♦ Conférence donnée par Robert Steuckers, le 16 avril 1997 à Bruxelles
“Nationalisme” signifie, au départ, selon une définition minimale, la défense de la “nation” sur les plans politique, culturel et économique. Par conséquent, toute définition du “nationalisme” dérive forcément d'une définition de la “nation”.
Qu'est-ce qu'une “nation” ? Le terme “nation” vient du latin natio, substantif dérivé du verbe nasci, naître. Donc, dans sa signification originelle, natio signifie naissance, origine, famille, clan (Sippe), la population d'un lieu précis (d'une ville, d'une province, d'un État ou, plus généralement, d'un territoire). Dans nos régions au Moyen-Âge, on appelait diets(ch) ou deutsch les locuteurs de langue thioise (= germanique), en précisant que ceux qui habitaient la rive gauche du Rhin étaient des Westerlingen, tandis que ceux qui habitaient à l'Est du grand fleuve se faisaient appeler Oosterlingen. Cette terminologie se retrouve encore dans les noms de famille Westerlinckx ou Oosterlinckx (ainsi que leurs variantes, orthographiées différemment).
À l'époque médiévale, Regino de Prüm, en évoquant les nationes populorum, indique que les “nations” sont des groupes de populations possédant tout à la fois des ancêtres communs, une langue commune et, surtout, ce que l'on a tendance à oublier quand on fait aujourd'hui du “nationalisme” comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, des systèmes communs de droit, voire des esquisses de constitutions. Dans la définition de Regino de Prüm, l'aspect juridique n'est pas exclu, le continuum du droit fait partie intégrante de sa définition de la nation, alors que certains nationalismes actuels ne réfléchissent pas à la nécessité de rétablir des formes traditionnelles de droit national et se contentent d'interpréter le droit en place, qui fait, par définition, abstraction de toutes les appartenances supra-individuelles de l'homme.
Ce droit en place n'a pas été voulu par les néo-nationalistes : il s'opposera toujours à eux. Ou alors, les néo-nationalistes se bornent à rejeter le droit et plaident pour des mesures d'exception ou pour un gouvernement par ukases ou par comités de salut public, ce qui n'est possible que dans des périodes troublées, notamment quand un ennemi extérieur menace l'intégrité du territoire ou quand des bandes de hors-la-loi troublent durablement la convivialité publique (attaques de forugons convoyant des fonds ou initiatives de réseaux de pédophiles en chasse de “chair fraîche”).
Dans le contexte belge, il conviendrait de rejeter toutes les formes de droit et toutes les institutions qui nous ont été léguées par la Révolution française et le code napoléonien, pour les remplacer par des formes modernisées du droit coutumier flamand, brabançon, liégeois, etc. La grande faiblesse des mouvements nationaux dans notre pays, y compris du mouvement flamand, a été de ne pas proposer un droit alternatif, inspiré du droit coutumier d'avant 1792 et de contester globalement et systématiquement les formes de “droit” (?) dominantes, non-démocratiques et héritées de la révolution française.
Dans quel contexte le terme de “nation” a-t-il été employé pour la première fois ? Dans les universités : une natio, dans la Sorbonne du Moyen-Âge, est une communauté d'étudiants issus d'une région particulière. Ainsi, la Sorbonne comptait une natio germanica ou teutonica regroupant les étudiants flamands, allemands et scandinaves, une natio scozia (ou scotia) regroupant les étudiants venus des îles britanniques, une natio franca, regroupant les étudiants d'Ile-de-France et de Picardie, une natio normanica, avec les Normands (que l'on distinguait des “Français”) et une natio provencialensis, pour les Provençaux, et, plus généralement, les locuteurs des parlers d'oc.
Mais, par ailleurs, au Moyen-Âge, les gens voyageaient peu, sauf pour se rendre à Compostelle ; ils n'avaient que rarement affaire à des étrangers. Ceux-ci étaient généralement bien accueillis, surtout s'ils avaient des choses originales, drôles, étranges à raconter. Le rôle de l'étranger est souvent celui du conteur d'histoires insolites. Certaines manières des étrangers étonnent, sont considérées comme bizarres, voire inquiètent ou suscitent l'animosité : très souvent, on est choqué quand ils parlent trop haut ou trop vite ; dans le Nord, on est rebuté par la manie méridionale de toucher autrui, dans le Sud, on est froisé par la distance corporelle qu'aiment afficher les gens du Septentrion. Les habitudes alimentaires sont généralement mal jugées. L'animosité à l'égard de l'étranger se limitait, au fond, à ces choses quotidiennes, ce qui est bien souvent le cas encore aujourd'hui.
La conscience d'une “nationalité” n'est pas perceptible dans les grandes masses au Moyen-Âge. Seuls les nobles, qui ont fait les croisades, les clercs qui sont davantage savants et connaissent l'existence d'autres peuples et d'autres mœurs, et les marchands, qui ont accompli de longs voyages, savent que les coutumes et les manières de vivre sont différentes ailleurs, et que ces différences peuvent être sources de conflictualités.
