Jean-Louis Harouel vient de publier REVENIR À LA NATION aux éditions Jean-Cyrille Godefroy (15 euros).
Il a bien voulu répondre à nos questions.
L’AF 2885 - En quoi la nation est-elle une entité sociale cohérente ?
Jean-Louis Harouel - Comme l’observe Alain Renaut, la réalité des « consciences nationales » est peu discutable. On ne peut nier l’existence des nations, ces « entités supra-individuelles mais individuées ».
Considérez-vous que la frontière protège ?
Les frontières sont nécessaires à l’État pour protéger le territoire et la population contre les nuisances et les dangers venus de l’extérieur. La libre circulation au sein de l’espace européen est commode pour la criminalité organisée, permet la venue de populations indésirables, encourage l’immigration illégale. L’absence des frontières est un recul de civilisation de plusieurs siècles. Conquête majeure de l’État-nation, la sécurité des personnes et des biens est compromise. De surcroît, l’espace de Schengen achève la destruction de l’emploi dans le secteur productif français, en facilitant l’intrusion de main-d’œuvre européenne à bon marché.
Le nationalisme est-il un réflexe, une logique, une nécessité ?
Chaque groupe humain a besoin a besoin d’un cadre correspondant à son identité. Cela a pu être la cité ou l’empire. Sa forme la plus adéquate est aujourd’hui l’État-nation. Alors qu’elle est interdite à la France, la fierté nationale est jugée normale pour les États-Unis, la Chine, l’Inde.
L’Europe de l’UE est-elle une « super-nation » continentale ?
Ayant la phobie de tout ce qui est national, même au niveau de l’ensemble européen, les promoteurs du projet européen ne veulent pas de patrie européenne. L’UE est l’ennemie intime des peuples sur lesquels elle règne. Elle répudie la vraie identité européenne, fondée sur un contenu humain particulier et sur une civilisation particulière. Ayant la lubie de croire que la religion de l’universel peut suffire comme identité, alors qu’elle exprime seulement le néant, l’Europe de UE n’a aucune consistance.
Comment expliquer qu’il y ait aujourd’hui plus de nations qu’à l’époque où l’ONU a été créée ?
Tandis qu’on expliquait aux Européens qu’il leur fallait se réjouir d’entrer dans l’ère du post-national, le modèle national européen s’est répandu à travers le monde. La décolonisation et l’implosion des États communistes ont multiplié les États-nations.
Pourquoi/comment les USA sont-ils/peuvent-ils être à la foi « la nation indispensable » et le chantre du transnationalisme marchand et politique ?
Prétendant incarner l’universel, les États-Unis combattent à travers le monde toutes les appartenances particulières. Pourtant, ils revendiquent avec fierté leur qualité de nation. C’est qu’ils ont gardé un lien très fort avec l’idée juive de peuple élu. Persuadés d’être le nouvel Israël, les puritains arrivant sur le sol du Nouveau Monde étaient certains qu’ils allaient y bâtir la cité de Dieu sur la terre. Même si le calvinisme a largement fait place à une sorte de déisme ou à un humanitarisme vaguement religieux, même si la démocratie a remplacé la religion comme substance du millénarisme américain, demeure intacte la certitude que l’Amérique est la nation élue par Dieu pour instaurer le paradis sur la terre.
En quoi les racines chrétiennes de l’Europe sont-elles compatibles avec les nations et le(s) nationalisme(s) ? Par-delà le rêve impérial et ses vicissitudes, l’histoire de l’Europe est l’histoire d’une longue symbiose entre christianisme et nation. La disjonction introduite par le Christ entre l’ordre terrestre et l’ordre céleste rendait le particularisme national parfaitement acceptable. La communauté politique et la communauté religieuse étant deux choses différentes, le caractère universel de la société religieuse ne s’impose pas à la société politique. En chaque homme, l’universalisme chrétien s’adresse à l’être de religion, le particularisme de la nation à l’être politique.
Une nation peut-elle exister sans peuple, et inversement ?
