En passant du col Mao au Rotary, les anciens gauchistes, trotskistes et autres maoïstes français ont changé d'idoles. Marx, Lénine, Trotski étaient leurs héros, les voilà qui boivent les paroles de George Bush sur Fox News. Les gauchistes constituent l'essentiel des troupes des néoconservateurs français. Ils nient être passés à droite, ils ont raison : ils sont seulement passés a l'Ouest.
De Romain Goupil, cofondateur des JCR (Jeunesses communistes révolutionnaires) à Yves Roucaute, qui fut vice-président de l'Unef, patron de l'Union des étudiants communistes et de l'Institut Gramsci, en passant par Alexandre Adler, encarté au PCF, André Glucksmann et Olivier Rolin, tous deux venus de la Gauche prolétarienne (maoïste), mais aussi Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut Pierre-André Taguieff, etc... on assiste à une véritable fuite des cerveaux sur fond de fatwas, de crise de nerfs et de listes noires, Le Nouvel Observateur pleure ses intellos perdus et vitupère quasiment toutes les semaines contre « la vague droitière », « la droitisation dure de la France », « les nouveaux réacs » Diable ! Le Monde s'interroge doctement sur les néo-conservateurs à la française qui roulent pour Bush.
Avec une bonne dizaine d'années de retard sur l'Amérique, la greffe néo-conservatrice commence à prendre. Mais qui sont les néo-conservateurs ? Irving Kristol, un des pères de ce mouvement, à qui l'on demandait s'il était de droite, y a répondu par une boutade : « Nous sommes des hommes de gauche qui se sont fait casser la gueule par la réalité. » Faut-il donc croire qu'une bonne partie de l'élite médiatique française s'est fait rouer de coups ? Toujours est-il que les nouveaux convertis se sont regroupés autour d'une nouvelle publication, Le Meilleur des mondes, qu'ils auraient mieux fait d'appeler Défense de l'Occident !
Joseph de Maistre contre les néo-cons !
Un petit détour par les Etats-Unis s'impose pour tenter de comprendre les soubassements idéologiques qui ne manqueront pas de traverser la prochaine élection présidentielle française. Grâce à un génial coup de bonneteau sémantique qui eut lieu au début des années quatre-vingt, un quatuor d'ex-trotskistes juifs de la côte Est - Irving Kristol, Norman Podhoretz, Allan Bloom et Paul Wolfowitz - retourne les caciques du Parti républicain à leur cause en plaidant la supériorité morale de l'Amérique à propager et imposer son modèle démocratique partout dans le monde, ainsi que, naturellement, l'absolue nécessité de défendre Israël. L'ingérence militaire au nom de la liberté et de la démocratie : il fallait y penser.
Bill Kristol (fils d'Irving), le patron du Weekly Standard, bible des «néo-cons» trace à grands traits le corpus idéologique de ces mutants : « Conservateurs sur le plan moral, sceptiques vis-à-vis des utopies et de la gauche mais aussi de la droite réactionnaire incarnée par des gens comme Joseph de Maistre ou Carl Schmitt. » La droite américaine ne serait-elle donc pas de droite ? Au terme d'une guerre des idées tous azimuts qui a duré presque vingt ans, les néo-cons ont vaincu par K.O. Contre la gauche, l'essayiste David Brooks invente le concept destructeur des «bobos» les fameux bourgeois-bohèmes forcément de gauche donc forcément déconnectés des aspirations du peuple. Imparable. Au sein de la droite, les néo-cons balaient les «réalistes» incarnés par Henry Kissinger, le conseiller du président Richard Nixon, ou les «isolationnistes» comme Pat Buchanan. Résultat : ils bouleversent la politique étrangère de la droite américaine.
C'est finalement le très conservateur philosophe britannique John Grey qui définit le mieux qui ils sont : « Les intellectuels néo-conservateurs qui décident de la politique américaine à la Maison Blanche croient que la terreur est indispensable, mais pensent - tout comme leurs prédécesseurs jacobins - qu'il s'agit d'une terreur juste et compassionnelle : un bref moment de douleur et voilà le nouveau monde qui advient. Les guerriers intellectuels comme Richard Perle se considèrent réalistes, mais la persistance avec laquelle ils appellent à la guerre rappelle plus un Robespierre qu'un Metternich. » Et le même d'appeler Joseph de Maistre à la rescousse pour dénoncer la bêtise de ceux qui pensent qu'on peut « fonder des nations avec de l'encre » !
