Comme l'écrit Thierry Bouzard dans l'introduction de son livre consacré à la croix celtique, cette dernière est « un symbole sur lequel courent de notnbreuses légendes souvent erronées ». De fait, ayant acquis depuis plus d'un demi-siècle une notoriété remarquable, « la croix celtique rayonne sur tous les continents » et elle est souvent présentée par les adversaires de la tradition nationale comme un avatar d'un autre symbole cruciforme qui puise ses sources dans la tradition indo-européenne ... Dans cet ouvrage de plus de cent vingt pages, richement illustré et bien documenté, les lecteurs peuvent, soit parfaire leurs connaissances, soit découvrir l'histoire et la signification de ce symbole qui a traversé les siècles sans prendre une ride. Avec ce premier ouvrage, Thierry Bouzard rentre dans la grande famille des témoins de la mémoire nationale. Ce nouvel ouvrage de la belle collection Prolégomènes qui a déjà à son actif une histoire des Camelots du Roi marque l'originalité de cette collection enracinée.
National Hebdo - Comment vous est venue l'idée de consacrer un ouvrage à l'histoire de la croix celtique ?
Thierry Bouzard - Après quelques années de militantisme, il y a déjà un certain temps, j'ai voulu comprendre d'où venait l'engouement des nationalistes pour ce symbole. Mes premières recherches m' ont rapidement fait apparaître qu'aucune étude n' avait été consacrée à ce sujet et que les utilisateurs en avaient des conceptions variées et parfois contradictoires. J' ai donc décidé d'en faire l'étude moi-même car je considère qu'il est important de connaître les raisons qui motivent l'engagement des individus. Le symbolisme constitue un vecteur puissant qui synthétise en quelques traits précisément tracés un concept complexe. Il est considéré comme le langage privilégié de l'esprit, le plus apte à appréhender des réalités inaccessibles au langage ordinaire. C'est un moyen universellement utilisé pour entraîner les hommes.
Mais la croix celtique ne voulait pas livrer facilement ses secrets. Les ouvrages sur le symbolisme ne l'évoquent que superficiellement et souvent comme un simple dérivé de la croix grecque ou de la croix latine.
Je me suis donc lancé dans mes recherches sans idée préconçue et je dois dire que je ne m'attendais absolument pas à ce que j'allais mettre au jour. L'aspect de plus étudié concerne les célèbres croix irlandaises. Son utilisation politique moderne est aussi assez connue depuis la réactualisation qu'en a fait Pierre Sidos, mais pas la genèse de celle-ci.
Ce sera aux lecteurs de dire. si j'ai atteint mon objectif qui était de présenter une vision complète et synthétique de la croix celtique et de son symbolisme.
- Quel est le lien entre les Celtes pré-chrétiens et la croix celtique chrétienne ?
- Ce sont les druides irlandais qui font le lien entre l'ancienne religion et le christianisme et c'est probablement par eux que le symbole a été transmis. Il faut savoir que les Celtes irlandais sont le seul exemple de populations qui se soient converties au christianisme sans avoir été préalablement conquises par les armées romaines. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les Celtes ne faisaient pas un usage graphique de la croix celtique. En effet, aucun objet précédant la conversion de l'Irlande ne représente le symbole. Par contre je mentionne l'usage qui en est fait dans la géographie sacrée des Celtes irlandais et des Gaulois, ce qui n'est pas étonnant quand on sait que les druides transmettaient leur enseignement exclusivement oralement. Mais c'est en Irlande que la mutation du symbole s'est effectuée, Sans y voir forcément un lien, de cause à effet, on constate que la caste sacerdotale, les druides, ont embrassé la nouvelle religion presque naturellement et quoi de plus logique qu'ils aient voulu enrichir la symbolique de leur nouvelle religion par une lecture originale d'un motif qui leur était familier et dont on trouve la trace en Europe dès le néolithique.
Concrètement, on constate que la croix celtique, avant de servir dans le cùlte public sous la forme des grandes croix de pierre, a d'abord été utilisée dans le culte privé, gravée sur les pierres tombales. On la retrouve aussi dans l'orfèvrerie.
- Pouvez-vous retracer l'épopée du père Doncœur qui a redonné vie à la croix celtique ?
- C'est en effet le père Doncœur qui est à l'origine de l' emploi moderne de la croix celtique. Il en avait fait son symbole personnel sous le nom de "croix cadet". Il est une figure méconnue mais attachante de cette première moitié du XXe siècle. S'il reste méconnu, ses chansons le sont moins et notamment le célèbre Kyrie des gueux qui est devenu un classique du répertoire des Saint-Cyriens. Il est extrait de son carnet de chants le Roland dont plusieurs pages sont illustrées avec la croix celtique.
C' est la loi sur les congrégations religieuses de 1902 qui oblige le jeune Paul Doncœur à s'exiler. C'est en 1912 qu'il est ordonné prêtre en Belgique. En août 1914, il marche au canon pour partager le sort des soldats français sur le front. Blessé, prisonnier, décoré, c'est surtout après la guerre qu'il se fera remarquer en prenant une part éminente dans la campagne qui va faire céder le gouvernement Herriot en 1924. Le cartel des gauches voulait remettre en application la loi de 1901 et de nouveau expulser les congrégations religieuses. Parallèlement, le père Doncœur participe à la création du mouvement scout en France et spécialement des routiers. En 1939, il devient l'aumônier général de la branche Route et c'est certainement sous son influence qu'est choisi l'emblème des cadets d'Algérie en 1940, puis des Equipes nationales en 1943. Ces deux organisations vont utiliser comme emblème officiel la croix celtique telle que nous la connaissons.
- Que représente à vos yeux le symbolisme de la croix celtique ?
- On peut y distinguer plusieurs significations. Tout d'abord, il est incontestable que la croix celtique est une représentation du "signaculum domini", c'est-à-dire des cinq plaies du Christ en croix. Symbole très courant au Moyen Age et connu depuis le IVe siècle. Cette signification méconnue est pourtant explicite sur les premières croix en pierre irlandaises. D'ailleurs, les spécialistes de l'art irlandais ne qualifient-ils pas les cinq cabochons qu'ils remarquent sur ces croix de "têtes de clous" ?
La croix celtique est aussi l'héritière des anciennes roues solaires de l'âge de bronze. Par là, elle intègre le symbolisme solaire et elle l'enrichit en étant aussi une représentation du cœur. Sans entrer dans tous les détails, on peut dire que lorsque le soleil réchauffe et éclaire, il n'agit que dans un seul. sens tandis que le cœur exerce la même fonction dans les deux sens, par un mouvement à la fois centripète et centrifuge. C'est une image classique du Sacré-Cœur représenté très souvent entouré de rayons solaires.
- Comment est-elle présente dans nos chants de tradition ?
- Collectionneur de recueils de chants, je me devais de mentionner, en annexe de mon livre, les chants qui citent la croix celtique dans leurs paroles. S'il est probable qu'il devait exister des chants religieux glorifiant ce type de croix, ils ont apparemment disparu. Il ne reste donc que des chants plutôt militaires et militants. Je les publie avec leurs partitions et ce que je connais de leur historique. Le plus célèbre est Les Lansquenets, moins connu est le chant des mercenaires Le vent menait. Bien entendu, on trouve le chant officiel de l'Œuvre française écrit par Pierre Sidos.
Propos recueillis par Françoise MONESTIER National Hebdo mai 1998
La croix celtique, Collection Prolégomènes, Editions Defi, 1 Place Paul-Verlaine, 92100 Boulogne Billancourt.