La loi sur le mariage des individus de même sexe a été votée en deuxième lecture à l'Assemblée nationale mardi 22 avril en grande pompe, toutes les formes de la légalité paraissant parfaitement respectées. 331 voix pour ; 225 contre et 10 abstentions. Circulez, rien à voir, tout cela est parfaitement républicain...
Entre dix-mille, le maire PS de Reims, Adeline Hazan, n'a pas tardé à exprimer sa satisfaction : « C'est un grand et beau jour pour la République Française. Je suis fière que la France, patrie des Droits de l'Homme, devienne le 14e pays à légaliser le mariage et l'adoption pour tous les couples dans le monde (...) Aujourd'hui, par cette loi, la société française renoue avec ses plus belles valeurs : celles de liberté, d'égalité et de fraternité ». Pour Adeline Hazan, comme pour l'ensemble des élus socialistes, la loi Taubira est parfaitement légitime, puisqu'elle permet plus de liberté (ceux qui ne pouvaient pas se marier le peuvent), plus d'égalité (si un homme peut épouser une femme, pourquoi une femme n'aurait-elle pas le droit d'en faire autant?), plus de fraternité (plus de lien social)... Elle est donc dans le sens de l'histoire.
La légitimité de cette loi, pour les socialistes, qui ont scandé « Egalité » depuis leurs bancs au Palais Bourbon lorsqu'ils ont appris le résultat du vote, est une légitimité absolument idéologique, qui remonte aux idéaux abstraits de la Révolution française. Seulement, cette fois, l'idéologie s'éloigne tellement de l'expérience commune de la vie que, entre ridicule (il tue encore !) et dénaturation, l'image que la loi Taubira est censée promouvoir ne passe plus. Résistance à ce qui est perçu comme une violence !
Violence ? Le mot n'est pas de moi. Dans un récent entretien avec Manuella Affejee au micro de Radio Vatican, Marcel Gauchet, qui dirige la prestigieuse revue Le Débat, souligne : « Il y a un climat de violence et de ressentiment violent contre un gouvernement qui ne fait pas son travail, puisqu'en fait, on a l'impression qu'il ne sait pas ce qui se passe dans la société, et qu'il ne se rend pas compte des énormes problèmes qu'il traite, sans en mesurer l'importance. »
Depuis le début, François Hollande a sous-estimé l'importance du problème qu'il pose à la conscience commune, j'allais dire, pour reprendre une formule de George Orwell, à la « décence commune ». Il s'est rassuré en pensant au peu d'impact réel de cette loi (combien de mariages homosexuels à prévoir chaque année ?). Il a sous-estimé le choc qu'elle représente dans les consciences.
La vraie question est désormais : jusqu'où va aller le divorce entre le Pays et ses élites ? En imposant cette loi antinaturelle, François Hollande perd encore de sa crédibilité, j'allais dire dans l'inconscient des Français, quelque chose que les sondages ne mesurent pas... Et les opposants à la loi Taubira peuvent jeter à la figure du président : « On ne lâchera rien, jamais ». Ils se savent appuyés sur la loi naturelle la plus élémentaire et sur la légitimité que donna jadis à Antigone la défense de cette « loi non-écrite ».
Une République antidémocratique
En effet, la République a montré son vrai visage en contredisant la nature de l'homme au point d'imaginer le mariage de deux hommes ou de deux femmes. Vrai visage ? L'affaire Cahuzac nous montre aussi celui d'une République moralisatrice pour les petits mais profondément immorale avec les grands. Dans ce contexte, les mensonges éhontés sur le nombre des manifestants (300 000 au lieu d'un million et demi) ont revêtu pour ces derniers une gravité particulière. Il est sans doute plus grave - chacun le perçoit obscurément - de mentir sur l'expression de la volonté populaire que de mettre son argent dans un paradis fiscal. C'est plus grave parce que cela constitue une attaque terriblement efficace contre le régime. La République a fait voter à main levée l'assemblée sénatoriale, selon une pratique que l'on croyait révolue, elle a supprimé tout échange d'arguments lors de la deuxième lecture du vote de la loi Taubira, en faisant taire les députés socialistes et en laissant les députés UMP parler dans le vide, elle a fait gazer ses opposants sans discuter avec eux, elle a introduit des provocateurs dans le mouvement comme agirait une Police politique. Bref le premier résultat de ces manifestations est un discrédit jeté sur ce que l'on n'appelle plus que « le système », considéré à l'évidence comme largement antidémocratique.
Que faut-il faire pour que la République soit démocratique ? Avant tout respecter le contrai social et non en préjuger.
La démarche des socialistes consiste à dire : le contrat social est constitué par l'unanimité des citoyens adultes qui vont dans le sens de l'histoire, c'est-à-dire qui veulent plus de liberté d'égalité ou de fraternité. Or la loi Taubira réalise plus d'égalité. Donc la loi Taubira est une exigence du Contrat social. Ceux, parmi les citoyens qui ne voudraient pas aujourd'hui de cette loi l'accepteront forcément demain. D'ailleurs, s'ils ne l'acceptent pas, ils ne sont pas des citoyens dignes de ce nom, ils refusent le Progrès de l'Histoire sur lequel repose l'Idée républicaine.
Cette démarche vaut bien celle des communistes rêvant à la société sans classe. Elle est typiquement idéologique, c'est-à-dire à la fois religieuse et politique.
Mais cette fois, alors que la Crise est à nos portes et que l'appauvrissement européen nous est imposé par les mêmes voies idéologiques de l'unanimité républicaine présumée, la dictature du relativisme dans laquelle nous sommes est devenue tangible pour l'homme de la rue. Comme il est devenu clair que le Contrat social n'est plus ce qu'il devrait être : un pacte de gouvernement - un ensemble de perspectives concrètes autour desquelles se cristallise une grosse majorité de citoyens; il s’est sclérosé en une idéologie de l'individualisme triomphant et du nihilisme heureux qui ne recueille pas l'assentiment de la population, mais seulement celui des élites autoproclamées, qui profitent de ce système d'une façon ou d'une autre.
À force d'idéologiser le Contrat social, François Hollande est en train, bien malgré lui, d’en supprimer l'impact.
Joël Prieur monde & vie 30 avril 2013