La territoire ultra-marin d’Amérique du Sud est dans une situation économique, sociale et démographique qui ressemble à une poudrière.
On ne regarde pas assez les billets de la Banque de Francfort.
Tout en bas, à gauche, sur le flanc de l’omega grec, est porté la silhouette d’un territoire lointain et ultra-marin, la continuité de la République française sur le continent sud-américain, la Guyane.
Terre française de même ancienneté que l’Alsace et bien longtemps avant la Savoie ou le comté de Nice, d’une superficie de 80 000 km² soit plusieurs régions de la métropole, elle aurait pu faire le double sans un malheureux arbitrage pris à la fin du dix-neuvième siècle qui en donna la moitié à l’État d’Amapa de la fédération brésilienne.
La Guyane française est un produit de l’Histoire et de la volonté qui en a fait une terre française de droit commun alors même que les Guyanes britanniques et hollandaises prendront leur indépendance sous le nom de Guyana et de Surinam, dans des conditions rudes, rupture avec le Commonwealth pour le Guyana et guerre civile à la fin des années soixante-dix pour le Surinam.
La Guyane française a donné au pays une liste d’hommes et de femmes célèbres, Galmot, Eboué, Monnerville et, plus récemment, la nouvelle icône de la gauche française, Christiane Taubira.
Pour autant, la “France équinoxiale” est aujourd’hui confrontée à de graves défis qui en font le lieu des plus fortes tensions potentielles de l’outre-mer français.
La Guyane est le seul territoire de la République qui connaisse un taux de croissance démographique qui la rapproche des pays du tiers-monde ; passée de vingt mille habitants vers 1950 à près de deux cent trente mille habitants aujourd’hui, une augmentation annuelle de près de dix mille personnes par an, soit de quatre pour cent environ, du fait du nombre d’enfants par famille particulièrement élevé et surtout de l’immigration très forte que connait le territoire.
La Guyane est le premier niveau de vie d’Amérique Latine ; sans doute, certains quartiers de Rio ou de Sao Paulo ont-ils un revenu supérieur mais en moyenne c’est dans le petit territoire, entre les deux fleuves du Maroni et d’Oyapock que se situe le plus grand lieu de richesse du sous-continent avec environ 16 000 euros annuel de Pib par personne.
Du coup, la Guyane attire des gens venus d’un peu partout : les Surinamais et les Brésiliens en premier lieu, qui sont à ses frontières ; les lignes de séparation sont parfaitement poreuses, traverser l’un ou l’autre fleuve prend en gros vingt minutes, les points de passage se répartissent sur des dizaines de kilomètres ; oh certes il existe bien des check-points fixes tenus par la gendarmerie sur les routes qui mènent à Cayenne et à Kourou mais les contourner par la forêt ou par la côte est un jeu d’enfants.
Il en va également pour les Haïtiens qui, arrivés sans visa à l’aéroport de Paramaribo (les Surinamais qui savent qu’ils ne resteront pas chez eux ne sont pas regardants), empruntent les mêmes voies; la Guyane est la première destination de l’émigration haïtienne, souvenir de la francophonie oblige, et on peut raisonnablement penser que le tiers de la population du territoire a aujourd’hui cette origine.
Mais l’attraction guyanaise retentit aujourd’hui encore plus loin : ce sont les Péruviens, qui remontent des filières compliquées le long de l’Amazone, les ressortissants de la République Dominicaine qui suivent les mêmes chemins que les Haïtiens et, même, la petite communauté des Afro-américains de Colombie, particulièrement maltraités dans leur pays d’origine, qui tentent sa chance sur le territoire de la République.
Bref, la Guyane reçoit à jet continu des flux migratoires auxquels elle ne peut promettre ni des emplois, ni même des maisons malgré une urbanisation galopante des principales agglomérations du territoire.
C’est que l’économie guyanaise souffre des maux classiques de l’outre-mer français que la croissance de la population porte à l’incandescence.
L’économie guyanaise a comme cœur la fonction publique qui occupe la moitié des emplois, dont les traitements de base sont de quarante pour cent au-dessus de ceux de leurs collègues métropolitains, agrémentés d’une indemnité dite de “sujétion et d’installation” ( prime moustique selon les indépendantistes) d’un montant de seize mois de traitement pour quatre ans de présence (et que, malgré ses envies évidentes, Bercy n’arrive pas à faire disparaître). Le reste de l’économie est composée d’un peu d’agriculture et de pêche et, surtout, des services que génèrent la présence de fonctionnaires au haut pouvoir d’achat (la base spatiale de Kourou est un monde à part qui n’a que peu de conséquences sur l’économie guyanaise en général).
Le résultat, eh bien, le résultat est que les prix guyanais sont particulièrement élevés (les quatre yaourts au fruit que l’on paye 1,80 euros à Paris sont à 2,5 ou une petite cylindrée passe de 6000 euros en métropole à 10 000 tout compris) ; et qui dit prix dit, bien évidemment, coûts qui ressemblent à des coûts allemands plongés dans un continent où ils sont plus proches de ceux du Paraguay.
Autrement dit, les quelques produits sympathiques que produit la Guyane (les jus de fruit de la Caresse Guyanaise, tout un programme, sont délicieux ou encore les confitures à la Goyave et au rhum, un régal) ne peuvent être consommés que sur place faute qu’un quelconque client étranger puisse en payer le prix.
