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culture et histoire - Page 1417

  • Un jour un texte ! La guerre, le Commandement par le Général de LA PORTE du THEIL (7)

    « La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. » Georges Bernanos, La France contre les robots.

    Notre premier ministre a déclaré que la France est en guerre. Mais l'ennemi est chez nous, au sein même de la population française. Il ne s'agit plus d'envoyer des professionnels, formés et aguerris combattre loin de nos terres, mais de se battre contre un ennemi sournois et impitoyable, qui use pour ses attaques de toutes nos libertés et des droits des citoyens français. Avant de faire une telle déclaration, encore eût-il fallu cultiver au sein du peuple français les valeurs qui font la force morale des nations. Cette nouvelle rubrique a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, aujourd'hui : la guerre, le Commandement par leGénéral de La Porte du Theil (7)

    « La discipline dans les chantiers a une forme particulière. Restez près de vos hommes, soyez fraternels, accueillants, compréhensifs. Mais que cela ne dégénère pas en camaraderie de mauvais aloi. Vous avez le devoir strict d'obtenir l'obéissance et le respect, d'en recevoir les marques extérieures en toute circonstance. Exigez-les sans raideur, sans jamais aucune violence ou écart de langage, comme il se doit entre Français, en excusant largement ceux qui ne savent pas, ou n'ont pas hélas ! L'habitude, mais avec fermeté et persévérance.

    Sinon, vous serez débordés. (…)

    Nous avons exigé la soumission extérieure, pour ainsi dire physique de nos garçons à la vie qui leur est imposée ; il faut maintenant obtenir leur adhésion de cœur. C'est une tâche très lourde, difficile, qui exige à la fois beaucoup de dévouement et d'abnégation, du tact, de la perspicacité, du courage et de la persévérance.

    Le seul obstacle que vous puissiez rencontrer et qu'il soit à peu près impossible de vaincre, c'est la force d'inertie totale contre laquelle se brise toute bonne volonté, mais cette force d'inertie totale est très rare chez des sujets jeunes. Beaucoup sont accessibles, émotifs, certains sont ardents, enthousiastes, d'autres se présentent à vous comme couverts d'une cuirasse qui les défend contre votre action, contre une incursion de votre part dans leur domaine privé. Mais il n'y a pas de cuirasse qui n'ait un défaut ; ce défaut, il vous appartient de le chercher, de le trouver, et après avoir touché le point faible de votre homme, de vous en servir pour son bien et celui de la collectivité.

    Premier moyen : payer d'exemple, toujours, en toutes circonstances être présent, exact, actif, vigilant.

    Deuxième moyen : être essentiellement humain, c'est-à-dire le plus près possible du cœur des Jeunes dont vous devez apprendre à connaître les réactions et pouvoir les pressentir. Soyez justes, mais sincères et vrais. Vous avez de belles et bonnes idées, pensez donc tout haut. Sachez comprendre et être fraternels. La main de fer dans un gant de velours, mais un velours de belle qualité.

    Troisième moyen : leur donner non pas le sentiment, mais la preuve palpable que leurs chefs ne sont pas là exclusivement pour les « diriger », seulement au sens hiérarchique du mot, mais pour les « diriger » et les « protéger » à la fois, veillant sur leur bien-être, leur santé, leurs besoins, leur travail et leurs distractions. Pour cela, il est indispensable que les chefs vivent beaucoup plus près de leurs hommes et s'associent à eux aux heures de détente qui sont parfois gaies, mais aussi parfois mélancoliques, étant donné les situations douloureuses dans lesquelles beaucoup se trouvent placés.

    Au début, votre présence sera une gêne, certes, mais il vous appartiendra de détendre l'atmosphère ; il faut qu'une intimité de bon aloi s'établisse entre vos Jeunes et vous, qu'ils aient confiance en vous, qu'ils soient fiers de vous, et peu à peu qu'ils s'attachent à vous. Parlez-leur et que votre conversation soit directe, percutante. Intéressez-vous à leur vie, à leurs projets, à leur famille, racontez-leur de belles choses ; il n'en manque pas dans le passé récent ou ancien de notre pays ; narrez-leur les actes de dévouement ou d'héroïsme dont vous avez entendu parler ou dont vous avez été témoin. Dites-vous que la plupart de ces garçons ont été émus à notre premier rassemblement, lorsqu'on leur a présenté les couleurs, et cette émotivité d'un caractère élevé doit être développée.

