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entretiens et videos - Page 648

  • I-Média#161 : Macron Villiers, le lâchage médiatique du baby boss

  • Entre humour, provocation et combat radical, l’Alt-Right à l’assaut de l’Amérique !

    Une véritable campagne médiatique planétaire contre la Alt-Right a suivi l'élection de D.Trump, Nous avons posé à Anon Frog, un universitaire spécialiste de la culture et de la politique nord-américaine utilisant ce pseudonyme dans une des meilleures études sur le sujet dans la revue Rébellion, quelques questions pour comprendre la nature de ce phénomène en développement que nous évoquons par souci d'information mais dont RIVAROL n'assume pas la totalité des positions, des méthodes et des orientations.

    R. : Comment définir l'Alt-Right ? Pourquoi ce nom ?

    Anon Frog : Il s'agit d'une contre-culture nationaliste américaine, et plus généralement anglophone. Le nom est une contraction d'Alternative Right, le mouvement s'étant dès ses débuts défini par son opposition au néoconservatisme majoritaire au sein du Parti Républicain. C'est l'Autre Droite, celle qui fait peur.

    R. : La campagne des présidentielles américaines est l'acte de naissance de l'Alt-Right ou ses racines sont-elles plus anciennes ?

    A. F. : Le terme existe depuis 2008, et on peut trouver des accents très proches de ceux de l'Alt-Right chez les théoriciens et politiciens paléoconservateurs des années 1980 jusqu'au milieu des années 2000 (notamment Pat Buchanan et Ron Paul dans le monde politique, Paul Gottfried dans le monde universitaire et Samuel Francis dans le monde journalistique). Mais la campagne présidentielle de 2016 a servi de rampe de lancement pour le mouvement, qui demeurait auparavant une curiosité anecdotique confinée à des blogs et des sites.

    R. : Quelles sont les composantes de l’Alt-Right (revues, sites, réseaux) ?

    À; F. : Les réseaux sont encore très informels, même si des groupes de militants émergent au niveau local (citons le Traditionalist Workers Party, Identity Evropa — sic — et Vanguard America, qui regroupent des étudiants et des jeunes travailleurs). En l’état, les vitrines de l'Alt-Right sont un ensemble de sites le Daily Stormer, The Right Radix Journal, Altright.com, et bien entendu la centrale à idées que constitue le 4chan et sa sous-section « Politically Incorrect » ou /pol/ R.: Quelle est la stratégie de ce courant? autonomie et la viralité semblent être la règle de son action ?

    A- F. : Oui, avant Trump l'Alt-Right était complètement déconnectée de tout enjeu politique concret, et même après lui elle reste marginale, ses visées sont donc métapolitiques. Les alterno-droitards veulent implanter leurs thèmes de réflexion dans l'esprit des Euro-Américains et leur rendre une conscience identitaire volée par un bon demi-siècle d'hégémonie du marxisme culturel du néoconservatisme (les deux n'ayant rien de contradictoire).

    R. : Les références au monde des jeux-vidéos et de l'Internet sont nombreuses dans l'univers de l'Alt-Right. Ce phénomène existerait-il sans internet ? Quel est son lien avec la pratique du "trollage" ? 

    A. F. : 4chan a beaucoup joué dans cette ;: omniprésence de références aux jeux-vidéos, ainsi qu'aux mangas. Avant de devenir un forum fourre-tout, c'était un espace de discussion lié à la culture populaire japonaise, : et le thème est resté comme réfèrent culturel commun pour les participants, y compris dans sa section /pol/ où la BD nippone laisse lia place à des officières de la Waffen-SS mais dans un style toujours inspiré du manga. Le fait que les Japonais aient été sacrés « Aryens d'honneur » par Adolf Hitler n'y est pas tout à fait étranger... Ce bain culturel au départ très éloigné de toute considération politique a parfois des effets inattendus : ainsi le jeu-vidéo Crusader Kings I, ayant pour thème les croisades, a contribué à rendre populaire sur Internet le cri de ralliement « Deus Vult ! » auprès de jeunes gens qui rêvent désormais de reprendre Constantinople et Jérusalem...

    Quant au trollage, il s'agit de la méthode de propagande privilégiée de l'Alt-Right. C'est d'abord une propagande à usage interne reposant sur des codes souvent obscurs pour les novices, mais l'idéal reste quand même de l'exporter sur des média ennemis. Quoi de plus drôle en effet que de faire sortir de ses gongs une féministe juive aux cheveux bleus en lui envoyant sur Twitter un montage grossier de Donald Trump en gardien de camp de concentration ?

