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culture et histoire - Page 1539

  • Diffusion de Radio Courtoisie en RNT

    La diffusion de Radio Courtoisie en RNT (radio numérique terrestre) a débuté à Paris hier soir à minuit, autrement dit vendredi 20 juin 2014 à 0h00.

    La radio numérique terrestre (RNT), petite sœur de la télévision TNT, garde le principe d'une fréquence allouée à la chaîne de radio, mais cette fréquence est unique à l'échelle nationale. Cette radio numérique terrestre nécessite, pour être réceptionnée, un équipement spécifique (poste radio numérique).

    Michel Janva

  • Prosateur admirable mais faux contre-révolutionnaire : François-René de Chateaubriand

    Parmi les Maîtres de la Contre-Révolution que j'ai évoqués dans RIVAROL à l'automne 2012, c'est volontairement que je n'ai pas fait figurer Chateaubriand. Non que j'éprouve la moindre aversion envers ce prosateur admirable qui fut aussi un cœur noble et orgueilleux et un paladin ombrageux de la légitimité monarchique. Mais, malgré ses pages grandioses et magnifiques, il ne fut pas du tout contre-révolutionnaire. C'est ce que j'entends montrer en ce bicentenaire de la Restauration à laquelle son pamphlet De Buonaparte et des Bourbons, publié justement en mars 1814, apporta une contribution remarquable.

    J'ai follement aimé dans mon enfance ce poème de François-René, simple et nostalgique, que l'on m'avait fait apprendre en récitation à l'école de Frères et que je n'ai jamais oublié : « Combien j'ai douce souvenance /Du joli lieu de ma naissance ! / Ma sœur, qu'ils étaient beaux les jours /De France ! / O mon pays, sois mes amours / Toujours !... » Ses premières années de « compagnon des flots et des vents » qu'il vécut sur la grève de la pleine mer avec les enfants du pays le marquèrent pour toujours, car c'est là, non loin de Saint-Malo, que sa mère lui avait « infligé la vie », comme il devait dire plus tard, le 4 septembre 1768. Dernier né d'une lignée de hobereaux fiers mais ruinés, il acquit aux collèges de Dol et de Rennes quelques éléments d'une éducation chrétienne et classique, jusqu'à seize ans où il vint séjourner au château de Com-bourg. Dans ce lieu triste entouré de landes et de forêts allait se développer sans frein son imagination et se nourrir sa mélancolie, hors de toute réalité et de toute activité concrète. Il semble avoir songé à finir par le suicide une vie si désenchantée.

    Son père lui ayant obtenu un brevet de sous-lieutenant au régiment de Navarre, il partit pour Paris en 1787, fréquenta les poètes à la mode et, sous l'influence des encyclopédistes et des rousseauistes, il perdit ta foi. Le 14 juillet 1789, les têtes de l'intendant de Paris, Berthier de Sauvigny, et du beau-père de celui-ci, Foulon de Doué, qu'il vit passer au bout des piques changèrent ses dispositions politiques : « J'eus horreur des festins de cannibales et l'idée de quitter la France pour quelque pays lointain germa dans mon esprit ». Ainsi se retrouva-t-il en Amérique en 1791, où il put découvrir des paysages à la mesure de ses rêves et faire provision d'images et de couleurs pour son œuvre future. Il était sûr d'avoir rencontré là-bas l'homme primitif, le bon sauvage... Mais la nouvelle de l'arrestation de Louis XVI à Varennes l'incita à rentrer en France ; il se laissa marier à Céleste de Lavigne, puis émigra et s'engagea sans grande conviction dans l'Armée contre-révolutionnaire des princes (comtes de Provence et d'Artois), où il fut blessé. Puis il passa à Londres quelques années de misère, où il voulut composer « l'épopée de l'homme de la nature » et ce furent les Natchez, livre étrange, emphatique, naïf qui se voulait un essai épique sur l'homme primitif opposé aux conventions de la civilisation raffinée. François-René n'allait le publier qu'en 1826 en France. Toujours de cette période anglaise, date son Essai sur les Révolutions (1796), livre de doute et de douleur, où il entendait montrer que l'humanité n'est pas en progrès et qu'on retrouve dans les révolutions anciennes et modernes les personnages et les principaux traits de la Révolution française. Avait-il donc rompu avec les encyclopédistes au sujet de la notion de progrès ? Il proclamait la nécessité et la beauté de la religion, mais en la confondant avec la superstition et en considérant le christianisme comme fini... Un sceptique qui cherchait sa voie.

    J'AI PLEURÉ ET J'AI CRU

    1798 : à la mort de sa mère, puis de sa sœur, Mme de Farcy, il recouvra la foi : « Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d'interprète à la mort, m'ont frappé, je suis devenu chrétien : je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie du cœur : j'ai pleuré et j'ai cru ». Voilà François-René libéré des sophistes qui l'avaient égaré un moment et renouant avec la religion de sa race et de son enfance ; il voudrait mettre désormais sa plume au service de sa foi reconquise.

    Rayé de la liste des émigrés grâce à sonami Louis de Fontanes, futur grand-maître del'Université napoléonienne, il rentra à Paris« avec le siècle » en 1800. C'était au momentoù Napoléon Bonaparte, Premier consul,s'apprêtait à signer le Concordat (10 avril1801), rendant à l'Église catholique dans certaines limites sa place dans la Cité. François-René vit que l'heure était venue de publier le livre qu'il portait en lui depuis sa "conversion" : ce fut alors Le Génie du christianisme, sorti le mercredi saint 1802. Pour tâter le terrain, il avait d'abord lancé Atala dès 1801, une nouvelle racontant les amours de Chactas et d'Atala dans les forêts solitaires et agitées par la tempête ; ce poème partagé en fragments lyriques et écrit en prose rythmée, voulait montrer l'harmonie de la religion avec les grandes scènes de la nature. Puis François-René ajouta une deuxième nouvelle, René, l'image de lui-même et de tous les désenchantés qui soupiraient après un rêve insaisissable, il plaça les deux nouvelles en introduction à la première édition de son Génie du christianisme (1802), manière d'expliquer que pour lui le "mal du siècle" et les désolations ombrageuses d'après la Révolution ne pouvaient trouver abri que dans le christianisme.

    LE CHRISTIANISME, COMME SOURCE DE POÉSIE

    Le Génie était une apologie de la religion chrétienne, mais d'un genre bien spécial : pas question d'en prouver la vérité, mais seulement de dire, contre les "Lumières", que la religion chrétienne est belle, qu'elle inspire des belles actions et de belles pensées, qu'elle sert la poésie : les dogmes sont beaux à considérer, et répondent aux aspirations du cœur ; le christianisme, par sa doctrine, par sa conception de la vie, est une source de poésie vivante ; l'art issu de la religion est splendide (François-René réhabilitait avec raison la cathédrale gothique) ; les cérémonies chrétiennes sont poétiques.

    On remarque aisément les limites de cetteargumentation. L'ouvrage toutefois atteignitparfaitement son but qui était d'émouvoird'innombrables lecteurs par une langue visuelle et colorée. Chateaubriand devint illustre ; il avait réussi à ruiner le préjugé anti-chrétien et à prouver que le christianismeest une religion belle et humaine. Le sentiment religieux allait être à la mode dans lalittérature pour quelques générations. Resteque, sous cette plume magnifique, la religionperdit en profondeur ce qu'elle avait gagnéen couleurs et qu'elle allait peu à peu se réduire, pour beaucoup, aune forme de sensibilité, voire - comme devait dire Maurras -à un « déisme sentimental » qui permet, aunom de l'idée de Dieu, « d'attribuer à l'infini ses propre bassesses » et de s'autoriser toutes les rébellions. Il faut, en effet, la forcedes dogmes et de l'organisation catholiquespour sauver l'idée d'un Dieu immuable quiéchappe aux égarements du cœur, et mêmede la raison raisonneuse... Sinon, on relèguedans l'ombre les caractères essentiels de lareligion chrétienne qui sont d'être vraie etsurnaturellement révélée. Désireux de sel'attacher, l'empereur Napoléon nommaFrançois-René secrétaire d'ambassade àRome, puis en 1804 ministre dans le Valais.

    Mais, le 21 mars 1804, en apprenant l'arrestation et l'assassinat du duc d'Enghien, sur ordre du Premier consul, il n'hésita pas : lui qui avait commencé une belle carrière dans la diplomatie, il donna aussitôt sa démission, décidé à vivre de sa plume, et d'un article, de temps à autre, dans le Mercure qui allait mettre Napoléon, devenu empereur, en fureur. Il ne fut toutefois pas exilé, car l'empereur aimait son style et avait un faible pour lui et cet opposant de salon était alors l'idole du Faubourg Saint-Germain... Désireux d'écrire une épopée chrétienne qui mettrait en relief la supériorité poétique du christianisme sur le paganisme, il partit pour la Grèce et pour Jérusalem. De là sortirent Les Martyrs et Y Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811), œuvres de puissantes évocations, presque résurrections du passé.