George W. Bush en petit père des intellos
Inutile de préciser que le débat en France est loin d'atteindre le même niveau. Les élites françaises ont la phobie des idées et de la confrontation. À l'image de l'ex-mao (tendance Gauche prolétarienne) Denis Kessler, ex-vice-président du Medef et p-dg de Scor, les nouveaux convertis se contentent de défendre les stocks-options dans les colonnes du Figaro. Cyniques, ils ont simplement pris acte de l'échec de l'économie socialiste. La mondialisation est leur nouveau dogme,
Reste malgré tout une différence de taille entre ces ex-gauchistes camouflés en penseurs «néo-libéraux» et leurs homologues américains : les élites françaises ont fait vœu de haine... anti-française. Ils portent en eux la haine viscérale de la France. Entre les néo-Iibéraux et la gauche internationaliste, les structures mentales sont les mêmes. Le discours libéral de détestation de soi de Claude Lamirand, président d'Action Libérale, diffère peu de celui d'un militant d'extrême gauche : « L'Europe ne peut pas être la paix. La paix, c'est l'Otan. [...] L'Europe n'a que des héros de sang de puissance et d'autorité à se remémorer. Quand on voit en France le prestige de Napoléon, franchement, nous avons toutes les inquiétudes possibles, car aucune leçon de la tyrannie n'a été totalement tirée. » Hystérie contre une histoire de France pourtant singulière, c'est-à-dire belle et tragique, qui plonge bien au-delà de 1789. Et l'on songe au mot magnifique de March Bloch, historien patriote exemplaire qui déclarait : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la Fête de la Fédération. Peu importe l'orientation de leurs préférences. Leur imperméabilité aux plus beaux jaillissements de l'enthousiasme collectif suffit à les condamner. »
En 2006, le chef de file des néo-conservateurs français, Yves Roucaute, arrive encore à écrire que les États-Unis sont le « navire amiral des Républiques justes ». Auteur d'un livre mémorable intitulé Le néo-conservatisme est un humanisme (PUF, 2005), il prévient avec ces mots d'un autre temps qu'on aurait voulu croire à jamais fanés : « Souvenons-nous que les États-Unis sont notre seul espoir pour que l'emporte l'esprit de liberté, qui est celui de l'Humanité. » Il suffit de remplacer «États-Unis» par «Union soviétique» pour qu'éclate le ridicule d'une telle phrase, surtout quand on sait que le dit penseur publie régulièrement sa prose dans les colonnes de la plupart des journaux dits de droite !
Qui ne fait pas allégeance à Washington est un traître à l'Occident. Pour eux, l'Europe ne doit pas exister, mais expier à jamais. Sans complexe ni contradicteur, le même auteur assène sur l'air des lampions « Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la liberté a trouvé une puissance, les États-Uni, d'Amérique, en mesure d'imposer l'organisation du monde. » L'écrivain Pascal Bruckner, lui aussi passé par la Gauche prolétarienne, va encore plus loin : « Ce n'est pas le leadership américain qui est inquiétant, c'est plutôt sa discrétion » ! Internationaliste hier, mondialiste aujourd'hui, Les mots ont changé : le mal demeure. Ils sont restés les mêmes : bêtement manichéens, idéologiquement serviles, admirateurs des grands de ce monde.
C'est aussi l'Europe qu'ils assassinent
Passées les bornes, il n'y a plus de limites... C'est donc l'ancien maoïste François Ewald (encore un !) qui les franchit. Lui est devenu idéologue à la Fédération française des sociétés d'assurances et au Medef ! Sarkozyste de choc bien sûr et patron de la Fondation pour l'innovation politique (officine pensante de l'UMP), il affirme, péremptoire « L'Europe n'a pas d'identité, elle est une promesse. Elle est destinée à s'ouvrir : à l'Ukraine demain et, pourquoi pas, après-demain, aux pays du Maghreb. » L'ancien assistant de Michel Foucault au Collège de France n'a bien sûr jamais été de droite, aujourd'hui encore moins qu'hier quand il défend une Europe comme « un ensemble politique affranchi de toutes les formes d'identités raciales, ethniques, religieuses ou civilisationnelles ». Vive l'Europe hors-sol ! Et l'on dira après que les anciens gauchistes ne sont pas restés fidèles à leurs principes de jeunesse.
Il faut toute la clairvoyance du théoricien américain John C. Hulsman de l'Heritage Foundation pour poser les vrais enjeux « Seule une Europe qui s'élargit plutôt qu'elle ne s'approfondit, une Europe à la carte où les efforts pour la centralisation et l'homogénéisation restent minimaux, convient à la foi, aux intérêts nationaux américains et aux intérêts individuels des citoyens du continent. » Pour les malentendants, il a ce post-scriptum qui fait froid dans le dos : « Les États-Unis ne veulent ni que l'Europe réussisse trop, ni qu'elle échoue. À ce titre, l'Europe actuelle convient aux intérêts stratégiques à long terme de l'Amérique. » On ne saurait mieux dire.
Lucien Valdès Le Choc du Mois Juillet/Août 2006