    R. : La base du mouvement est très jeune?

    A. F. :Les quelques figures connues sont des hommes entre 30 et 50 ans, mais l'Alt-Right regroupe effectivement une majorité d'étudiants, de jeunes travailleurs, voire de lycéens et de collégiens, dont l'activisme consiste surtout à rire sur Internet aux dépens de toutes les minorités agissantes au sein de la société américaine.

    R. : Que représente la figure de « Pepe the frog »?

    A. F. : C'est une grenouille anthropomorphe issue d'une bande-dessinée n'ayant rien de politique qui est, par les mystérieuses voies de l'Internet, devenue une image virale sur 4chan avant de se répandre partout ailleurs. L'Alt-Right en a fait sa mascotte et compte parmi ses plus grands faits d'armes l'inclusion de Pepe dans la base de données des « symboles de haine » de l’Anti-Defamation League (la LICRA américaine). Une religion parodique s'est organisée autour de la grenouille les 4chaneurs utilisent depuis des années le mot "kek" comme synonyme de "lol » (« mort de rire »). L'un d'eux a découvert que c'est également le nom d'une divinité égyptienne du chaos, représentée par une grenouille anthropomorphe. Pepe est depuis considéré comme un avatar de Kek, "dieu" longtemps endormi et ranimé par des internautes désœuvrés, qui a décidé pour l'instant d'aider les peuples européens à combattre le cosmopolitisme et la décadence mais qui peut se détourner d'eux à n'importe quel moment.

    R. : Comment faire la part entre l’humour noir, la provocation et les convictions réelles dans tes manifestations souvent drôles et violentes de ce courant sur le net ?

    A. F. : Andrew Anglin, le créateur et principal contributeur du Daily Stormer, explique dans son manifeste que « à l’ère du nihilisme, l'idéalisme absolu doit se draper d'ironie pour être pris sérieusement. Quiconque se présente comme quelqu'un de sérieux sera immédiatement perçu de façon contraire à travers les lentilles blasées de notre environnement post-moderne ». Son site distille la rhétorique la plus sulfureuse de toute l'Alt-Right, mais aussi la plus comique. Ne disposant d'aucune possibilité d'action politique à grande échelle, le mouvement compense en tenant des propos souvent outrageux, par exemple le mantra « Gas The K…, R… War Now ! » (« gazons les y…, on veut la guerre raciale ! ») répété jusqu'à plus soif. Toujours la logique de la provocation et du trollage, qu'on pourrait résumer ainsi puisque nos ennemis vont nous traiter de nazis quoi que nous fassions, nous allons assumer jusqu'au bout cette imagerie de façon parodique. Mais qu'on ne s'y trompe pas : derrière les plaisanteries, il y a des convictions solides quant à l'ordre du monde.

    R. : Comment le mouvement a-t-il gagné la guerre de la communication lors de la campagne présidentielle américaine ? Dans quelle proportion son action a-t-elle contribué à l'élection de Trump ?

    A. F. : C'est très difficile à estimer. L'enthousiasme populaire pour Trump dépasse bien sûr très largement les rangs de l'Alt-Right. Un fait sûr néanmoins : celui-ci n'ai pas du tout pâti de leur soutien durant la campagne. La dénonciation par Hillary Clinton de la « marge radicale » qui se serait emparée du Parti Républicain lors de son discours de Reno fin août 2016 est sans doute la plus grande victoire de l'Alt-Right et a contribué à la faire connaître d'un public plus large. En outre, une partie du vocabulaire du mouvement a contaminé les Américains pro-Trump plus modérés et ce que certains appellent l’Alt-Light" (des nationalistes civiques opposés au politiquement correct mais plus judéo-compatibles). Ainsi, sur le forum géant Reddit, la section des partisans de Trump (intitulée r/The_Donald) regorge d'images de Pepe et a fait sienne l'insulte "cuckservative" (« conservateur cocu ») popularisée par l'Alt-Right, sans toutefois se départir de l'israëlomanie caractéristique des Républicains. Mais une droitisation réelle du peuple américain est en cours, et l'Alt-Right constitue son avant-garde.

    R. : Existe-t-il une ligne idéologique commune au sein de ce mouvement ? Vous évoquez par exemple son "eurocentrisme" et son rapport avec la « Nouvelle Droite » européenne curieusement ?