    Beaucoup d'entre vos Jeunes vous cherchent, j'en ai la preuve, ou du moins cherchent à se serrer autour d'un entraîneur, il faut qu'ils vous trouvent et que vous soyez ce guide. »

    Général de La Porte du Theil

    Extrait de : «Un an de commandement des Chantiers de Jeunesse »

    Lois Spalwer http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • Dominique Venner : « Europe et volonté »

    Méditant sur l’âme européenne dans ce qui la distingue de l’Orient proche ou lointain, Ernst Jünger a isolé comme révélatrice la libre détermination d’Alexandre tranchant l’immobilité du nœud gordien.

    Si l’Asie épouse les énergies du monde, l’Europe est tentée de s’en emparer pour les soumettre à sa volonté. L’une est associée à la force apparemment tranquille de l’eau, l’autre à celle du feu.

    En Occident, l’éthique et la philosophie n’échappent jamais à la volonté. L’une et l’autre ne sont pas seulement des chemins vers la sagesse, mais une construction de soi par l’exercice du corps, de l’âme et de l’esprit, comme dans un gymnase, ce lieu de l’éducation grecque qui a perduré jusqu’à nous malgré ses altérations.

    Il n’est donc pas surprenant que l’histoire, théâtre de la volonté, ait été une invention européenne.

    Dominique Venner,

    Histoire et tradition des Européens, 2002.

    http://la-dissidence.org/2015/01/31/dominique-venner-europe-et-volonte/

  • Un jour, un texte ! La guerre, Honneur et Fidélité par Hélie DENOIX DE SAINT MARC (6)

    « La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. » Georges Bernanos, La France contre les robots.

    Notre premier ministre a déclaré que la France est en guerre. Mais l'ennemi est chez nous, au sein même de la population française. Il ne s'agit plus d'envoyer des professionnels, formés et aguerris combattre loin de nos terres, mais de se battre contre un ennemi sournois et impitoyable, qui use pour ses attaques de toutes nos libertés et des droits des citoyens français. Avant de faire une telle déclaration, encore eût-il fallu cultiver au sein du peuple français les valeurs qui font la force morale des nations. Cette nouvelle rubrique a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, aujourd'hui : la guerre, Honneur et Fidélité par Hélie DENOIX DE SAINT MARC (6)

    Déclaration du commandant Hélie Denoix de Saint Marc

    Commandant par intérim le 1er Régiment Etranger de Parachutistes (1° R.E.P.)

    Devant le Haut tribunal Militaire, le 5 juin 1961.

    « Le lundi 5 juin en fin d'après-midi, le procureur Reliquet se rend auprès de M. Patin, président du haut tribunal militaire. Il raconte :

    « Je lui fais part de mon entretien avec Messmer, des instructions écrites que j'ai reçues et de la décision que j'ai prise. Le président Patin me demande comment je vais justifier mon attitude. Je lui réponds que j'exposerai au haut tribunal les arguments que j'ai tenté de faire valoir devant le ministre des Armées. M.Patin, gaulliste inconditionnel, me désapprouve de ne pas m'incliner devant la volonté du maître. Je lui dis que je regrette notre désaccord, mais que je ne puis me ranger à sa manière de voir. Je recherche l'équité et non à plaire au gouvernement. »

    Tendu par l'épreuve qui l'attend, devant ses juges et la presse, Saint Marc est conduit dans un camion grillagé de la prison de la Santé au Palais de Justice. Trois gardes mobiles qui ont servi en Indochine, ne sachant pas très bien comment se comporter, se mettent au garde-à-vous devant le fourgon. Par les fentes d'aération, Saint Marc tente de saisir quelques éclairs de liberté : la foule qui se presse, un couple qui s'embrasse, des rires volés au passage, le soleil aussi.