Le nationalisme ne devient une idéologie qu'avec la Révolution française. Celle-ci exalte la nation, mais dans une acception bien différente des nationes de la Sorbonne médiévale. La nation est la masse des citoyens, qui n'appartenaient pas auparavant à la noblesse ou au clergé. Cette masse est désormais politisée à outrance, pour des raisons d'abord militaires : les hommes du peuple, indistinctement de leurs origines régionales ou tribales, sont mobilisés de force dans des armées nombreuses, par la levée en masse. À Jemappes et à Valmy, en 1792, les beaux régiments classiques de la guerre en dentelles, qu'ils soient wallons, autrichiens, croates, hongrois ou prussiens, sont submergés par les masses compactes de conscrits français hâtivement vêtus et armés. Jemappes et Valmy annoncent l'ère de la “nationalisation des masses” (George Mosse). Celle-ci, dit Mosse, prend d'abord l'aspect d'une militarisation des corps et des gestes, par le truchement d'une gymnastique et d'exercices physiques à but guerrier : Hébert en France, Jahn en Prusse, drillent les jeunes gens pour en faire des soldats. Plus tard, les premiers nationalistes tchèques les imitent et créent les sokol, sociétés de gymnastique.
Après les guerres de la Révolution et de l'Empire, le nationalisme en Allemagne est révolutionnaire et se situe à gauche de l'échiquier politique. Puisque le peuple allemand s'est dressé contre Napoléon et a aidé le roi de Prusse, les princes locaux, la noblesse et le clergé à chasser les Français, il a le droit d'être représenté dans une assemblée, dont il choisit directement les députés, par élection. En 1815, dans l'Europe de Metternich, le peuple ne reçoit pas cette liberté, il est maintenu en dehors du fonctionnement réel des institutions. D'où une évidente frustration et un sentiment de profonde amertume : si le simple homme du peuple peut être ou doit être soldat, et mourir pour la patrie, alors il doit avoir aussi le droit de vote. Tel est le raisonnement, telle est la revendication première des gauches nationales sous la Restauration metternichienne en Europe centrale.
Dans l'Allemagne de l'ère Metternich, le nationalisme est un “nationalisme de culture” (Kulturnationalismus), où l'action politique doit viser la préservation, la défense et l'illustration d'un patrimoine culturel précis, né d'une histoire particulière dans un lieu donné. La culture ne doit pas être l'apanage d'une élite réduite en nombre mais être diffusée dans les masses. Le nationalisme de culture s'accompagne toujours d'une “pédagogie populaire” (Volkspedagogik) ou d'une “pédagogie nationale”. Concours de chants et de poésie, promotion du patrimoine musical national, inauguration de théâtres en langue populaire (Anvers, Prague), intérêt pour la littérature et l'histoire locale/nationale sont des manifestations importantes de ce nationalisme, jugées souvent plus importantes que l'action politique proprement dite, se jouant dans les élections, les assemblées ou les institutions. Le nationalisme de culture permet d'organiser et de capillariser dans la société un “front du refus”, dirigé contre les institutions nées d'idées abstraites ou détachées du continuum historique et culturel du peuple. Ce nationalisme de culture est toujours tout à la fois affirmateur d'un héritage et contestataire de tout ce qui fonctionne en dehors de cet héritage ou contre lui.
Le nationalisme selon Herder et le nationalisme selon Renan
De la volonté d'organiser une “pédagogie populaire” découlent 2 tendances, dans des contextes différents en Europe.
◘ 1) D'une part, il y a les pays où la nation est perçue comme une “communauté naturelle”, c'est-à-dire une communauté reposant sur des faits de nature, de culture, sur des faits anthropologiques ou linguistiques. Cette vision provient de la philosophie de Herder et elle structure le nationalisme allemand, le nationalisme des peuples slaves (Russes, Serbes, Bulgares, Croates ; en Pologne et chez les Tchèques, cet héritage herdérien s'est mêlé à d'autres éléments comme le catholicisme, le messianisme de Frank, un héritage hussite ou un anti-cléricalisme maçonnique), et, enfin, le nationalisme flamand qui est “herdérien” tant dans ses acceptions catholiques que dans ses acceptions laïques (souvenir de la révolte des Gueux contre l'Espagne).
◘ 2) D'autre part, nous trouvons dans l'histoire européenne une conception de la nation comme “communauté de volonté” (wilsgemeenschap) ; pour l'essentiel, elle est dérivée des écrits de Renan. Elle est la caractéristique principale d'un nationalisme français postérieur à l'ère révolutionnaire et jacobine. Le nationalisme français n'est pas un nationalisme de culture (et donc ne constitue nullement un nationalisme pour les Allemands, les Slaves et les Flamands) parce qu'il implique un refus des faits naturels, une négation du réel, c'est-à-dire des mille et unes particularités historiques des nations concrètes. Renan savait que la France de son temps n'était déjà plus un peuple homogène, mais un mixte complexe où intervenaient un fonds préhistorique cromagnonique-aurignacien (grottes de Lascaux, sites archéologiques périgourdins, etc.), un fonds gaulois-celtique ou basque-aquitain, un apport romain-latin et des adstrats francs-germaniques ou normands-scandinaves.
Aucune de ces composantes ne peut revendiquer de représenter la France seule : donc ces réalités, pourtant impassables, doivent être niées pour que fonctionne la machine-État coercitive, de Bodin, des monarques, de Richelieu et des jacobins. Pour que l'idéologie ne soit pas trop raide, schématique et abstraite, donc rébarbative, Renan table non pas sur les réalités concrètes, anthropologiques, ethniques ou linguisitiques, mais sur une émotion artificiellement entretenue pour des choses construites, relevant de l'“esprit de fabrication” (dixit le Savoisien Joseph de Maistre) ou sur des modes assez ridicules et des fantaisies sans profondeur (modes vestimentaires parisiennes, glamour féminin, produits culinaires ou cosmétiques à la réputation surfaite et toujours parfaitement inutiles, etc.). Le citoyen d'une telle nation adhère avec un enthousiasme artificiel à ces constructions abstraites ou à ces styles de vie mondains et citadins sans profondeur ni épaisseur, et, en même temps, nie ses patrimoines réels, ses traditions rurales, ses héritages, qu'il brocarde par une sorte de curieuse auto-flagellation, de concert avec les propagandistes politiques et les mercantiles qui diffusent ces modes ne correspondant à aucun substrat populaire réel.