    A. F.: En réponse à une journaliste de Radio France lors du dernier colloque du National Polky Institute en novembre 2016, Richard Spencer déclarait que « la différence entre nous et les conservateurs, c'est que nous lisons des livres ». Les traductions en anglais d'ouvrages d'Alain de Benoist, de Guillaume Faye ou d'Alexandre Douguine, ainsi que la synthèse sur la Nouvelle Droite Against Democracy and tquatity du Croato-Américain Tomislav Sunic font partie du corpus idéologique du mouvement, qui par ailleurs se nourrit de tout le canon occidental, de Platon à Heidegger en passant par Shakespeare et Cari Schmitt.

    La ligne idéologique commune est le nationalisme blanc et la solidarité avec les pays blancs. Sans nier à leur pays une identité spécifique et définie historiquement, les membres de l'Alt-Right pensent que les États-Unis d'Amérique font partie de la civilisation européenne, comme les pays du Commonwealth, l'Argentine, le Chili ou l'Uruguay. L'invasion migratoire à laquelle nous faisons face les inquiètent beaucoup, ils ont soutenu le Brexit, trouvent que Poutine et Orban sont des dirigeants admirables, et beaucoup seraient prêts à bien des efforts pour s'asseoir à la terrasse d'un café avec Marion Maréchal-le Pen.

    Si on trouve des nuances quant aux aspects plus concrets de ce que pourrait être une politique Alt-Right, l'opposition au capitalisme financier — héritée des racines libertariennes du mouvement — est assez constante. Et, fait notable dans un contexte américain, beaucoup n'hésitent pas à se réclamer du socialisme (tant qu'il est national bien entendu). Ainsi Richard Spencer se qualifie volontiers de collectiviste et aime le concept de sécurité sociale (une hérésie totale aux yeux des Républicains). Il est même allé jusqu'à louer certaines mesures proposées dans le programme de Bernie Sanders !

    R. : La modération sur la question raciale ou la question juive ne semble pas être la règle dans la mouvance ? Comment définir sa position en la matière ?

    A. F. : Premier amendement oblige (ou plutôt n'oblige pas), tout peut se dire outre-Atlantique à l'exception de l'appel explicite au meurtre. L'Alt-Right prône le « réalisme racial » , synonyme moins poli de l’ethno-différentialisme de la Nouvelle Droite, et une analyse objective de la "JQ" (« Jewish Question »). Le livre du professeur de psychologie évolutionniste Kevin MacDonald The Culture of Critique, qui analyse l'implication de Juifs dans les mouvements culturels et politiques au cours du 20e siècle, a beaucoup joué dans l'éveil de beaucoup d'activistes (1) Bien entendu, de telles opinions ne sont pas acceptables en bonne compagnie, mais l'Alt-Right travaille justement à les faire connaître du plus grand nombre.

    R. : Des liens existent entre la Alt-Right et les « nationalistes blancs » comme Jared Taylor ou Greg Johnson ?

    A. F. : À bien des égards ces deux-là sont les grands-pères du mouvement. Jared Taylor est parfois décrié en raison de sa position très molle sur la question juive, mais son organisation American Renaissance a beaucoup fait pour théoriser et expliquer le réalisme racial. Greg Johnson, quant à lui, a contribué à faire connaître la Nouvelle Droite via sa maison d'édition Counter Currents (dont le site publie beaucoup de traductions d'articles en de nombreuses langues dont le fiançais) et tenté de créer une North American New Right dans les années 2000. Aujourd'hui on peut dire qu'ils font partie de l'Alt-Right, les frontières sont très poreuses.

    R. : L'autre spécificité de l’Alt-Right est son absence de références religieuses (aussi bien d'ailleurs chrétiennes que païennes). Cela est très particulier dans l'univers des droites radicales américaines et n'est-ce pas une grave déficience du mouvement ?

    A. F. : Il y a une très grande tolérance religieuse au sein du mouvement, quand bien même les quelques croyants se rattachent plus volontiers au catholicisme traditionnel ou à l'orthodoxie qu'aux diverses dénominations protestantes, vues le plus souvent comme des fabriques de cocus. Mais les références religieuses sont effectivement très rares. Cela peut s'expliquer par plusieurs facteurs : la baisse de fréquentation des églises en général, les abus de la droite religieuse sioniste sous George Bush fils, et l'aspect très folklorique et peu rassembleur du christianisme racialiste de mouvements antérieurs comme le Ku Klux Klan. Beaucoup se définissent cependant comme "post-athées" c'est-à-dire non-croyants mais conscients de l'importance de la religion dans le maintien du lien social et l'identité d'un peuple.