    A 13 heures, dans la grande salle d'audience de la 1re Chambre de la cour d'appel de Paris, Hélie Denoix de Saint Marc fait une entrée à sensation en uniforme d'apparat, béret vert et décorations sur la poitrine. Un choix provocateur : « J'ai trouvé que vraiment, il y allait fort. Mais c'était bien dans son caractère : ne pas composer, ne pas faire de concessions », commente le Père Moussé, son camarade de Buchenwald.

    L'air étonnamment juvénile, les traits tendus, Saint Marc sort d'une sacoche de cuir noir un texte de quatre pages, écrit presque d'un trait dans sa cellule de la Santé.

    « Ce que j'ai à dire sera simple et sera court. Depuis mon âge d'homme, Monsieur le président, j'ai vécu pas mal d'épreuve : la Résistance, la Gestapo, Buchenwald, trois séjours en Indochine, la guerre d'Algérie, Suez, et encore la guerre d'Algérie

    « En Algérie, après bien des équivoques, après bien des tâtonnements, nous avions reçu une mission claire : vaincre l'adversaire, maintenir l'intégrité du patrimoine national, y promouvoir la justice raciale, l'égalité politique.

    « On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait ou ne voulait les faire. Nous avons mis dans l'accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous y avons laissé le meilleur de nous-mêmes. Nous y avons gagné l'indifférence, l'incompréhension de beaucoup, les injures de certains. Des milliers de nos camarades sont morts en accomplissant cette mission. Des dizaines de milliers de musulmans se joints à nous comme camarades de combats, partageant nos peines, nos souffrances, nos espoirs, nos craintes. Nombreux sont ceux qui sont tombés à nos côtés. Le lien sacré du sang versé nous lie à eux pour toujours.

    « Et puis un jour, on nous a expliqué que cette mission était changée. Je ne parlerai pas de cette évolution incompréhensible pour nous. Tout le monde la connaît. Et un soir, pas tellement lointain, on nous a dit qu'il fallait apprendre à envisager l'abandon possible de l'Algérie, de cette terre si passionnément aimée, et cela d'un cœur léger. Alors nous avons pleuré. L'angoisse a fait place en nos cœurs au désespoir.

    « Nous nous souvenions de quinze années de sacrifices inutiles, de quinze années d'abus de confiance et de reniement. Nous nous souvenions de l'évacuation de la Haute-Région, des villageois accrochés à nos camions, qui, à bout de forces, tombaient en pleurant dans la poussière de la route. Nous nous souvenions de Diên Biên Phu, de l'entrée du Vietminh à Hanoï. Nous nous souvenions de la stupeur et du mépris de nos camarades de combat vietnamiens en apprenant notre départ du Tonkin. Nous nous souvenions des villages abandonnés par nous et dont les habitants avaient été massacrés. Nous nous souvenions des milliers de Tonkinois se jetant à la mer pour rejoindre les bateaux français.

    « Nous pensions à toutes ces promesses solennelles faites sur cette terre d'Afrique. Nous pensions à tous ces hommes, à toutes ces femmes, à tous ces jeunes qui avaient choisi la France à cause de nous et qui, à cause de nous, risquaient chaque jour, à chaque instant, une mort affreuse. Nous pensions à ces inscriptions qui recouvrent les murs de tous ces villages et les mechtas d'Algérie :

    « L'Armée nous protègera, l'armée restera. »

    Nous pensions à notre honneur perdu.

    « Alors le général Challe est arrivé, ce grand chef que nous aimions et que nous admirions et qui, comme le maréchal de Lattre en Indochine, avait su nous donner l'espoir et la victoire.

    « Le général Challe m'a vu. Il m'a rappelé la situation militaire. Il m'a dit qu'il fallait terminer une victoire entièrement acquise et qu'il était venu pour cela. Il m'a dit que nous devions rester fidèles aux combattants, aux populations européennes et musulmanes qui s'étaient engagées à nos côtés. Que nous devions sauver notre honneur.

    « Alors j'ai suivi le général Challe. Et aujourd'hui, je suis devant vous pour répondre de mes actes et de ceux des officiers du 1er R.E.P., car ils ont agi sur mes ordres.