    DE BONAPARTE AUX BOURBONS : L'ÉTERNEL OPPOSANT

    Retour sur la scène politique en 1814 : son De Buonaparte et des Bourbons, publié en mars, connut un immense succès, car cette brochure venait à son heure en une conjoncture où les Français ne savaient plus très bien à quel régime se donner. Louis XVIII devait reconnaître que cette brochure l'avait aidé plus qu'une armée de plusieurs milliers d'hommes.

    En 1816, nouveau geste de refus. Ministre sans porte-feuille, Chateaubriand critiquait vivement, dans La monarchie selon la Charte, le ministère dont il faisait partie. Exclus, il redevint un homme d'opposition, à la tête du Conservateur. Après l'assassinat du duc de Berry par le bonapartiste Louis-Pierre Louvel, le 13 février 1820, Chateaubriand contribua à renverser le ministère Decazes : « Le poignard qui a tué le duc de Berry est une idée libérale », s'écria-t-il à la Chambre des députés. Après de brillantes ambassades à Berlin, à Londres, il devint à nouveau ministre de janvier 1823 à juin 1824 et remporta un beau succès : « "ma " guerre d'Espagne ». Là où Napoléon avait échoué, il avait réussi. Il venait de donner à la Restauration la gloire militaire qui lui manquait tant... Il se crut alors un si grand homme qu'il en devint insupportable et il se trouva tout surpris de recevoir un billet de Louis XVIII l'avertissant qu'il n'était plus ministre : « On me met à la porte comme si j'avais volé la montre du roi sur la cheminée. »

    Vexé, il travailla à rapprocher les oppositions d'extrême-droite et de gauche et, bien que monarchiste, il allait porter une grande part de responsabilité dans le courant d'opinion qui contribua à la révolution de 1830 et à la chute de Charles X. Sa fidélité à la branche aînée des Bourbons lui valut quelques jours de cellule pour avoir voulu aider la duchesse de Berry à conspirer pour sauver l'avenir de son fils, le petit duc de Bordeaux, futur comte de Chambord. Durant la Monarchie de Juillet, refusant toute pension au nom de son sens de l'honneur, il se situa dans l'opposition, mais il se consacra à la rédaction de ses Mémoires d'outre-tombe, un essai d'autobiographie qui ne manquait pas de charme et qui contenait des pages inoubliables, où son imagination le poussait à se montrer plus grand qu'il n'était...

    Cette vie que sa mère lui avait "infligée" en 1768 s'éteignit à quatre-vingts ans le 4 juillet 1848, quelques mois après la révolution de février qui renversa Louis-Philippe 1er, "roi des Français", qu'il ne voulut jamais servir. Son cercueil fut déposé dans l'îlot du Grand-Bé, en face de Saint-Malo, dans un roc solitaire en face de l'océan, à l'endroit qu'il avait voulu lui-même pour sépulture, comme un dernier défi aux forces déchaînées de la mer...

    LE POÈTE DE L'HONNEUR

    Lui qui, selon le mot du duc de Lévis Mirepoix, « daignait à peine se retourner pour voir si on le suivait(1) », n'allait cesser d'entraîner dans son sillage les esprits les plus éclatants de son siècle.

    Fut-ce pour leur bien ? On ne peut nier que Chateaubriand a considérablement renouvelé les thèmes littéraires et même l'art d'écrire : chez lui la langue était colorée, musicale, imaginative. Maurras y a vu le danger d'accorder plus d'importance aux mots qu'à l'ordre des mots, de trop donner à ceux-ci une couleur de sensualité, mais plus grave est assurément chez François-René le goût pour les grandeurs que la vie a désertées. Cet homme qui aurait voulu ne pas être né, qui, comme on l'a dit, a « baillé sa vie » et « théâtralisé son existence(2) », qui a cultivé « le génie de se mettre en scène(3) », qui fut un serviteur bien incommode de la royauté, et qui s'affirmait « féodalement libéral », promenait en fait une âme de révolté qui ne voyait dans les choses que leur force de l'émouvoir. Tout d'après lui-même ! Lisons encore Maurras : « Race de naufrageurs et de faiseurs d'épaves, oiseau rapace et solitaire, amateur de charniers, Chateaubriand n'a jamais cherché, dans la mort et le passé, le transmissible, le fécond, le traditionnel, l'éternel : mais le passé comme passé et la mort comme mort furent ses uniques plaisirs. Loin de rien conserver, il fit au besoin des dégâts afin de se donner de plus sûrs motifs de regrets.(4) »

    Hélas, cet homme qui n'a pas manqué de grandeur et qui ne cesse d'être attachant, notamment par son sens exemplaire de l'honneur, a quand même travaillé au profit de l'individualisme révolutionnaire. Ce nécrologue, beaucoup plus que serviteur, de la monarchie ne peut être reconnu comme un vrai contre-révolutionnaire.

    Michel Fromentoux Rivarol du 30 mai 2014

    1.Duc de Lévis-Mirepoix : Histoire del'individualisme français. Plon. 

    2. Jean-François Chiappe : La France et le Roi. Perrin 1994 

    3. Ghislain de Diesbach : Chateaubriand. Perrin, 1998

    4. Charles Maurras : Trois idées politiques :Chateaubriand, Michelet, Sainte-Beuve. InŒuvres capitales, Essais politiques. Flammarion,1954

