million d'euros", explique M. Patier, citant des devis de cabinets indépendants. "Le projet du maire coûte 2,7 millions d'euros : garder l'église coûterait deux fois moins cher." "On ne comprend pas", dit Christian Boullais, 72 ans, vice-président de l'association. 
    45 000 églises en France 
    La maquette, présentée à la mairie, montre une structure moderne accolée à l'ancien clocher. Mais, conscient de la qualité de l'église, l'État a réagi : une instance de classement a été entamée, gelant toute démolition pendant un an."Le maire nous menace maintenant d'un procès", dit à l'AFP la chef du patrimoine au ministère de la Culture, Isabelle Maréchal. L'État fait néanmoins valoir qu'il ne peut tout classer. Il y a en France 45 000 églises paroissiales, dont 35 % bâties au XIXe siècle, dans leur immense majorité non classées. "Des maires tirent à tort la conclusion qu'ils peuvent démolir", explique Isabelle Maréchal. Or, depuis la loi de séparation de l'Église et de l'État, en 1905, l'entretien des bâtiments revient aux communes. 
    Ces dernières soulignent qu'elles n'en ont parfois plus les moyens et que seulement 4,5 % des Français vont à l'église le dimanche, la pratique religieuse étant en forte baisse en France depuis les années 1970. De leur côté, les évêques veulent éviter tout affrontement. "Ils ferment les yeux sur le patrimoine pour acheter une forme de paix sociale", dit à l'AFP Maxime Cumenel, de l'Observatoire du patrimoine religieux. 
    Le Maine-et-Loire en première ligne 
    L'évêque d'Angers, Mgr Emmanuel Delmas, est l'un des plus décriés : son diocèse, où Saint-Aubin-du-Pavoil (1864) et Saint-Pierre-aux-Liens de Gesté (1862) viennent d'être détruites, est le plus touché par la vague des démolitions. 
    Mais le phénomène concerne toute la France : viennent d'être démolies les églises de Saint-Blaise-du-Breuil (Allier), en Auvergne, Saint-Pie-X dans l'Hérault, Saint-Jacques-d'Abbeville (Somme) en Picardie. Également menacées, les églises de Plounérin (Côtes-d'Armor), en Bretagne, et Lumbres (Pas-de-Calais) ont été sauvées. À Arc-Sur-Tille (Côte d'Or), en Bourgogne, le maire a perdu les élections à cause de son projet de démolition. 
    "Un village dont l'église a été détruite est défiguré" 
    C'est l'image d'Épinal des villages français qui est menacée, selon les défenseurs du patrimoine. "Un village dont l'église a été détruite est défiguré", estime Jean-Louis Hannebert, de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France. Une image tellement symbolique de la France profonde que François Mitterrand, au grand dam de certains laïcs, l'avait choisie pour illustrer son slogan victorieux de 1981, "La force tranquille". 
    Pour les protéger, "l'outil le plus adapté est l'Aire de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP)", précise Isabelle Maréchal. C'est aux régions et aux communes de mettre en œuvre cette protection, souligne-t-elle. 
    De la petite route qui mène à Saint-Aubin-du Pavoil, on voyait apparaître le fier clocher du village. Il a été, en janvier, le premier à tomber. Rasé comme à la Révolution, lorsque cette ville fut punie pour avoir hissé le drapeau blanc de la royauté. "Ça fait un vide considérable", déplore Michel de Vitton, 69 ans, dont l'épouse avait pris la tête de l'association de sauvegarde. À la place de l'autel, on peut voir un minuscule espace derrière une baie vitrée, sous un toit en zinc : Il tient désormais lieu d'église. 

  • Un jour, un texte ! La guerre, la volonté par Alain DECAUX (9)

    « La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. » Georges Bernanos, La France contre les robots.

    Notre premier ministre a déclaré que la France est en guerre. Mais l'ennemi est chez nous, au sein même de la population française. Il ne s'agit plus d'envoyer des professionnels, formés et aguerris combattre loin de nos terres, mais de se battre contre un ennemi sournois et impitoyable, qui use pour ses attaques de toutes nos libertés et des droits des citoyens français. Avant de faire une telle déclaration, encore eût-il fallu cultiver au sein du peuple français les valeurs qui font la force morale des nations. Cette nouvelle rubrique a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, aujourd'hui : la guerre, la volonté par Alain DECAUX(9)

    « Sept mois plus tôt, le 22 novembre 1914, le capitaine Bernard-Thierry, commandant l'Ecole des pilotes à l'aérodrome de Pont-Long, près de Pau, a vu entrer dans son bureau un monsieur de grande allure, arborant une moustache agressive et escorté d'un adolescent blafard, transparent à force de maigreur. Le monsieur s'est présenté comme étant Paul Guynemer, « ancien officier ». Bernard-Thierry a tout de suite senti que, derrière lui, il y avait « beaucoup d'argent et quelques châteaux ». Déjà le père s'explique. Poli, correct, mais sachant ce qu'il veut, il expose que son fils – le gringalet n'ouvre pas la bouche – a fait de bonnes études à Stanislas, qu'il a préparé Polytechnique mais que sa santé délicate l'a empêché d'y entrer.

    Le capitaine se demande où ce M. Guynemer veut en venir. Il a autre chose à faire que d'écouter des confidences sur les études secondaires d'un fils souffreteux. Tout se résume en peu de mots : ce fils veut se battre. Au premier jour de la guerre il a déclaré à son père : je m'engage. Le père a répondu : je t'envie. Ils étaient comme ça, les grands bourgeois de 14. Ce dialogue s'est échangé à Biarritz où les médecins avaient expédié la famille Guynemer pour le bien du petit Georges, affirmant que l'air du pays basque était propre à redonner la santé à ceux qui n'en avaient pas.

    En regardant Georges Guynemer, le capitaine Bernard-Thierry ne peut s'empêcher de penser que ces médecins étaient des ânes. La santé, il est sûr que ce gosse n'en aura jamais. C'est d'ailleurs ce qu'ont estimé les majors du centre de recrutement de Bayonne. On a pesé Georges : un peu plus de 40 kilos pour 1 m 70. On a tâté ses muscles : inexistants. Comment marcherait-il quarante kilomètres par jour ? Comment porterait-il le sac et le fusil ? Ajourné pour faiblesse de constitution.