    « Monsieur le président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c'est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer. Oh ! Je sais, Monsieur le président, il y a l'obéissance, il y a la discipline. Ce drame de la discipline militaire a été douloureusement vécu par la génération d'officier qui nous a précédés, par nos aînés. Nous-mêmes l'avons connu à notre petit échelon, jadis, comme élèves officiers ou comme jeunes garçons préparant Saint-Cyr. Croyez bien que ce drame de la discipline a pesé de nouveau lourdement et douloureusement sur nos épaules, devant le destin de l'Algérie, terre ardente et courageuse, à laquelle nous nous sommes attachés aussi passionnément qu'au sol de nos provinces natales.

    « Monsieur le président, j'ai sacrifié vingt années de ma vie à la France. Depuis quinze ans, je suis officier de Légion. Depuis quinze ans, je me bats. Depuis quinze ans, j'ai vu mourir pour la France des légionnaires, étrangers peut-être par le sang reçu, mais français par le sang versé.

    « C'est en pensant à mes camarades, à mes sous-officiers, à mes légionnaires tombés au champ d'honneur, que le 21 avril, à treize heures trente, devant le général Challe, j'ai fait mon libre choix.

    « Terminé, Monsieur le président»

    Laurent Beccaria

    Extrait de « Hélie de Saint Marc »

    Ed. Perrin

    Lois Spalwer http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • L'insolence des anarchistes de droite

    par Dominique Venner

    Ex: http://zentropa.info

    Les anarchistes de droite me semblent la contribution française la plus authentique et la plus talentueuse à une certaine rébellion insolente de l’esprit européen face à la « modernité », autrement dit l’hypocrisie bourgeoise de gauche et de droite. Leur saint patron pourrait être Barbey d’Aurévilly (Les Diaboliques), à moins que ce ne soit Molière (Tartuffe). Caractéristique dominante : en politique, ils n’appartiennent jamais à la droite modérée et honnissent les politiciens défenseurs du portefeuille et de la morale. C’est pourquoi l’on rencontre dans leur cohorte indocile des écrivains que l’on pourrait dire de gauche, comme Marcel Aymé, ou qu’il serait impossible d’étiqueter, comme Jean Anouilh. Ils ont en commun un talent railleur et un goût du panache dont témoignent Antoine Blondin (Monsieur Jadis), Roger Nimier (Le Hussard bleu), Jean Dutourd (Les Taxis de la Marne) ou Jean Cau (Croquis de mémoire). A la façon de Georges Bernanos, ils se sont souvent querellés avec leurs maîtres à penser. On les retrouve encore, hautins, farceurs et féroces, derrière la caméra de Georges Lautner (Les Tontons flingueurs ou Le Professionnel), avec les dialogues de Michel Audiard, qui est à lui seul un archétype.

    Deux parmi ces anarchistes de la plume ont dominé en leur temps le roman noir. Sous un régime d’épais conformisme, ils firent de leurs romans sombres ou rigolards les ultimes refuges de la liberté de penser. Ces deux-là ont été dans les années 1980 les pères du nouveau polar français. On les a dit enfants de Mai 68. L’un par la main gauche, l’autre par la main droite. Passant au crible le monde hautement immoral dans lequel il leur fallait vivre, ils ont tiré à vue sur les pantins et parfois même sur leur copains.

    À quelques années de distances, tous les deux sont nés un 19 décembre. L’un s’appelait Jean-Patrick Manchette. Il avait commencé comme traducteur de polars américains. Pour l’état civil, l’autre était Alain Fournier, un nom un peu difficile à porter quand on veut faire carrière en littérature. Il choisit donc un pseudonyme qui avait le mérite de la nouveauté : ADG. Ces initiales ne voulaient strictement rien dire, mais elles étaient faciles à mémoriser.

