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Entretien avec Alexandre Douguine sur l'Ukraine (commenté par Pascal Lassalle) 2ième partie

Mais le président Viktor Ianoukovytch a refusé l’invitation de l’Occident.
Bien sur qu’il l’a refusée. Il a été élu par l’Ukraine orientale pro-russe et non pas par l’Ukraine occidentale. Ianoukovytch ne peut pas agir contre les intérêts et les souhaits de sa base électorale. S’il avait accepté l’invitation de l’Union Européenne, il aurait immédiatement été considéré comme un traître par ses électeurs. Les partisans de Ianoukovytch veulent l’intégration avec la Russie. Pour parler clairement : Ianoukovytch a simplement fait ce qui était logique pour lui. Il n’y a ni surprise, ni miracle, simplement une logique politique.
Ianoukovytch a surtout reculé pour des raisons de basse cuisine électorale (volonté d’être réélu en 2015) et du fait de la réaction de Moscou, qui après une brève guerre commerciale en août 2013, lui a fait réaliser quel serait le prix à payer économiquement et socialement en cas de signature des accords avec l’UE. Il est vrai que dans la politique de chantage menée maladroitement par l’ancien gouverneur de Donetsk, l’UE sinistrée ne s‘est pas montrée désireuse de payer le prix nécessaire pour faire pencher la balance de son côté.
Pour satisfaire sa base électorale « naturelle », mais aussi Moscou, il a fait quelques concessions symboliques dans les domaines linguistiques (russe devenu langue officielle dans les régions russophones), mémoriels et identitaires (réécriture des manuels d’Histoire dans un sens plus favorable aux schémas historiographiques russes, ceux de l’Histoire dite « commune »).
L’alliance anti-Ianoukovytch comprend des libéraux, des anarchistes, des communistes, des militants des droits des homosexuels, ainsi que des groupes nationalistes qui sont parfois néo-nazis. Qu’est-ce qui unit ces différents mouvements ?
Ils sont unis par une seule chose : leur haine de la Russie. Ianoukovytch pour eux est l’homme de la Russie, l’ami de Poutine, l’homme de l’Est. Ils haïssent tout ce qui a un rapport avec la Russie. Cette haine les tient unis ; ils forment un bloc de haine. Pour le dire clairement, la haine est leur seul idéologie politique. Ils n’aiment ni l’Union européenne, ni Bruxelles.
Encore cette « haine » tombée du ciel, chez des gens déshumanisés et animalisés par vos soins, que l’on pourrait croire génétiquement programmés pour détester une vertueuse et innocente Russie. On est loin des beaux principes énoncés dans le cadre de la Quatrième théorie politique dont vous vous faites l’ardent promoteur et ses belles paroles sur le respect des identités, des traditions et des souverainetés pour tous les peuples. Certains sont visiblement plus dignes d’en bénéficier que d’autres (plus égaux aurait dit George Orwell). Un double standard dont vous créditez, à juste titre, les médias mainstream occidentaux, mais que vous n’hésitez pas à pratiquer cyniquement lorsqu’il est question de vos intérêts. Ce qui peut amener le lecteur, un tant soit peu perspicace, à se demander si la vision du monde néo-eurasiste qui est la vôtre ne constitue pas en fin de compte un nouvel habillage du traditionnel impérialisme et chauvinisme que la « Sainte Russie », quelles que soient ses incarnations historiques, a pratiqué de manière récurrente depuis le XVème siècle. Ce qui est autorisé pour certains peuples ne l’est pas pour d’autres, comme les Ukrainiens que vous persistez à vouloir inclure dans votre sphère géopolitique et civilisationnelle, en dépit des enseignements de l’histoire ou de l’ethnologie.
Ceux-ci, diabolisés par vos propos, ne peuvent se prévaloir d’une démarche positive, celle de construire un état souverain et une nation unifiée, dans une conscience identitaire enfin retrouvée. Dans votre aveuglement et votre obstination à leur dénier ce droit légitime, vous contribuez à être le meilleur promoteur de réflexes russophobes, sans parler du fait de les repousser, par réaction, dans les bras des puissances occidentales et atlantistes.
