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1891 : S.S. Léon XIII et la protection du sanctuaire de la famille

Si les citoyens, si les familles entrant dans la société humaine y trouvaient, au lieu d’un soutien, un obstacle, au lieu d’une protection, une diminution de leurs droits, la société serait plutôt à rejeter qu’à rechercher.

Le 15 mai 1891 Léon XIII publie son encyclique Rerum Novarum. Ce texte merveilleux traite de tous les grands problèmes politiques et sociaux de son temps, demandant à une humanité déjà déboussolée de revenir à ses sources chrétiennes. L’exceptionnelle beauté du style m’a incité à relire tous les encycliques des grands papes du XIXe siècle, et je reste transporté par leur élégance et leur clairvoyance. Notre société arrogante et technocrate n’aurait qu’à y puiser comme dans un puits pour y trouver des réponses et elle ne le fera pas, toute à la joie d’entasser les futurs trans-humains dans ses smart cities.

***

Prophétique, le Saint-Père voit venir la liquidation de la famille et de l’être humain, que les lois socialistes et les Google babies vendus sur le web rêvent de remplacer. Je préfère le donner à lire tel quel à mon lecteur - pour lui donner envie de relire ces saints textes et d’oublier un peu le journal du jour ou le best-seller du moment : c’est aussi passionnant que du Tocqueville ou du Chateaubriand, et c’est le Saint-Père (je reparlerai en son temps de Pie X et de ses stupéfiantes intuitions).

« La soif d’innovations qui depuis longtemps s’est emparée des sociétés et les tient dans une agitation fiévreuse devait, tôt ou tard, passer des régions de la politique dans la sphère voisine de l’économie sociale. En effet, l’industrie s’est développée et ses méthodes se sont complètement renouvelées. Les rapports entre patrons et ouvriers se sont modifiés. La richesse a afflué entre les mains d’un petit nombre et la multitude a été laissée dans l’indigence. Les ouvriers ont conçu une opinion plus haute d’eux-mêmes et ont contracté entre eux une union plus intime. Tous ces faits, sans parler de la corruption des moeurs, ont eu pour résultat un redoutable conflit. »

Léon XIII fait ensuite le bilan social du prométhéen siècle écoulé qui a liquidé l’héritage chrétien médiéval sans le remplacer par rien - si, par le bolchévisme comme on verra après. Les conditions de vie de la classe ouvrière ont été une abomination qui n’a pas alors échappé à l’Eglise - qui voyait d’ultérieurs dangers se rapprocher :

« Le dernier siècle a détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes qui étaient pour eux une protection. Les sentiments religieux du passé ont disparu des lois et des institutions publiques et ainsi, peu à peu, les travailleurs isolés et sans défense se sont vu, avec le temps, livrer à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d’une concurrence effrénée. Une usure dévorante est venue accroître encore le mal. »

Désireux de limiter l’esprit de prédation du capitaliste, qui aujourd’hui n’exploite plus mais délocalise, Léon XIII n’en est pas moins très opposé au socialisme ; et pour cause :

« Mais pareille théorie, loin d’être capable de mettre fin au conflit, ferait tort à la classe ouvrière elle-même, si elle était mise en pratique. D’ailleurs, elle est souverainement injuste en ce qu’elle viole les droits légitimes des propriétaires, qu’elle dénature les fonctions de l’Etat et tend à bouleverser de fond en comble l’édifice social. »

Le pape sent bien que l’on peut discuter avec le patron parce que c’est un homme mais pas avec le socialiste parce que c’est un système. 2013 lui donne raison en France.

Ici il va évoquer la famille, et c’est pourquoi ce long texte nous concerne au premier degré. Les lignes qu’on va lire inspireront Chesterton. :

« Aussi bien que la société civile, la famille, comme Nous l’avons dit plus haut, est une société proprement dite, avec son autorité propre qui est l’autorité paternelle. C’est pourquoi, toujours sans doute dans la sphère que lui détermine sa fin immédiate, elle jouit, pour le choix et l’usage de tout ce qu’exigent sa conservation et l’exercice d’une juste indépendance, de droits au moins égaux à ceux de la société civile. Au moins égaux, disons-Nous, car la société domestique a sur la société civile une priorité logique et une priorité réelle, auxquelles participent nécessairement ses droits et ses devoirs. »

Priorité logique, priorité réelle. Le Saint-Père ajoute alors ces lignes étonnantes qui évoquent de loin en loin le Katholik Park ou les oasis de la foi dont a parlé Benoît XVI il y a quelques années :

« Si les citoyens, si les familles entrant dans la société humaine y trouvaient, au lieu d’un soutien, un obstacle, au lieu d’une protection, une diminution de leurs droits, la société serait plutôt à rejeter qu’à rechercher. »

