Commentateurs et journalistes s'interrogent devant le mouvement de résistance spirituelle qui prend forme. Quel rapport peut-on établir entre mai 68 et mai 2013 ?
La réponse m'est apparue, lumineuse, en tombant sur cette remarque faite par le philosophe russe Nicolas Berdiaeff au début du XXe siècle :
« Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?… Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société non utopique moins « parfaite » et plus libre. »
Les jeunes et moins jeunes citoyens qui se mobilisent aujourd'hui en déployant des trésors d'imagination ne le font pas pour communier fugitivement en une utopie où les désirs de l'homme se verraient affranchis de toute limite. A l’inverse, leur conscience crie – et c'est une bonne nouvelle que tant de consciences soient encore vives – à l'approche de l'ombre qui se profile derrière cette loi. L'ombre d'une distopie qui se caractérise par la négation de la complémentarité homme-femme, de la parenté et surtout par le développement de l'eugénisme et de la marchandisation de l'homme dans la mesure où les couples homosexuels, stériles par nature, demandent dès à présent, fort de leur nouveau statut, à pouvoir accéder aux techniques de procréation médicalement assistés. Huxley avait pressenti cette société monstrueuse à laquelle la rupture radicale entre la culture et la nature humaine conduit. Et ce n'est certes pas un hasard s'il a placé la phrase de Berdiaeff citée ci-dessus, en épigraphe de son Meilleur des mondes (1932), livre qui décrit une société dans laquelle la reproduction est devenue entièrement artificielle et où la seule évocation de la notion de parenté est considérée comme obscène.
L'eugénisme est en marche. Il l’est déjà négativement depuis quelques années. Les personnes en devenir atteintes de trisomie sont presque totalement éliminée avant de naître. Toute une classe d'hommes est ainsi privée de venir à l'existence. La loi actuelle prépare l'ouverture d'un eugénisme positif avec la sélection des gamètes pour concevoir artificiellement les hommes en fonction du désir de couples stériles par nature. Lisez les reportages de grands journaux comme La Croix sur les banques de sperme danoises et les cliniques indiennes qui pratiquent la GPA. Discutez avec une personne qui a eu recours à ces techniques à l’étranger : derrière une belle histoire vous arriverez toujours au point où elle vous dira : « oui j’ai acheté du sperme, j'ai choisi celui récolté à côté d’un campus d’étudiants danois ». Le prix du sperme à l’étranger est aujourd'hui variable en fonction de l'anonymat ou non du donneur, et, dans le second cas, de son niveau de diplôme, de ses caractéristiques physiques et, probablement, implicitement, de la couleur de sa peau. On se demande pourquoi Harlem Désir et la cour européenne des droits de l’homme ne s’émeuvent pas de ce qui est déjà une réalité en Belgique, au Danemark ou dans le pays qui autorisent cela. Pour la GPA, il serait intéressant de savoir comment sont sélectionnées les femmes indiennes qui s’y plient : en fonction de leur corpulence et de leur dentition ? Il est vraie qu’une prétendue journaliste (en fait une militante de la cause lesbienne) qui fait trop parler d’elle pour la citer encore ici, déclarait déjà sur la matinale de France-Culture il y a quelques années que les femmes du tiers-monde gagneraient à porter des enfants (des femmes occidentales) plutôt qu’à devoir se prostituer. Les déclarations de Pierre Bergé sur la GPA ("Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ?") n'ont visiblement pas plus choqué le gratin médiatique et politique (la petite-amie du président de la République, Manuel Vals, Rama Yade, Roselyne Bachelot, Laurence Ferrari...) qui se sont précipités à la soirée demi-mondaine que le milliardaire qui a financé la campagne de François Hollande organisait pour défendre cette cause.
Mai 68 et mai 2013 sont inverses dans leur motivation profonde, même si la générosité et la vitalité de la jeunesse peuvent s’y exprimer avec le même éclat. Mai 2013 ressort d’un feu plus intérieur, plus profond, dans un monde plus ténébreux. Puisse-t-il contribuer à éclairer des consciences ankylosées par la dispersion de l’attention, la désinformation, la surconsommation, la sexualité dégradée. Les temps qui viennent nous réservent des surprises. Le monde actuel ne tient que sur une gigantesque entreprise de suggestion. Ouvrez les yeux, vos yeux et ceux de vos proches, et il s'effondrera comme l'illusion qu'il est.
Blaise Caillerez http://www.printempsfrancais.fr/