    "En 1971, sans se connaître, Manchette et son cadet ADG ont publié leur premier roman dans la Série Noire. Ce fut comme une petite révolution. D’emblée, ils venaient de donner un terrible coup de vieux à tout un pan du polar à la française. Fini les truands corses et les durs de Pigalle. Fini le code de l’honneur à la Gabin. Avec eux, le roman noir se projetait dans les tortueux méandres de la nouvelle République. L’un traitait son affaire sur le mode ténébreux, et l’autre dans un registre ironique. Impossible après eux d’écrire comme avant. On dit qu’ils avaient pris des leçons chez Chandler ou Hammett. Mais ils n’avaient surtout pas oublié de lire Céline, Michel Audiard et peut-être aussi Paul Morand. Écriture sèche, efficace comme une rafale bien expédiée. Plus riche en trouvailles et en calembours chez ADG, plus aride chez Manchette.

    Né en 1942, mort en 1996, Jean-Patrick Manchette publia en 1971 L’affaire N’Gustro directement inspirée de l’affaire Ben Barka (opposant marocain enlevé et liquidé en 1965 avec la complicité active du pouvoir et des basses polices). Sa connaissance des milieux gauchistes de sa folle jeunesse accoucha d’un tableau véridique et impitoyable. Féministes freudiennes et nymphos, intellos débiles et militants paumés. Une galerie complète des laissés pour compte de Mai 68, auxquels Manchette ajoutait quelques portraits hilarants de révolutionnaires tropicaux. Le personnage le moins antipathique était le tueur, ancien de l’OAS, qui se foutait complètement des fantasmes de ses complices occasionnels. C’était un cynique plutôt fréquentable, mais il n’était pas de taille face aux grands requins qui tiraient les ficelles. Il fut donc dévoré.

    Ce premier roman, comme tous ceux qu’écrivit Manchette, était d’un pessimisme intégral. Il y démontait la mécanique du monde réel. Derrière le décor, régnaient les trois divinités de l’époque : le fric, le sexe et le pouvoir.

    Au fil de ses propres polars, ADG montra qu’il était lui aussi un auteur au parfum, appréciant les allusions historiques musclées. Tour cela dans un style bien identifiable, charpenté de calembours, écrivant « ouisquie » comme Jacques Perret, l’auteur inoubliable et provisoirement oublié deBande à part.

    Si l’on ne devait lire d’ADG qu’un seul roman, ce serait Pour venger Pépère (Gallimard), un petit chef d’œuvre. Sous une forme ramassée, la palette adégienne y est la plus gouailleuse. Perfection en tout, scénario rond comme un œuf, ironie décapante, brin de poésie légère, irrespect pour les « valeurs » avariées d’une époque corrompue.

    L’histoire est celle d’une magnifique vengeance qui a pour cadre la Touraine, patrie de l’auteur. On y voit Maître Pascal Delcroix, jeune avocat costaud et désargenté, se lancer dans une petite guerre téméraire contre les puissants barons de la politique locale. Hormis sa belle inconscience, il a pour soutien un copain nommé « Machin  », journaliste droitier d’origine russe, passablement porté sur la bouteille, et « droit comme un tirebouchon ». On s’initie au passage à la dégustation de quelques crus de Touraine, le petit blanc clair et odorant de Montlouis, ou le Turquant coulant comme velours.

    Point de départ, l’assassinat fortuit du grand-père de l’avocat. Un grand-père comme on voudrait tous en avoir, ouvrier retraité et communiste à la mode de 1870, aimant le son du clairon et plus encore la pêche au gardon. Fier et pas dégonflé avec çà, ce qui lui vaut d’être tué par des malfrats dûment protégés. A partir de là on entre dans le vif du sujet, c’est à dire dans le ventre puant d’un système faisandé, face nocturne d’un pays jadis noble et galant, dont une certaine Sophie, blonde et gracieuse jeunes fille, semble comme le dernier jardin ensoleillé. Rien de lugubre pourtant, contrairement aux romans de Manchettes. Au contraire, grâce à une insolence joyeuse et un mépris libérateur.

    Au lendemain de sa mort (1er novembre 2004), ADG fit un retour inattendu avec J’ai déjà donné, roman salué par toute la critique. Héritier de quelques siècles de gouaille gauloise, insolente et frondeuse,ADG avait planté entre-temps dans la panse d’une république peu recommandable les banderilles les plus jubilatoires de l’anarchisme de droite.”