Cette adhésion est une “volonté”, dans l'optique de Renan. Sa fameuse idée d'un “plébiscite quotidien” n'est jamais que l'exercice d'auto-flagellation des citoyens, le catéchisme qu'il doit apprendre pour être un “bon élève” ou un “bon citoyen”, pour oublier ce qu'il est en réalité, pour exorciser le “plouc” qui est en lui et l'empêche d'adhérer béatement à tous les parisianismes. Aujourd'hui, les modes vestimentaires, musicales, cinématographiques américaines, diffusées en Europe, jouent un rôle analogue à celui qu'avaient les modes françaises jusqu'en 1940. Les manifestations d'américanisme oblitèrent les traditions historiques et culturelles d'Europe comme les manifestations du parisianisme avaient oblitéré les traditions historiques et culturelles des provinces soumises aux rois de France, puis à la secte jacobine-fanatique.
Que signifie cette dualité dans les traditions nationalistes en Europe ? Pour Herder, le peuple, en tant qu'héritage et continuité pluriséculaire, prime toutes les structures, qu'elles soient étatiques, démocratiques, républicaines, monarchiques ou autres. Les structures passent, les peuples demeurent (Geen tronen blijven staan, maar een Volk zal nooit vergaan [Aucun trône ne reste debout, mais un peuple ne passe jamais]), dit l'hymne national flamand, contenant ainsi une magistrale profession de foi herdérienne dont les Flamands qui le chantent aujourd'hui ne sont plus guère conscients et dont la portée philosophique est pourtant universelle).
Pourquoi, chez Herder, cette primauté du donné brut et naturel qu'est le peuple par rapport aux institutions étatiques construites ? Parce qu'au moment où il écrit ses traités sur l'histoire, il n'y a pas un État allemand unitaire. Les Allemands du continent sont éparpillés sur une multitude d'État, comme c'est encore le cas aujourd'hui. Dans le contexte allemand du XVIIIe s., on ne peut donc pas parler de l'État comme d'une réalité concrète, puisque cet État n'existe pas. Ce qui existe en réalité, ce qui est vraiment là, sous les yeux de Herder, c'est une vaste population germanique, diversifiée dans ses façons de vivre et par ses dialectes, mais unie seulement par une langue littéraire et une culture générale permettant d'harmoniser ses différences régionales ou dialectales. Herder voit une nation germanique en devenir constant, un édifice non achevé. Les nationalismes qui dérivent de sa philosophie de l'histoire perçoivent leur objet privilégié, soit la nation-peuple, comme un phénomène mouvant, en évolution constante.
La primauté de la culture sur les institutions (jugées toujours éphémères et sur la voie de la caducité), du peuple sur l'État, conduit aisément à la pratique de défendre les Volksgenossen (“congénères”) contre les États étrangers qui les oppriment ou qui, plus simplement, ne permettent pas leur déploiement optimal. Tous les “congénères” doivent en théorie bénéficier d'institutions souples et protectrices, déduites de l'héritage juridique et historique national voire d'institutions partagées par la majorité nationale. Il apparaît intolérable que certains “congénères” soient sous la coupe d'institutions étrangères ou contraints de servir de chair à canon dans des armées non nationales. Le sentiment qui naît de voir des “congénères” subir des injustices conduit parfois à une volonté d'irrédentisme. Dans cette optique nationale-allemande et herdérienne, les Autrichiens, les Alsaciens, les Luxembourgeois, les habitants d'Eupen et de Saint-Vith, les Tyroliens du Sud, les ressortissants des disporas allemandes de la Vistule à la Volga et de Bessarabie au Turkestan sont des compatriotes allemands à part entière.
Pour les Flamands, les habitants du Westhoek ou les diasporas flamandes réparties jusqu'au pied des Pyrénées sont des compatriotes — indépendamment de leur “nationalité de papier” — qu'il faut protéger quand ils ont maille à partir avec l'État étranger qui les tient sous tutelle. Le conflit entre Serbes et Croates vient du fait que ni les uns ni les autres ne peuvent accepter de voir les leurs sous la coupe d'un État reposant sur des principes qui leur sont étrangers : orthodoxes-byzantins pour les uns, catholiques-romains pour les autres. Les Russes aussi se sentent les protecteurs de leurs compatriotes en Ukraine, en Estonie, au Kazakstan et dans toutes les républiques musulmanes de l'ex-URSS. Les Hongrois affirment aujourd'hui haut et fort qu'ils protègent leurs compatriotes des Tatras et de la Voïvodine et laissent sous-entendre, notamment à la Slovaquie et à la Serbie, qu'ils sont prêts à intervenir militairement si les droits des minorités hongroises sont bafoués.