    M. Guynemer parle toujours : son fils a pris cela comme une insulte. Il ne s'en est pas remis. Une lourde erreur du service de santé, assure le père avec force. Le petit est beaucoup plus robuste qu'il n'y paraît. Il est de première force au fleuret comme à l'épée et bon joueur de tennis. Depuis son plus jeune âge, il rêve d'aviation. Il a même reçu le baptême de l'air. Il ne quitte pas la plage de Biarritz d'où s'envolent tant d'aviateurs. C'est l'un d'eux, d'ailleurs, qui lui a conseillé d'aller à Pau pour y rencontrer le capitaine Bernard-Thierry.

    L'officier enveloppe dans le même regard ce père loquace et ce fils muet. Quand M. Guynemer lui demande d'accorder à son fils l'honneur de s'engager en qualité d'élève pilote, il répond par une fin de non-recevoir : ce n'est pas à lui de désigner les élèves pilotes. Ceux-ci sont obligatoirement choisis par le ministère la Guerre parmi les hommes de troupe qui ont achevé leurs classes. Que ce jeune homme fasse ses classes et l'on verra. Pour la première fois, le père abandonne sa superbe. Tristement, il confie que son fils s'est présenté dans cinq ou six bureaux de recrutement et que partout il a été refusé.

    Rien à faire, conclut le capitaine Bernard-Thierry. Il se lève pour signifier à ses visiteurs que l'entretien est terminé : « Or, ayant accompagné ces messieurs jusqu'à la porte de l'école, je m'aperçus que Georges Guynemer pleurait. » Touché, le capitaine. Il faut dire que, le 22 novembre 1914, on a vraiment besoin de toutes les énergies. Certes Joffre vient de gagner la bataille de la Marne, mais le haut commandement n'en réclame que davantage de recrues. Des hommes, des hommes et encore des hommes ! Et soudain, devant Bernard-Thierry, un adolescent pleure parce qu'on ne veut pas de lui pour se battre.

    Le capitaine a regagné son bureau, il s'est plongé dans ses papiers et puis, brusquement, il s'est levé pour appeler son planton :

    -  Saute sur ton vélo, va me chercher les deux messieurs qui sortent d'ici. Ramène-les moi !

    L'ennui, c'est que le père du gosse est venu avec son automobile et son chauffeur. Le planton les a quand même rattrapés. Les voici de retour dans le bureau. Du coup, il ne pleure plus, le garçon. Il observe le capitaine avec une attention extrême. On dirait qu'il le transperce du regard. Un quart d'heure plus tôt, Bernard-Thierry ne voyait en lui qu'une mauviette. Maintenant, il ressent l'impression d'être confronté à de l'énergie à l'état pur. Il s'étonnerait moins s'il savait qu'un jour, à Stanislas, le même garçon, qualifié de plus petit de la classe, a giflé un professeur !

    -  Avez-vous des notions de mécanique ? demande le capitaine.

    Le père répond : c'est bien simple, son fils sait tout faire. Tant de détermination achève de convaincre Bernard-Thierry. Il propose d'engager le garçon, pour la durée de la guerre, « au titre du service auxiliaire comme élève mécanicien d'avion ». Ensuite ? A chaque jour suffit sa peine ! Le bureau de recrutement n'a le droit de recruter que des spécialistes ? Pendant qu'il y est, le capitaine signe, à l'intention de cet invraisemblable « client », un certificat d'aptitude professionnelle. Plus tard, il jurera que ce fut là le seul faux de sa vie. Nous le croyons sur parole. Comme Georges Guynemer n'a pas vingt ans, son père a signé de son côté pour son fils une autorisation d'engagement. »

    Alain DECAUX

    Extrait de : « C'était le XXème siècle »,

    Le regard de Guynemer

    Lois Spalwer http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • La chute de l'Empire romain, un signe pour notre temps

    Michel De Jaeghere est interrogé dans Présent sur son ouvrage Les Derniers Jours, concernant la chute de l'Empire romain. Extrait :

    "L’histoire de la fin de l’Empire romain d’Occident est celle de la dislocation d’un empire multinational sous le double effet de l’immigration et des invasions, non pas parce que cet Empire aurait eu à faire face à des foules innombrables (les nouveaux venus n’ont sans doute pas été plus de deux millions, qu’il s’agisse d’immigrés ou d’envahisseurs, dans un empire qui comptait environ 50 millions d’habitants au Ve siècle), mais parce qu’il fut conduit à renoncer, dans l’urgence, au processus de romanisation qui lui avait permis, jusqu’alors, de faire vivre ensemble des peuples d’origines très diverses (il comptait des Calédoniens et des Syriens, des Ibères, des Belges et des Egyptiens !) en leur imposant le moule de la vie civique (par la constitution de cités, dotées de leur territoire, d’une capitale construite à l’imitation de Rome, d’institutions au sein desquelles leurs élites étaient appelées à renoncer à la loi du plus fort pour rechercher le bien commun par la discussion rationnelle), en diffusant ses mœurs, ses beaux-arts, son architecture parmi leurs élites, et en favorisant par un réseau d’écoles municipales l’apprentissage de la langue latine et l’étude de la littérature classique. Il eut la faiblesse de laisser les immigrants s’installer sur son sol en préservant leurs structures et leurs solidarités tribales, et finit même par leur confier la défense de ses frontières contre d’éventuels nouveaux arrivants. Il ne fut pas vaincu par une civilisation concurrente, par des ennemis venus sur son sol avec l’intention de le détruire, mais par des nomades dont il avait renoncé à faire la conquête (parce que celle-ci eût été trop coûteuse et trop difficile, qu’elle aurait demandé trop d’efforts sans rapporter suffisamment de butin), aimantés par le désir de jouir, par le pillage de ses productions, et admis à constituer, sur son sol, des enclaves étrangères qui se muèrent peu à peu en royaumes indépendants.

    Son histoire est celle d’un empire qui avait renoncé à la colonisation pour profiter pleinement des fruits de la paix, en s’imaginant pouvoir laisser à sa périphérie, dans la misère et l’anarchie, des peuples auxquels il avait fait miroiter les fruits de la civilisation sans songer qu’ils seraient irrésistiblement conduits à franchir ses frontières pour s’emparer des biens dont on leur avait donné le désir sans leur imposer les disciplines qui avaient permis de les produire. Sa chute se traduisit par sa ruine, comme par celle des pays d’origine des immigrants, qui cessèrent de profiter des échanges dont ils bénéficiaient, avant son effondrement, de la part du monde romain. Il me semble qu’il y a là, pour nos contemporains, de quoi nourrir la méditation."

