Aujourd’hui l’honneur des familles consiste
uniquement à échapper aux gendarmes.
Dieu soit loué, la loi Taubira aura réveillé la France chrétienne et fait oublier les bobos. Ces derniers, héritiers de nos bourgeois, mais décoincés par l’école et Canal, m’avaient inspiré le texte qui va suivre, et qui faisait injustement suite à une relecture de l’implacable et impeccable Léon Bloy. Donnons suite.
On ne peut pas dire que depuis qu’ils sont repassés aux affaires (et Dieu sait qu’avec eux les affaires sont toujours les affaires...), les socialistes se soient privés de faire ce qui leur plaît : lutter contres les préjugés et les déterminismes ; augmenter les taxes de tout poil et toute nationalité ; encourager l’immigration et surtout l’émigration - des Français ; nous engager dans des guerres ubuesques au nom de la tradition coloniale républicaine ; provoquer en somme la raison et le bon sens de tout honnête homme. Et rien. Aucune réaction. La France aplatie, avachie de la postmodernité a tout gobé sans sourciller.
« Autrefois, lorsque l’abolition du sens des mots n’avait pas encore été promulguée, l’honneur d’une famille consistait à donner des Saints ou des Héros... Aujourd’hui l’honneur des familles consiste uniquement à échapper aux gendarmes. »
Souvenez-vous de 1981. Si la révolte a grondé, si les bons chrétiens se sont mobilisés pour l’école libre, si le Front national a pu percer, c’est bien parce que les gens ont été vite excédés. Il y avait encore un pays réel susceptible de réagir à un ensemble de provocations qui ne s’étaient pas vues depuis les années 1870, qui avaient d’ailleurs quasi fini par amener le boulangisme aux affaires. Après l’infâme dix mai la vague de protestation avait gonflé jusqu’en 1984 puis elle avait reflué. La droite n’avait alors pas été trop débordée sur son aile droite parce qu’elle était encore la droite, au moins jusqu’en 86. Relisez les textes de l’époque et vous comprendrez ; on n’avait pas besoin d’écoper...
Mais là, rien. Plus rien. La France gobe tout et avale tout. Il faut dire qu’avec la droite nouvelle, on serait, comme on dit, logé à la même enseigne... Il faut dire aussi que sur le plan diplomatique l’actuel pouvoir n’apporte rien de nouveau : avec Chirac et Sarkozy nous étions déjà inféodés. Quant aux impôts... Qui regrettera le bon vieux temps d’avant mai 2012 ? Une poignée d’exilés qui ne sont pas non plus des modèles. Je ne parlerai même pas de l’immigration.
La vérité est que la France a créé son modèle de citoyen post-historique, bourgeois plus ou moins gros qui avale tout et recrache tout, qui gobe tout et garde tout et se fout de tout, sauf de sa santé et de son programme télé. Sa femme le domine, son fils se convertit, sa descendance s’africanise et son job le prend de court ; heureusement qu’il a eu jusque là son immobilier pour soutenir sa tour de Babel croulante et fricassée. Mais il reste content le bourgeois.
C’est un quidam globalisé qui vit en France, ce n’est plus un Français. L’acceptation d’ailleurs par l’opinion du mariage homo confirme ce trait. Le néo-Français est comme le citoyen de la colonie 3. Je fais allusion à la série Destination danger, où Patric McGoohan exerçait ses talents, et qui servit d’apéritif au légendaire Prisonnier.
La colonie 3 est un village d’espions où l’on apprend à être anglais - ou bien Français ou bien américain ou bien n’importe quoi. Le responsable du village explique que tout est question de programmation : on dresse un quidam avec la langue, les gestes, les préjugés, le timbre-poste. Et puis le tour est joué. Voici un Anglais de plus ! On croirait que le scénario cauchemardesque a été écrit par Enoch Powell ou Chesterton ! Or les nations modernes sont devenues cela. On devient Français ou Allemand comme on passe son permis de conduire. Mais laissons faire ; moi aussi j’ai appris à tourner la page.
Je relisais pour me consoler des soucis du temps "l’Exégèse des lieux communs" de Bloy. L’époque non plus n’était pas drôle. Avant de décider de nous envoyer sur les charniers du chemin des dames, la république avait pris bien soin d’abaisser le pays en expulsant les ordres religieux ou en fermant les écoles chrétiennes, toujours au nom de la lutte contre les déterminismes...