Pour Renan, l'idée d'une “communauté de volonté” ou d'un “plébiscite quotidien” repose de fait sur une volonté d'oublier chaque jour ce que l'on est en substance, afin de correspondre à une idée abstraite (la citoyenneté républicaine et universelle dans la version rationaliste, délirante et fanatique) ou à une image idéale (dans la version édulcorée et modérée). Pour les tenants du nationalisme de culture, une telle démarche est une aberration. C'est ce que reprochent les nationalistes flamands ou les germanophiles alsaciens à leurs franskiljoens ou à leurs Französlinge. Rien de plus ridicule évidemment que le francophile brabançon ou strasbourgeois qui se pique de suivre les modes de Paris. Gauche et maladroit, il camoufle, derrière des propos grandiloquents et un catéchisme schématique, une honte et une haine pathologiques de soi, qu'il essaye fébrilement, de surcroît, d'inculquer à ses compatriotes. À Bruxelles, certaines nullités politiciennes de bas étage inféodées au FDF (Front des Francophones) jouent ce jeu avec une obstination inquiétante, avec un fanatisme comparable à celui qui s'est exercé sous la Terreur, et bénéficient du soutien à peine dissimulé de quelques services du Quai d'Orsay.
Pour Tilman Mayer (cf. Prinzip Nation : Dimensionen der nationalen Frage am Beispiel Deutschlands, 1986 ; B.. Estel/T. Mayer, Das Prinzip Nation in modernen Gesellschaften : Länderdiagnosen und theoretische Perspektiven, 1994), philosophe allemand qui s'est penché sur la question du nationalisme, il convient de distinguer dans cette problématique Herder/Renan, les notions d'ethnos et de demos.
L'ethnos est un groupe démographique humain, avec une base ethnique bien clairement profilée. Le demos est l'ensemble des électeurs (donc des habitants de toutes les circonscriptions électorales d'un pays donné), sans qu'il ne soit nécessairement tenu compte de leur profil ethnique/anthropologique ; ceux-ci peuvent certes exprimer leurs opinions sur le plan politique et institutionnel, mais ils ne peuvent en aucun cas porter atteinte au fait naturel, au factum qu'est l'ethnos. Pour Mayer, comme jadis pour Herder, les peuples sont autant d'expressions spécifiques de cette humanité diversifiée voulue par Dieu (Herder est pasteur protestant), autant de façons de “l'être-homme” (het menszijn/Mensch-sein). Cette affirmation appelle d'autres réflexions d'ordre philosophique et anthropologique. À leur tour, ces réflexions conduisent à l'affirmation de principes politiques pratiques :
• Première réflexion : l'homme (l'humanité) est ontologiquement faible. Dans le donné naturel brut, dans sa déréliction, jeté au beau milieu d'un monde souvent hostile, l'homme nu, seul, est désarmé, ne pourrait survivre. Le “petit d'homme” n'a ni la fourrure de l'ours, ni les crocs du tigre, ni la fulgurante rapidité du guépard, ou l'agilité du dauphin ou les muscles puissants des grands singes anthropomorphes. Pour pallier à ces défauts, l'homme a besoin de la technique et de la culture.
• La technique, la fabrication d'outils, l'habilité manuelle lui procurent les instruments quotidiens (vêtements, armes, ustensiles divers, récipients, etc.) qui lui assurent sa survie biologique.
• La culture, en ce sens, est un ensemble de rites, de traditions, de règles ou d'institutions anthropologiques (mariage, famille, etc.) ou politiques (État, organisation militaire, judiciaire, etc.), qui permettent soit d'orienter les comportements vers le maximum d'efficacité soit de déployer autant de stratégies possibles pour répondre aux innombrables défis que lancent le monde et l'environnement.
Pluriversalité
L'humanité est répandue sur l'ensemble du globe, sous toutes les latitudes et dans tous les climats ou les biosphères ; cette répartition humaine est mouvante par l'effet des phénomènes migratoires, la pluralité des modes culturels/institutionnels est dès lors un postulat nécessaire, pour ne pas désorienter les hommes, pour leur conserver à tous un fil d'Ariane dans leurs pérégrinations à travers un monde labyrinthique. Les cultures doivent être maintenues et promues dans leur extrême diversité, de façon à ce que les stratégies de survie restent nombreuses pour affronter les innombrables situations ou contextes auxquels l'homme est sans cesse confronté.
Ce postulat de la diversité nécessaire induit un “pluriversalisme” et réfute les démarches universalistes. Le monde est un plurivers et non un univers. Un monde qui serait géré par une et une seule vision des choses serait un danger pour l'humanité, car cette vision unique, cette pensée unique, éliminerait la possibilité de déployer, ne fût-ce que par imitation, des stratégies multiples éprouvées avec succès dans d'autres Umwelten que le mien (les explorateurs polaires européens imitent les Esquimaux, les soldats européens imitent en Guyane, au Gabon ou en Birmanie les stratégies de survie des Pygmées dans les forêts vierges africaines, les explorateurs du désert calquent leurs comportement sur les Bédouins ou les Touaregs, etc.).
La pluriversalité est donc bel et bien une nécessité et un avantage pour l'homme, et la volonté perverse de certains cénacles, officines ou bureaux d'imposer une “political correctness”, niant cette luxuriante pluriversalité au profit d'une fade universalité, est une dangereuse aberration.
Si, en permanence, on peut tester au quotidien des stratégies vitales ethniquement ou biorégionalement profilées, on donne à l'humanité dans son ensemble plus de chances de survie. Dans une telle optique, l'Autre (l'Étranger) est toujours un enseignant, tout comme nous sommes pour lui aussi des enseignants. L'ennemi dans une telle optique est celui, compatriote ou étranger, qui refuse d'entendre et d'écouter l'Autre, d'enseigner ce qu'il sait, d'approfondir ce qu'il est, celui qui impose des modèles abstraits et inféconds par coercition ou par séduction perverse. Car dans un monde régi par le mono-modèle préconisé par les tenants de l'idéologie dominante et par leurs inquisiteurs, une réciprocité féconde et bienveillante, comme celle que nous souhaitons planétariser, ne serait pas possible.