    Michel Janva

  • La réalisatrice du film L’Apôtre au commissariat

    Cheyenne-Marie Carron explique à Aleteia :

    "Durant vingt secondes de mon film, on voit, à l’arrière-plan d’une scène, le haut d’une maison. Rien ne permet d’identifier ce bâtiment, maissa propriétaire m’a appelée au téléphone pour se plaindre de ce que je lui faisais courir le risque d’attentats terroristes. Elle hurlait, et m’a réclamé un dédommagement financier.J’ai répliqué en publiant cette histoire sur ma page Facebook : « A la scène de fin de mon film L'Apôtre, j'ai filmé les deux personnages principaux… et le bout d'une maison en arrière-plan. Il n'y avait pas de feuillages sur les arbres, car c'était l'hiver. La propriétaire de cette maison, Madame X, vient de m'appeler en me menaçant de m'envoyer son avocat, et elle me demande de l'argent.... »

    Et c’est ce post qui vous a valu votre convocation ?

    Oui, une semaine après le dépôt de plainte de cette dame, j’ai reçu une lettre m’enjoignant de me rendre au commissariat. Je suis extrêmement surprise de voir avec quelle rapidité les policiers ont répondu à cette demande. Je connais des exemples de plaintes déposées pour des cas bien plus graves qui finissent en simple « mains courantes ». Là, il s’agit d’une femme manifestement persuadée que, parce qu’elle est de confession juive, elle est la cible de toutes les persécutions. Les forces de police ne lui rendent certainement pas service en rentrant dans son jeu, en cautionnant sa paranoïa !

    [...] J’aurais aimé que cette dame soit fière de voir sa maison apparaître sur une scène comme celle-ci. Au lieu de ça, je me suis retrouvée à cause d’elle photographiée de face et de profil, comme les criminels, puis auditionnée pendant trois heures. Une consolation tout de même : les policiers m’ont dit qu’ils regarderaient mon film après l’audition."

    Michel Janva

  • La Mafia rouge : la disparition de l’or bolchévique

    En 1917, au lendemain de la révolution russe, les bolchéviques se sont emparés des énormes réserves d’or du pays alors que la Russie, ravagée par la guerre et la famine, comptait sur l’exportation de son or pour éviter la catastrophe. L’Estonie est au centre des opérations de blanchiment d’or et d’achat de biens étrangers par le biais de banquiers, en Suède ou en Allemagne. Une fois cette machine bien huilée, il n’y aura presque plus de limites à ce qu’ils pourront acheter à l’étranger pour récompenser les « amis » de la révolution. 

     


    La mafia rouge : La disparition de l'or… par stranglerman

    http://fortune.fdesouche.com/

  • Les valeurs républicaines, le mythe et la réalité

    François-Georges Dreyfus, historien, chercheur et universitaire (1928 – 2011).

    ♦ L’évocation des valeurs républicaines est le pont aux ânes des discours politiques, et souvent le meilleur moyen d’imposer le politiquement correct à coups d’interdits.

    Mais il ne s’agit que d’une construction idéologique artificielle imposée à coups d’ukases médiatiques et au mépris de toute réalité historique. C’est l’inculture au service de la propagande. Car qu’en a-t-il été dans la réalité historique ? Evoquer les valeurs républicaines c’est renvoyer à l’histoire des quatre premières Républiques : une histoire que François-Georges Dreyfus, aujourd’hui disparu, a revisitée avec clarté et brio dans le numéro de printemps 2010 de la Revue universelle (7 rue Constance, 75018 Paris). Plutôt que le bégaiement incantatoire l’histoire devrait nourrir la réflexion des politiques.
    Polémia

    Les valeurs républicaines, le mythe et la réalité.

    A tout bout de champ, on ne cesse de mettre en avant les valeurs républicaines. Qu’est-ce à dire ? Honorer les valeurs républicaines, c’est évidemment honorer les républiques qui ont précédé la Ve. Se rend-on compte que cela signifie mettre à l’honneur les Ire, IIe, IIIe et IVe Républiques. Il n’est pas sûr que les défenseurs des valeurs républicaines aient songé à cela. La Ire République, 1792-1799, c’est la Convention et le Directoire, c’est-à-dire, d’abord, un régime totalitaire et génocidaire, puis, avec le Directoire, un régime aux coups d’Etat successifs, où règnent désordre, corruption et impuissance. Bonaparte y mettra fin avec le Consulat.

    La IIe République : une République sans républicains.

    La IIe République est une République sans républicains, puisque les élections de 1848 donneront la majorité aux monarchistes et que le peuple français, au suffrage universel, élira président de la République Louis Napoléon Bonaparte. Certes, ladite République dont la Constitution est rédigée « en présence de Dieu et au nom du peuple français », proclame pour principes « la liberté, la fraternité et l’égalité » ; mais elle a pour base « la famille, la propriété et l’ordre public », lesquels – soit dit en passant – ont largement inspiré la doctrine du régime de Vichy. De toute manière, les Français, au milieu du XIXe siècle, sont si peu républicains que le régime est renversé par le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Je ne pense donc pas que ce soit à la IIe République que songe la gauche aujourd’hui quand elle vante les « valeurs républicaines » – même si Victor Hugo l’a glorifiée, après coup ! Restent les IIIe et la IVe Républiques. Sont-elles sources des « valeurs républicaines » ? Examinons la question.

    La IIIe République, école laïque et ascenseur social républicain.

