Bon nombre de nos contemporains s’interrogent sur les réels bénéfices que nous tirons de la consolidation de cette Europe aux frontières effacées. Pour l’opinion publique, le tournant décisif de « l’Acte unique » et ses quatre grands principes de circulation (circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux) n’auront servi en dernière instance que les seuls intérêts des multinationales et du grand capital.
Pour une part sans cesse croissante de citoyens, l’Europe institutionnelle devient synonyme de génocide social. Seule une petite élite cosmopolite peut considérer comme source d’agrément le fait d’être mobile et de pouvoir s’installer au gré du vent dans une Europe aux frontières abolies. Pour le commun des mortels, quitter sa patrie est souvent une source de déchirement. Il n’y a que dans l’esprit de Jacques Attali, parangon de l’européisme, que « les nations sont à l’image des hôtels ». Son nomadisme viscéral l’empêche de considérer que si un individu fuit son pays c’est avant tout parce qu’il ne peut plus y mener une existence décente…
Un fait s’impose, de référendums détournés en traités ratifiés sans consultations populaires, la construction européenne prend des allures d’édifice funèbre pour les classes populaires. Mais personne ne semble vouloir y consacrer un livre noir…
La frontière : le rempart des faibles contre les forts
Les frontières ont leurs vertus, l’écrivain-philosophe Regis Debray en fait les éloges dans un de ses ouvrages :
Là est d’ailleurs le bouclier des humbles, contre l’ultra-rapide, l’insaisissable et l’omniprésent. Ce sont les dépossédés qui ont intérêt à la démarcation franche et nette.
Leur seul actif est leur territoire, et la frontière, leur principale source de revenus (plus pauvre un pays, plus dépendant est-il de ses taxes douanières). La frontière rend égales des puissances inégales. Les riches vont où ils veulent, à tire d’aile ; les pauvres vont où ils peuvent, en ramant. Ceux qui ont la maîtrise des stocks (des têtes nucléaires, d’or et de devises, de savoirs et de brevets) peuvent jouer avec les flux, en devenant encore plus riches. Ceux qui n’ont rien en stock sont les jouets des flux. Le fort est fluide. Le faible n’a pour lui que son bercail, une religion imprenable, un dédale inoccupable… »
Réduire les frontières à néant pour mieux exploiter les peuples, tel est le parti pris de cette Europe institutionnelle littéralement antisociale. Une position qui se mesure à l’aune d’un dumping vertigineux : Le salaire d’un travailleur français est en moyenne dix fois plus élevé que celui d’un travailleur bulgare, le plus précarisé de la zone euro suivi de près par le travailleur roumain (source : Eurostat). Un écart qui prouve à lui seul que nos élites illégitimes privilégient l’Europe de la compétitivité et de l’esclavagisme à l’Europe de la solidarité… Un déséquilibre qui profite aux capitalistes entrepreneuriaux qui n’hésitent pas, par exemple, à délocaliser des chauffeurs « rentables » en « engageant » des camionneurs de l’ancien bloc de l’Est afin d’assurer les transports intérieurs en Allemagne, en France, en Belgique ou au Pays-bas…
Au lieu de prôner et de légiférer pour une juste harmonisation des salaires, pour endiguer la traite des êtres humains, la commission européenne préfère s’employer à démolir irrémédiablement toute forme de souveraineté en voulant mettre sous contrôle les budgets nationaux sous la tutelle de Bruxelles…
Pour couper court à toute velléité de nationalisme, Guy Verhofstadt, ex-premier ministre belge et actuel chef du groupe libéral et démocrate au Parlement Européen, comme bien d’autres à sa suite, montent au créneau pour nous faire rentrer cette idée à marche forcée:
Le repli sur soi mène à une impasse. Seul le niveau européen est approprié pour contrôler les marchés et éviter d’autres crises. La solution dans le monde multipolaire de demain, c’est l’Europe et pas des États qui ne sont pas capables d’influencer le cours des choses.»
Ce type de discours remâché sans cesse par les Eurocrates est-il encore susceptible de convaincre ?
Pour les eurocritiques , l’idée de soumettre les budgets des pays membres à l’appréciation d’une instance supranationale, c’est l’étape de trop…
Le retour aux frontières c’est une solution mais il ne faut pas espérer que le pouvoir en place en fasse la promotion. Les capitalistes apatrides, les multinationales, les exilés fiscaux ou encore les trafiquants de main d’œuvre ne sont pas prêts à faire les éloges de barrières qui s’opposeraient à leur commerce…
L. Bodenghien http://www.voxnr.com/cc/etranger/EFlZFFlVAkKjFIVrBM.shtml