Ces options pour la pluriversalité ou la pluralité doivent se répercuter au sein même de la nation. Au sein de sa nation, l'homme public ou politique, qui opte pour la vision herdérienne, plurielle et pluriverselle, doit, pour demeurer logique avec lui-même, respecter la pluralité qui constitue sa propre nation. Car la nation n'est jamais un monolithe, même quand elle est apparemment homogène ou plus homogène que ses voisines. La nation est une communauté complexe et multidimensionnelle, et non un groupe humain simple et unidimensionnel. La complexité et la multidimensionalité permettent de réaliser au sein de la nation ce qui se fait dans le monde : tester à chaque instant autant de stratégies vitales différentes que possible.
Le personnel politique pluriversaliste sélectionne alors les meilleures stratégies disponibles et les adapte à la situation et aux défis du moment : tel est le véritable pluralisme, et non pas cette pluralité d'options partisanes figées que l'on nous suggère aujourd'hui, en nous disant qu'elle est la panacée et l'unique forme de démocratie possible. Un État trop centralisé assèche ses potentialités : c'est le cas de la France qui tombe en quenouille sous le poids de ses contradictions mais c'est aussi le cas de la Wallonie ruinée où le PS francophile impose trop unilatéralement ses schémas et ce serait le cas d'une Flandre où seul le CVP aurait le dernier mot. Une vision organique de la nation implique la présence constante d'une pluralité de réseaux d'opinions ou une pluralité de projets, qui doivent avoir pour but, évidemment, de renforcer la cohésion de la nation, d'y introduire de l'harmonie, d'optimiser son déploiement.
La typologie des nationalismes chez John Breuilly
Dans Nationalism and the State (1993), John Breuilly nous offre une excellente classification de différents types de nationalismes qui se sont présentés sur la scène mondiale.
Première remarque de Breuilly : le nationalisme peut être porté par des strates très différentes de la société. Il peut être porté par la noblesse et la ruling class (comme en Angleterre), par la classe bourgeoise révolutionnaire (en France, de la Révolution à la Troisème République), par les paysans, par les ouvriers ou par les intellectuels. En Afrique du Sud, en Bulgarie, en Croatie, partiellement en Flandre (pendant la révolte paysanne contre la république française en 1796-99), en Irlande ou en Roumanie, les paysans sont porteurs de l'idée nationale. Avec James Connolly en Irlande et avec le péronisme en Argentine, les ouvriers et les syndicats (socialistes ou justicialistes) affirment la souveraineté nationale. Les intellectuels jouent un rôle moteur dans l'éclosion du nationalisme en Tchèquie, en Finlande, en Flandre, en Irlande, au Pays Basque et en Catalogne.
◘ 1. Dans un contexte où il n'existe pas d'États-nations, nous trouvons :
• des nationalismes d'unification, comme en Italie, en Allemagne ou en Pologne au XIXe siècle.
• des nationalismes de séparation, où les nations tentent de s'affranchir des empires dans lesquels elles sont incluses, comme la Hongrie, la Tchèquie, la Croatie dans l'empire austro-hongrois, ou la Roumanie, la Grèce et la Bulgarie dans l'empire ottoman.
La Serbie, par ex., est séparatiste contre les Ottomans, mais unificatrice dans le contexte yougoslave à partir de 1918, où elle est dominante. Les Arabes sont séparatistes contre les Turcs pendant la première guerre mondiale, mais unitaires dans leurs revendications nationales ultérieures. On peut également dire que le nationalisme flamand est tout à la fois séparatiste contre l'État belge mais vise l'unification pan-néerlandaise dans l'idée des Grands Pays-Bas, l'unification de Dunkerque à Memel dans l'idée hanséatique et “basse-allemande” (Aldietse Beweging) de C. J. Hansen (1833-1910), l'unification de tous les peuples germaniques chez quelques ultras de la collaboration entre 1940 et 1945 (De Vlag, etc.).
Pour les nations qui ne disposent pas d'une pleine souveraineté et sont incluses dans de vastes empires coloniaux, le nationalisme peut revêtir les aspects suivants :
♦ a. Être un nationalisme anti-colonialiste, comme en Inde jusqu'à l'indépendance en 1947 ou comme dans les nations africaines avant la grande vague de décolonisation des années 60 (où les soldats ghanéens revenus du front de Birmanie et travaillés par les miliants indiens et gandhistes, hostiles à la tutelle britannique, ont joué un rôle primordial).
♦ b. Être un sous-nationalisme dans des États issus des partages impérialistes décidés en Europe et/ou des administrations coloniales qui en ont résulté. Ce fut le cas du Pakistan en Inde, ce qui conduira à la partition du sous-continent indien. Ce fut également le cas au Katanga dans l'ex-Congo belge, mais cette sécession fut un échec.
♦ c. Être un nationalisme réformiste. Le nationalisme réformiste est un nationalisme qui se rend compte que la souveraineté formelle de la nation est insuffisante voire inutile, qu'elle ne peut faire valoir clairement ses prérogatives théoriques, vu le retard économique, industriel, institutionnel, militaire et technique que le pays a accumulé au cours de son histoire. Le nationalisme réformiste vise donc à accélérer le passage à un stade de développement optimal qui permet de faire face plus efficacement aux impérialismes qui tentent d'empiéter la souveraineté nationale. Les exemples historiques de nationalisme réformiste sont le Japon de l'ère Meiji, la Chine de Sun Ya-Tsen et la Turquie des Jeunes Turcs.