    La IIIe République, dans la mémoire française, c’est l’Age d’or. Est-ce si vrai ? On met à l’honneur de cette République d’avoir renforcé la liberté politique. C’est assez exact, mais il faut quand même nuancer. Accepterait-on aujourd’hui qu’un ministre mute dans un arrondissement voisin un instituteur qui le gêne ? C’est ce que fit Louis Barthou dans les Basses-Pyrénées. Surtout, sous la IIIe République, l’essor de l’anticléricalisme fait de l’intolérance un des éléments clés de la politique républicaine. Cet anticléricalisme conduit à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce qui n’est pas aussi scandaleux qu’on le dit. La loi de 1905 libère l’Eglise. Gambetta, homme politique intelligent, était hostile à cette séparation ; l’Etat concordataire intervenait dans la nomination des évêques – prêtant parfois une oreille attentive aux suggestions du Grand Orient de France ! Mais la laïcité républicaine n’est pas « laïque » ; elle est véritablement « laïciste ». A titre de saine comparaison, voyez comment le canton de Genève, un des rares cantons suisses où les Eglises sont séparées de l’Etat, gère les problèmes religieux. L’anticléricalisme laïciste français, soutenu d’ailleurs par les milieux réformés, entraînera une intolérance généralisée qui perdure dans certains milieux aujourd’hui. De cet anticléricalisme va naître, il est vrai, une politique scolaire de grande qualité. Jules Ferry, un des très grands ministres de la IIIe République, mit en place un régime éducatif qui durera jusqu’en 1962. L’école laïque, gratuite et obligatoire ne sera pas aussi laïciste qu’on a bien voulu le dire. C’est grâce à cette politique que va naître l’ascenseur social républicain, permettant aux fils d’ouvriers ou de paysans de sortir de leur condition et d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat ou de l’économie. Il est vrai que le système n’était pas égalitariste, comme il l’est aujourd’hui. Les bourses étaient attribuées, à condition sociale égale, à ceux qui les méritaient, par leur travail et leurs résultats. C’était peut-être élitiste, mais c’était efficace.

    La IIIe République, une république jacobine.

    La IIIe République est le modèle d’une république jacobine : elle rejettera, de 1875 à 1940, toute politique de décentralisation que défendait, depuis 1850, la droite monarchiste ou libérale. Si l’on regarde les manuels d’histoire d’avant 1980, il est fait gloire à la IIIe République de sa politique coloniale. Il n’était point question alors de repentance. A l’actif de la IIIeRépublique, l’intégration dans l’ensemble français de la Tunisie et du Maroc, de la plus grande partie de l’AOF sauf le Sénégal, de la plus grande partie de l’AEF sauf le Gabon, de Madagascar, du Cambodge, du Laos, de l’Annam et du Tonkin, territoires pour lesquels la Chine reconnut notre souveraineté par le Traité de Tianjin en 1885. Il est vrai, d’ailleurs, que la colonisation française, si elle fut généralement fort humaine, était fondée sur les principes définis par Jules Ferry. Pour lui, « les colonies sont le moyen de permettre l’accès à la civilisation de peuples étrangers à nos valeurs ». Pour lui encore « les colonies sont le moyen de placement des capitaux le plus avantageux… La fondation d’une colonie, c’est la fondation d’un débouché ». Malheureusement, la colonisation française ne fut guère efficace. Les investissements furent limités, et les infrastructures (routes et voies ferrées) de médiocre qualité. Au reste, en 1914 comme en 1938, le total des voies ferrées construites en AOF et en AEF représente un kilométrage plus faible que celui du seul Nigeria. Si la politique marocaine de Lyautey et de ses successeurs fut un grand succès, ce fut assez largement le cas en Indochine aussi et en Algérie. En Indochine, il faudrait souligner les efforts considérables faits (entre 1940 et 1945) par l’amiral Jean Decoux. En Algérie, le gouvernement de la République ne saura pas favoriser l’essor de l’agriculture et n’aura pas le courage de résister tant aux mollahs qu’aux colons, et n’instituera pas l’enseignement laïc et obligatoire que prévoyaient les lois Ferry. De surcroît l’anticléricalisme gouvernemental freina les efforts d’évangélisation des Pères Blancs, notamment en Kabylie.

    La IIIe République, malthusianisme démographique et sous-industrialisation.

    Peut-être faut-il mettre tout cela sur le compte du malthusianisme démographique, économique et social et le considérer comme une « valeur républicaine » ? De 1870 à 1913, la population française passa de 39 à 41 millions d’âmes, quand le Reich allemand passait pour sa part de 39 à 62 millions. Même constat peut être dressé pour la production industrielle : tandis que celle de l’Allemagne a quintuplé, la nôtre n’a fait que doubler. Rejetant la politique économique libérale de Napoléon III, les gouvernements ont eu une attitude frileuse devant l’économie qui aboutira à la loi douanière de Méline, de 1892. La France préfère exporter son fer plutôt que de faire de l’acier, avec un résultat extraordinaire : en 1913, elle exporte quatre fois moins de produits industriels vers son allié russe que le Reich allemand !

    La Grande Guerre entraînera un renouveau d’industrialisation en France. Essor de l’industrie de l’aviation, de l’automobile, de l’industrie chimique ; cet essor sera sans lendemain. Dès la fin des années 1920, l’industrie aéronautique française, la première en 1918, perd du terrain : en 1930, elle est dépassée par les industries allemande, italienne, anglo-saxonne et même japonaise. En 1938, la production industrielle française, malgré le retour de l’Alsace et de la Lorraine, est plus faible qu’en 1913. Il est vrai que durant cette période la France a mal géré ses énormes capitaux. C’est ainsi qu’elle refuse de s’intéresser au canal de Panama (inauguré en 1914). Tout cela s’explique par le goût du « petit » mis en avant par Gambetta (mort pourtant en 1882) et qui caractérise la pensée économique de la France républicaine. En 1940, aucune entreprise française n’est comparable à Krupp, à IG-Farben, à la General Electric, à Dupont-De-Nemours ou à Ford. Il est significatif qu’à la veille de la Seconde guerre mondiale, aucun fabricant de téléphone n’est français : tous sont filiales de Siemens, Eriksson ou ATT. La France est un pays sous-industrialisé, et c’est en 1940 la raison de sa défaite ; car il lui a été impossible de mettre en place, entre 1935 et 1940, une industrie d’armement digne de ce nom, les nationalisations de 1936 n’ayant, bien sûr, rien réglé. Au reste, le 31 décembre 1939 la France possède 12 kilomètres d’autoroute, quand, de 1933 à 1939, le Reich en a construit près de 2.000 !