    http://aucoeurdunationalisme.blogspot.fr/

  • Pour une typologie opératoire des nationalismes

    Le mot «nationalisme» recouvre plu­sieurs acceptions. Dans ce vocable, les langages politique et politologique ont fourré une pluralité de contenus. Par ailleurs, le nationalisme, quand il agit dans l'arène politique, peut promouvoir des valeurs très différentes selon les cir­constances. Par exemple, le nationa­lis­me peut être un programme de libéra­tion nationale et sociale. Il se situe alors à «gauche» de l'échiquier poli­tique, si toutefois on accepte cette dicho­tomie con­ventionnelle, et désormais dé­passée, qui, dans le langage politique, distingue fort abruptement entre une «droite» et une «gauche». Les gauches convention­nelles, en général, avaient accepté com­me «progressistes», il y a une ou deux dé­cennies, les nationa­lismes de libéra­tion vietnamien, algé­rien ou nicara­guéen car ils se dres­saient contre une forme d'oppression à la fois colonialiste et capitaliste. Mais le nationalisme n'est pas toujours de libé­ration: il peut éga­lement servir à asseoir un programme de soumission, d'impérialisme. Un cer­tain nationa­lisme français, dans les an­nées 50 et 60, voulait ainsi oblitérer les nationalismes vietnamien et algérien de valeurs jaco­bines, décrétées quintessen­ce du «nationalisme français» même dans les rangs des droites, pourtant tra­ditionnel­lement hostiles à la veine idéo­logique ja­cobine. Nous constatons donc, au regard de ces exemples historiques récents, que nous nageons en pleine con­fusion, à moins que nous ayons af­faire à une coïncidentia oppositorum...
    Pour clarifier le débat, il importe de se poser une première question: depuis quand peut-on parler de «nationa­lis­me»? Les historiens ne sont pas d'accord entre eux pour dire à quelle époque, les hommes se sont vraiment mis à parler de nationalisme et à rai­sonner en ter­mes de nationalisme. Avant le XVIIIiè­me siècle, on peut re­pérer le messia­nisme national des Juifs, la notion d'ap­partenance culturelle commune chez les Grecs de l'Antiquité, la notion d'im­pe­rium chez les Romains. Au Moyen Age, les nations connaissent leurs différences mais les assument dans l'œkumène chrétien, qui reste, en ultime instance, le seul véritable réfé­rent. A la Renais­san­ce, en Italie, en France et en Alle­magne, la notion de «nation», comme ré­férent politique im­portant, est réservée à quelques huma­nistes comme Ma­chia­vel ou Ulrich von Hutten. En Bohème, la tragique aven­ture hussite du XVième siè­cle a marqué la mémoire tchèque, con­tribuant forte­ment à l'éclosion d'un par­ticularisme très typé. Au XVIIième siècle, l'Angleterre connaît une forme de na­tionalisme en instaurant son Egli­se na­tionale, indépendante de Rome, mais celle-ci est défiée par les non-con­for­mistes religieux qui se réclament de la lettre de la Bible.
    Avec la Révolution Française, le senti­ment national s'émancipe de toutes les formes religieuses traditionnelles. Il se laïcise, se mue en un nationalisme pu­rement séculier, en un instrument pour la mobilisation des masses, appelées pour la première fois aux armées dans l'histoire européenne. Le nationalisme moderne survient donc quand s'effondre l'universalisme chrétien. Il est donc un ersatz de religion, basé sur des éléments épars de l'idéologie des Lumières. Il naît en tant qu'idéologie du tiers-état, aupa­ravant exclus du pouvoir. Celui-ci, à cause précisément de cette exclusion, en vient à s'identifier à LA Nation, l'aristo­cratie et le clergé étant jugés comme des corps étrangers de souche franque-ger­manique et non gallo-ro­mane (cf. Sié­yès). Ce tiers-état bourgeois accède seul aux affaires, barrant en même temps la route du pouvoir au qua­trième état qu'est de fait la paysan­nerie, et au quint-état que sont les ou­vriers des manu­factures, encore très minoritaires à l'é­poque (1). Le nationa­lisme moderne, il­lu­ministe, de facture jacobine, est donc l'idéologie d'une par­tie du peuple seu­lement, en l'occurrence la bourgeoisie qui s'est émancipée en instrumen­ta­li­sant, en France, l'appareil critique que sont les Lumières ou les modes angli­cisantes du XVIIIième siècle. Après la parenthèse révolutionnaire effervescen­te, cette bourgeoisie se militarise sous Bo­naparte et impose à une bonne partie de l'Europe son code juridique. La Res­tau­ration d'après Waterloo conserve cet appareil juridique et n'ouvre pas le che­min du pouvoir, ne fût-ce qu'à l'échelon com­munal/municipal, aux éléments a­van­­cés des quart-état et quint-état (celui en croissance rapide), créant ainsi les con­ditions de la guerre sociale. En Al­le­magne, les observateurs, d'abord en­thou­siastes, de la Révolution, ont bien vi­te vu que les acteurs français, surtout parisiens à la suite de l'élimination de toutes les factions fédéralistes (Lyon, Mar­seille), ne cherchaient qu'à hisser au pouvoir une petite «élite» clubiste, cou­pée du gros de la population. Ces ob­servateurs développeront, à la suite de cette observation, un «nationalisme» au-delà de la bourgeoisie, capable d'orga­ni­ser les éléments du tiers-état non encore politisés, c'est-à-dire les pay­sans et les ou­vriers (que l'on pourrait appeler quart-état ou quint-état). Ernst-Moritz Arndt prend pour modèles les consti­tutions suédoises des XVIIième et XVIIIiè­me siècles, où le paysannat, fait unique en Europe, était représenté au Parlement en tant que «quart-état», aux côtés de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie marchande et industrielle (2). Le Baron von Stein, juriste inspiré par la praxis prussienne de l'époque fré­­déricienne, par les théories de Herder et de Justus Möser, par les leçons de l'è­re révolutionnaire et bonapartiste, éla­bo­re une nouvelle politique agraire, pré­voyant l'émancipation paysanne en Prus­se, projette de réorganiser la bu­reaucratie d'Etat et d'instaurer l'auto­no­mie administrative à tous les niveaux, depuis la commune jusqu'aux instances suprêmes du Reich. Les desiderata d'Arndt et du Baron von Stein ne seront pas traduits dans la réalité, à cause de la «trahison des princes allemands», de l'«obstination têtue des principules et du­caillons», préférant l'expédiant d'une restauration absolutiste pure et simple.
    Comment le nationalisme va-t-il évo­luer, à la suite de cette naissance tu­mul­­tueuse dans les soubresauts de la Révolution ou du soulèvement allemand de 1813? Il évoluera dans le plus parfait désordre: la bourgeoisie invoquera le na­­tionalisme dans l'esprit de 1789 ou de la Convention, les socialistes dans la perspective fédéraliste ou dans l'espoir de voir la communauté populaire politi­sée s'étendre à tous les états de la so­ciété, les Burschenschaften allemandes contre les Princes et l'ordre imposé par Metternich à Vienne en 1815, les narod­niki russes dans la perspective d'une émancipation paysanne généralisée, etc. Le mot «nationalisme» en vient à dési­gner des contenus très divers, à recou­vrir des acceptions très hétérogènes. En Hongrie, avec Petöfi, le nationalisme est un nationalisme ethnique de libération comme chez Arndt et Jahn. En Pologne, l'ethnisme slavisant se mêle, chez Mi­ckiewicz, d'un messianisme catholique anti-russe et anti-prussien, donc anti-or­­thodoxe et anti-protestant. En Italie, avec Mazzini, il est libéral et illuministe. En Allemagne avec Jahn et au Dane­mark, avec Grundtvig, il est nationa­lis­me de libération, ethniste, ruraliste, ra­cia­lisant et s'oppose au droit romain (non celui de la vieille Rome républi­cai­ne mais celui de la Rome décadente et orientalisée, réinjecté en Europe cen­tra­le entre le XIIIième et le XVIième siè­cles), c'est-à-dire à la généralisation d'un droit où l'individu reçoit préséance, au détriment des communautés ou de la nation.
    Dans l'Allemagne nationale-libérale de Bismarck, le tiers-état allemand accède au pouvoir tout en concédant une bonne législation sociale au quint-état ouvrier. La France de la IIIième République con­solide le pouvoir bourgeois mis en selle lors de la Convention. Entre 1914 et 1918, le monde assiste à la conflagration généralisée des nationalismes tiers-éta­tistes. En 1919, à Versailles, l'Ouest im­pose le principe de l'auto-détermina­tion dans la Zwischeneuropa, l'Europe sise en­tre l'Allemagne et la Russie. La Fran­­­­ce va ainsi accorder aux Polonais et aux Tchèques ce qu'elle refusera tou­jours aux Bretons, aux Alsaciens, aux Corses et aux Flamands. Mais cette au­to-détermination n'est pas accordée di­rec­tement aux peuples pris dans leur globalité, mais aux militaires polonais ou roumains, aux clubs tchèques (Ma­sa­ryk), etc. Ces strates dirigeantes, ex­ploitant à fond les idéologèmes nationa­listes, ont affaibli leurs peuples en im­po­sant des budgets militaires colossaux, notamment en Pologne et en Roumanie. Dans ce dernier pays, ce n'est pas un ha­­sard non plus si la contestation néo-na­tionaliste, hostile au nationalisme de la monarchie et des militaires, se soit basée sur les idéologies agrariennes (po­po­ranisme) ou les ait faits dévier dans une sorte de millénarisme paysan, com­parable, écrit Nolte (3), aux milléna­ris­mes de la fin du Moyen Age ouest-euro­péen (Légion de l'Archange Michel, Gar­­de de Fer).
    Devant ce désordre événémentiel, la pen­­sée européenne n'a pas été capable d'énoncer tout de suite une théorie scien­tifique, assortie d'une classification claire des différentes manifestations de l'idéologie nationaliste. Avec un tel dé­sor­dre de faits, une typologie est néces­saire, vu qu'il y a pluralité d'acceptions. Les linéaments de nationalisme se sont de surcroît mêlés à divers résidus, plus ou moins fortement ancrés, d'idéologies non nationales, non limitées à un espace ou à un temps précis. La première clas­sification opératoire n'a finalement été sug­gérée qu'en 1931 par l'Américain Carl­ton J.H. Hayes (4).