◘ 2. Dans un contexte où n'existent que des États-nations, où les impérialismes coloniaux ont théoriquement disparu et où les empires multinationaux tendent à disparaître, plusieurs types de nationalismes peuvent se manifester :
♦ a. Les nationalismes d'unification, qui prennent parfois le relais d'un nationalisme anti-colonialiste et sont, à ce titre, séparatistes. Ces nationalismes d'unification post-coloniaux sont le panafricanisme après la vague des indépendances dans les années 60. Ou le panarabisme, le nationalisme panarabe de Nasser.
♦ b. Le nationalisme de réforme en Europe. En Italie, par ex., le nationalisme démarre dans le giron du libéralisme italien qui est rigoureusement étatiste et centraliste. Il vise à créer en Italie un appareil industriel capable de concurrencer l'Angleterre, la France et l'Allemagne. L'obsession des libéraux italiens est de voir le pays basculer dans le sous-développement et devenir ainsi le jouet des puissances étrangères. Le fascisme prendra directement le relais de ce libéralisme national : sur le plan philosophique, la filiation libéralisme/fascisme prend son envol à partir de Hegel pour aboutir à l'interprétation italienne originale de Benedetto Croce et de celui-ci, qui reste libéral et s'oppose au fascisme, à l'actualisme hégélien/fasciste de Giovanni Gentile. À cette volonté permanente de modernisation de la société, de l'économie et des institutions italiennes, s'ajoute l'idéologie du futurisme qui proclame haut et clair ses intentions de balayer tous les archaïsmes qui frappent la société italienne d'incapacité. En Allemagne, à partir de Bismarck et de Guillaume II, la volonté de ne pas devenir le jouet de l'Angleterre ou de la France est clairement affichée : le programme d'industrialisation va bon train, couplé à une vision autarcique et contextuelle de l'économie (où les règles du jeu économique doivent favoriser un contexte politique et historique précis, sans prétendre à l'universel ; cf. les “écoles historiques” en économie et les pratiques préconisées par le “socialisme de la chaire”). Les historiens anglais reconnaissent volontiers que les Allemands les ont battus à la fin du XIXe siècle sur le plan des technologies chimiques et que la chimie a été le moteur d'un développement ultra-rapide de l'industrie allemande.
♦ c. Le nationalisme de séparation au sein d'États constitués, bi-ethniques ou multiethniques, bilingues ou multilingues, se manifeste dans des contextes de déséquilibres entre les composantes. Le nationalisme de séparation flamand prend actuellement de l'ampleur car le déséquilibre entre les 2 modèles d'économie en Belgique (le wallon et le flamand) ne sont pas compatibles au niveau fédéral, n'exigent pas les mêmes réponses et les mêmes modulations. En effet, une vieille structure économico-industrielle comme la Wallonie, qui correspond à la “première vague” de la société industrielle et a connu de graves difficultés à cause de l'effondrement des conjonctures en Europe, ne peut être gérée par les mêmes principes qu'une Flandre au tissu plus neuf, composé de PME, mais plus fragile face à la grande finance internationale. En Écosse, les problèmes sont également différents de ceux de l'Angleterre. En Italie du Nord, avec les ligues régionalistes, les clivages qui opposent les provinces septentrionales à l'État fédéral et aux structures sociales complexes (mafias incluses) des régions méridionales sont profonds, mais s'expriment davantage par un populisme séparatiste plutôt que par un nationalisme de culture ou d'État, d'ancienne mouture, avec son folklore et ses rituels.
Le besoin vital d'identité selon Kurt Hübner
Sur les plans psychologique, anthropologique et ontologique, l'homme a un besoin vital d'identité, tant au niveau personnel qu'aux niveaux communautaire et politique. Le philosophe allemand contemporain Kurt Hübner (in : Das Nationale : Verdrängtes, Unvermeidliches, Erstrebenswertes, 1991) résume brillamment en 8 points majeurs ce besoin vital d'identité :
◘ 1. L'identité d'une nation est un postulat anthropologique.
◘ 2. L'identité nationale repose sur un ensemble structuré de systèmes de règles, qui harmonisent les liens entre les individus et les groupes au sein de la nation.
◘ 3. Ces systèmes de règles fonctionnent comme des régulateurs et ne doivent pas être définis plus précisément, car toute définition serait ici un enfermement conceptuel infécond qui ferait fi des innombrables potentialités de la nation, en tant que fait de vie.
◘ 4. Ces systèmes nationaux sont instables et connaissent des hautes et des basses conjonctures.
◘ 5. Cette instabilité exige une adaptation constante, c'est-à-dire une attention constante aux transformations potentielles qui ne cessent de survenir. Dans un tel contexte, le nationaliste est celui qui demeure toujours en état d'alerte, parce qu'il souhaite que la conjoncture reste toujours haute pour le bénéfice de son peuple et est prêt à consacrer volontairement toutes ses énergies personnelles à ce travail quotidien de réception et d'adaptation des défis et des nouveautés.
◘ 6. Les transformations qu'une nation est appelée à subir ne sont jamais prévisibles. Dans l'appréhension du fait national (das Nationale), on ne peut donc pas faire appel à une grille de déchiffrement déterministe. Le nationalisme est toujours plutôt volontariste, il refuse d'accepter les basses conjonctures ou les dysfonctionnements de la machine étatique ou les imperfections génératrices de déclins et de crises : c'est là la grande différence entre le nationalisme et les autres grandes idéologies des XIXe et XXe siècles, comme le libéralisme, qui accepte les effets pervers de l'économie et les juge inéluctables, ou le marxisme (de moutures sociale-démocrate ou communiste), qui se réclame philosophiquement du déterminisme positiviste le plus plat et rejette toutes les formes et les manifestations de volontarisme comme des irrationalités dangereuses.