    En cette France sous-industrialisée, on peut penser que l’agriculture est de qualité. Au recensement de 1936, 53% des Français vivent dans des communes de moins de 2.000 habitants ; les paysans sont le premier groupe professionnel – soit 39% de la population active. Mais, comme le souligne dans les années 1930 le syndicaliste agricole Jacques Le Roy Ladurie, le monde agricole est marginalisé par rapport au monde urbain. Sans doute parce qu’ils sont jugés « réactionnaires », les milieux ruraux sont dédaignés par la République. La meilleure preuve en est l’absence de tout enseignement rural professionnel public. Certes, il existe, à côté de l’Institut agronomique (« l’Agro »), quatre écoles supérieures d’agriculture, mais l’Etat n’a créé aucun collège agricole au profit des fils d’exploitants. Le monde catholique seul s’intéresse à ces problèmes. Conséquence ? Les résultats obtenus par l’agriculture française sont médiocres ; les rendements sont faibles. En 1870, le rendement moyen en blé à l’hectare est le même (12 quintaux) en France et dans le Zollverein. En 1914, les rendements français et allemand sont respectivement de 14 et 17 quintaux. En 1939, pour la période 1935-1939, ils sont de 19 pour le Reich et de 15 pour la France. Il en va de même pour nos vaches laitières dont le rendement est de 30% inférieur à ce qu’il est en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark. Au Danemark on sent l’influence des communautés religieuses qui derrière le pasteur Grundtvik insistaient sur une formation agricole concomitante de la formation religieuse. En France, l’Eglise catholique persécutée par la République ne put jamais atteindre à telle influence. Pourtant, seule, elle met en place un début d’enseignement agricole et crée trois écoles supérieures d’agriculture de grande qualité.

    Le désastre de quarante, une illustration des fausses valeurs de la République.

    Il est vrai que le système républicain se fonde sur un fonctionnement aberrant des institutions. Pourtant les textes constitutionnels de 1875 donnent à la France une des meilleures constitutions qu’elle ait eues : un président de la République qui a la plénitude du pouvoir exécutif, nomme et révoque les ministres et ne connaît pas de « président du Conseil ». Les chambres siègent quelques mois par an et, pour éviter la démagogie, un quart des sénateurs est inamovible. Ce beau système ne fonctionnera jamais, en sorte que de 1870 à 1914, la France aura soixante gouvernements, puis quarante-deux de 1920 à 1940. Nous sommes loin d’un régime parlementaire à l’anglaise. Il est vrai que le scrutin à deux tours est aussi pernicieux que la représentation proportionnelle, avec les mêmes effets. On le voit, il est difficile de dégager des « valeurs républicaines » à partir de l’évolution de la IIIe République. Il y eut, certes, de grands principes, sitôt foulés au pied que proclamés, ou tout simplement oubliés par les « vedettes » républicaines, à quelques rares exceptions près. Cette instabilité ministérielle entraîne l’absence de toute politique extérieure solide. Le « grand ministère » Gambetta (73 jours, du 14 novembre 1881 au 26 janvier 1882) en est la meilleure preuve : il échoue sur la mise en place d’un condominium franco-anglais sur l’Egypte en raison de l’opposition des chambres. Naturellement, le président de la République aurait pu jouer un rôle, mais Jules Grévy était hostile à Gambetta ; il laissa faire le Parlement ! Le désastre de 1940 est l’illustration tragique de toutes les fausses valeurs de la République. Les politiques (les politiciens ?) des années 1930 sont presque tous « antifascistes », mais peu d’entre eux comprennent que pour lutter contre le Troisième Reich il faut réarmer, se trouver des alliés solides. Au nom des grands principes, on refuse l’alliance, préparée par Pierre Laval, contre le régime hitlérien avec l’Italie de Mussolini, alors demandeur. On est profondément attaché à l’alliance anglaise, puisque l’Angleterre est une grande démocratie ; mais on oublie complètement que depuis le 11 novembre 1918, à 11 heures 01, l’Entente cordiale a fait place à la mésentente cordiale. De 1918 à mars 1939, personne n’a compris que l’Angleterre était notre adversaire en Europe. Chaque fois qu’elle aurait pu nous soutenir, elle s’est opposée à nous, ayant trop peur d’une hypothétique prépondérance française en Europe centrale. Elle interdit toute réaction à la remilitarisation du Reich, en 1935, à la réoccupation de la Rhénanie, à l’Anschluss de 1938 et se refuse à soutenir la Tchécoslovaquie au moment de Munich. A Paris, les efforts d’autonomie militaire de certains politiques sont d’ailleurs rejetés par un Parlement essentiellement pacifiste. Jusqu’en 1937, le budget de la défense française est largement inférieur à ses besoins. La Chambre refuse, en 1934 et 1935, la mise en place de divisions blindées, car elle attache une importance excessive à la Ligne Maginot. Pour comprendre cet état d’esprit et la situation qui s’ensuit, il suffit de relire le compte rendu des débats à la Chambre des députés de 1935. Reproche y est fait, à juste titre, des négligences et des erreurs de l’état-major général, mais quand, en 1938, le général Gamelin réclame la création de quatre divisions cuirassées d’active, le président (du Conseil) Daladier n’accepte que la formation de divisions de réserve qui ne seront mises en œuvre qu’en cas de déclaration de guerre. En mai 1940, ces divisions étaient en cours de formation ; elles ne pourront tenir le rôle que l’on attendait d’elles. Autre question, mais de même essence, la non-militarisation de l’Afrique du Nord, si intelligemment combattue par Georges Mandel, ministre des Colonies en 1938-1940. Pas un mot n’en est dit lorsque l’on débat de l’armistice, en 1940…

