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Les impasses du hollandisme

Jamais, depuis qu’il est à l’Elysée, il n’a en effet semblé aussi cerné.
Certains de ses conseillers n’auraient pas trouvé aberrant qu’il garde le silence. D’autres estimaient suffisante une brève prise de parole à l’issue du défilé militaire sur les Champs-Elysées. Quelques-uns, enfin, défendaient l’idée d’une tribune dans la presse : au moins le président de la République n’aurait-il dit que ce qu’il souhaitait dire, sans dépendre de questions posées par d’autres.
Comme souvent, François Hollande a attendu le dernier moment pour trancher, et ce n’est que mercredi 10 juillet qu’il a fait connaître son choix : dimanche, jour de la fête nationale, il s’exprimera finalement sur TF1 et France 2, sous la forme d’un entretien avec les journalistes Claire Chazal et Laurent Delahousse. Comme en 2012, en somme, à un détail près : l’interview se fera depuis l’Elysée, en dépit de l’engagement contraire pris pendant sa campagne…
On comprend que le chef de l’Etat et son entourage se soient interrogés longtemps sur l’opportunité d’un tel rendez-vous. De l’avis général, y compris parmi ses proches, ses deux derniers passages à la télévision ont été des échecs. Son face-à-face avec David Pujadas, le 28 mars sur France 2 ? Trop long et trop « techno ». Sa prestation dans « Capital », le 16 juin sur M6 ? « Inadaptée » voire « inutile », convient-on volontiers à l’Elysée, où l’audience calamiteuse de l’émission a fait l’effet d’une douche froide. Dès lors, la question se posait nécessairement pour le 14-Juillet : à quoi bon s’exposer à nouveau ? Et pour dire quoi qui n’ait déjà été dit ?
Comme à la veille de ses précédentes interventions devant les Français, ce sont les mêmes attentes qui s’expriment aujourd’hui à l’égard de M. Hollande. « On a besoin du récit de la nation, on a besoin de cet esprit collectif français, c’est fondamental. Le rôle du chef de l’État, c’est d’impulser, de donner le sens de la vision. J’imagine que ce sera sa perspective le 14 juillet », explique ainsi Pierre Moscovici, le ministre de l’économie et des finances.
« Ce que l’on vit n’est pas seulement une crise conjoncturelle, c’est un changement du monde, le basculement du centre de gravité vers l’Asie. Quelle place pour la France ? Quel rôle pour l’Europe ? C’est ça, historiquement, le mandat de François Hollande », estime quant à lui Laurent Fabius. Une façon pour le ministre des affaires étrangères de sous-entendre que c’est à cette hauteur-là que doit se situer la parole présidentielle.

Un président cerné
S’il entend depuis le début de son mandat ces mêmes appels à définir le « cap » de son action ou sa « vision » de la France de demain, le chef de l’Etat se trouve pourtant dans une situation inédite. Jamais, depuis qu’il est à l’Elysée, il n’a en effet semblé aussi cerné. Jamais n’est apparue de façon aussi nette son incapacité à promouvoir sa politique.
Pierre Moscovici en a fait l’amère expérience, dimanche 7 juillet, lors des Rencontres d’Aix-en-Provence où se pressaient économistes et chefs d’entreprise. Il a entendu les applaudissements de la salle quand Pierre-André de Chalendar, le président de Saint-Gobain, accusa les politiques de manquer de courage et de constance, expliquant que « la France est passée du déni au zigzag ». Il a surtout entendu les huées dont il fut l’objet quand il prit la parole à son tour pour défendre la politique du gouvernement.
Ancien vice-président du Cercle de l’industrie, « social-démocrate » assumé, le ministre de l’économie ne s’attendait pas à cela : s’il y en a un au gouvernement qui connaît le patronat, c’est bien lui. Manifestement, cela n’a pas suffi…
Pour se rassurer, le gouvernement ne voudrait voir dans ce vif échange que la démonstration d’une énième fronde patronale, une sorte de mouvement antipolitique, anti-impôt, aux relents poujadistes. La réalité est en fait plus préoccupante. Car, depuis le début du quinquennat, une partie des amis de François Hollande estime qu’il n’a pas pris la mesure de la crise, qu’il ne réforme pas assez vite, qu’il recourt trop à l’impôt, au risque de casser la croissance.

Le débat sur « l’autre ligne »
À Bercy, surtout, mais aussi dans d’autres cabinets ministériels, des conseillers qui s’affichent pourtant comme « socialistes » font un diagnostic analogue à celui que dresse Jacques Attali, l’ancien conseiller de François Mitterrand, dans son livre Urgences françaises (Fayard, 15,50 euros) : « La France ne sait pas se réformer. Le programme de François Hollande manque d’ambition depuis le départ. »
Mais le drame de François Hollande n’est pas seulement qu’il peine à convaincre ses alliés dans son camp. Depuis le début de son mandat, plane le débat récurrent de « l’autre ligne », celle de la relance économique face au sérieux budgétaire, celle de la gauche rassemblée face à la majorité brouillonne.
Depuis quelques semaines, des signes inquiètent particulièrement les proches du chef de l’Etat. Il suffit que les ministres Montebourg, Hamon, Duflot et Taubira dînent ensemble pour que surgisse l’idée d’une conspiration en marche.
Il suffit que l’aile gauche du PS prenne une initiative commune sur la réforme fiscale avec les amis de Benoît Hamon et les anciens du courant des « reconstructeurs » désormais disséminés entre les clubs de la « Gauche durable » et de la « Gauche populaire », pour que les grognards « hollandais » – Stéphane Le Foll, Bruno Le Roux et François Rebsamen en tête – s’agitent en coulisses. « On sent monter quelque chose de pas bon dans la majorité et le parti, quelque chose d’assez construit regroupant des gens venus de courants différents », confie l’un d’entre eux.

