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Des comptes très opaques : La paix sociale a un prix un milliard d'euros archive 2008

Jamais les syndicats n'ont eu aussi peu d'adhérents et jamais ... ils n'ont eu autant d'argent : ils dépenseraient chaque année un milliard d'euros ! Dont les trois quarts ne proviennent évidemment pas des cotisations. L'État, comme les entreprises, alimentent les caisses, libèrent du temps syndical. Les salariés y gagnent peu. La paix sociale beaucoup ...
Le numéro 2 du Medef, patron de la très puissante Union des industries et métiers de la métallurgie (UlMM) pris la main dans le sac, retirant des fonds en liquide pour les verser... aux syndicats ! L'affaire Gauthier-Sauvagnac, débutée au mois d'octobre dernier et en cours d'instruction, est tombée à point pour tempérer quelque peu leurs ardeurs belliqueuses. Et pour cause ! Il est assez difficile de prétendre à l'indépendance, quand on se laisse graisser la patte par son interlocuteur privilégié... Certes, les responsables confédéraux ont nié ; mais combien de Français les croient-ils ? Le bon peuple y trouve, au contraire, une confirmation de ce qu'il savait déjà : les syndicats font partie intégrante du système et en « croquent » en veux-tu, en voilà !
Dispensés de payer l'impôt et de publier leurs comptes !
La question récurrente de leur financement est, du coup, redevenue d'une brûlante actualité. Philippe Cochet, député UMP du Rhône, a déposé une proposition de loi visant à imposer plus de transparence ; et la commission Attali s'est aussi emparée du sujet. Le parlementaire et la commission s'accordent sur la nécessité d'obliger les syndicats à tenir une comptabilité précise. Si elle aboutissait, cette réforme introduirait une révolution dans le Landerneau social : car la loi Waldeck-Rousseau de 1884, qui régit encore ces organisations professionnelles, les dispense à la fois de payer l'impôt et de publier leurs comptes !
Comme le confirmait, dans un rapport remis au gouvernement en mai 2006, Raphaël Hadas-Lebel, président de section au Conseil d'État : « Le financement des organisations syndicales est caractérisé par une grande opacité : aucun document public ou administratif porté à notre connaissance ne présente de synthèse des ressources financières des syndicats en France, ni même des mécanismes de financement. » Dès lors, il est impossible de connaître exactement l'ensemble des fonds que perçoivent les syndicats, ni leur origine.
Reste une certitude, déjà soulignée par une enquête du Nouvel Observateur publiée en février 2002 : « En vingt ans, le syndicalisme français a perdu la moitié de ses troupes. Et pourtant jamais les centrales n'ont été aussi riches. » En effet, le taux de syndicalisation parmi les salariés français est aujourd'hui inférieur à 8 %. En regard, selon Dominique Labbé, chercheur, spécialiste du syndicalisme, la CGT disposerait de 10 000 permanents ; la CFDT de 8 000 à 10 000 ; Force ouvrière, de 7 000 ; la CGC et la CFTC de 3 000 chacune. Au total, une trentaine de milliers d'emplois à temps plein. Qui paie ?
Certainement pas les cotisations des adhérents. La CFDT, seule centrale à publier des comptes sur internet, avance le chiffre de 65,11 millions d'euros de cotisations perçues et prétend, comme chaque année, qu'« en 2006, cotisations et autres ressources internes assurent près des trois quarts du budget confédéral ». Des affirmations battues en brèche par les experts : pour Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail (IST), les cotisations des syndiqués couvrent au maximum 20 % des ressources des syndicats.
Le trou de la Sécu n'est pas perdu pour tout le monde
Pour le reste, les organisations font leur miel dans des champs très différents : à la manne qu'elles recueillent contribuent l'État, les collectivités territoriales, le Conseil économique et social, les organismes sociaux, les organismes de formation professionnelle, les entreprises privées...
Tout est bon pour remplir la gamelle syndicale ! « Les subventions publiques, les prélèvements sur les organismes paritaires et les avantages tirés des "droits syndicaux" constituent les trois sources principales auxquelles s'abreuvent les syndicats », écrivait Guillaume Desanges dans un article paru clans Valeurs actuelles le 19 octobre dernier. Exemples à l'appui : au chapitre des subventions, en 2005, le ministère du Travail a octroyé quelque 29 millions d'euros à l'ensemble des centrales. Le ministère de l'Agriculture distribue une dizaine de millions aux syndicats agricoles. Le ministère du Budget octroie aux organisations professionnelles quelque 300 millions d'euros, sous forme d'abattements fiscaux, exonérations d'impôt et déductions des cotisations syndicales du revenu imposable...
Au total, combien l'État met-il au pot ? « Si l'on met bout à bout toutes ses subventions, c'est au bas minimum 472 millions d'euros qui passent chaque année de la poche des contribuables aux caisses des syndicats, » estimait en mai 2002 le mensuel Capital, dans un dossier consacré à « L'Argent secret des syndicats ». Il n'y a guère de chance que ce chiffre ait diminué.
Côté Sécu, retraites et formation professionnelle, le gâteau est d'autant plus tentant que la gestion paritaire permet d'y accéder facilement. À elle seule, la Direction générale du Travail attribue chaque année 30 millions d'euros aux centrales, au titre de la formation des syndicalistes. Et Capital constatait déjà en 2002 que « les caisses de retraite et la Sécu prélèvent sur les cotisations une bonne cinquantaine de millions d'euros pour les syndicats. » Le fameux « trou » n'est pas perdu pour tout le monde... Encore ne s'agit-il sans doute là que de la partie émergée de l'iceberg.