    En définitive la IIIe République, par son action, ne saurait avoir été source de ce que l’on appelle aujourd’hui les « valeurs républicaines ». On le voit dans les événements européens ; c’est particulièrement sensible en matière sociale. Dès 1870, les milieux catholiques ont eu conscience des difficultés du prolétariat. Ils sont alors les seuls à avoir une pensée sociale, mais leurs propositions de loi sont systématiquement refusées par une Chambre anticléricale. La IIIe République, ce sont « les couches moyennes au pouvoir » (Gambetta). Or, elles ont des visions socio-économiques étriquées, sont très largement adeptes de ce que Jean Touchard appelait « le goût du petit »; leurs visions socio-économiques sont étriquées et elles ne nourrissent guère de considération pour leur personnel. Peu à peu, syndicats et partis socialistes se marxisent et voient la solution de leurs problèmes dans la lutte des classes, fondement de la charte d’Amiens de 1906. A l’époque même où, en Allemagne, dans les pays scandinaves, se développe un mouvement socialiste « révisionniste », se constitue en France un socialisme marxiste et internationaliste, au point que, lorsque le germaniste Charles Andler informe Jaurès de la montée du nationalisme dans la gauche allemande, il est exclu de la SFIO (1912) ! Ainsi la IIIe République sera-t-elle le dernier Etat de l’Europe occidentale à se doter d’une vraie politique de protection sociale. On a souvent dit que la IIIe République a été un âge d’or ; tout au plus peut-on dire qu’elle a été un régime trop aimé ! Au reste il suffit de regarder le Code pénal de 1938 pour se rendre compte qu’il y a une distance profonde entre les valeurs de la IIIe République et ce que l’on appelle aujourd’hui les « valeurs républicaines ». Des textes terribles sont promulgués par Daladier, en 1938, qui prévoient la mise en place de véritables camps de concentration pour les étrangers en situation irrégulière. Citons pour mémoire les camps des Milles, de Rivesaltes ou de Gurs. La loi du 10 août 1932 « protégeant la main-d’œuvre nationale » est préparée par Edouard Herriot et Albert Sarraut sur la proposition de… la CGT. Tous les textes depuis la loi de 1893 spécifient que tout étranger en situation irrégulière doit être immédiatement reconduit à la frontière. La mendicité est interdite, et la situation des femmes fait d’elles des citoyennes de seconde zone.

    On comprend en conséquence qu’après le désastre de 1940 les chambres réunies à Vichy, se sentant responsables, aient appelé à une profonde transformation de la vie politique française. La IIIe République laisse donc la place au régime de Vichy, régime décrié, mais où commence un renouveau de certaines valeurs mises en avant en 1848 et développées dans les années 1930 par ceux que l’on a appelés les « non-conformistes des années Trente »; et c’est à Uriage, sous la direction de Pierre Dunoyer de Segonzac, que se mettra en place une pensée politique dont personne n’ose rappeler qu’elle inspirera autant Vichy que la Résistance, et donnera ses marques au mouvement gaulliste. Choquons-nous, en soulignant les liens existant entre Révolution Nationale et valeurs de la IVe République ? Pourtant, la IVe République se construit sur la pensée de la Résistance fondée, comme la Révolution Nationale, sur les idées développées par Plan, de Philippe Lamour, Esprit, d’Emmanuel Mounier, ou Ordre Nouveau, qui rassemble Arnaud Dandieu, Alexandre Marc, Robert Aron, Daniel-Rops, Jean Jardin et Denis de Rougemont, pour ne citer que les plus fameux. Certes, il y a le poids des communistes et la volonté des socialistes de ne leur faire aucune peine, mais l’influence de la pensée résistante est essentielle. Si la première constitution de la IVe République est marxiste (ce qui explique son rejet en avril 1946), la Constitution adoptée en novembre suivant avait des qualités que l’on ne peut oublier. Malheureusement, elle ne sera jamais appliquée à la lettre, détournée qu’elle fut dès le départ par le comportement du président Ramadier qui instituera une double investiture, non prévue par les textes. Si le président de la République est condamné à inaugurer les chrysanthèmes, des pouvoirs considérables sont conférés au président du Conseil ! Or, ces pouvoirs font peur aux premiers présidents du Conseil – des socialistes qui refusent d’en user. Très significative de cette peur, la manière dont sera appliqué le Titre VIII de la Constitution sur l’Union française. Ce Titre prévoit des « territoires associés », à côté des DOM et des TOM, et les ministres qui en ont la charge sont souvent socialistes ou MRP. Il ne leur viendra pas à l’idée de proposer immédiatement (dès 1947) au Maroc, à la Tunisie, aux Etats indochinois le statut d’Etat associé. Il faudra trois ans pour qu’on y songe ; il sera trop tard. Les gauches demandent aujourd’hui à la France de faire repentance de sa politique coloniale. Doit-on rappeler que de janvier 1946 à la fin 1948, les ministres de l’outre-mer sont tous socialistes ? Le seul Marius Moutet en occupe le ministère dans les gouvernements Félix Gouin (du 26 janvier au 24 juin 1946), Georges Bidault (du 24 juin au 16 décembre 1946), Léon Blum (du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947) et Paul Ramadier (du 22 janvier au 22 octobre 1947). La Guerre d’Indochine a débuté, Léon Blum étant président du gouvernement provisoire de la République. De même faudra-t-il attendre la loi Defferre (largement préparée par Pierre Messmer), de 1956, pour qu’une grande autonomie soit accordée aux territoires d’outre-mer. Au reste, la Guerre d’Algérie, jusqu’en 1958, est gérée par la gauche, de Pierre Mendès-France à Guy Mollet, en passant par François Mitterrand. Les grandes proclamations de la gauche actuelle ne changent malheureusement rien à ces faits !

    La IVe République une vraie réussite économique due aux technocrates.

    La IVe République a connu, à bien des égards, une vraie réussite économique. C’est l’aspect positif de l’instabilité ministérielle qui avait le gros avantage de laisser à des technocrates de haute qualité le soin de reconstruire la France et de l’industrialiser. A ma connaissance, il n’y eut jamais de débat à l’Assemblée nationale sur la politique nucléaire de notre pays. Or, elle débuta dès la fin des années 1940 ! La IVRépublique conserve encore un sens certain de la Nation, qui conduira, par exemple, au rejet de la CED. Et il convient de se souvenir que PCF et RPF n’avaient pas ensemble la majorité absolue et que ce sont radicaux et droite modérée à qui le pays doit cet échec ! En fait, tout au long de ces années, le sentiment national est maintenu, même à gauche, par une bonne partie de la classe politique. Il ne s’agit pas de faire l’éloge de la IVe dont les défauts sont patents, mais de rappeler que quelques actions peuvent être portées à son crédit, du fait, c’est vrai d’une administration de qualité et non de ministres qui – la plupart du temps – ne « règnent » que six mois. En ce temps, les valeurs de travail, d’effort sont à l’ordre du jour, comme le sens de la hiérarchie. Au crédit aussi de la IVe République, il faut placer la politique familiale : il n’est pas inintéressant de se rappeler qu’en 1970, il y a moins de 35.000 divorces chaque année, quand nous en sommes aujourd’hui à 150.000. Les valeurs familiales, au sens traditionnel du terme, sont une caractéristique de la IVe République, comme elles l’étaient d’ailleurs sous la IIIe qui punissait l’avortement avec la sévérité qu’on a dite. La IVe République, hélas ! c’est l’époque aussi où, sous l’influence du plan Langevin-Wallon, commence la déliquescence du système éducatif français qui, d’ailleurs, se révèle incapable de faire face à l’explosion scolaire…

    Travail, famille, patrie des valeurs républicaines ?