    Celui-ci distin­guait :
    1) Un nationalisme humanitaire, fai­sant appel à des valeurs intériorisées et critique vis-à-vis du système en place. L'idéologie humanitaire pouvant repo­ser tantôt sur la morale tantôt sur la cul­­ture;
    2) Un nationalisme jacobin, réclamant une adhésion formelle, donc extérieure, et s'instaurant comme système de gou­vernement;
    3) Un nationalisme traditionaliste, auto­ritaire et contre-révolutionnaire, explo­rant peu les ressorts de l'intériorité hu­maine, et s'opposant au système en pla­ce au nom d'une tradition, posée comme pure, comme réceptacle exclu­sif de la vérité;
    4) Un nationalisme libéral, se réclamant du droit ou des droits, généralement hos­tile au système en place, car celui-ci n'accorde aucun droit à certaines caté­gories de la population ou n'en accorde pas assez au gré des protagonistes du nationalisme;
    5) Un nationalisme intégral, opérant une synthèse de différents éléments idéo­logiques pour les fusionner en un na­tionalisme opératoire. Maurras est le théoricien par excellence de ce type de nationalisme de synthèse, hostile, lui aussi, au régime en place.
    Le découpage que nous suggère Carlton J.H. Hayes est intéressant mais l'ex­périence historique nous prouve que les nationalismes qui ont fait irruption sur la scène politique européenne ont sou­vent été des mixtes plus complexes, vu les affinités qui pouvait exister entre ces différents nationalismes, comme par exemple entre le nationalisme humani­taire et le nationalisme libéral, entre le libéralisme et le jacobinisme, entre les traditionalistes et les natio­na­listes in­té­graux, etc.
    Hans Kohn (5), disciple de Meinecke, ré­duira conceptuellement la pluralité des nationalismes à deux types de base: 1) les nationalismes émanant de la Nation-Etat, d'essence subjective et politique, où l'on adhère à une nation comme à un parti. C'est une conception occidentale, d'après Kohn;
    2) les nationalismes émanant de la Na­tion-Culture, d'essence objective et cul­turelle, déterminée par une apparte­nan­ce ethnique dont on ne peut se dé­barrasser aisément. C'est une concep­tion orientale, slave et germanique, d'a­près Kohn.
    L'Occident, selon sa classification, déve­lopperait donc une idée de la nation comme communauté volontaire, comme un «plébiscite de tous les jours» (Re­nan). Jordis von Lohausen, géopoliti­cien autrichien contemporain, disait dans ce sens que l'on pouvait de­venir français ou américain comme l'on devient musul­man: par simple décision personnelle et par acceptation de valeurs universelles non liées à du réel concret, à un lieu précis et objectif.
    L'Est européen développe une approche contraire des faits nationaux. Cette ap­proche, dit Kohn, est déterministe: on ap­partient à une nation comme on ap­partient à une famille, pour le meilleur et pour le pire.
    Kohn en déduit que les approches occi­dentales sont libérales, démocratiques, rationnelles et progressistes. Les ap­proches orientales, quant à elles, sont irrationnelles, anti-individualistes, pas­séistes, voire «fascistes» et «racistes».
    Cette dichotomie, un peu simple, mérite une critique; en effet, les nationalismes jacobins, occidentaux, de facture libérale et démocratique, se sont montrés agres­sifs dans l'histoire, bellogènes, inca­pables de créer des consensus réels et d'organiser les peuples (de faire des peuples des organismes harmonisés). Quant aux nationalismes dits orientaux, ils reposent sur un humanisme cultu­rel, dérivé de Herder, qu'il serait difficile de qualifier de «fasciste», à moins de condamner comme telle toute investiga­tion d'ordre culturel ou littéraire dans un humus précis. Par ailleurs, l'Irlan­de qui est située à l'Ouest du continent européen, n'est ni slave ni germanique mais celtique, déploye un nationalisme objectif, ethnique, culturel, littéraire qui n'a jamais basculé dans le fascisme. De même pour l'Ecosse, le Pays de Galles, la Flandre, la Catalogne, le Pays Bas­que. La Pologne, située à l'Est, assimile de force les Ruthènes, les Kachoubes, les Lithuaniens, les Ukrai­niens, les Alle­mands et les Tchèques qui tombent sous sa juridiction non pas au nom d'un nationalisme ethnique polo­nais mais au nom d'une idéologie uni­versaliste mes­sia­nisée, le catholicisme. Si bien que tous les Slaves catholiques sont considé­rés comme Po­lo­nais, en dépit de leur na­­tionalité pro­pre. Dans la Russie du XIXième siècle, le natio­na­lisme est un mixte qui n'a rien de la netteté dichoto­mique de Kohn: l'étatisme anti-volonta­riste, mi-occidental mi-orien­tal, se con­jugue au panslavisme culturel, «orien­tal» et non humaniste, et au narodni­kis­me, «oriental» et humaniste.
    Theodor Schieder (6) critique les classi­fi­­cations de Hayes et de Kohn, parce qu'il les juge trop figées et parce qu'elles ne tiennent pas compte du facteur temps. La formation des nationalismes européens s'est déroulée en plusieurs étapes, dans trois zones différentes. La première étape s'est déroulée en Europe occidentale; la seconde étape, en Europe centrale; la troisième étape, en Europe orientale. En Europe occidentale, c'est-à-dire en France et en Angleterre, le cadre territorial national était déjà là; il n'y a donc pas eu besoin de l'affirmer. Le tiers-état s'émancipe dans ce cadre et conserve les éléments d'universalisme propre au Lumières parce que le ro­man­tisme attentif aux spécificités ethno-culturelles ne s'est pas encore dé­velop­pé. La culture est toujours au stade du subjectif-universaliste et non encore au stade de l'objectif-particulariste. Ce qui explique qu'en Angleterre, le terme «na­tionalisme» sert à désigner des mou­­vements de mécontents sociaux en Irlande, en Ecosse, au Pays de Galles. Cette acception, à l'origine typiquement britannique, du terme nationalisme est passée aux Etats-Unis: on y parle du «nationalisme noir» pour désigner le mé­contentement des descendants des es­claves africains importés en Amé­ri­que, jadis, dans les conditions que l'on sait. Aux Etats-Unis comme en France, le nationalisme ne peut être ni objectif ni linguistique ni ethnique mais doit être subjectif et politique parce ces pays sont pluri-ethniques et, au départ, peu peu­plés, donc contraints de faire appel à l'im­migration. Tout recours à l'objecti­vité ethno-linguistique y briserait la co­hésion artificielle, obtenue à coup de pro­pagande idéologique.
    En Europe centrale, il a fallu d'abord que les nationalismes créent le cadre territorial sur le modèle des cadres oc­cidentaux. C'est ainsi que l'on a pu ob­server, dans la première moitié du XIXième siècle, les lents processus des unifications allemande et italienne. Il a fallu aussi chasser les puissances tu­tri­ces (la France en Allemagne; l'Autriche en Italie). L'obsession de se débarrasser des armées napoléoniennes et de l'ad­mi­nistration française ainsi que de ses re­liquats juridiques est bien présente dans les écrits des ténors du natio­na­lis­me allemand du début du XIXième: chez Arndt, chez Jahn et chez Kleist. Dans cette première phase, le nationa­lis­me émergeant révèle une xénophobie, qui unit le peuple en vue d'un objectif précis, la libération du territoire natio­nal, et qui, sur le plan théorique, cher­che à démontrer une homogénéité so­ma­tique de tout le corps social et popu­laire. Ensuite, la démarche unificatrice passe par l'élaboration d'un droit al­ternatif, devant nécessairement accor­der un plus en matière de représen­ta­tion que le droit ancien, imposé par une puissance extérieure. D'où, en Alle­ma­gne, la recherche constante d'une al­ter­native au droit romain et la volonté d'un retour au droit coutumier germanique, laissant plus de place aux dimensions communautaires, territoriales ou pro­fes­­sion­nelles (cf. Otto von Gierke), ce qui permet de répondre aux aspirations con­­crètes d'autonomie communale et aux volontés d'organisation syndicale, ex­primées dans la population.
    En Europe orientale, les processus na­tio­­nalitaires se heurtent à une difficulté de taille: créer un cadre est excessi­ve­ment compliqué, vu la mosaïque ethni­que, à enclaves innombrables, qu'est la partie d'Europe sise entre l'Allemagne et la Russie. Cette difficulté explique la neutralisation de cette zone bigarrée au sein d'empires pluri-nationaux. La rai­son d'être de la monarchie austro-hon­groise était précisément due à l'impos­si­bilité d'un découpage territorial co­hé­rent sur base nationale dans cette ré­gion, ce qui l'aurait affaiblie face à la menace otto­mane. Pendant la guerre 14-18, Alle­mands et Autrichiens renon­cent, sur le plan théorique, à l'idéologie na­tionale, tandis que l'Entente et les Etats-Unis, malgré leurs idéologies do­minantes cos­mopolites, instrumentali­sent, contre la lo­gique fédérative autri­chienne, le fa­meux principe wilsonien de l'«auto-dé­ter­mination nationale» (7). Quand, à Versailles, sous l'impulsion de Wilson et de Clémenceau, on accorde à l'Europe orientale l'auto-détermi­na­tion, on le fait par placage irréfléchi du modèle jacobin, subjectivo-politique, sur la mosaïque ethnique, objectivo-cultu­rel­­le. Le mélange du nationalisme sub­jectif et des faits objectifs d'ordre ethni­que et culturel a provoqué l'explosion d'ir­rédentismes délétères. 
    Le nationalisme des «petits peuples» dans les travaux de Miroslav Hroch