Organismes de droit privé cogérés par les centrales et le patronat, les caisses de retraite complémentaires ont besoin de l'accord des syndicats pour prélever des cotisations sur les feuilles de paye des salariés. Elles font donc assaut de séduction pour s'attirer les bonnes grâces des organisations : subventions couvrant les « frais de paritarisme », achat de pages de publicité dans la presse syndicale ou de stands dans les congrès, rémunération de « conseillers techniques » ou de permanents syndicaux, fourniture de matériel informatique, etc.
Les organisations syndicales (et patronales... ) complètent ces gains en recourant à quelques « trucs » : par exemple en trafiquant les justificatifs ouvrant droit aux subventions octroyées par les caisses de retraite au titre de la formation de leurs administrateurs, ou en ponctionnant les cotisations salariales...
Les avantages liés aux « droits syndicaux » concernent en particulier les locaux et moyen matériels qu'entreprises et administrations sont tenues de mettre à la disposition des syndicats, mais aussi et surtout les délégations de personnel, les emplois détachés, décharges de service et autres autorisations d'absence. Selon l'Institut supérieur du Travail, 20 000 emplois équivalent temps plein sont payés par le secteur public, ce qui représenterait une « aide » de plus de 500 millions d'euros par an ! La SNCF mettrait à la disposition des syndicats quelque 1700 cheminots, l'Éducation nationale 2 500 personnes, et le ministère de l'Intérieur, pas moins de 1 400 agents, soit un policier sur cent. Parmi les « stars », Jean-Claude Mailly, le patron de FO, est payé par la Sécu, et Bernard Thibaut salarié par la SNCF.
Pour 750 millions d'euros, t'as la paix sociale !
Les entreprises privées ne sont pas en reste. Mise à disposition des syndicalistes de Laguna (Renault), gains d'ancienneté, congés supplémentaires et heures sup (Véolia), fournitures de véhicules de fonction, avec cartes d'essence et de péage (Eiffage) : les exemples cités par Capital dans une « Enquête sur l'argent noir des syndicats » publiée en décembre 2007 ne laissent entrevoir qu'une faible partie de la réalité. L'affaire Gauthier-Sauvagnac permet de mieux l'appréhender : une caisse noire de 600 millions destinée aux bonnes œuvres en faveur des salariés grévistes et des entreprises victimes de conflits sociaux, 18 à 20 millions d'euros en liquide tirés entre 2000 et 2007 pour servir « au financement de différents organismes qui font partie de notre vie sociale », a indiqué l'ancien patron de l'UIMM. Qui dit mieux ?
D'autres sources de financement viennent encore gonfler la tirelire. Au Conseil économique et social, par exemple, siègent 67 syndicalistes (CFDT, CGT, FO, CFTC, CGC et Unsa) qui abandonnent leur indemnité (entre 2 838 et 3 129 euros nets mensuels) à leur syndicat. Par ce biais, les six organisations concernées se partagent, au prorata du nombre de leurs conseillers, une manne comprise entre 2 282 000 et 2 516 000 euros par an. Les Comités interprofessionnels du logement (CIL), cogérés par le patronat et les syndicats, et financés par le 1 % logement, absorbent en « frais de fonctionnement » un tiers du 1,3 millions d'euros qu'ils récoltent annuellement. Une partie de cette somme alimente les caisses des syndicats et du patronat.
Les Comités d'entreprise apportent aussi leur écot au financement des fédérations. L'affaire de la Caisse centrale d'activités sociales (CCAS) d'EDF, en 2003, a illustré les dysfonctionnements auxquels donne prise ce système. Totalement contrôlé par la CGT, le comité d'entreprise d'EDF est financé sur les factures payées par les consommateurs. Disposant d'un budget de 400 millions d'euros, il emploie 3 500 permanents. L'enquête diligentée après la révélation des tripatouillages de la CGT et du PCF par le nouveau directeur de la CCAS a fait état d'emplois fictifs, de surfacturations de contrats passés avec des sociétés complices, de subventions distribuées à des organismes amis, du financement de la sono de la campagne présidentielle de Robert Hue en 2002, etc.
Et la liste est loin d'être exhaustive. Capital pose le problème de fond : les dépenses totales des syndicats sont estimées à un milliard d'euros ! Leurs ressources officielles, entre les cotisations, les subventions et la vente des produits dérivés, ne dépassent pas 250 millions. Il faut bien trouver le reste (750 millions d'euros donc !) quelque part...
Or. l'écart entre les ressources considérables des syndicats et la minceur de celles provenant des cotisations des adhérents a des conséquences sur l'esprit même du syndicalisme. « Cela a conduit à une professionnalisation des activités syndicales, à la multiplication des postes de permanent (alors même que le nombre des adhérents s'effondrait), à la perception d'aides, de subventions, d'indemnités de nature diverse, de mises à disposition de personnels, rendant en fin de compte le recrutement de nouveaux adhérents moins important pour l'équilibre des recettes et des dépenses », analysent les chercheurs Dominique Labbé et Dominique Andolfatto sur le site de l'Institut supérieur du travail. « Au passage, les nouvelles tâches institutionnelles ont pu sembler plus nobles que la "rencontre" exigeante avec les salariés de base. Cela a creusé une certaine distance doublée de méfiance réciproque entre les salariés et les syndicats. » Le syndicalisme français mourra-t-il de subventionnite ?
Pierre-Jean Rivière Le Choc du Mois  Février 2008

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