    Achevons. Si lamentables à bien des égards ont été ces régimes, ils avaient maintenu des valeurs qui ne sont pas les « valeurs républicaines » d’aujourd’hui. Travail, Famille, Patrie, ces trois termes caractérisent au fond assez bien ce que l’on peut appeler « valeurs républicaines », quoi qu’en pensent la gauche et nombre des intellectuels d’aujourd’hui. Il est vrai, comme le disait le général De Gaulle, que les principes dits de Vichy ne sont que « le prolongement normal de la devise républicaine ». C’est bien ce que pensaient les monarchistes qui, en 1848, rédigèrent la constitution de la IIe République. Au juste, les vraies valeurs nationales « modernes », républicaines ou non, se fondent sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, approuvée en août 1789 par S. M. le roi Louis XVI.

    François-Georges Dreyfus
    Revue universelle
    Printemps 2010

    http://www.polemia.com/les-valeurs-republicaines-le-mythe-et-la-realite/

  • Je hais mon époque de toutes mes forces. L’homme y meurt de soif. (Saint Exupéry)

    Antoine de Saint Exupéry : mythe absolu de l’aviateur et de l’écrivain, auteur du Petit-Prince et de nombreux romans, est mort au combat le 31 juillet 1944. La veille, il écrit au général X et s’exprime avec une lucidité exceptionnelle sur la condition de l’homme moderne. Testament avant l’heure, cette lettre, déchirante à la lumière de son destin, parle étrangement et profondément de notre temps. 
    30 juillet 1944 
    Je viens de faire quelques vols sur P. 38. C’est une belle machine. J’aurais été heureux de disposer de ce cadeau-là pour mes vingt ans. Je constate avec mélancolie qu’aujourd’hui, à quarante trois ans, après quelques six mille cinq cents heures de vol sous tous les ciels du monde, je ne puis plus trouver grand plaisir à ce jeu-là. Ce n’est plus qu’un instrument de déplacement - ici de guerre. Si je me soumets à la vitesse et à l’altitude à mon âge patriarcal pour ce métier, c’est bien plus pour ne rien refuser des emmerdements de ma génération que dans l’espoir de retrouver les satisfactions d’autrefois. 
    Ceci est peut-être mélancolique, mais peut-être bien ne l’est-ce pas. C’est sans doute quand j’avais vingt ans que je me trompais. En Octobre 1940, de retour d’Afrique du Nord où le groupe 2 - 33 avait émigré, ma voiture étant remisée exsangue dans quelque garage poussiéreux, j’ai découvert la carriole et le cheval. Par elle l’herbe des chemins. Les moutons et les oliviers. Ces oliviers avaient un autre rôle que celui de battre la mesure derrière les vitres à 130 kms à l’heure. Ils se montraient dans leur rythme vrai qui est de lentement fabriquer des olives. Les moutons n’avaient pas pour fin exclusive de faire tomber la moyenne. Ils redevenaient vivants. Ils faisaient de vraies crottes et fabriquaient de la vraie laine. Et l’herbe aussi avait un sens puisqu’ils la broutaient. 
    Et je me suis senti revivre dans ce seul coin du monde où la poussière soit parfumée (je suis injuste, elle l’est en Grèce aussi comme en Provence). Et il m’a semblé que, toute ma vie, j’avais été un imbécile... 
    Tout cela pour vous expliquer que cette existence grégaire au cœur d’une base américaine, ces repas expédiés debout en dix minutes, ce va-et-vient entre les monoplaces de 2600 chevaux dans une bâtisse abstraite où nous sommes entassés à trois par chambre, ce terrible désert humain, en un mot, n’a rien qui me caresse le cœur. Ça aussi, comme les missions sans profit ou espoir de retour de Juin 1940, c’est une maladie à passer. Je suis « malade » pour un temps inconnu. Mais je ne me reconnais pas le droit de ne pas subir cette maladie. Voilà tout. Aujourd’hui, je suis profondément triste. Je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine. Qui n’ayant connu que les bars, les mathématiques et les Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd’hui plongé dans une action strictement grégaire qui n’a plus aucune couleur. 
    On ne sait pas le remarquer. Prenez le phénomène militaire d’il y a cent ans. Considérez combien il intégrait d’efforts pour qu’il fut répondu à la vie spirituelle, poétique ou simplement humaine de l’homme. Aujourd’hui nous sommes plus desséchés que des briques, nous sourions de ces niaiseries. Les costumes, les drapeaux, les chants, la musique, les victoires (il n’est pas de victoire aujourd’hui, il n’est que des phénomènes de digestion lente ou rapide) tout lyrisme sonne ridicule et les hommes refusent d’être réveillés à une vie spirituelle quelconque. Ils font honnêtement une sorte de travail à la chaîne. Comme dit la jeunesse américaine, « nous acceptons honnêtement ce job ingrat » et la propagande, dans le monde entier, se bat les flancs avec désespoir. 
    De la tragédie grecque, l’humanité, dans sa décadence, est tombée jusqu’au théâtre de Mr Louis Verneuil (on ne peut guère aller plus loin). Siècle de publicité, du système Bedeau, des régimes totalitaires et des armées sans clairons ni drapeaux, ni messes pour les morts. Je hais mon époque de toutes mes forces. L’homme y meurt de soif. 
    Ah ! Général, il n’y a qu’un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles, faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. On ne peut vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. Rien qu’à entendre un chant villageois du 15ème siècle, on mesure la pente descendue. Il ne reste rien que la voix du robot de la propagande (pardonnez-moi). Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots. 
    Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources : les impasses du système économique du XIXème siècle et le désespoir spirituel. Pourquoi Mermoz a-t-il suivi son grand dadais de colonel sinon par soif ? Pourquoi la Russie ? Pourquoi l’Espagne ? Les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes : hors des sciences de la nature, cela ne leur a guère réussi. Il n’y a qu’un problème, un seul : redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme. Ça déborde le problème de la vie religieuse qui n’en est qu’une forme (bien que peut-être la vie de l’esprit conduise à l’autre nécessairement). Et la vie de l’esprit commence là où un être est conçu au-dessus des matériaux qui le composent. L’amour de la maison - cet amour inconnaissable aux États-Unis - est déjà de la vie de l’esprit. 