    R. : L'une des figures centrales du courant est Richard Spencer. Quel est son parcours et son rôle dans le développement de l’Alt-Right ?

    A. F. : On doit à Richard Spencer le nom de la mouvance. Cela fait presque 10 ans qu'il porte sa vision politique de colloques en manifestations. Après avoir travaillé comme journaliste pour des journaux paléoconservateurs, il a monté plusieurs sites Internet et pris la tête des éditions Washington Summits et du National Policy Institute, un groupe de réflexion nationaliste blanc. S'il lui arrive d'être un peu taquin, son discours est bien moins "trollesque" que celui de beaucoup de ses compères. Il a emprunté aux Français le mot "identitaire" et produit une critique de l'anomie de la société américaine dont les accents évoquent parfois Baudrillard ou Christopher Lasch. Il n'aime pas vraiment le culte de la Constitution et de l'individualisme. Fort avenant et remarquablement cultivé, ce gentleman facho a été mis en avant par les média, multiplie les entrevues ces derniers mois et a donné des conférences sous haute tension dans plusieurs universités. Quand les gauchistes américains (la racaille antifa s'est bien exportée là-bas récemment) pensent à l’Alt-Right, ils voient Richard Spencer, le nouveau et charmant visage de la haine.

    R. : Les femmes sont-elles présentes dans l'Alt-Right ?

    A. F. : Les figures féminines de l'Alt-Right sont principalement des youtubeuses. Comme tout mouvement politique radical, PAlt-Right attire plus d'hommes que de femmes, mais celles-ci sont mises en avant autant que possible. Parmi les sous-cultures dont elle est issue, la "manosphere" (virilosphère ?) joue un rôle important. Il s'agit de communautés en ligne d'hommes qui critiquent le néo-féminisme et la libéralisation sexuelle, avec leurs corollaires que sont l’éclatement de la famille nucléaire et la submersion démographique des Blancs. Bien entendu, ils ne s'interdisent pas des propos peu amènes au sujet des femmes. Mais certaines, de plus en plus à vrai dire, se reconnaissent dans un modèle de société qui ne nierait pas la complémentarité des sexes, et comprennent que « faire une carrière » ne leur apportera pas forcément le bonheur, Cette réaction au féminisme va bien au-delà de l'Alt-Right. Le caractère hystérique des mouvements LGBT, qui exigent l'emploi de pronoms spécifiques pour les 36 "genres" possibles et font campagne pour combattre ; le « privilège masculin » sous toutes ses formes, est en train de polariser durablement la société américaine. Là où croît le danger...

    R. : Comment jugez-vous l'action de Steve Bannon auprès de Trump ? Sera-t-il la victime d'une nuit des « longs couteaux » dans la guerre d'influence au sein du gouvernement ?

    A. F. : L'homme est encore plus difficile à scruter que Trump. Les derniers mois de la campagne lui doivent beaucoup. Breitbart, le média qu'il dirigeait jusqu'à peu, n'a pas laissé le clan Clinton respirer une seule seconde. S'il s'est un jour défini comme un « nationaliste économique », Bannon a, en d'autres occasions, décrit Breitbart comme une « plateforme pour l'Alt-Right », il cite Julius Evola et Le Camp des Saints de Jean Raspail, et il aurait déclaré à un journaliste être léniniste et vouloir détruire l'État américain. Oy vey ! On pouvait espérer suite à l'élection qu'il jouerait un rôle important en tant que conseiller du Président. Les premières semaines du mandat de Trump étaient fantastiques : il avait tout l'appareil d'État contre lui mais se tenait droit dans ses bottes. L'ombre de Bannon planait sur la Maison-Blanche. Hélas, qu'il ait été fourbe dès le départ ou qu'on lui ait expliqué quelques réalités en coulisse, le Donald semble désormais bien plus à l'écoute de son gendre Jared Kushner et de sa convertie de fille. N'étant qu'un modeste internaute, je me refuse à des pronostics, mais tout cela a l'air mal parti. Tant pis, tant mieux le combat continue, et l'Alt-Right n'est pas près de se taire.

