Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La Dystopie* de Davos

*Ce n'est pas nouveau mais ça vient de sortir : angliscisme désignant l'utopie en noir opposée aux lendemains qui chantent
Tel la famille Lion au bout du wharf sans solution, le monde globalisé semble avoir atteint la dernière frontière de ses idées. Ce n'est pas le dernier gourou du Ladakh qui nous le suggère mais la très capable équipe du Forum économique mondial de Davos. Pessimistes est faible, même s'ils y mettent les gants pour annoncer l'apocalypse à des "forumeurs" surtaxés, qui ont payé 55000 euros pour entrer se faire engueuler. Etat des lieux de la Planète bleue :

Lee Howell, directeur exécutif du WEF souligne que « pour la première fois depuis des générations, de nombreuses personnes ont cessé de penser que leurs enfants auront un meilleur niveau de vie qu’elles-mêmes » mais qui pis est « le sentiment de malaise est particulièrement prégnant dans les pays industrialisés qui, historiquement, ont été une source de grande confiance et d’idées audacieuses.» Autrement dit, la marche du monde est à front renversé, les pays de l'OCDE ont troqué la camisole du pendu des pays émergents ; leur déclin est inexorable. Pourquoi ? C'est finalement très simple et le constat est peu rémunérateur en termes d'économie politique puisqu'on n'y peut fonder aucune autre science que celle du bon sens. On y va ?

D'abord la démographie. Le louable combat pour la vie humaine a complètement déséquilibré la population de la planète. La moitié de la population mondiale a moins de 27 ans et les perspectives de débouchés sur une planète finie se sont resserrées. La population de vieux s'accroît proportionnellemnt plus vite dans des pays dont les Etats sont criblés de dettes, pays dont les ressources sont englouties à faire vieillir les inactifs. Ceci est le constat global. Mais si on observe des segments significatifs du globe on s'aperçoit que c'est encore pire. Trois moteurs du monde : Japon, Chine, Allemagne. Le premier pays a la population la plus âgée du monde, et la dette publique intérieure la plus forte. Ses effectifs décroissent régulièrement, diminuant le réservoir de main d'oeuvre et le stock de consommateurs. Ses caisses sociales sont renflouées en permanence ; il n'y a pas d'avenir autre que morose.
La Chine (20% de la population mondiale) a maîtrisé sa croissance démographique par la politique de l'enfant forcément unique, au prix d'un déséquilibre des générations, compliqué par une sélection des genres (on avorte en priorité les foetus féminins). Le vieillissement inéluctable de sa population va lui poser, dès 2030 selon les experts, des problèmes considérables, comme au Japon mais avec un coefficient 10 (1360 millions d'habitants contre 127).
L'Allemagne vieillit et diminue. La France aura plus d'habitants que l'Allemagne en 2050¹ avec un âge médian plus jeune, mais une carnation plus mate. Le vieux Frankreich deviendra le Frankistan. Ce sont des tendances lourdes et qui ne peuvent être dévoyées en seulement dix ans. D'où la difficulté à y remédier quand on laisse la main à des régimes électoralistes.

Parlant du rapport 2012 (Global Risks - 7° édition, 2012), le directeur général de Oliver Wyman Group signale que « pour bénéficier d’une retraite sûre et accéder à des soins de qualité, les individus sont de plus en plus appelés à assumer des risques qui incombaient précédemment aux gouvernements et aux entreprises ». Adieu donc la solidarité intrinsèque aux sociétés modernes, place au sauve-qui-peut, fini les schémas par répartition et fracture sociale de plus en plus grande, un véritable continent de riches s'élevant au-dessus d'un magma de pauvres.