Le perdant-perdant hollandais
Sans le dire clairement, ces amis du chef de l’Etat soupçonnent une « nébuleuse oppositionnelle » – mal identifiée encore – de vouloir remettre au centre du jeu leur ennemie jurée, Martine Aubry, superbement muette depuis un an. « Elle est la seule dans le casting général capable de porter une alternative », affirme un élu proche de la maire de Lille.
Pour l’heure, les partisans d’un aggiornamento hésitent toutefois à sortir trop tôt du rang : le limogeage de Delphine Batho leur a démontré que l’Elysée et Matignon étaient capables de frapper fort et de couper les têtes dures. Alors, pour l’instant, ils se contentent de persifler en privé, de tempêter contre l’« autosatisfaction » qui règne à la tête de l’Etat, de brocarder le cabinet « techno » et « hors-sol » de l’Elysée, de tenter de fédérer les mécontents, mais sans encore passer à l’offensive ouverte.
Voilà donc où en est François Hollande : pris sous le feu d’une double pression. D’un côté, il attise l’impatience de ceux qui rêvent déjà de redistribution et souhaitent le moins possible toucher aux acquis, persuadés que la crise économique va laisser place à un prochain cycle de croissance. De l’autre, il exaspère ceux qui veulent du sang et des larmes et qui, à l’inverse des premiers, sont convaincus que la crise est beaucoup plus profonde qu’il ne le dit…
Lire aussi : Popularité de M. Hollande : le décrochage de l’électorat de gauche
Refusant de choisir, s’efforçant de se situer au point d’équilibre entre ce qu’il considère être deux abîmes, il en arrive à cette impasse : à vouloir ne déplaire à personne, il prend le risque de mécontenter tout le monde. « Le président est un funambule qui avance sur un fil entre la colère possible des marchés financiers et celle du peuple. Il évite de cristalliser la situation, tout en désendettant dans une France désabusée », explique le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis.

La tour d’ivoire de l’Elysée
Pour l’heure, ce vent mauvais ne semble pas avoir franchi les grilles de l’Elysée, où les conseillers du président s’emploient à relativiser les motifs d’inquiétude. La grogne qui monte au sein du Parti socialiste ? « Ça montre que le PS est un parti de débat et, en même temps, ça n’empêche pas que les textes soient votés : pour nous, c’est donc gagnant-gagnant », veut croire un conseiller.
L’incapacité du gouvernement à parler d’une seule voix, comme l’a encore montré, jeudi, le recadrage d’Arnaud Montebourg par Jean-Marc Ayrault après les propos favorables au gaz de schiste tenus l’avant-veille par le ministre du redressement productif ? « Bien sûr que plus de cohérence serait parfois préférable. Mais après tout, est-ce si grave ? Les Français voient qu’il y a de la sincérité là-dedans, pas comme si tout le monde était artificiellement le doigt sur la couture du pantalon », évacue un autre.
L’impatience grandissante des Français ? « C’est normal que les résultats mettent du temps à venir : quand vous creusez un sillon et que vous semez des graines, ça ne pousse pas tout de suite », philosophe un troisième conseiller.
Est-ce à dire qu’il n’y a rien à amender, rien à corriger ? Si, bien sûr : « Il faut qu’on ressoude un peu la majorité », reconnaît l’entourage du président, qui pour cela mise sur son déjeuner hebdomadaire avec Jean-Marc Ayrault avancé au lundi, afin de caler en amont la stratégie de la semaine. Et espère que la multiplication des rendez-vous à l’Elysée avec les fortes têtes de la majorité parlementaire (aile gauche du PS, écologistes) nourrisse le dialogue et assoupisse leur impatience.
Pour le reste, les inflexions prévues sont essentiellement de l’ordre de la mise en mots. A l’Elysée comme au gouvernement, l’interview accordée au Monde du 10 juillet par Stéphane Le Foll, dans laquelle le ministre de l’agriculture explique que « changer de cap serait une erreur », mais que « changer [de] discours » est nécessaire, a été appréciée. « Stéphane a raison. La deuxième année du quinquennat doit être une année un peu différente. Dans la première, on avait à faire face à la crise de la zone euro, à créer le socle du changement. Maintenant, il faut essayer d’être plus dans l’explication », commente Pierre Moscovici, qui se promet de multiplier les déplacements de terrain pour être « au plus près des entreprises et des salariés »

Quatre ans…
Rien ne semble ébranler la confiance de l’exécutif, ni les doutes qui montent dans son camp, ni le retour dans l’arène de Nicolas Sarkozy à droite. Là encore la démonstration de force de l’ancien chef de l’Etat, lundi 8 juillet à l’UMP, dont le comportement souligne en creux ce que n’est pas François Hollande – audacieux, transgressif, prêt à tout –, ne fait pas peur.
L’idée que l’ancien président, un an seulement après sa défaite, puisse déjà apparaître comme un recours, est balayée d’un revers de main. « Les Français ont la mémoire longue. Dans le pays, il n’y a pas d’envie de le voir revenir », assure ainsi Pierre Moscovici.
Flagrant déni de réalité ou lucidité stoïque ? Quoi qu’il en soit, François Hollande n’a pas l’intention, pour l’heure, de se départir de sa sérénité à toute épreuve. Explication d’un proche : « Ce qui compte pour lui, ce n’est pas la courbe des sondages, c’est la courbe du chômage. Et puis de toute façon, il a le temps et les institutions pour lui. La présidentielle, c’est dans quatre ans. »
Bastien Bonnefous, Françoise Fressoz et Thomas Wieder
Le Monde .fr 12/07/2013 http://www.polemia.com

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