    Miroslav Hroch (8), de nationalité tchè­que, analyse le nationalisme des «petits peu­ples», soit les nationalismes norvé­gien, fin­landais, flamand, baltes et tchè­que. Ces nationalismes, tous culturels à la base, ont également évolué en trois étapes. La pre­mière de ces étapes est la phase intellec­tuelle, «philologique», où des érudits redé­couvrent le Kalevala en Finlande ou ex­hument de vieilles poésies ou épopées ou, encore, créent des romans historiques com­me Conscience en Flan­dre. L'archéologie, la littérature et la lin­guis­tique sont mo­bilisées pour une «pri­se de conscience». Vient ensuite la seconde phase, celle du réveil, où cette nou­velle culture encore marginale passe des érudits aux intellec­tuels et aux étu­diants. Le Tchèque Pa­lac­ky (9) a été, par exemple, l'initiateur d'un tel passage dans la société tchèque du dé­but du XIXième. La troisième phase est celle où le nationalisme, au préalable en­goue­ment d'érudits et d'intellectuels, de­vient «mouvement populaire», atteint les mas­­ses qui passent, ainsi, à une «cons­cience historique». C'est la litté­rature, dans tous ces cas, qui est le moteur d'un mouvement social. Au XIXième, dans le sillage du romantisme, c'est le roman qui a joué le rôle de diffuseur. Aujour­d'hui, ce pourrait être le cinéma ou la ban­de des­sinée.
    Qui porte cette évolution? Ce n'est pas, comme dans les cas des nationalismes tiers-étatistes, la bourgeoisie industrielle ou marchande. Celle-ci ne montre aucun intérêt pour la philologie, la poésie ou le roman historique. Sur le plan culturel, elle est strictement analphabète (Kultur­anal­­­pha­bet, dirait-on en allemand). Le na­­tio­na­lisme des «petits peuples» émane au con­traire de personnalités cultivées, issues de classes diverses, mais toutes hos­tiles à la caste marchande inculte (les «Philistins», disait l'humaniste anglais Matthew Ar­nold). Schumpeter, en éco­no­­mie, Veblen, en sociologie, ont montré combien puis­san­te était cette hostilité du peuple, des cler­gés et des aristocrates à l'encontre des ri­ches sans passé, por­teurs de la civilisation capitaliste. Cons­ta­tant que cette haine al­lait croissante, Schumpeter prévoyait la fin du capita­lis­me. Cette haine est donc partagée entre d'une part, les nationa­lis­mes culturels et, d'autres part, les gau­chismes de tou­tes moutures, qui, quand ils conjuguent leurs efforts et abandonnent le faux clivage gauche/droite en induisant un nouveau clivage, cette fois entre cultivés et non-cultivés, font sauter la domination des castes marchandes, spéculatrices et incultes («middelmatiques» disait le so­cia­liste belge Edmond Picard).
    Des intellectuels issus des milieux paysans

