Essayiste dissident, Michel Drac observe avec une froide lucidité la crise de la civilisation occidentale. Il affirme la nécessité de mettre en place les structures de résistance au chaos à venir.
RIVAROL: Que vous inspire la crise actuelle du modèle financier ?
Michel Drac : Cette crise est en réalité un effondrement. Il est évident que nous sommes dans une situation sans issue. Il n'existe aucun moyen de rembourser les dettes accumulées par l'ensemble des acteurs du système financier occidental, sauf à payer en monnaie de singe, après une phase d'hyperinflation.
Il ne reste donc que deux solutions : l'hyperinflation pour rembourser, ou la déflation par destruction de valeur et faillites en chaîné, si on ne rembourse pas. L'hypothèse d'une relance par la croissance doit être regardée comme un vœu pieu : il faudrait que la planète entière adopte un rythme de croissance chinois pendant une décennie au moins, alors que l'économie industrielle bute déjà sur ses limites énergétiques et écologiques.
Soyons clair : l'avenir est sinistre. Le plus probable est que les classes dirigeantes sclérosées de l'Occident vont gérer l'implosion de leur modèle par une combinaison de violence et de virtualisme : les rues seront dangereuses, violence policière, violence inter-ethnique ou sociale, violence crapuleuse, mais vous aurez le droit de rester chez vous, chômeur, et vous survivrez grâce aux bons alimentaires, pour jouer à des jeux vidéo gratuits. Bienvenue dans le monde meilleur que le turbocapitalisme globalisé a rendu possible par un demi-siècle d'irresponsabilité.
R. : Pensez-vous que la domination américaine sur la planète touche à sa fin ?
M. D. : Probablement. On ne voit pas très bien comment les USA pourraient empêcher la Chine de devenir la première puissance économique mondiale à l'horizon 2025, ou à peu près. Et n'en déplaise aux adeptes du virtualisme tous azimuts, à un certain moment, la domination repose sur la puissance militaire, laquelle dépend largement de la puissance économique.
Le seul scénario qui rend possible le maintien de la prédominance américaine est celui esquissé par l'école des conservateurs réalistes dès les années 1990 : le verrouillage d'une alliance atlantique sous prédominance anglo-saxonne, et la mainmise militaire et néocoloniale de cette alliance sur les ressources naturelles d'Afrique et du Moyen Orient, afin de priver la Chine de tout accès aux ressources en question. Les opérations récentes en Libye et en Côte d'Ivoire s'inscrivent probablement dans ce schéma.
Il semble cependant que la poussée chinoise, et d'une manière générale la montée en puissance des pays émergents, soient bien plus structurantes à long terme que quelques conquêtes néocoloniales qui peuvent, au mieux,freiner les tendances lourdes de l'histoire.
Cela étant, il faut reconnaître que nous pouvons avoir des surprises. En particulier, nous ne savons pas grand-chose concernant d'éventuelles armes stratégiques pour l'instant secrètes, et que l'empire anglo-saxon/Israël garde peut-être en réserve. Ce qui est clair, c'est que la décennie 2010 sera cruciale, et que, sauf si nous ignorons des paramètres cruciaux, c'est plutôt mal parti pour le camp occidental.
R. : Comment mettre en place la « démondialisation » que beaucoup annoncent ?
M. D. : Dans le contexte actuel, pour nous autres Européens, il faudrait que l'Allemagne admette que son économie extravertie va avoir besoin d'une Europe ouverte alors que la déplétion pétrolière risque fort d'entraîner une baisse significative du trafic maritime, qu'elle admette encore que cette Europe ouverte ne restera ouverte que si l'Allemagne est capable de la penser sur une base équilibrée, et qu'il en résulte la mise en place progressive d'un euro monnaie commune mais pas unique, et d'un protectionnisme européen, ouvert sur la Russie, notre réserve de matière première et d'espace.
Mais il est plutôt probable que la mondialisation va se poursuivre positivement pour l'hyperclasse seule, pour ceux que Jacques Attali baptise les "hypernomades". Le prix de la démondialisation sera payé par les pauvres, les "infranomades", exactement comme ils ont payé celui de la mondialisation. C'est le plus probable, car c'est ce que les réseaux d'influence les plus puissants ont manifestement prévu. Lire Attali à ce sujet ; vous verrez : la démondialisation peut très bien n'être qu'une nouvelle forme de mondialisation.
Pour nous Français, la clef de la situation se trouve largement en Allemagne. C'est de l'évolution de l'Allemagne que va, beaucoup, dépendre la nôtre. Ce n'est pas forcément une bonne nouvelle, mais ce n'est pas non plus forcément une mauvaise nouvelle. En l'occurrence, il faut surveiller l'autre puissance européenne attentivement, et se tenir prêt à réagir sans parti pris, froidement, dans une logique réaliste.