On peut dire que nous y sommes ! On est bien d’accord et la Sécession est entamée : mais n’oublions pas qu’on emprisonne un peu partout en Europe les parents opposés à certains enseignements maintenant. Avec l’équilibre et l’esprit d’équité qui est toujours la marque subtile du Vatican (même si elle contrarie les esprits des polémistes chrétiens !), Léon XIII limite le champ d’action de l’Etat d’une manière raisonnable - secourir les plus pauvres ou les plus éprouvés :

« C’est une erreur grave et funeste de vouloir que le pouvoir civil pénètre à sa guise jusque dans le sanctuaire de la famille. Assurément, s’il arrive qu’une famille se trouve dans une situation matérielle critique et que, privée de ressources, elle ne puisse d’aucune manière en sortir par elle-même, il est juste que, dans de telles extrémités, le pouvoir public vienne à son secours, car chaque famille est un membre de la société. De même, si un foyer domestique est quelque part le théâtre de graves violations des droits mutuels, il faut que le pouvoir public y rétablisse le droit de chacun. Ce n’est point là empiéter sur les droits des citoyens, mais leur assurer une défense et une protection réclamées par la justice. Là toutefois doivent s’arrêter ceux qui détiennent les pouvoirs publics, la nature leur interdit de dépasser ces limites. »

Mais rien ne saurait se substituer à l’autorité réelle du Père.

« L’autorité paternelle ne saurait être abolie ni absorbée par l’Etat, car elle a sa source là où la vie humaine prend la sienne. "Les fils sont quelque chose de leur père." Ils sont en quelque sorte une extension de sa personne. Pour parler exactement, ce n’est pas immédiatement par eux-mêmes qu’ils s’agrègent et s’incorporent à la société civile, mais par l’intermédiaire de la société familiale dans laquelle ils sont nés. De ce que "les fils sont naturellement quelque chose de leur père, ils doivent rester sous la tutelle des parents jusqu’à ce qu’ils aient acquis l’usage du libre arbitre." »

On a compris que pour nos élites hostiles les fils ne sont plus « naturellement quelque chose de leur père » mais artificiellement quelque chose de la matrice et de la technoscience ; le pape affirme alors la menace antifamiliale des politiques socialistes à venir :

« Ainsi, en substituant à la providence paternelle la providence de l’Etat, les socialistes vont contre la justice naturelle et brisent les liens de la famille. »

Il en découle cette atmosphère de fin du monde à laquelle nous assistons maintenant en France et dans l’ensemble de ce que l’on appelait jadis l’Occident. C’est la haine de tous contre l’Etat, contre la nation et contre son prochain, tout bon disait Muray pour la cage aux phobes. Le socialisme version libéral-libertaire punitive a bien dégainé. C’est la guerre de tous contre tous.

« Mais on ne voit que trop les funestes conséquences de leur système : ce serait la confusion et le bouleversement de toutes les classes de la société, l’asservissement tyrannique et odieux des citoyens. La porte serait grande ouverte à l’envie réciproque, aux manoeuvres diffamatoires, à la discorde. Le talent et l’esprit d’initiative personnels étant privés de leurs stimulants, la richesse, par une conséquence nécessaire, serait tarie dans sa source même. Enfin le mythe tant caressé de l’égalité ne serait pas autre chose, en fait, qu’un nivellement absolu de tous les hommes dans une commune misère et dans une commune médiocrité. »

Pas étonnant, c’est un mythe mathématique au départ. L’idéal de commune médiocrité, nous y sommes avec le mou Barack de l’Elysée. Il évoque aussi bien sûr la vision de Tocqueville (cf. « sa foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme »). Pour le reste le Saint-Père qui a réponse à tout en sincérité et vérité nous recommande de retourner à notre source :

« A qui veut régénérer une société quelconque en décadence, on prescrit avec raison de la ramener à ses origines. La perfection de toute société consiste, en effet, à poursuivre et à atteindre la fin en vue de laquelle elle a été fondée, en sorte que tous les mouvements et tous les actes de la vie sociale naissent du même principe d’où est née la société. Aussi, s’écarter de la fin, c’est aller à la mort ; y revenir, c’est reprendre vie. »

Devenir les apprentis sourciers du siècle à venir et apprendre à extraire les racines tarées de la modernité athée, socialiste et libérale, telle est notre mission. Il importe de comprendre que ce combat dure depuis des siècles et qu’il durera encore. Nous somme les mutins du Christ contre les moutons du panurgisme matriciel.

« Si les citoyens, si les familles entrant dans la société humaine y trouvaient, au lieu d’un soutien, un obstacle, au lieu d’une protection, une diminution de leurs droits, la société serait plutôt à rejeter qu’à rechercher. »

Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info

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