    Les intellectuels qui initient ces natio­na­lismes de culture sont souvent issus de mi­lieux populaires paysans, ruraux, ou sont de petits hobereaux cultivés, déposi­taires d'une «longue mémoire». Miros­lav Hroch pose, après ce constat sur l'o­rigine sociale de ce type d'intellectuels, une question cruciale: sont-ils des «mo­der­­nisa­teurs» (progressistes) ou des «tra­­ditiona­listes» (réactionnaires et pas­sa­tistes)? Dans sa réponse, Hroch recon­naît que ces intellectuels sont plutôt des «moderni­sa­teurs», vu qu'ils cherchent à redonner un bel éclat à leur patrie et à souder leur peuple, de façon à ce qu'il échappe au dé­racinement de la révolu­tion industrielle. Les nationalismes de cul­ture sont tous nés dans des régions d'Europe développées, au passé riche. La Flandre a été une zone ur­banisée depuis le Moyen Age. Le Pays Basque est la zone la plus évoluée d'Es­pagne, qui, après une brève éclipse au XIXième siècle sur fond de pronuncia­men­tos castillans, a connu un nouvel essor au XXième. Même chose pour la Catalogne. La Finlande dispose d'une bonne industrie et présente un bon alliage politique fait de ruralité et de mo­dernité. La Norvège a toujours eu d'ex­cel­lents chantiers navals et dispose, au­jour­d'hui, d'une industrie élec­tronique de premier plan, capable de fa­briquer des missiles modernes. La Bo­hè­me-Moravie a été, après l'Allemagne, la principale zo­ne industrielle d'Europe cen­trale et Pra­gue a une université pluri-sé­culaire. Au vu de ces faits, le reproche de pas­séis­me qu'adressait Kohn aux nationa­lismes de culture ne tient pas. Notre con­clusion: le nationalisme est difficile­ment acceptable quand il émane du tiers-état, parce qu'il véhicule alors l'égoïsme de classe et l'impolitisme délétère à long terme du libéralisme; il est acceptable quand il émane d'une sorte de «première fonction» reconstituée dans le fond-de-peuple enraciné et encore doté de sa «longue mémoire». 
    E.H. Carr et le reflet des périodes de l'histoire européenne dans la définition des nationa­lismes
    Pour l'historien britannique E.H. Carr, les nationalismes, aux divers moments de leur évolution, sont des reflets de l'i­déo­logie politique et économique domi­nan­te de leur époque. Ainsi, avant 1789, le na­tionalisme —ou ce qui en tenait lieu avant que le vocable ne se soit imposé dans le vocabulaire politique— dans les Etats au cadre ter­ritorial formé, comme la France ou l'An­gleterre, est régalien; il est le coro­llaire du pouvoir royal et inclut dans ses corpus doctrinaux l'idéal mé­ca­niciste et abso­lu­tiste en vigueur chez les théoriciens du politique au XVIIIiè­me siècle. De 1789 à 1870, le nationalisme est démocratique; la révolution de 1789 est démocratique et li­bé­rale, bourgeoise et tiers-étatiste. En 1813, en Allemagne, avec Arndt et Jahn, elle s'adresse à l'en­semble du peuple, pay­sannerie compri­se. En 1848, elle est démo­cratique au sens le plus utopique du ter­me, tant à Paris qu'à Francfort. De 1870 à 1939, quand on abandonne petit à petit les principes libé­raux et l'économie du «lais­ser-faire», le nationalisme devient socia­liste car il faut impérativement organiser l'industrie et les masses ou­vrières, ce que l'utopisme libéral n'avait pas prévu, aveu­glé qu'il était par le mythe de la «main invisible» que Hayek nommera, quelques décennies plus tard, la «catallaxie». Bis­marck ac­cor­de aux ouvriers une protection so­cia­le. Les idéologies planistes (De Man, Fre­yer), le stalinisme, le fascisme (sur-tout dans sa dimension futuriste et in-dustria­liste), le New Deal de Roosevelt et le natio­nal-socialisme hitlérien (avec ses construc­tions d'autoroutes et son Front du Travail) visent à faire accèder leur na­tion à la puis­sance et y parviennent en appliquant de nouvelles méthodes, cha­que fois différen­tes mais radicalement autres que celles appliquées aux époques antérieures. La France et l'Angleterre, vé­hiculant des na­tionalismes anciens, de type régalien, et appliquant en économie les théorèmes du libéralisme, intègrent mal leurs classes ouvrières et ne par­viennent pas à asseoir en elles une loyauté optimale.
    L'Allemagne bismarckienne, en effet, a été un modèle d'intégration social à son époque. Appliquant les théories de l'éco­nomiste List sur les tarifs douaniers pro­tecteurs de toute industrie naissante, le gouvernement impérial impose les Schutz­zölle en 1879 qui protègent non seu­lement le capital national mais aussi le travail national, ce qui lui vaut la re­con­naissance de la social-démocratie di­rigée à l'époque par Ferdinand Lassalle. Dès que le capital et le travail sont proté­gés, il faut les organiser, c'est-à-dire les rendre ou les re-rendre «organiques». Pour ce faire, il a fallu injecter de la pro­tection sociale et légiférer dans le sens d'une sé­curité sociale. La nation, dans cette opti­que, était le système qui «or­ga­nisait» et oc­troyait de la protection. Na­tion et sys­tème social se voyaient dé­sor­mais con­fondus dans la classe ouvrière: le pa­trio­tisme du «prolétariat» allemand en 1870 et en 1914 venait du simple fait que ces masses ne souhaitaient ni le knout russe archaïsant ni l'arbitraire libéral français ou anglais. En août 1914, les travailleurs al­lemands couraient aux armes pour que Russes et Français ne viennent pas ré­duire à néant la sécurité sociale cons­trui­te depuis Bismarck et non pas pour la gloire du Kaiser ou de la Sainte-Alle­magne des réactionnaires et des roman­ti­ques médiévisants.
    Pour E.H. Carr, la phase 1 du natio­na­lis­me est régalienne et portée par les cours et l'aristocratie; la phase 2 est poli­ti­que et démocratique; sa classe por­teuse est la bourgeoisie; la phase 3 est éco­no­mique et portée par les masses. Les na­tions à nationalisme de phases 1 et 2 ont opté pour un colonialisme, où les terri­toi­res d'outre-mer devaient servir de dé­bou­chés à l'industrie métropolitaine que, du coup, on ne modernisait plus. Les na­tionalismes de phase 3 préfèrent la «co­lo­nisation intérieure», c'est-à-dire la ren­tabilisation maximale des terres en friches de la métropole, des énergies na­tionales, des ressources du territoire. Cette «colonisation intérieure» a pour corollaire un système d'éducation très so­lide et très complexe. En bout de cour­se, ce sont les nations qui ont renoncé au libéralisme stricto sensu et au colonia­lisme qui sortent victorieuses de la cour­se économique: le Japon et l'Allemagne.
    Le nationalisme contre les établissements ?
    Donc tout nationalisme efficace doit être une idéologie contestatrice; il doit tou­jours vouloir miner les établissements qui s'endorment sur leurs lauriers ou veulent bétonner des injustices. Il doit vou­­loir l'émancipation des masses et des catégories sociales dont l'établis­se­ment re­fuse l'envol et vouloir aussi leur inté­gration optimale dans un cadre soli­de, épuré de toutes formes de dys­fonc­tion­ne­ments. Il n'y a aucun vrai na­tio-nalisme possible dans une société qui dys­fonc­tion­­ne à cause de sa maladie li­bé­rale. Les discours nationalistes dans les so­ciétés libérales sont des hochets, des jou­joux, de la propagande, de la pou­dre aux yeux. Dans les sociétés pro­té­gées, appli­quant intelligemment et sou­plement les principes du protection­nis­me, qui per­met l'éclosion d'un capi­ta­lis­me national, d'un socialisme natio­nal, d'une péda­go­gie nationale, le nationa­lis­me devient au­to­matiquement l'idéologie de ceux que favorise le protectionnisme, contre le cos­mopolitisme libéral et l'in­ter­­na­­tiona­lisme prolétarien qui sont des fois sans ancrage social réel et con­dui­sent les so­ciétés à la ruine ou à la déli­ques­cence. Au­jourd'hui, comme il n'y a plus de vo­lon­té protectionniste, ni à l'é­chelon étati­que ni à l'échelon continen­tal, il n'y a plus de nationalisme, si ce n'est des con­tre-façons grotesques, à ver­bo­sité mili­ta­riste, qui servent de véhicule à d'autres utopies internationalistes, com­­­me, par exemple, les intégrismes re­­­ligieux ou les stratégies néo-spiri­tua­listes qui nous vien­nent des Etats-Unis ou de Corée.
    Les nouveaux fronts
    Chaque étape du développement de la pensée nationale crée de nouveaux fronts politiques, que le manichéisme de la pen­­sée d'aujourd'hui refuse de perce­voir. Avant 1789, le morcellement terri­to­rial des Etats et les douanes intérieures constituaient des freins à l'expansion du libéralisme et de l'industrie. La nécessité de les éliminer a généré une idéologie à la fois nationale (parce que la nation était le cadre élargi nécessaire à la promotion des industries et manufactures) et libé­ra­le (l'accession du tiers-état marchand à la gestion des affaires). Cette idéologie mettait un terme aux dimensions ri­gi­difiantes et fossilisantes de l'Ancien Ré­gime. Mais quand le libé­ra­lisme a atteint ses limites et montré qu'il pouvait dis­soudre mais non orga­ni­ser, l'idéo­logie idéale à appliquer dans le cadre concret de la nation est devenue le pro­tection­nis­me. Par la création de zones au­­tarciques à dimensions territoriales pré­cises —la nation, l'Etat— le pouvoir met­tait un frein aux velléités cosmo­po­li­tes donc dis­solutives du libéralisme. L'An­gleterre, ayant une longueur d'a­van­­ce dans la cour­se à l'industria­lisa­tion, exploitait à fond la pratique du libre-échange pour inonder de ses produits les pays d'Europe non encore industrialisés ou moins in­dustrialisés, empêchant du même coup le développement d'un tissu industriel au­tochtone et privant la popu­la­tion d'op­por­tunités multiples. Le cos­mo­politisme est précisément l'idéo­lo­gie qui, sous pré­texte d'élargir les horizons à l'in­fi­ni, re­fuse de tourner son regard vers la con­crétude ambiante et con­dam­ne du même coup la population fixée dans et sur la concrétude ambiante à de­meurer dans ses chaînes. L'idéologie cos­mopolite des Lumières servait l'An­gle­terre au XIXiè­me siècle comme elle sert les Etats-Unis aujourd'hui.
    De cet état de choses découlent préci­sé­ment les nouveaux fronts. Le regalien, qui est politique pur, et le pro­­tec­tion­nis­me, qui veut intégrer les masses ouvriè­res et fortifier l'économie, s'opposent avec une égale vigueur au libéralisme cos­mo­polite. Le monarchisme, le socia­lis­me et le syndicalisme (ersatz à l'ère in­dustirelle des associations pro­fes­sion­nel­les d'ancien régime) s'oppose tantôt dans le désordre tantôt dans l'ordre au libéralisme. Les idéologues libéraux com­me Hayek et von Mises ou, dans une moindre mesure, Myrdal, décrivent le socialisme et le syndicalisme comme «ré­actionnaires» parce qu'ils s'opposent à l'expansion illimitée du capitalisme. Cette attitude procède d'un refus des lé­viathans équilibrants, d'un refus de met­tre un frein aux désirs utopiques et sub­jectifs, irréalisables parce que trop pré­tentieux. Le politique étant pré­cisé­ment la création de tels «léviathans é­qui­librants», on peut déduire que le li­bé­ralisme, fruit de l'idéologie des Lumiè­res, est anti-politique, cherche à briser le travail éminemment humain —l'hom­me étant zoon politikon— du politi­que. Le retour de Hayek et de von Mises dans un certain discours conservateur, aux Etats-Unis, en Angleterre et en France et d'une vulgate idéologique insipide ayant pour thème les «droits de l'homme», de même que la destruction de l'Irak baa­siste et de l'institutionalisation, amorcée par Kouchner, du droit d'ingérence dans les affaires intérieures de pays tiers, avec la triste affaire des Kurdes, participe d'u­ne totalitarisation du libéralisme qui, par la force militaire les trois puissances où le conser­vatisme se réclame de Hayek et les gauches du discours «droits-de-l'hommard», cher­che à homogénéiser la planète en brisant par déchaînement de violence outran­ciè­re (la destruction des colonnes irakien­nes en retraite par bom­bes à neutrons et à effet de souffle) les pe­tits léviathans locaux, ancrés régiona­lement. Comme par hasard, les trois puis­sances qui a­mor­cent cette apoca­lyp­se sont celles dites de l'«Ouest» dans le discours anti-im­pé­ria­liste de l'école na­tio­nale-bolchévique (Niekisch, Pae­tel)..
    Le commun dénominateur politisant du con­servatisme monarchiste, créateur de lé­viathans non socialisés, et du syn­di­ca­lisme, organisateur du tissu social, ex­pli­que le rapprochement entre l'AF et les syndicalistes soréliens au sein du Cercle Proudhon en 1911-12, le rappro­che­ment en­tre De Man et Léopold III en Belgique, le rapprochement —hélas mar­gina­li­sé— entre le CERES de Che­vénement et la NAR monarchiste...
    L'exemple latino-américain