R. : Qu'est-ce qu'être "radical" aujourd'hui pour vous ?
M. D. : Je ne sais pas. Peut-être tout simplement accepter de regarder en face l'implosion de notre monde, et conserver sa capacité d'agir, malgré tout.
R. : Que vous inspirent les thèses "conspirationnistes" en vogue sur internet ?
M. D. : Il y a le meilleur et le pire. Le grand défaut des conspirationnistes est de confondre faisceau d'indices convergents et preuve formelle. Il y a souvent un déficit méthodologique.
Cela étant, les conspirationnistes ont le mérite de soulever de bonnes questions. Personne de sensé ne peut croire intégralement à la version officielle des attentats du 11-Septembre, par exemple. On ne sait pas ce qui s'est passé, mais on sait au moins qu'il ne s'est pas passé ce que l'on nous a dit qu'il s'était passé. Force est de reconnaître que c'est en grande partie grâce au travail des conspirationnistes que nous en sommes là.
R. : Vous avez participé à la fondation de l'association Egalité et Réconciliation, avant de poursuivre votre route de votre côté. Comment jugez-vous l'évolution de son fondateur, Alain Soral, et de cette mouvance atypique ?
M. D. : Je garde toute ma sympathie à cette association, que j'ai quittée essentiellement pour des contraintes de temps. Je suis avec intérêt le parcours d'Alain Soral, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout. De toute façon, nous sommes d'accord sur l'essentiel.
Notre point d'accord décisif : la nécessité de travailler à une réconciliation des Français dits « de souche » et des Français issus de l'immigration. Même si cette réconciliation est impossible, le fait d'y travailler est positif : nous n'atteindrons pas l'objectif, mais en le poursuivant, nous créerons beaucoup de choses bénéfiques.
Nos points de désaccord : peu de choses en fait, des questions secondaires. Alain Soral voit par exemple dans le sionisme actuel un accomplissement du judaïsme talmudique, alors que je crois, quant à moi, que c'est beaucoup plus compliqué, et qu'il s'agit en fait de la réduction du judaïsme talmudique à une de ses interprétations possibles, longtemps plutôt marginale. Mais ce genre de question est secondaire ; l'essentiel est ailleurs.
R. : Vous vous intéressez à deux mouvances nouvelles en France, les Nationalistes autonomes et les survivalistes. Pourquoi ?
M. D. : Parce que ces mouvances entreprennent des choses qui me paraissent à notre portée.
Je crains fort qu'on ne nous demande pas notre avis sur les grandes questions. On peut y réfléchir, bien sûr, et garder vivantes des idées qui nous sont chères.
Mais l'essentiel, c'est tout de même l'action. Et le type d'action que les mouvances autonomes et survivalistes peuvent entreprendre est à la fois intéressant et à notre portée.
R. : Pouvez-vous nous présenter votre idée des "BAD" ?
M. D. : Schématiquement, il s'agit de créer des Bases Autonomes Durables, à l'intérieur desquelles nous pourrons vivre décemment, pour sécréter progressivement une contre-société, une société distincte de celle pilotée par les classes dirigeantes.
Il y a deux façons de résister : en prenant d'assaut la Bastille, ou en constituant des maquis. À ce stade, va pour le maquis. C'est dans nos moyens, comme je vous le disais. Le but est de ne plus dépendre du système, pour pouvoir continuer à lutter contre lui.
Accessoirement, il est aussi possible que cela nous sauve la vie si le Système s'effondre d'un seul coup, pour des raisons écologiques, énergétiques ou logistiques. Chose qui n'est pas du tout impossible(1).
R. : Vous participez au site Scriptoblog et à la maison d'édition Le Retour aux Sources, quelle est la spécificité de ces deux initiatives ?
M. D. : Sans doute le fait de ne pas penser l'unité en termes d'homogénéité, mais au contraire de rechercher la pluralité des opinions pour construire une unité dialectique, par la coexistence des contraires. C'est une démarche, je crois, assez atypique dans la mouvance nationale française, qui me semble très marquée par son héritage historique centralisateur et homogénéisant (2).
Propos recueillis par Monika BERCHVOK. RIVAROL 30 SEPTEMBRE 2011
1. On retrouve un article de fond sur la question des BAD dans le numéro 49 de la revue Rébellion (disponible contre 4 euros auprès du RSE - BP 62124 - 31020 TOULOUSE cedex 02).
2. Le site de cette structure d'édition : < http://wwwscriptoblog.com >.