Par cette posture funeste, vous faites indiscutablement le jeux de nos ennemis qui ne souhaitent pas voir émerger un monde multipolaire.
Quels sont les principaux groupes ? Qui détermine les actions de l’opposition ?
Au sein de ce qu’on nomme les EuroMaidan, ce sont clairement les groupes néo-nazis violents qui dominent. Ils incitent à la violence et tentent de provoquer une situation de guerre civile à Kiev.
Comme j’avais pu le voir, il y a quelques années, dans vos interventions télévisées à destination d’un public russophone, vous n’hésitez pas, comme les autorités et les médias de votre pays, ainsi que leurs fidèles relais en Occident, à avoir recours à cette reductio ad Hitlerum diabolisante cet « antifascisme » anachronique, inquisitorial et mensonger, pratiqué également par nos pouvoirs oligarchiques, pour discréditer les pensées et les actions des dissidents.
Nous trouvons ces procédés indignes et déshonorants, qu’ils soient employés à l’Ouest ou à l’Est du continent.
Décidément, au-delà de leurs oppositions géopolitiques, il semblerait que toutes les oligarchies se ressemblent, dans le « traitement » de leurs opposants ou de leurs hérétiques.
Tous ceux qui ne se soumettent pas à votre vision mythifiée de l’Histoire (vulgate de la « Grande guerre patriotique ») ou à vos perpectives géopolitiques sont diabolisés, anathémisés et ostracisés, par le recours à ces pratiques totalitaires qui montrent, comme l’écrivait Lampedusa, que « plus les choses changent, plus rien de ne change ».
Concernant les éléments nationalistes présents sur les barricades de l’EuroMaidan, ceux-ci se rattachent majoritairement à l’héritage de l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN) dans sa branche révolutionnaire, celle de Stepan Bandera (horresco referens !) et de l’Armée Insurrectionnelle Ukrainienne (UPA) qui en est, d’une certaine manière, l’émanation, avec sa bannière noire et rouge et son cri de guerre omniprésents ces dernières semaines. Ces militants et guérilleros ont lutté d’abord contre les Polonais, puis contre les Allemands (après avoir vainement cherché leur appui) et les Soviétiques, jusque dans les années 50.
Votre honnêteté devrait vous amener à reconnaître que vouloir chercher des soutiens allemands pour édifier un état ukrainien social et national ne fait pas nécessairement de vous quelqu’un d’acquis au racisme national-socialiste (que vous pourriez presque « bénir » d’ailleurs, car il a empêché une synergie germano-ukrainienne, voire germano-russe qui aurait pu changer le cours de la guerre à l’Est). Ce raisonnement est globalement valable également pour la majorité de ceux qui ont servi dans des divisions de la Waffen SS, qu’ils aient été Ukrainiens, Bélarussiens, Baltes ou mêmes Russes.
Cet héritage « bandériste » connaît un certain regain chez un nombre croissant de jeunes ou de moins jeunes à Kyiv, mais aussi dans toute l’Ukraine.
Tous ces supposés « néo-nazis », naturellement antisémites comme ne se privent pas de le répéter ad nauseam les médias mainstream russes, comme la chaîne de télévision Russia Today, ne sont pas uniquement des « bandéristes » accourus d’Ukraine occidentale (Galicie avec les régions de L’viv, Ternopil’ ou Ivano-Frankivsk), mais des patriotes venus de l’ensemble du pays, ukrainophones et russophones mêlés.
Ne vous en déplaise, comme vous l’avez montré à de multiples reprises avec des actions hostiles à l’Etat ukrainien initiées par l’organisation de jeunesse de votre mouvement, ces dernières années(2), une nation est peut-être en train de naître difficilement, mais irrésistiblement, quels que soient les combats d’arrière garde des nostalgiques d’une intégration impériale et eurasiatique, minoritaires dans l’ensemble du pays.