    En 1945, le monde assiste à l'achèvement de la dynamique enclenchée par les na­tionalismes européens. Ce ne sont plus désormais des nations qui s'af­fron­tent mais des blocs idéologiques trans­na­tio­naux à vocation globale. Une sorte de nouvelle guerre de religion commence, ré­cla­mant, sur­tout chez les commu­nis­tes, une forte do­se de foi, qu'un Sartre con­tribuera no­tamment à injecter. Le na­tionalisme glisse alors vers le tiers-monde, comme l'avait prévu le géopoliti­cien allemand Karl Haushofer. En effet, en 1949, la Chine de Mao pro­cla­me son au­tarcie par rapport aux grands flux fi­nanciers in­ternationaux, vecteurs du pro­cessus de dénationa­li­sa­tion. Malgré le discours communiste-in­ter­nationa­lis­te, la Chine se replie sur el­le-même, re­devient natio­nale-chinoise, re­­pli qui sera encore ac­centué par la «ré­volution cul­tu­relle» des années 60. En 1954, l'Egypte de Nasser, à son tour, ten­te de se décon­nec­ter des grands circuits occidentaux. Les natio­nalismes du tiers-monde visent donc l'indépendance, es­sa­yent la non-intégra­tion dans la sphère américaine, que Roosevelt et Truman vou­laient éten­dre au monde entier (d'où l'expression «mondialisme»). Le modèle dans le tiers-monde est, tacitement, celui de l'Al­lemagne nationale-socialiste, et, plus officiellement, celui de la Russie de Sta­line. Mais le tiers-monde n'est pas ho­mo­gène: l'Amérique latine, par ex­em­ple, était déjà, par l'action des bour­geoi­sies «monroeïstes», dans l'orbite amé­­­ri­caine avant-guerre comme nous le som­mes aujourd'hui. C'est pourquoi, les La­tino-Américains ont pensé un natio­na­­­lisme de libération continental qui peut nous servir d'exemple, à condition que nous ne le concevions plus sur le mo­de trop roman­tique du guévarisme d'ex­por­tation qui avait, jadis, séduit la géné­ra­tion de ceux qui ont aujourd'hui entre 40 et 50 ans. Mis à part ce natio­na­lisme de libération, l'Amérique latine pré­sente:
    1) Un nationalisme d'intégration pour po­­pulations hétérogènes (Mexique-Bré­sil).
    2) Un nationalisme hostile aux investis­seurs étrangers à l'espace latino-amé­ri­cain. Ce nationalisme continentaliste avait été surtout développé au Chili (a­vant Pinochet) et en Bolivie.
    3) Un nationalisme qui est recours au pas­sé pré-colonial. Ce nationalisme a sur­­tout été théorisé par le Péruvien Ma­riategui. Il s'apparente du point de vue des principes aux nationalismes de cul­tu­re européens, comme le nationalisme finlandais qui exhume le Kalevala ou le nationalisme irlandais qui exhume ba­la­des celtiques et épopée de Cuchulain, etc. Ou qui recourt au passé pré-chrétien de l'Europe.
    4) Un nationalisme dérivé du populisme urbain, dont l'expression archétypique de­­meure le péronisme argentin.
    Ces quatre piliers théoriques du natio­na­­­lisme continentaliste latino-américain ré­duisent à néant les clivages gau­che/ droi­­te conventionnels; en effet, on a vu al­ter­nati­ve­ment groupes de «gauche» et groupes de «droite» se revendiquer tour à tour de l'un ou l'autre de ces pi­liers théoriques.
    En quoi ces piliers théoriques peuvent-ils servir de modèles pour l'Europe?
    A. Quand le nationalisme de la gauche chilienne exprime son agressivité tran­chée à l'égard des exploiteurs étrangers, il a le mérite de la clarté dans la défi­ni­tion et la désignation de l'ennemi, acte po­­litique par excellence, comme nous l'ont enseigné Carl Schmitt et Julien Freund. 
    Quant au nationalisme péruvien, théo­ri­sé par Mariategui, il constitue un mixte de dialectique indigéniste et de dia­lecti­que économiste. La lutte contre l'exploi­ta­tion économique passe par une prise de conscience indigéniste, dans le sens où le retour aux racines indigènes implique automatiquement une négation du sys­tè­me économique colonial. L'anti-impé­ria­lisme, dans la perspective péru­vien­ne-in­digéniste, consiste à recourir aux ra­cines naturelles, non aliénées, du peu­ple. Cet indigénisme est hostile aux na­tionalismes des «bourgeoisies mon­roe­istes», d'origine coloniale et alignées généralement sur les Etats-Unis avec, comme seul supplément d'âme, un es­thé­tisme européisant, tantôt hispano­phi­­le, tantôt francophile ou anglophile.
    Les mythes castriste, guévariste, sandi­niste, chilien ont eu du succès en Europe parce qu'inconsciemment, ils corres­pon­daient à des désirs que les Européens n'exprimaient plus en leur langage pro­pre, qu'ils avaient refoulés. Lorsque l'on analyse des textes cubains officiels, pa­rus dans la célèbre revue Politica In­ter­nacional (La Havane) (10), on dé­couvre une analyse pertinente de l'offensive cul­turelle américaine en Amérique lati­ne. Par l'action dissolvante de l'améri­ca­nisme, la culture cesse d'être cons­cien­ce historique et politique et se mue en instrument de dépolitisa­tion, d'alié­na­tion, par surenchère de fic­tion, de psy­chologisme, etc. Nous pour­rions com­parer cette analyse, très cou­rante et gé­néralisée dans le continent la­tino-a­mé­ricain, à celle qu'un Steding (11) avait fait du neutralisme culturel dépoli­tisé en Hollande, en Suisse et en Scandi­navie ou à celle que Gobard avait fait de l'alié­na­tion culturelle et linguistique en France (12).
    Indigénisme, populisme ou nationa­lisme ?
    En conclusion, toute idéologie et toute pra­tique politique qui veulent prendre en compte les racines du peuple, ses pro­duc­tions culturelles doivent: 1) tenir comp­te des lieux et du destin qu'ils im­po­sent, ce qui implique une politique ré­gionaliste fédérante à tous les échelons; c'est là une logique fédérante 2) opérer un retour aux racines, par un travail ar­­chéologique et généalogique constant, de façon à pouvoir repérer les moments où ont été imposées des structures alié­nantes, à comprendre les circonstances de cette anomalie et à en combattre les ré­sidus; c'est là une logique indigéniste; 3) déconstruire les mécanismes alié­nants introduits dans nos tissus sociaux au moment de la révolution industrielle (une relecture de Carlyle s'impose à ce niveau) et organiser les nouvelles jun­gles urbaines, ce qui signifie ré-enra­ci­ner les populations agglutinées dans les grandes métropoles; c'est là une logique justicialiste et populiste; 4) ras­sembler les peuples et les entités poli­tiques de di­mensions réduites au sein de grands es­paces économiques semi-au­tarciques, dé­passant l'étroitesse de l'Etat-Nation; c'est une logique continen­taliste ou «re­g­nique» (reichisch); 5) rompre avec les nationa­lismes séculiers et laïques clas­siques, nés à l'époque des Lumières et véhicu­lant sa logique d'homo­généisa­tion, éli­minatrice de nombreux possibles (l'omologazzione de Pier Paolo Pasolini); rompre également avec les nationa­lis­mes qui se sont rebiffés contre les Lu­miè­res pour retomber dans le fantasme de la conversion forcée, dans un cultu­ra­­lisme passéiste conservateur et dé­réa­lisé.
    Une idéologie politique est acceptable —qu'elle se donne ou non l'étiquette de «nationaliste»— si et seulement si 1) elle se fonde sur une «culture» enraci­née, impliquant une conscience histo­ri­que et portée par une sorte de nouvelle «pre­mière fonction» (au sens dumézilien du terme); 2) si cette nouvelle «première fonction» est issue du fond-du-peuple (prin­cipe d'indigénat); 3) si elle donne ac­cès à une représentation juste et com­plè­te à toutes les strates sociales; 4) si el­le organise une sécurité sociale et pré­voit une allocation fixe garantie à chaque ci­toyen, ce qui n'est possible que si l'on li­mi­te sévèrement l'accès à la citoyen­neté, laquelle doit désormais com­prendre le droit à un pécule mensuel ga­ranti, per­mettant une relative indépen­dance de tous (diminution de la dépen­dance du sa­lariat, égalité des chances, accès pos­si­ble au recylage professionnel ou à de nou­velles études, garantie de survie et d'indépendance de la mère au foyer, meil­leures chances pour les en­fants des familles nombreuses); comme la riches­se nationale ou régionale n'est pas ex­ten­sible à l'infini, les droits inhé­rents à la citoyenneté doivent rester limi­tés à l'«indigénat» (selon certains principes institués en Suisse); 5) si elle organise l'affectation des richesses fi­nancières nées des prestations de l'indigénat dans le cadre de son «espace vital», de façon à renoncer à toutes formes de colonialisme ou de néo-colonialisme financier alié­nant et à n'accepter, en matières de co­lo­nisa­tion, que les «colonisations inté­rieu­res» (ère agronomique en France au XIXième, assèchement des Polders aux Pays-Bas ou des marais pontins en Ita­lie, colonisation des terres en friche du Brandebourg ou de Transylvanie par des communautés paysannes autonomes, mobilisation de toutes les énergies de la population sans recours à l'immigration comme au Japon); 6) si elle traque toutes les traces d'universalisme militant et ho­mogénéisant, toujours susceptible de faire basculer les communautés hu­mai­nes concrètes dans l'aliénation par ir­réa­lisme têtu: cette traque, objet d'une vi­gilance constante, permet l'envol d'une appréhension du monde réellement uni­verselle, qui accepte le monde tel qu'il est: soit bigarré et kaléidoscopique.
    Enfin, toute idéologie acceptable doit af­fronter et résoudre les grands problèmes de l'heure; ce serait notamment aujour­d'hui l'écologie. Le nationalisme classi­que, ou celui qui resurgit aujourd'hui, n'in­siste pas assez sur les dimensions in­digénistes, populistes-justicialistes et con­tinentalistes. Il est dans ce sens ana­chronique et incapacitant. Il reste tiers-éta­tiste dans le sens où il n'est plus uni­versel comme l'était la pensée de la caste souveraine des sociétés traditionnelles, ce qui explique qu'il est incapable de pen­ser la dimension continentale ou l'i­dée de Regnum (Reich) et qu'il refuse de prendre en compte le fait du fond-du-peu­­ple, propre des quart-état et quint-état. Le nationalisme risque d'occulter deux dimensions: l'ouverture au monde et le charnel populaire. Il reste à mi-che­­min entre les deux sans pouvoir les englober dans une pensée qui va au-delà du simple positivisme.