◘ 7. Le nationalisme ne parle donc jamais de déterminations mais de destin (lot, Schicksal, destiny). La notion de destin, à son tour, postule l'adhésion à la raison pratique (voire à des jeux diversifiés de raisons pratiques), plutôt qu'à la raison pure, toujours perçue comme unique en soi. La/les raison(s) pratique(s) appréhende(nt) les imperfections, les chutes de conjoncture, sans jamais chercher à les éluder mais, au contraire, visent à les travailler de multiples façons et à améliorer les situations dans la mesure du possible, tandis que la raison pure, en politique, dans le flux de l'histoire, tente de plaquer des principes irréels sur le réel, provoquant à terme des déphasages insurmontables. La manie de la “political correctness” est un avatar médiocre de cette raison pure de kantienne mémoire, appliquée maladroitement et déformée outrancièrement par des idéologues a-critiques. Dont les agitations frénétiques provoqueront bien évidemment des déphasages catastrophiques selon l'adage : qui veut faire l'ange, fait la bête.
◘ 8. La nation n'est donc pas une essence figée, comme l'affirment trop souvent les vieilles droites ou les romantismes nationaux étriqués, car tout caractère figé implique une sorte de déterminisme, induit une propension problématique à répéter des formes mortes, à proclamer des discours répétitifs, en porte-à-faux par rapport au réel mouvant et effervescent. Au contraire, la nation doit toujours être perçue comme un mouvement dynamique, comme une modulation localisée du destin auquel tous les hommes sont confrontés, comme un mouvement dynamique qu'il n'est jamais simple de définir ou d'enfermer dans une définition trop étroite. Cela ne veut pas dire qu'il faille rejeter sans ménagement l'héritage romantique ou les formes anciennes de nationalisme. Un tel rejet se perçoit dans les gauches qui font toujours abstraction du temps et de l'espace (catégories auxquelles personne ne peut se soustraire) ou dans un parti ex-nationaliste comme la Volksunie flamande où l'on court d'un novisme sans épaisseur à l'autre, en se moquant méchamment et sottement des héritages que le nationalisme plus traditionnel aime à cultiver. Le travail des nationalistes romantiques constitue un héritage divers, où s'accumulent des trésors de découvertes culturelles, littéraires et archéologiques. Parmi tous ces éléments, on trouve des matériaux utiles pour promouvoir une dynamique nationale actuelle. La manie du rejet est donc une aberration supplémentaire du modernisme actuel.
Conclusion + remarques sur la “marche blanche”
En résumé, dans notre optique, tout nationalisme doit placer la concrétude “peuple” (Volk) avant l'abstraction “État”. Si l'État passe avant le peuple concret, et si cette pratique se proclame “nationaliste”, nous avons affaire à un paradoxe pervers. La priorité accordée à la population concrète dans un continuum historique concret signifie que, dans tous les cas de conflit ou de contestation violente, la vérité ou la solution est à rechercher dans la population elle-même. La “marche blanche” du 20 octobre 1996 à Bruxelles a montré que cette idée est ancrée dans le fond du subconscient populaire, tant en Flandre qu'en Wallonie, mais qu'elle ne peut pas s'exprimer dans les institutions étatiques belges, ce fatras d'abstractions dysfonctionnantes et sans avenir positif possible. La “marche blanche” a exprimé un mécontentement sans proposer un droit alternatif, clairement exprimé.
L'échec de cet étonnant mouvement populaire est dû à l'absence, dans la société belge, d'écoles (méta)politiques cohérentes, capables de vivifier constamment les legs du passé : seule l'Inde actuelle a donné l'exemple d'un mouvement parapolitique actif et efficace, vieux de près d'un siècle, le RSS, think tank bien drillé se profilant derrière la victoire récente du BJP. Les parents des enfants disparus ou assassinés ont eu tort de répondre à l'invitation du Premier Ministre à la fin de cette journée mémorable du 20 octobre 1996 : ils auraient dû refuser de le voir ce jour-là et réclamer, devant la foule innombrable venue les acclamer, la poursuite des grèves spontanées et des manifestations populaires contre les palais de justice et poser davantage de conditions :
• exiger au moins le retour inconditionnel du juge Connerotte, la démission de Stranard et Liekendael voire la dissolution de toute la Cour de Cassation,
• exiger l'incarcération des magistrats notoirement incompétents et leur jugement dans les 2 mois par une cour populaire spéciale,
• réclamer que les gendarmes fautifs et/ou négligeants soient traduits devant une cour martiale expéditive, composée de militaires de réserve, occupant tous une profession indépendante dans la société (médecins, chefs d'entreprise, avocats d'affaires, professeurs d'université, gestionnaires de grandes entreprises de pointe), expression d'une souveraineté populaire, d'une créativité professionnelle qui ont le droit de s'exprimer et de juger très sévèrement, avec une rigueur implacable, les fonctionnaires incompétents, auxquels on autorise de porter des armes et à qui on accorde des prérogatives ou des passe-droits et qui ne s'en servent pas à bon escient, qui sont assermentés dont parjures quand ils défaillent ; de telles négligences sont des crimes graves de trahison à l'encontre de notre peuple ;
• imposer le rétablissement de la peine de mort pour les crimes contre les enfants et, enfin,
• imposer la mise sur pied immédiate d'un comité de salut public composé d'officiers de réserve, de juristes indépendants et de citoyens n'étant ni fonctionnaires de l'État ou d'une région ni membres d'un parti (quel qu'il soit) ; ce comité de salut public aurait été commandé par un lieutenant-drossard (fonction prévue par le droit brabançon au XVIIIe s. pour lutter contre la grande criminalité, notamment les bandes de “chauffeurs” qu'étaient les bokkenrijders, avant l'adoption aberrante du droit révolutionnaire et napoléonien, véhicule d'abstractions perverses et de délires juridiques modernistes) ; ce comité de salut public et ce lieutenent-drossard auraient eu préséance sur toutes les autres institutions judiciaires et auraient pu agir à leur guise et procéder à des arrestations rapides, mais uniquement dans le cadre de l'enquête sur les agissements de Dutroux, menée par le juge Connerotte, légalement désigné au départ (Un comité de salut public ne saurait avoir la prétention de régenter tout le fonctionnement de la société au-delà des compétences concrètes des professionnels, mais seulement de gommer ponctuellement, au plus vite, par une bonne et diligente justice, les anomalies les plus dangereuses de la société).