    R. : Qui incarne l'Alt-Right en France ?

    A. V. : Le forum 18-25 du site jeux video.com est une sorte d'équivalent français de 4chan, les sites Démocratie Participative et Blanche Europe reprennent explicitement les codes de l'Alt-Right, et des figures comme Boris le Lay en sont idéologiquement très proches. Plus généralement, toute la jeune génération de nationalistes qui a fleuri sur Internet ces dix dernières années dans le sillage d'Égalité et Réconciliation peut prétendre incarner une alternative à droite à la française.

    Propos recueillis par Monika Berchvok. Rivarol du 6 juillet 2017

    (1) Une traduction de sa volumineuse et explosive préface se trouve d'ailleurs à l'adresse suivante : www.kevinmacdonald.net/laculturedecritique-preface.pdf

    A lire Anon Frog, La victoire en trollant. Petite histoire de l’Alt-Right dans le numéro 79 de la revue Rébellion (disponible contre 5 euros auprès de Rébellion c/o RSE BP 62124 31020 TOULOUSE cedex 02 ou sur le site internet http://rebellion-sre.fr).

  • Le général de Villiers démissionne - Journal du mercredi 19 juillet 2017

  • Patrick Buisson : « Emmanuel Macron ne peut pas être en même temps Jeanne d'Arc et Steve Jobs »

    Est-il possible d'analyser le système Macron en profondeur, sérieusement, sans a priori excessif, systématiquement pro ou anti ? Puis d'élargir l'analyse à la nouvelle situation politique de la France ? C'est ce que Patrick Buisson fait ici dans cet important entretien pour le Figaro magazine[9.06], réalisé par Alexandre Devecchio. Ce dernier ajoute le commentaire suivant : « Patrick Buisson a scruté le paysage politique avec la hauteur et la distance de l'historien. Il restitue ici l'élection de Macron et la défaite de la droite dans le temps long de l'Histoire ». De notre côté, nous avons commenté ainsi ce remarquable entretien : « tout fondé sur un soubassement d’esprit monarchique et de droite légitimiste – où (Buisson) synthétise en une formule lapidaire ce que Maurras eût peut-être appelé le dilemme d’Emmanuel Macron : " On ne peut pas être à la fois Jeanne d’Arc et Steve Jobs ". Tout est dit ! ».   Lafautearousseau

    1741146342.jpgDepuis son entrée en fonction, Emmanuel Macron a fait preuve d'une gravité et d'une verticalité inattendues. Vous a-t-il surpris positivement ?

    La fonction présidentielle est en crise depuis que ses derniers titulaires ont refusé d'incarner la place du sacré dans la société française. Sarkozy, au nom de la modernité, et Hollande, au nom de la « normalité », n'ont eu de cesse de vouloir dépouiller la fonction de son armature symbolique, protocolaire et rituelle. Emmanuel Macron a parfaitement analysé le vide émotionnel et imaginaire que la disparition de la figure du roi a creusé dans l'inconscient politique des Français. En France, pays de tradition chrétienne, le pouvoir ne s'exerce pas par délégation mais par incarnation. C'est, selon la formule de Marcel Gauchet, « un concentré de religion à visage politique ».

    L'élection constate l'émergence d'une autorité mais celle-ci ne peut s'imposer dans la durée qu'à condition de donner corps à la transcendance du pouvoir et de conférer une épaisseur charnelle à une institution immatérielle. Il faut savoir gré à Macron de l'avoir compris jusqu'à faire in vivo la démonstration que la République ne peut se survivre qu'en cherchant à reproduire la monarchie et en lui concédant au bout du compte une sorte de supériorité existentielle. Voilà qui est pour le moins paradoxal pour le leader d'un mouvement qui s'appelle La République en marche.

    De la cérémonie d'intronisation à la réception de Poutine à Versailles, les médias ne tarissent pas d'éloges au sujet de ses premières apparitions publiques…

    Oui, même quand le nouveau président leur tourne ostensiblement le dos et n'hésite pas à remettre en cause les fondements de la démocratie médiatique : la tyrannie de l'instant, la connexion permanente, l'accélération comme valeur optimale. Le soin qu'il apporte à la mise en scène de sa parole, de sa gestuelle, de ses déplacements montre à quel point il a intégré la mystique du double corps du roi, qui fait coïncider à travers la même personne un corps sacré et un corps profane, un corps politique et un corps physique. Accomplir des gestes et des rites qui ne vous appartiennent pas, qui viennent de plus loin que soi, c'est s'inscrire dans une continuité historique, affirmer une permanence qui transcende sa propre personne. À ce propos, le spectacle du nouveau président réglant son pas sur la Marche de la garde consulaire et faisant s'impatienter le petit homme rondouillard qui l'attendait au bout du tapis rouge aura offert à des millions de Français le plaisir de se revancher de l'humiliation que fut la présidence Hollande, combinaison inédite jusque-là de bassesse et de médiocrité. Quel beau congédiement !