    Article de Dominique Venner dans Le Spectacle du Monde de décembre 2011.

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • Géopolitique et Mitteleuropa

    Contribution au XXIIIième Colloque du G.R.E.C.E. , Paris, Dimanche, 3 décembre 1989

    Mesdames, Messieurs, Chers amis et camarades,

    Quand, le soir du 9 novembre, une voix a interrompu le journaliste sportif, qui relatait les exploits d'une équipe de football, pour annoncer que le Mur de Berlin venait d'être ouvert, que sa sinistre existence avait cessé, que la rue avait arraché cette mesure aux gouvernants communistes de la RDA, j'ai su d'emblée qu'une ère historique nouvelle venait de naître, que l'Europe ne serait plus celle, manichéenne, de mon adolescence, que l'Europe de mon fils serait autre, que nous ne serions plus enfermés dans le ronron de notre Occident et que nos frères à l'Est ne seraient plus prisonniers de la logique communiste, logique sèche, froide, absconse et obsolète.

    La destruction du Mur de Berlin annonce la guérison de l'Europe, son recentrage géographique et géopolitique. Si l'univers communiste a tenté en vain, pendant 40 ans, d'empêcher les Européens qui croupissaient sous son knout de recevoir des informations de l'Ouest, l'univers de la société marchande nous a gavé de sous-culture à profusion, de films idiots, de feuilletons d'une bêtise ahurissante et a sournoisement et systématiquement éradiqué en nous la fibre historique. A cette heure, nous nous trouvons donc en présence d'une moitié d'Européens qui peuvent dire tout ce qu'il veulent, mais si ce qu'ils veulent est important, on l'occultera et on le noiera sous une masse d'informations périphériques. Et en présence d'une autre moitié d'Européens qui ne peuvent en théorie rien dire, mais qui ont su garder au fond de leur cœur le souvenir de l'histoire, et qui savent transformer ce souvenir en force, en une force imperméable aux dogmes, en une force qui balaie les dictatures, les régimes sclérosés, les polices anti-émeutes.

    Les peuples de l'Est de la Mitteleuropa sont debout sur leur sol, sur leur glèbe et, faute de dialoguer dans un parlement, dialoguent avec l'immémorial de leur histoire. Une histoire qui a été mouvementée, qui est d'une complexité inouïe, où ne se mêlent pas seulement les souvenirs des Germains et des Slaves, des Magyars et des Daces romanisés, mais aussi ceux des ethnies indo-européennes dont il ne reste plus de traces linguistiques comme les Celtes, les Illyriens et les Vénètes. Cette richesse (S3) constitue un remède contre les simplifications abusives: le cocktail ethnique de la Mitteleuropa est infiniment productif, en créations culturelles et en tragédies politiques, parce qu'il a été buriné par des millénaires. La césure de l'Europe n'a duré que 40 ans. Qu'est-ce que c'est face à des millénaires d'histoire commune? De quel poids pèse la sécheresse marxiste face à l'incommensurable richesse culturelle de l'Europe centrale, face au sublime de la culture baroque et au génie des mélodies populaires, qu'à l'aube du siècle des musiciens hors pair ont sublimées en musique classique (H4)? Pour l'écrivain hongrois György Konrád (K9, K10, K11), c'est ce formidable kaléidoscope de créations immortelles que Yalta a voulu fourrer dans sa camisole de force, c'est cette matrice qu'il a voulu stériliser, en imposant, depuis Washington et Moscou, une métaphysique paralysante de nature idéologique; un manichéisme lourd, porté par d'impavides idéologues ou militaires, incapables de relativiser quoi que ce soit et réduisant la mosaïque centre-européenne à un terrain d'exercice pour armées étrangères, pour un champ de tir destiné aux ogives nucléaires.