    Robert Steuckers

    Notes : 

    1) Olof Petersson, Die politischen Systeme Nordeuropas. Eine Einführung, Nomos, Baden-Baden, 1989.
    (2) Olof Petersson, op. cit.
    (3) Ernst Nolte, Die faschistischen Bewegungen, dtv 4004, München, 1966-71, pp. 212-226.
    (4) C.J.H. Hayes, Essays on Nationalism, New York, 1966; The Historical Evolution of Modern Nationalism, New York, 1968 (3ième éd.); Nationalism: A Religion, New York, 1960.
    (5) H. Kohn, The Age of Nationalism. The First Era of Global History, New York, 1962; The Idea of Nationa­lism. A Study in its Origin and Background, New York, 1948 (4ième éd.); Prophets and Peoples: Studies in 19th Century Nationalism, New York, 1952.
    (6) Th. Schieder, «Typologie und Erscheinungsformen des Nationalstaats in Europa», in Historische Zeitschrift, 202, 1966, pp. 58-81 (repris in: Heinrich August Winkler, Na­tionalismus, Athenäum/Hain, Königstein/Ts, 1978, pp. 119-137); Der Nationalstaat in Europa als historisches Phä­nomen, Köln, 1964.
    (7) Rudolf Kjellen, Die politischen Probleme des Welt­krieges, 1916.
    (8) Miroslav Hroch, Die Vorkämpfer der nationalen Be­wegung bei den kleinen Völkern Europas, Prag, 1968; «Das Erwachen kleiner Nationen als Problem der kompa­rativen Forschung», in H.A. Winkler, Nationalismus, op. cit., pp. 155-172.
    (9) Joseph F. Zacek, Palacky. The Historian as Scholar and Nationalist, Mouton, Den Haag/Paris, 1970.
    (10) Pedro Simón Martínez, «Penetración y explotación del imperialismo en la Cultura Latinoamericana», in Poli­tica Internacional, Instituto de politica internacional, La Ha­bana/Cuba, 19, 1967, pp. 252-255.
    (11) Christoph Steding, Das Reich und die Krankheit der europäischen Kultur, 1942 (3ième éd.).
    (12) Henri Gobard, L'aliénation linguistique. Analyse té­traglossique, Flammarion, Paris, 1976; La guerre cultu­rel­le. Logique du désastre, Copernic, Paris, 1979.

    source : Vouloir :: lien

    http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EupFEZkyypPudgSsHk.shtml

  • Christine de Pisan (1364 - 1431) Femme de lettres et féministe

    Christine de Pisan est la première femme à avoir vécu de sa plume, la première « femme écrivain » donc. Italienne originaire du village de Pizzano, dans les montages proches de Bologne, elle est née à Venise en 1365.

    Son père est un célèbre professeur de médecine et d'astrologie. Dans l'Italie de la Renaissance, ces deux disciplines vont de pair car chacun est convaincu que Dieu se manifeste par des échanges entre les étoiles qui brillent dans le ciel et les hommes qui peuplent la Terre. Il importe donc de savoir interroger les étoiles pour guérir les hommes ou prévenir des malheurs.

    Devenu le médecin et l'astrologue du roi de France Charles V, le père de Christine fait venir celle-ci ainsi que toute sa famille à Paris, auprès de lui. Il encourage les penchants de sa fille pour la lecture mais ne lui en impose pas moins un mari quand elle arrive à l'âge de quinze ans.

    Christine se soumet à la coutume et devient bonne épouse et bonne mère. Mais dix ans plus tard, son mari décède brutalement et la jeune veuve éplorée, contre tous les usages, fait le choix de ne pas se remarier et d'élever seule ses trois enfants. 

    Au roi Charles V a succédé son fils Charles VI et Christine de Pisan voit s'éloigner ses protecteurs traditionnels. Les difficultés s'accumulent.

    Du fait de son éducation, elle déjoue avec habileté les pièges tendus par les créanciers de son défunt mari et réussit à récupérer les sommes qui lui sont dues. Disposant de temps libre, elle se remet à la lecture et écrit de petits textes pour son plaisir personnel puis un livre sur les caprices de la Fortune.

    Ses écrits ravissent la cour et le duc de Bourgogne Philippe le Hardi lui propose alors d'écrire la vie de son frère, le roi défunt Charles V le Sage. C'est ainsi qu'elle lui livre en 1404 Le Livre des fais et bonnes moeurs du sage roi Charles V.

    Le portrait qu'elle fait du roi coïncide avec celui qu'en font les historiens modernes. Elle dépeint un homme de bureau, efficace et compétent, autrement plus performant que les rois batailleurs qui l'ont précédé :
    « Ce roi, par son sens, sa magnanimité, sa force, sa clémence et sa libéralité désencombra le pays de ses ennemis tant qu'ils n'y firent plus leurs chevauchées. Et lui, sans se mouvoir de ses palais et sièges royaux, reconquit, refit et augmenta son royaume qui, auparavant, avait été désolé, perdu et dépris par ses devanciers portant les armes très chevalereux »(Christine de Pisan, Livre des fais et bonnes moeurs du sage roi Charles V, début XVe siècle).

    Le succès éloigne les difficultés matérielles. Les commandes affluent, motivées moins par la qualité de son style, discutable, que par la nature insolite d'une femme de lettres. Christine de Pisan s'entoure d'un véritable atelier de production avec des copistes et des enlumineurs. Elle-même se fait représenter dans les illustrations de ses manuscrits.

    Elle s'en prend aussi aux allusions érotiques, sexuelles ou franchement misogynes duRoman de la Rose, un recueil poétique écrit par Guillaume de Lorris et Jean de Meung entre 1230 et 1280 et très apprécié par les lettrés de son temps. En réaction, elle publie un manifeste destiné à magnifier le rôle des femmes dans l'Histoire. C'est La Cité des Dames.Elle ne manque pas de plaider la cause des femmes dans ses recueils poétiques avec par exemple ces conseils adressés aux hommes :

    « Ne sois déceveur de femmes
    Honore-les, ne les diffame.
    Contente-toi d'en aimer une
    Et ne prends querelle à aucune »
    .

    Mais le climat s'obscurcit à mesure que montent les rivalités à la cour et au Conseil de régence qui entoure Charles VI le Fou. Après la défaite des troupes royales à Azincourt et l'occupation de Paris par les Anglais, Christine de Pisan tire sa révérence. En 1418, elle entre au couvent comme beaucoup de dames de son âge. 

    Mais alors que la mort se rapproche, elle apprend une nouvelle incroyable : une Pucelle a sauvé le royaume de la déréliction et tient tête aux Anglais. Enthousiaste, elle se remet à son pupitre et écrit son dernier livre, qui est aussi le premier document sur Jeanne d'Arc : Le Ditié de Jeanne d'Arc :

    « Moi, Christine, qui ait pleuré
    Onze ans en abbaye close (...)
    Ore à prime me prends à rire... »
    .

    André Larané

    Cette courte biographie de Christine de Pisan nous a été inspirée par le beau livre d'Alessandro Barbero, Divin Moyen Âge (Flammarion, 2014).

    http://www.herodote.net/Christine_de_Pisan_1364_1431_-synthese-1916.php

  • Vendredi 27 juin 2014, Robert Steuckers : Révolution conservatrice allemande à la tribune du "Cercle Non Conforme"

    Vendredi 27 juin 2014, 19 h 30
    Robert Steuckers
    Révolution conservatrice allemande
    à la tribune du "Cercle Non Conforme",
    Métropole lilloise,
    Réservation: reservation.cnc@gmail.com

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  • Le discours de Bayeux, fondement de la Ve République

    Le général de Gaulle s’est rendu, le 16 juin 1946, à Bayeux pour y présider les fêtes organisées par la municipalité en commémoration de sa visite à cette ville, la première libérée, dans les premiers jours de la bataille de France de juin 1944.
    À l’occasion du discours qu’il prononce à Bayeux, il expose son projet constitutionnel et se réjouit du rejet de la première constitution, après son abandon du pouvoir au mois de janvier précédent. Il y jette les bases de ce qu’il souhaite être les nouvelles institutions pour la France et présente un projet de constitution fondé sur un régime Présidentiel fort dans lequel le chef de l’Etat est la clé de voûte du pouvoir exécutif (conception qu’il mettra en pratique après son retour au pouvoir en 1958) :
    « C’est du chef de l’Etat que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l’Etat la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement. A lui la mission de nommer les ministres et, d’abord, bien entendu, le Premier qui devra diriger la politique et le travail du gouvernement. au chef de l’Etat la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c’est envers l’Etat tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. A lui la tâche de présider les Conseils de Gouvernement et d’y exercer cette influence de la continuité dont la nation ne se passe pas. A lui l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques. A lui s’il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France… »

    http://www.lebreviairedespatriotes.fr/16/06/2014/histoire/le-discours-de-bayeux-fondement-de-la-ve-republique/