La naïveté des parents et de la foule a été incommensurable et le cynisme abject du pouvoir en place — qui ne se soucie ni des dysfonctionnements ni de la vie des enfants et des humbles — a pu s'imposer rapidement, au bout de quelques semaines. Sur le plan philosophique et politique, le comité de salut public aurait eu pour fonction de prouver urbi et orbi la priorité de l'homme concret sur toutes les structures abstraites, assurant ainsi le triomphe d'une idée vivante mais étouffée qui traverse notre peuple. Devant le citoyen simple et honnête, meurtri dans ce qu'il a de plus cher, les autorités doivent toujours plier, que ces autorités soient la gendarmerie, la magistrature ou l'État.
Enfin, dernière remarque, le nationalisme, dans ce pays, ne doit pas se contenter de discours idéalistes, de grandiloquences sans objet, de lamentations interminables sur tout ce qui ne va plus, mais travailler à imposer au pouvoir corrompu — qui se revendique d'idéologies irréelles ne donnant jamais la priorité aux faits réels marqués par le temps et le lieu — les instruments juridiques qui sanctionneraient cette priorité : p. ex. le referendum et la multiplication des ombudsmen, dans tous les domaines de la fonction publique.
Robert Steuckers, Nouvelles de Synergies Européennes n°32, 1997. http://vouloir.hautetfort.com
◘ Sources principales :
- John Breuilly, Nationalism and the State, Manchester Univ. Press, Manchester-UK, 1993, 474 p.
- Bernd Estel / Tilman Mayer (Hrsg.), Das Prinzip Nation in modernen Gesellschaften. Länderdiagnosen und theoretische Perspektiven, Westdeutscher Verlag, Opladen, 1994, 325 p. Dans ce volume, cf. Wolfgang Lipp, « Regionen, Multikulturalismus und Europa : Jenseits der Nation ? », pp. 97-114 ; Tilman Mayer, « Kommunautarismus, Patriotismus und das nationale Projekt », pp. 115-130 ; Klaus Schubert, « Frankreich - von der Großen Nation zur ziellosen Nation ? », pp. 171-196.
- Kurt Hübner, Das Nationale : Verdrängtes, Unvermeidliches, Erstrebenswertes, Styria, Graz, 1991, 313 p.
- Tilman Mayer, Prinzip Nation : Dimension der nationalen Frage am Beispiel Deutschlands, Leske & Budrich, Leverkusen, 1986, 267 p. Sur cet ouvrage, cf. Luc Nannens, « Le principe “Nation” », in Vouloir n°40/42, 1987.
- Heinrich August Winckler (Hrsg.), Nationalismus, Verlagsgruppe Athenäum/ Hain/ Scriptor/ Hanstein, Königstein/Ts., 1978, 308 p. À propos de ce livre, cf. Robert Steuckers, « Pour une typologie opératoire des nationalismes », in Vouloir n°73-74-75, 1991, pp. 25-30.
◘ Sources secondaires :
- Colette Beaune, « La notion de nation en France au Moyen-Âge », in : Communications n°45/1987 « Éléments pour une théorie de la nation », pp. 101-116, Seuil, 1987.
- Rogers Brubaker, Citizenship and Nationhood in France and Germany, Harvard Univ. Press, Cambridge-Massachussetts, 1994 (2nd ed.), 270 p. Ouvrage capital pour comprendre comment Français et Allemands conçoivent les notions de nationalité et de citoyenneté. Ces approches allemande et française sont fondamentalement différentes.
- Liah Greenfeld, Nationalism : Five Roads to Modernity, Harvard Univ. Press, 1993 (2nd pbk ed.). Les sources du nationalisme en Angleterre, en France, en Allemagne, en Russie et aux États-Unis.
- Georges Gusdorf, « Le cri de Valmy », in : Communications n°45/1987, op. cit., pp. 117-146.
- Stein Rokkan, « Un modèle géo-économique et géopolitique », in : Communications n°45/1987, op. cit., pp. 75-100.
- Heinrich August Winckler & Hartmut Kaelble, Nationalismus, nationalitäten, Supra-nationalität, Klett-Cotta, Stuttgart, 1993, 357 p. Dans ce volume, cf. Gilbert Ziebura, « Nationalstaat, Nationalismus, supranationale Integration : Der Fall Frankreich », pp. 34-55 ; Wolfgang Kaschuba, « Volk und Nation : Ethnozentrismus in Geschichte und Gegenwart », pp. 56-81.