    Mais le déclin de la Mitteleuropa, depuis la dissolution de la monarchie austro-hongroise, jusqu'à son absorption par l'Allemagne nationale-socialiste puis à la conquête soviétique, relève de la responsabilité des peuples centre-européens eux-mêmes: ils ont voulu bâtir des Etats-Nations homogènes à la mode jacobine sur un territoire aux contours si flous qu'aucune frontière ne pouvait jamais y être juste. En conséquence, la logique qui convient au cœur de notre continent est une logique des fluidités, des réseaux, des rhizomes et non pas une logique équarissante, homogénéisante, rigide et arasante (H4) qui blesse les âmes, aigrit les cœurs, provoque les massacres et l'irréparable. Et c'est exactement une logique souple de ce type que suggère pour la nation allemande l'enfant terrible de la social-démocratie autrichienne, Günther Nenning, un écrivain original ne s'encombrant d'aucun conformisme (N2). La nation allemande et l'esprit allemand, dit-il, transcendent toutes les frontières que l'histoire leur a assignées. De même pour les Hongrois, les Polonais et les Tchèques. 

    La Mitteleuropa est donc un espace qui échappe à toutes les logiques cartésiennes. Mais qui n'en garde pas moins une originalité partagée par plusieurs peuples, une originalité telle qui fait qu'elle n'est pas saisissable à l'aide de quelques pauvres concepts étriqués mais seulement par l'âme et le cœur. Dans la sphère du concret, et plus précisément dans le domaine du droit, le professeur Wilhelm Brauneder (B9), constate que le droit autrichien, codifié dès la fin du XVIIIième siècle, sert de modèle à l'ensemble du monde slave et germanique et déborde en Lombardie. La Révolution française et l'épopée de Bonaparte mettront un terme à l'extension dans toute l'Europe de ce code de droit forgé dans les chancelleries viennoises. Mais la nostalgie de certaines mesures prévues, plus respectueuses des collectivités locales ou professionnelles, plus attentives aux phénomènes associatifs, durera jusqu'à la deuxième guerre mondiale.

    La Mitteleuropa par sa diversité, par la superposition de ses multiples cultures nationales, parce qu'elle est synthèse de tant de contraires, s'oppose diamétralement à la culture atlantique qu'ont imposé nos suzerains américains. Outre-Atlantique, l'uniformisation est aisée, la mise au pas des cerveaux est facile: chaque immigrant est arrivé les mains vides, dans des villes sans histoire, face à une nature vierge, sans un ancêtre qui puisse lui rappeler la généalogie de chaque chose. Une telle uniformisation est impossible en Mitteleuropa: chaque maison, chaque chaumière, chaque autel, chaque forêt bruisse du murmure des siècles et des millénaires. Le communisme a tenté une uniformisation: il a échoué. Entre l'Amérique et la Mitteleuropa, incarnée par l'Autriche-Hongrie, une vieille haine couve et l'affaire Waldheim n'en est que le dernier et ridicule avatar. Une nation pluri-ethnique, soucieuse de respecter chaque spécificité populaire ou religieuse, soucieuse de forger un droit adapté à la mosaïque européenne, ne pouvait apparaître que comme "réactionnaire" aux yeux de ceux qui dominaient le Nouveau Monde après avoir éliminé les autochtones et obligé les immigrants à oublier ce qu'ils avaient été.

    Pour échapper aux logiques de l'arasement, portée par les deux super-puissances, pour restaurer dans la foulée toutes les identités de l'Europe Centrale, pour leur assurer une indépendance politique et un développement autonome, un nombre impressionnant de projets ont été lancés dans le débat. Ces projets sont l'œuvre d'essayistes et d'écrivains issus de toutes les nationalités: Tchèques (K18), Polonais (K13), Croates, Hongrois (H4, H5, K9, K10, K11, S21, V1), Autrichiens (N2, D10, B9) , Allemands (A1, B7, W2), Slovaques. Certes, ces projets varient, sont chaque fois marqués par la nationalité de leurs auteurs. Le Hongrois György Konrád souhaite une confédération de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie, parce qu'il estime que l'expérience du socialisme réel et de la répression soviétique est une condition sine qua non pour définir la "culture du milieu". Dans la tradition de Masaryk, quelques essayistes pensent que la Mitteleuropa ne comprend que les pays qui ne sont ni allemands ni russes, de la Scandinavie à la Grèce. Mais peut-on exlure les deux Allemagnes et l'Autriche du débat sur la Mitteleuropa? Peut-on en exclure la Vénétie et la Lombardie, la Suisse, les Pays du Bénélux et, même, la France du Nord-Est voire le Sud-Est de l'Angleterre?