    Mais n'est-ce pas simplement, de la part d'un homme de culture, une opération de communication bien maîtrisée ?

    Toute la question est de savoir si, avec la présidence Macron, on sera en présence, pour le dire avec les mots de son maître Paul Ricœur, d'une « identité narrative » ou d'une « identité substantielle ». Reconstituer le corps politique du chef de l'État, lui redonner la faculté d'incarner la communauté exige que s'opère à travers sa personne la symbiose entre la nation et la fonction. Emmanuel Macron récuse le postmodernisme et veut réhabiliter les « grands récits ». Fort bien. Mais de quels « grands récits » parle-t-il ? Le roman national ou lessuccess-stories à l'américaine ? Jeanne d'Arc ou Steve Jobs ? Honoré d'Estienne d'Orves ou Bill Gates ? Les vertus communautaires et sacrificielles ou le démiurgisme technologique de la Silicon Valley ?

    C'est là où l'artifice dialectique du « en même temps » cher à Macron touche ses limites. Il y a des « valeurs » qui sont inconciliables tant elles renvoient à des visions diamétralement opposées de l'homme et du monde. Les peuples qui ont l'initiative du mouvement historique sont portés par des mythes puissants et le sentiment d'une destinée commune fondée sur un système de croyances et un patrimoine collectif. Pour recréer le lien communautaire à travers sa personne, le président Macron doit répudier le candidat Macron : mobiliser l'histoire non comme une culpabilité ou une nostalgie mais comme une ressource productrice de sens.

    Outre la verticalité, Macron assume également une certaine autorité…

    Toute la question est de savoir de quelle autorité il s'agit. Depuis Mai 68, les classes dirigeantes se sont employées à délégitimer la représentation transcendante des anciennes figures de l'autorité comme autant de formes surannées du contrôle social. Mais, si elles ont récusé l'autorité comme principe, elles n'y ont pas pour autant renoncé en tant que fonctionnalité. Autrement dit, comme technologie du pouvoir indispensable à l'induction du consentement, de l'obéissance, voire de la soumission chez les gouvernés. A l'ère de la communication, ainsi que l'avait pressenti Gramsci, la relation de domination ne repose plus sur la propriété des moyens de production. Elle dépend de l'aliénation culturelle que le pouvoir est en mesure d'imposer via la représentation des événements produite par le système politico-médiatique dont le rôle est de fabriquer de la pensée conforme et des comportements appropriés. On en a encore eu une éclatante démonstration avec la campagne présidentielle qui vient de s'achever.

    Si Macron est le produit de ce système-là, est-il pour autant condamné à en rester indéfiniment captif ?

    L'intention qui est la sienne de réintroduire de l'autorité dans le processus de décision politique est louable. Ce qui légitime l'autorité c'est, disait saint Thomas d'Aquin, le service rendu au bien commun. Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas chercher à restaurer l'autorité-principe là où sa disparition a été la plus dommageable ? A l'école, par exemple, où notre appareil éducatif s'est acharné à disqualifier la transmission et à la dénoncer dans le sillage de Bourdieu comme volonté de répétition et de reproduction du même. La transmission est par excellence l'acte vertical intergénérationnel qui consiste à choisir ce qui mérite d'être transporté à travers le temps quand la communication obéit à une logique horizontale et démocratique de diffusion non critique et non sélective dans l'espace. De ce point de vue, le profil du nouveau ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, est sans doute le seul vrai signe encourageant.

    Régis Debray dit que Macron est un « Gallo-ricain », le produit d'un écosystème mental américanisé où l'instance économique commande à toutes les autres. N'est ce pas excessif ?

    Je crains qu'il n'ait raison. Emmanuel Macron apparaît comme la figure emblématique de cette nouvelle classe dominante qui aspire à substituer à tous ceux qui proposent un salut hors de l'économie - religion ou politique - la seule vérité de l'économie. Tout ce qui n'est pas de l'ordre de l'avoir, toutes les visions non utilitaristes de la vie en société relèvent pour elle de l'angle mort. Le parti de l'économisme, c'est celui de l'interchangeabilité qui cherche à réduire en l'homme tous les particularismes et toutes les appartenances (nation, famille, religion) susceptibles de faire obstacle à son exploitation en tant que producteur ou comme consommateur. C'est le parti des « citoyens du monde », des « forces du flux d'information, de l'échange et de l'immigration » célébrés par Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook lors de son discours aux diplômés d'Harvard le 25 mai dernier.