    Et la fête villageoise, et le culte des morts (je cite cela car il s’est tué depuis mon arrivée ici deux ou trois parachutistes, mais on les a escamotés : ils avaient fini de servir) . Cela c’est de l’époque, non de l’Amérique : l’homme n’a plus de sens. 
    Il faut absolument parler aux hommes. 
    A quoi servira de gagner la guerre si nous en avons pour cent ans de crise d’épilepsie révolutionnaire ? Quand la question allemande sera enfin réglée tous les problèmes véritables commenceront à se poser. Il est peu probable que la spéculation sur les stocks américains suffise au sortir de cette guerre à distraire, comme en 1919, l’humanité de ses soucis véritables. Faute d’un courant spirituel fort, il poussera, comme champignons, trente-six sectes qui se diviseront les unes les autres. Le marxisme lui-même, trop vieilli, se décomposera en une multitude de néo-marxismes contradictoires. On l’a bien observé en Espagne. A moins qu’un César français ne nous installe dans un camp de concentration pour l’éternité. 
    Ah ! quel étrange soir, ce soir, quel étrange climat. Je vois de ma chambre s’allumer les fenêtres de ces bâtisses sans visages. J’entends les postes de radio divers débiter leur musique de mirliton à ces foules désœuvrées venues d’au-delà des mers et qui ne connaissent même pas la nostalgie. 
    On peut confondre cette acceptation résignée avec l’esprit de sacrifice ou la grandeur morale. Ce serait là une belle erreur. Les liens d’amour qui nouent l’homme d’aujourd’hui aux êtres comme aux choses sont si peu tendus, si peu denses, que l’homme ne sent plus l’absence comme autrefois. C’est le mot terrible de cette histoire juive : « tu vas donc là-bas ? Comme tu seras loin » - Loin d’où ? Le « où » qu’ils ont quitté n’était plus guère qu’un vaste faisceau d’habitudes. 
    Dans cette époque de divorce, on divorce avec la même facilité d’avec les choses. Les frigidaires sont interchangeables. Et la maison aussi si elle n’est qu’un assemblage. Et la femme. Et la religion. Et le parti. On ne peut même pas être infidèle : à quoi serait-on infidèle ? Loin d’où et infidèle à quoi ? Désert de l’homme. 
    Qu’ils sont donc sages et paisibles ces hommes en groupe. Moi je songe aux marins bretons d’autrefois, qui débarquaient, lâchés sur une ville, à ces nœuds complexes d’appétits violents et de nostalgie intolérable qu’ont toujours constitués les mâles un peu trop sévèrement parqués. Il fallait toujours, pour les tenir, des gendarmes forts ou des principes forts ou des fois fortes. Mais aucun de ceux-là ne manquerait de respect à une gardeuse d’oies. L’homme d’aujourd’hui on le fait tenir tranquille, selon le milieu, avec la belote ou le bridge. Nous sommes étonnamment bien châtrés. 
    Ainsi sommes-nous enfin libres. On nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissé libres de marcher. Mais je hais cette époque où l’homme devient, sous un totalitarisme universel, bétail doux, poli et tranquille. On nous fait prendre ça pour un progrès moral ! Ce que je hais dans le marxisme, c’est le totalitarisme à quoi il conduit. L’homme y est défini comme producteur et consommateur, le problème essentiel étant celui de la distribution. Ce que je hais dans le nazisme, c’est le totalitarisme à quoi il prétend par son essence même. On fait défiler les ouvriers de la Ruhr devant un Van Gogh, un Cézanne et un chromo. Ils votent naturellement pour le chromo. Voilà la vérité du peuple ! On boucle solidement dans un camp de concentration les candidats Cézanne, les candidats Van Gogh, tous les grands non-conformistes, et l’on alimente en chromos un bétail soumis. Mais où vont les États-Unis et où allons-nous, nous aussi, à cette époque de fonctionnariat universel ? L’homme robot, l’homme termite, l’homme oscillant du travail à la chaîne système Bedeau à la belote. L’homme châtré de tout son pouvoir créateur, et qui ne sait même plus, du fond de son village, créer une danse ni une chanson. L’homme que l’on alimente en culture de confection, en culture standard comme on alimente les boeufs en foin. 
    C’est cela l’homme d’aujourd’hui. 
    Et moi je pense que, il n’y a pas trois cents ans, on pouvait écrire La Princesse de Clèves ou s’enfermer dans un couvent pour la vie à cause d’un amour perdu, tant était brûlant l’amour. Aujourd’hui bien sûr les gens se suicident, mais la souffrance de ceux-là est de l’ordre d’une rage de dents intolérable. Ce n’a point à faire avec l’amour. 
    Certes, il est une première étape. Je ne puis supporter l’idée de verser des générations d’enfants français dans le ventre du moloch allemand. La substance même est menacée, mais, quand elle sera sauvée, alors se posera le problème fondamental qui est celui de notre temps. Qui est celui du sens de l’homme et auquel il n’est point proposé de réponse, et j’ai l’impression de marcher vers les temps les plus noirs du monde. 
    Ça m’est égal d’être tué en guerre. De ce que j’ai aimé, que restera-t-il ? Autant que les êtres, je parle des coutumes, des intonations irremplaçables, d’une certaine lumière spirituelle. Du déjeuner dans la ferme provençale sous les oliviers, mais aussi de Haendel. Les choses. je m’en fous, qui subsisteront. Ce qui vaut, c’est certain arrangement des choses. La civilisation est un bien invisible puisqu’elle porte non sur les choses, mais sur les invisibles liens qui les nouent l’une à l’autre, ainsi et non autrement. Nous aurons de parfaits instruments de musique, distribués en grande série, mais où sera le musicien ? Si je suis tué en guerre, je m’en moque bien. Ou si je subis une crise de rage de ces sortes de torpilles volantes qui n’ont plus rien à voir avec le vol et font du pilote parmi ses boutons et ses cadrans une sorte de chef comptable (le vol aussi c’est un certain ordre de liens). 
    Mais si je rentre vivant de ce « job nécessaire et ingrat », il ne se posera pour moi qu’un problème : que peut-on, que faut-il dire aux hommes ?