Les codes du XX° siècle sont obsolètes. Mais pieusement défendus. Leurs sauvegardes sont inadaptées au monde imbriqué et dangereux d'aujourd'hui qu'il faut quand même affronter. La constitutionnalisation du principe couard de précaution n'y supplée pas. Deux exemples : suréaction au nuage éruptif de l'Eyjafjöll en 2010, sous-réaction au krach hypothécaire des subprimes. La crise de l'euro montre qu'on n'a pas les outils pour la stopper. Les procédures réactives sont dépassées, il faut de la proactivité, de la souplesse, de l'autorité et du bon sens, pas des textes ! Dit en passant, c'est la définition d'une société monarchique gouvernée par un cabinet de talents comme nous en connûmes.
Le plus grave défi au genre humain, aux yeux des experts, est l'interconnectivité absolue. Nos vies dépendent maintenant de la "connexion". Que ce soit dans les activités professionnelles ou dans la sûreté personnelle, nous sommes à la merci du Réseau. L'interconnectivité est à la fois indispensable pour les entreprises et un gage certain de résilience en cas d'agression ou de catastrophe, les cellules filles pouvant palier l'absence de la cellule mère, utile aux administrations dans l'exploitation des données et la production de résultats préalables à la prise de décisions, agréable aux communautés d'individus qui facilement se retrouvent, mais en revanche extrêmement plastique dans l'organisation de la désorganisation comme l'ont montrées les émeutes de Seattle, Londres, Rome et les révoltes arabes devenues le prototype opératoire d'une révolution, redouté aujourd'hui par tous les régimes de force.

 Le rapport au WEF sélectionne cinquante risques majeurs et concrets, pas des concepts ; nous en reprenons neuf et adressons notre distingué lectorat à l'original du rapport 2012 :

Les neufs dangers majeurs :

(i) Déséquilibres fiscaux chroniques des Etats nourrissant le pronostic de krach systémique de l'interbancaire et la destruction du régime de devises. Le creusement de dettes publiques n'est pas tenable aux niveaux atteints.

(ii) Disparité sévère des revenus couplée à une gestion désastreuse des populations hors-d'âge. Inégalités criantes et injustice évidente sont plus que le ferment de grands désordres, mais l'étoupe de la mise à feu de nos sociétés.

(iii) L'augmentation des gaz à effet de serre et l'échec patent de la gouvernance énergétique mondiale qui va transformer la planète en four et stériliser d'immenses terres agricoles au moment du pic démographique.

(iv) L'urbanisation débridée écrasant tout, prolétarisant les peuples et asséchant les ressources en eau accessibles par les moyens modernes de captage. Les dégats à attendre de ces concentrations de misère sont plus désastreux que ceux des calamités naturelles aléatoires.

(v) Extrême volatilité des prix des matières et denrées ruinant les producteurs au bénéfice d'une spéculation illimitée dans ses mises.

(vi) Prolifération atomique incontrôlée, donnant des moyens de destruction massive à des Etats immatures ou exagérément spéculateurs des pressions induites.

(vii) Crise de l'eau et crise alimentaire provoquées par l'effet de ciseau de la hausse spéculative des prix et du défaut de productions vivrières de proximité (effet direct de la mondialisation) ; sans parler de l'hiver volcanique que pressentent les vulcanologues et qui est hors de l'épure politique puisque imparable.

(viii) Guerre cybernétique déclenchée en dehors des Etats par des groupes intéressés au chaos (le rêve de l'anarchiste historique) ou privilégiant le néotribalisme qui endommagerait, voire détruirait par endroit le Réseau cité plus haut, éteignant à proprement parler nos sociétés sophistiquées.

(ix) Modification du génôme humain par l'impact de produits consommés ou d'expériences assimilées ouvrant le champ de nouveaux risques pour l'espèce. Ce risque s'applique aussi à tout le règne vivant, animal et végétal.


Et après ?
A la fin du catalogue se pose une seule question qui appelle une seule réponse. Les décideurs de l'espèce humaine sont-ils aux manettes et affrontent-ils tous ces défis systémiques ? Pour plusieurs raisons, dont la moindre n'est pas l'éphémérité des pouvoirs gouvernant les grandes nations ou leur corruption profonde au bénéfice des dirigeants, le niveau de réponse est estimé inadapté et le demeurera parce qu'il n'a pas suffi jusqu'ici de gérer les crises. Il faut gouverner ! 
Gouverner, ce n'est pas godiller de la queue tel le chien crevé au fil de l'eau, mais prendre et faire appliquer à tous prix les décisions qui conviennent dans chaque domaine identifié, dans le cadre d'un accord global qui n'a pas besoin d'être formalisé mais exécuté avec courage, chacun allant à sa vitesse, mais dans le même sens.
Les yeux sur le compteur de leurs chances de réélection, nos gouvernants en sont bien loin !
Qui prendra la tête à Davos ?

Le truc du piéton : équilibrer son moral en lisant Le Fanatisme de l'Apocalypse de Pascal Bruckner (Grasset 2011, 20€)

Les commentaires sont fermés.