Les Altereuropéens sincères ne peuvent qu’espérer que le bon sens finisse par l’emporter, d’un côté comme de l’autre, pour faciliter la résolution durable de contentieux qui ne font que profiter aux ennemis de nos peuples.
Dans le cas contraire, et sans avoir les capacités oraculaires de la Pythie de Delphes, je dirai vous n’avez pas fini d’entendre parler des Ukrainiens, ce que vous savez parfaitement d’ailleurs.
Les médias mainstream occidentaux affirment que le rôle de ces groupes extrémistes est artificiellement amplifié par les médias pro-russes afin de nuire à toute l’opposition.
S’ils affirment cela, c’est pour botter en touche. Comment pourraient-ils justifier que l’Union européenne et les gouvernements européens soutiennent des mouvements racistes, extrémistes et néo-nazis à l’extérieur des frontières de l’Union européenne alors qu’à l’intérieur de celles-ci, ils mènent des campagnes mélodramatiques contre des groupes d’extrême droite mille fois plus modérés ?
Peu nous importe en définitive le traitement médiatique en Occident d’une réalité qui s’avère être la suivante : Une minorité active et déterminée, porteuse d’une vision du monde et d’un projet alternatif, comptant quelques centaines de militants nationalistes radicaux, a transformé une contestation initialement pro-UE, en une lutte révolutionnaire pour abattre une clique mafieuse, incarnant un mode de gouvernance étrangers aux traditions politiques nationales et soutenue obstinément par une puissance étrangère. Ces nationalistes révolutionnaires ont su saisir ce moment propice, aidé par la maladresse d’un pouvoir discrédité (violences du 30 novembre 2013 sur Maidan, passage en force le 16 janvier à la Rada d’un arsenal législatif répressif encore pire que ce qui se fait de mieux en Occident ou en Russie). Réunion de plusieurs petits groupes (Tryzub Stepan Bandera, UNA-UNSO…) sur le modèle réticulaire de la leaderless resistance , ce Praviy Sektor (« Secteur Droit ») a su forcer les événements, en « chevauchant le tigre », ravivant un mouvement qui stagnait, radicalisant vers eux des milliers de personnes initialement non politisées et imposant en grande partie leur dynamique à des partis politiques perçus comme trop mous, y compris les nationalistes du parti Svoboda d’Oleh Tyahnybok.
Un processus révolutionnaire-conservateur semble donc à l’œuvre, processus qui devrait logiquement vous inspirer, cher Alexandre Guelievitch, une certaine sympathie, ainsi que l’aviez fait à l’égard de tous les camps en présence durant la guerre de Bosnie, avec un article publié dans le numéro de la revue belge Vouloir de janvier-mars 1933(3)

Mais comment les militants des droits des homosexuels et les groupes de la gauche libérale peuvent-ils combattre côte à côte avec des néo-nazis qui sont bien connus pour être homophobes ?
Avant tout, tous ces groupes haïssent la Russie et le président russe, cela en fait des camarades de combat. Et les groupes de la gauche libérale ne sont pas moins extrémistes que les néo-nazis. Nous les nommons libéraux, mais c’est une erreur. On peut constater en Europe de l’Est et en Russie que, très souvent, le lobby homosexuel et les goupes néo-nazis et ultra-nationalistes sont alliés. De même, le lobby homosexuel a des idées très extrémistes sur la manière de déformer, rééduquer et influencer la société. Nous ne devons pas oublier cela. Le lobby des gays et des lesbiennes n’est pas moins dangereux pour la société que les groupuscules néo-nazis.
Une série d’amalgames qui peuvent montrer leurs limites lorsqu’on analyse la situation en détails. Cela me fait penser à un article remarquablement documenté à propos des FEMEN, récemment mis en ligne sur internet (4).
L’offensive chromatique se poursuit : après les « oranges-bruns », voici venu le temps des « roses-bruns » !

À suivre

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