Le financement de l’économie de la Guyane repose, dès lors, sur les subventions de la République, subventions directes comme pour les autres collectivités territoriales, subventions indirectes de la défiscalisation; et là, mauvaise nouvelle, le Conseil constitutionnel en supprimant le 4% du revenu déductible a renvoyé le dispositif, pourtant essentiel au développement du bâtiment, à la maigre déduction de 10 000 euros par contribuable ; rassurons nous, le ministre de l’outre-mer, Victorien Lurel, au-delà de ses considérations sur Chavez qui est Blum et de Gaulle à la fois, travaille d’arrache-pied à trouver une solution qui permettra de continuer la difficulté. L’affaire est en suspens. On demande des esprits imaginatifs.
Il y a maintenant deux ans un grand espoir a soufflé sur le territoire : le pétrole ; de bons esprits s’étant avisés que du temps du continent unique de la Pangée, la Guyane se trouvait en vis-à-vis de l’actuel Ghana, et que le Ghana est un pays pétrolier, et qu’au surplus le Vénézuela qui n’est qu’à un peu plus de mille kilomètres de la frontière nord de la Guyane est également un pays pétrolier ; des recherches ont donc été effectuées dans les eaux territoriales, à cent kilomètres au large, par la compagnie Shell qui ont donné des résultats très prometteurs : on a parlé de possibilités allant jusqu’à dix pour cent de la facture pétrolière française et quelques élus locaux discutaient déjà de la part revenant aux collectivités, pourquoi pas jusqu’à soixante quinze pour cent des royalties que verserait la compagnie pétrolière.
Las ! On sait que l’Amérique du Sud fut le continent de l’El Dorado ; malgré un soutien appuyé des gouvernements français, les socialistes allant jusqu’à virer l’éphémère ministre de l’Ecologie, Nicole Bricq, qui fit mine de s’opposer à la délivrance des permis de recherche, les deux sondages suivants n’ont rien donné et le seul sondage positif ne suffirait pas à rendre l’exploitation rentable ; on est parti pour un quatrième sondage, croisons les doigts pour que l’or noir soit au rendez-vous sinon, la Guyane reviendra à ses difficiles problèmes.
A 230 000 habitants aujourd’hui, probablement à 500 000 en 2030, date où la ville frontière de Saint-Laurent-du-Maroni dépassera Cayenne en habitants, comment, sans l’apport de la rente pétrolière, pourra t elle les résoudre ?
L’immigration est, en effet, aujourd’hui un casse-tête ; la reconduite à la frontière des immigrants clandestins est presque sans effet, dès lors que les frontières sont poreuses et qu’il n’existe pas de dispositif de droit avec certains pays comme le Guyana, pourvoyeur d’immigrants souvent impliqués dans la délinquance.
L’ordre public devient, de plus en plus difficile à maintenir, qui parait, certains jours, échapper en partie aux autorités françaises ; si l’Etat français parait avoir marqué des points dans sa lutte contre l’orpaillage clandestin, la petite délinquance semble se diffuser dans les villes de Guyane, en particulier à Kourou, sans qu’aucune solution apparaisse facile à trouver tant le cumul de l’immigration et du chômage, produit lui-même de la démographie pèse lourdement.
Le changement institutionnel permettra-t’il au territoire de trouver des solutions plus adaptées à son développement et à la maîtrise de ses rythmes ?
La Guyane avait jusqu’ici un département et une région superposées; consultés, les électeurs guyanais ont souhaité qu’une seule grande collectivité les remplace. Les élections auront lieu dans deux ans, par désignation d’un élu par grands cantons dont la carte n’a pas encore été établie. La compétition sera rude et complexe tant la situation politique guyanaise n’obéit pas aux règles de la métropole. Car en Guyane tous les élus sont de gauche, à l’exception de Léon Bertrand, maire de Saint-Laurent-du-Maroni qui fut ministre UMP, et pour le moment gêné par le procès où il comparaitra l’automne prochain après sa mise en examen dans des affaires de marché public.
De gauche, les deux sénateurs et les deux députés, de gauche la majorité du conseil général, qui vient du Parti socialiste guyanais (indépendant du parti socialiste), emmené par M.Tien-Long, de gauche également la majorité du conseil régional, présidé par l’ancien maire de Cayenne, Rodolphe Alexandre, qui vient également du parti socialiste guyanais, mais a crée son propre parti ; la majorité régionale présente l’originalité d’être la seule de la République à être de gauche et à avoir soutenu Nicolas Sarkozy, au point que la région Guyane a quitté l’association des régions de France, vue comme un pseudopode du parti socialiste.
C’est probablement entre ces deux blocs que se jouera l’élection de 2015 pour laquelle il serait bien hasardeux de faire un pronostic tant les déterminants valables en métropole n’ont pas cours en Guyane dont les électeurs se prononcent le plus souvent en fonction de la capacité qu’ils prêtent aux élus de tenir la dragée haute à l’État.
En tout état de cause, la prochaine majorité de la collectivité unique aura fort à faire à l’heure des restrictions budgétaires. La seule certitude est que son avenir demandera du travail et de l’imagination.