    Le cycle dominé par l'économie, que l'on croyait sur le point de s'achever, a connu un spectaculaire regain à l'occasion de la campagne présidentielle. Le retour des nations, de l'histoire et de l'organisation de sociétés autour des thèmes de l'identité et de la souveraineté n'aura-t-il été qu'une fugitive illusion ?

    Je n'en crois rien. Un système où l'économie commande l'organisation de la société est incapable de produire du sens. Sous couvert d'émancipation des individus, l'économisme a surtout œuvré à leur soumission croissante au règne de la marchandise et de l'ego consacrant, selon la formule d'Emmanuel Mounier, la « dissolution de la personne dans la matière ». La crise morale que nous traversons montre que l'homme réduit à l'économie ne souffre pas simplement d'un mal-être mais d'un manque à être. Elle est le fruit amer d'une malsociété, excroissance maligne de l'incomplétude d'une société exclusivement consumériste et marchande. « On ne tombe pas amoureux d'une courbe de croissance », proclamait l'un des rares slogans pertinents de 68. N'en déplaise aux médiagogues, il y a de moins en moins de monde pour croire que l'identité d'un pays se ramène à son PIB et que la croissance peut opérer le réenchantement du monde.

    L'élection présidentielle que nous venons de vivre a-t-elle été un coup pour rien ?

    Au contraire, elle aura été l'occasion d'une magistrale, et peut-être décisive, leçon de choses. La droite républicaine et le Front national ont fait la démonstration chacun à leur tour - François Fillon au premier et Marine Le Pen au second - qu'ils étaient l'un et l'autre, sur la base de leurs seules forces électorales, dans l'incapacité de reconquérir ou de conquérir le pouvoir. L'élimination de Fillon dès le premier tour fut tout sauf un accident, indépendamment des affaires dont on l'a accablé. Elle s'inscrit dans un lent et inexorable processus de déclin qui a vu la droite de gouvernement passer de 49 % au premier tour de la présidentielle de 1981 à 27 % en 2012 et à 20 % le 23 avril dernier. Faute d'avoir su opérer, comme ce fut le cas en 2007, une nécessaire clarification idéologique, la droite ne peut plus se prévaloir du bénéfice automatique de l'alternance. Elle a perdu l'élection imperdable. On ne voit pas pourquoi ni comment elle pourrait ne pas perdre les élections qui viennent. Faute d'avoir su construire une offre politique crédible, le FN est, lui aussi, dans l'impasse. Il reste ce qu'il a toujours été : un épouvantail, le meilleur allié du système qu'il prétend combattre, son assurance-vie. C'est à partir de ce double constat partagé qu'une refondation est possible.

    Qu'attendez-vous de la décomposition-recomposition qui s'amorce ?

    Je crois, comme Marcel Gauchet, qu'un grand mouvement conservateur est naturellement désigné pour être, selon sa formule, « l'alternative au moment libéral économiste » que nous vivons. Emmanuel Macron a choisi de se faire le champion du camp des progressistes au moment où la promesse fondatrice du progrès-croyance - à savoir l'assurance absolue d'une amélioration inéluctable, générale et universelle - a échoué sur la question du bonheur. L'indicateur de cet échec, on le trouve dans l'explosion de la production, du trafic et de la consommation de drogue comme dans la croissance exponentielle de la consommation de psychotropes qui représente en France, selon une récente étude de la Cnam, 13% des soins remboursés par l'Assurance-maladie. Ces chiffres expriment le décalage entre le bonheur promis et le bonheur réel dans notre société. Le seul vrai progrès est aujourd'hui de pouvoir douter du progrès. Le conservatisme est l'outil intellectuel qui permet d'échapper à ce processus de décivilisation. Je n'en connais pas de meilleure définition que celle qu'en a donné Ernst-Erich Noth : « Nous avons à concilier la tâche temporaire de la politique qui passe et la mission éternelle de l'intelligence ; mais cela n'est possible que par une subordination de la matière à l'esprit, de l'actualité à la continuité.»