Bloy comprend que le Français n’ira plus se battre pour des idéaux médiévaux, que ceux-ci sont un peu décatis. C’est pour cela d’ailleurs, et Bernanos l’a magnifiquement compris dans son oeuvre polémique, que l’on motivera le chaland en invoquant la lutte contre le fascisme, pour les droits de l’homme, la croisade pour la démocratie et contre le monde pas libre (la Russie, comme toujours !). Cela motivera toujours le beauf. Fermez le ban.
Et Bloy comprend que le bourgeois c’est celui qui aime avaler tout, avant la France plurielle, multi-quoi, homophile et droit-de-l’hommiste. Je le cite :
« Et remarquez, je vous prie, qu’il n’est pas question de goûts très variés, de goûts très multiples, mais de tous les goûts, depuis le goût de l’ambroisie jusqu’à celui de la merde, inclusivement. Tel est le Bourgeois, il aime tout et il avale tout. »
Telle est la fonction eschatologique du bourgeois : c’est l’homme des maisons de tolérance. Il avale tout, il lui faut juste un peu d’argent. Pensez à la culture moderne et postmoderne financée par Pinault ! Là aussi il nous faut tout avaler, et surtout le piss christ !
Mais le bourgeois aime aussi les normes. Un homme sans déterminismes, c’est surtout un golem de supérette, un homme comme il faut, universel et remplaçable. Et ce qui me frappe toujours avec les socialistes c’est leur propension à être politiquement corrects, à l’époque de Bloy on disait comme il faut :
« Règle sans exception. Les hommes dont il ne faut pas ne peuvent jamais être comme il faut. Par conséquent, exclusion, élimination immédiate et sans passe-droit de tous les gens supérieurs. Un homme comme il faut doit être, avant tout, un homme comme tout le monde. »
Guénon parle du règne de la quantité, Bloy l’a compris avant lui en grand catho. On va être comme il faut, et surtout pas de droite, et surtout pas réac.
« Plus on est semblable à tout le monde, plus on est comme il faut. C’est le sacre de la Multitude. Etre habillé comme il faut, parler comme il faut, manger comme il faut, marcher comme il faut, vivre comme il faut, j’ai entendu cela toute ma vie. »
Le crétinisme jovial-jobard qui vote pour Hollande sans savoir à quelle sauce cet avatar de la gauche caviar va le dévorer (je sais ce sont les musulmans qui ont voté pour lui, mais il n’y a quand même pas que les musulmans qui votent, les pauvres !) incarne cette imbécillité post-terminale qui frappe Bloy comme elle frappera plus tard le grand Ellul, cette dernière lumière de la France huguenote qui ne proteste plus, qui veut juste réformer :
« La Parole substantielle étant vraie dans tous les sens, il est certain que le Bourgeois accomplit à sa façon la Volonté qu’il ignore en exigeant que le bétail humain soit un immense et uniforme troupeau d’imbéciles - pour l’immolation piaculaire... un certain jour. »
De toute manière ce n’est pas grave. On n’est pas là pour se formaliser de si peu. Les gosses ahuris nourris à la console et au smart-phone, aux farines animales, aux benzodiazépines et à l’Harry Potter de sévices en attendant le master de finances dans une fac US à tueries, ce n’est pas grave non plus. On n’est pas là pour en faire grand-chose de ses gosses même si on en fait trois ou quatre à sa concubine :
« Autrefois, lorsque l’abolition du sens des mots n’avait pas encore été promulguée, l’honneur d’une famille consistait à donner des Saints ou des Héros, tout au moins d’utiles serviteurs de la chose publique. Cela, qu’on fût riche ou pauvre, qu’on eût des ancêtres illustres ou qu’on n’en eût pas. Dans ce dernier cas, on montait simplement et naturellement dans l’aristocratie, par la seule nature des choses.
Aujourd’hui l’honneur des familles consiste uniquement, exclusivement, à échapper aux gendarmes. »
Et au percepteur !
Je continuerais pendant des pages ! Bloy nous prépare déjà au monde du politiquement correct et de la repentance hollywoodienne, perpétuelle et obligatoire comme l’école :
« Autrefois, il y a cinquante ans à peine, la nuit ou, si on veut, les ténèbres du Moyen Age étaient rigoureusement exigées dans les examens. Un jeune bourgeois qui aurait douté de l’opacité de ces ténèbres n’aurait pas trouvé à se marier. »
Ce monde sans Dieu est un aussi un monde sans homme ; et je laisse Bloy bien conclure, comme un prophète, pas comme un bourgeois :
« En de telles circonstances, on en conviendra, le devoir de créer le monde s’impose. »
Il va bien falloir le créer notre monde pour échapper au leur.
Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info/?p=1475#suite