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  • Un jour, un texte ! La guerre, la discipline par Paul CLAUDEL (5)

    « La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. » Georges Bernanos, La France contre les robots.

    Notre premier ministre a déclaré que la France est en guerre. Mais l'ennemi est chez nous, au sein même de la population française. Il ne s'agit plus d'envoyer des professionnels, formés et aguerris combattre loin de nos terres, mais de se battre contre un ennemi sournois et impitoyable, qui use pour ses attaques de toutes nos libertés et des droits des citoyens français. Avant de faire une telle déclaration, encore eût-il fallu cultiver au sein du peuple français les valeurs qui font la force morale des nations. Cette nouvelle rubrique a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, aujourd'hui : la guerre, la discipline par Paul CLAUDEL(5)

    « MAURICE – Qu'est-ce qu'un soldat ? (Un temps) Un oiseau voyageur… mais qui ne suit jamais son plaisir ni sa fantaisie et qui ne règle pas son vol sur la rigueur ou la douceur de la saison. On lui commande d'aller – et il va ; de s'arrêter – et il s'arrête ; de frapper – et il frappe ; de se faire tuer – et il meurt. Et c'est bien ainsi. Il est dans les mains de son supérieur, comme dans la main du Créateur la créature, et il détient sur la terre le privilège de proposer aux autres hommes l'image de l'obéissance parfaite qui règne dans le ciel – et qui devrait partout régner. (Tristement) Mais l'obéissance n'est plus aimée, même chez les chrétiens.

    EXUPÈRE – Oh ! chef ! Pourvu qu'elle soit à peu près maintenue.

    MAURICE – Non, Exupère, non ! Obéir sans amour c'est, selon moi, mal obéir. Je ne saurais souffrir qu'on diminue une vertu si haute. – N'oublie pas que c'est à son ombre que, dans notre métier, croissent toutes les autres vertus : l'humilité, la pauvreté, la patience… la chasteté et la bravoure… le respect du chef et le don de soi.

    EXUPÈRE – Les vertus chrétiennes sont donc des vertus militaires ?

    MAURICE – Je le crois, ami. Ce qui fait le vrai soldat, comme le vrai chrétien, c'est le détachement de tout. – Aussi bien, il ne lui vaut rien, s'il a une famille, une maison, un champ, de trop songer à ce qu'il laisse. Il rentrera dans son bien lorsqu'il sera vieux. En attendant il est pareil aux apôtres pêcheurs, débauchés par Jésus au bord des lacs de Galilée. Comme eux, il a opté pour un plus haut devoir qui consiste à suivre le maître. Et tant qu'il n'a pas versé tout son sang ou épuisé toute sa force, il n'est pas quitte envers celui-ci.

    EXUPÈRE, après un temps de réflexion – Vous ne m'en voudrez pas de vous le dire en face. Oui, chef, je connais certains maîtres auxquels il est facile d'obéir. Ceux-là ont qualité pour commander aux hommes, au nom du Maître tout-puissant qui délègue le commandement à tel ou tel. Ceux-là sont dignes, bons et justes. Mais, s'ils ne le sont pas, dois-je les écouter ?

    MAURICE – Sans doute.

    EXUPÈRE – Même s'ils donnent l'exemple de tous les vices ?

    MAURICE – Tu le dois.

    EXUPÈRE – S'ils sont ivrognes, fourbes, débauchés, prévaricateurs ?

    MAURICE – Certainement.

    EXUPÈRE – Même s'ils persécutent mes frères ?

    MAURICE – Oui. Même en ce cas, Exupère. Et d'autant plus tu devras te montrer fidèle – à condition qu'ils ne te commandent pas le mal… je veux dire rien de contraire à ce que prescrit notre loi. Ici s'arrête leur pouvoir, au nœud de notre conscience ; mais seulement ici. »

    Paul CLAUDEL

    Extrait de : « Saint Maurice et ses compagnons »

    Lois Spalwer http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html