    La situation présente aurait donc, selon vous, le mérite de dissiper un long malentendu historique…

    En effet. S'il était encore possible au milieu du siècle dernier d'accoler les deux vocables de libéral et de conservateur, leur accouplement relève aujourd'hui de l'oxymore, tant la fracturation intervenue depuis est d'ordre à la fois métaphysique et anthropologique. La Manif pour tous a fait apparaître, en 2013, une césure radicale entre une droite conservatrice - ce que j'ai appelé un populisme chrétien -, qui proclamait le primat du sacré sur le marché, et une droite libérale-progressiste, acquise au principe d'illimitation et à l'abaissement du politique au niveau de la gouvernance économique. Cette droite-là est en marche vers Emmanuel Macron, qui est en train de réussir à la fois la reconstitution de l'unité philosophique du libéralisme en illustrant à la perfection la complémentarité dialectique du libéralisme économique et du libéralisme culturel, mais aussi la réunification des libéraux des deux rives, comme le fit au XIXe siècle l'orléanisme, déjà soucieux de constituer un bloc central en coupant, selon la recette réactualisée par Alain Juppé, « les deux bouts de l'omelette ».

    Soyons reconnaissants à Macron de son concours bénévole, même s'il n'est pas franchement désintéressé. De grâce, que personne ne retienne les Républicains « constructifs » qui se bousculent déjà pour le rejoindre. Rien ne sera possible sans cette rupture fondatrice. Il y a des décantations qui sont des clarifications. Il est des divorces qui sont des délivrances pour ceux qui restent.   

    « Emmanuel Macron a parfaitement analysé le vide émotionnel et imaginaire que la disparition de la figure du roi a creusé dans l'inconscient politique des Français » 

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    La Cause du peuple de Patrick Buisson, Perrin, 21,90€. 

    Alexandre Devecchio

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/

  • MILITANT – JUIN 2017 – LES EUROPES ET LA CIVILISATION OCCIDENTALE

    L’entretien nationaliste en format vidéo numéro 14 pour juin 2017 de la revue Militant, en présence de son rédacteur en chef M. André Gandillon.

    Sommaire :
    – 0:58 – Quelle est la nature de l’Europe, ses origines, et les ethnies qui la composent ?
    – 17:58 – Quelles sont les grandes périodes civilisationnelles de l’Europe durant l’antiquité ?
    – 32:59 – Quels sont les grands moments européens, cette fois, durant l’histoire médiévale ?
    – 49:15 – Que dire sur le contexte européen récent qui est passé du IIIe Reich à la domination progressive étasunienne et soviétique ?
    – 1:15:32 – Que dire de l’actuelle structure qu’est l’Union européenne atlantiste ? 
    – 1:28:47 – Y-a-t’ il des particularités européennes supplémentaires par la géographie entre nord/sud et est-ouest ?

    Pensez à suivre la chaîne YouTube de « Revue Militant » et à vous abonner à la revue papier mensuelle.

    N’hésitez pas également à nous aider en diffusant nos entretiens pour nous faire connaître !

    http://www.revue-militant.fr/

    https://www.jeune-nation.com/geopolitique/militant-juin-2017-les-europes-et-la-civilisation-occidentale.html

  • Gilles Gaetner : les journalistes ne devraient pas dire ça !

    Gilles-Gaetner-Journalistes-230x350.jpgAncien rédacteur en chef adjoint de l’Express, Gilles Gaetner est journaliste d’investigation et spécialiste des affaires politico-financières. En plusieurs décennies de carrière, il s’est intéressé de près à Renaud Van Ruymbeke, Roland Dumas, le juge Halphen ou Rachida Dati. Mais, pour se faire un maximum d’ennemis, il a décidé de faire un portrait au vitriol du métier actuel de journaliste.

    Dans un livre foisonnant d’anecdotes, de faits précis et fouillés, Les journalistes ne devraient pas dire ça, sous-titréQuand la presse va trop loin… ou pas assez (éditions du Toucan), Gilles Gaetner porte un regard critique mais lucide sur ce quatrième pouvoir qui a décidé de devenir le premier.

    Une plongée déconcertante dans les arcanes d’une profession qui, il y a peu encore, fascinait mais qui ne cesse de rejoindre des rivages peu flatteurs qui ont pour nom : entorses à la déontologie, vénalité, conformisme systématique ou connivence avec les pouvoirs politiques et les lobbys financiers. Il s’en explique sur le plateau de TVLibertés.