Une nation ne se définit pas à partir de critères abstraits. L’idée de contrat est incapable de fournir des bases solides à l’existence d’une nation. Comme l’a montré Renan, la nation est la conjonction de deux choses : d’une part, la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; d’autre part, la volonté de faire valoir cet héritage indivis.
La nationalité est-elle d’abord un projet politique ?
Pour être authentiquement membre d’une nation, il faut adhérer à l’héritage qu’elle constitue. C’est une affaire d’esprit. Avec leur portion de sang noir, Dumas et Pouchkine furent des littérateurs merveilleusement nationaux. En revanche, un Français « de souche » se convertissant à l’islam et partant « djihadder » en Syrie devient un membre de la nation musulmane, de l’oumma. Ce que n’est inversement plus un musulman de Fils de France – beau nom que portaient jadis les enfants royaux, nés au parterre des fleurs de lis. Pour autant, l’existence des nations repose fondamentalement sur l’hérédité.
La « préférence nationale » est-elle justifiée ?
L’État trahit la nation en devenant l’État de l’autre avant d’être celui des nationaux. Lorsque la France a inventé son État-providence, ce n’était pas pour en faire le bureau d’aide sociale et médicale de l’univers. Sous l’effet de la religion humanitaire, il y a eu un gigantesque détournement d’un système au départ conçu pour les seuls Français. Bien placé pour savoir de quoi il parle, un ancien immigré clandestin chinois, rentré au pays une fois fortune faite, considère qu’il y a en France trop d’allocations, « notamment pour les immigrés qui profitent du système ». Et il ajoute : « La France n’en a plus les moyens. »
Comment traiter les peuples musulmans installés sur les territoires nationaux ?
Il serait expédient de faire savoir aux populations musulmanes que leur présence dans les pays d’Europe occidentale est illégitime en vertu du Coran lui-même, dont plusieurs versets interdisent à un musulman d’aller s’installer dans une « terre de mécréance ». En outre, les musulmans y vivant malgré tout sont dispensés de respecter toutes les règles coraniques. Les musulmans vivant en Europe qui brandissent leurs prétendues obligations religieuses sont infondés à le faire du point de vue même de l’islam. Le devoir des gouvernants européens est de signifier que ces revendications ne sont pas recevables dans des pays de « mécréance », où l’islam se doit de se montrer discret.
Et comment traiter l’Islam ?
Celui-ci est un système juridique, social et politique. C’est une législation révélée qui régit tout. Contenu dans la charia, ce code de droit comporte notamment l’infériorité juridique des femmes, celle des non-musulmans, l’esclavage, des supplices barbares. L’entité politico-religieuse musulmane est une nation concurrente. Dans bien des lieux, la nation France se laisse déposséder par l’oumma. Il faut refuser le règne de la loi musulmane. Il faut en finir avec la tyrannie des interdits alimentaires et la pudibonderie du cloisonnement des sexes. Il faut permettre à un employeur d’interdire le port de tout foulard ou voile. Il faut en finir avec l’islamisation-arabisation visuelle des pays européens. Il faut en finir avec les minarets et les mosquées triomphalistes financées par des États qui interdisent sur leur territoire les édifices religieux non musulmans et répriment durement toute manifestation d’incroyance. Ces financements devraient être prohibés par les gouvernements européens.
Le modèle israélien est-il aujourd’hui adaptable en France, comme conception de l’État, de la Nation, du Territoire et du peuple ? Et comme modèle politique pratique ?
La France aurait intérêt à s’inspirer de ce modèle sur quelques points essentiels. Le plus important est l’idée d’une transmission héréditaire de la qualité de membre de la nation. C’est le mode d’acquisition de la nationalité qu’on appelle le droit du sang (jus sanguinis). Vers 1900, le grand juriste Ernest Lehr observait que l’idée même de nation repose sur la naissance, comme l’indique bien l’étymologie du mot.
Le christianisme, voire l’Église catholique, ont-ils un rôle spécifique à jouer ?
Les religions ont des effets très différents sur la sécularité de la société. Celle-ci n’est nullement menacée par les clochers et les croix des cimetières, les saintes vierges et les calvaires des villages, ni par les jours fériés correspondant à des fêtes chrétiennes. D’ailleurs, la disjonction du politique et du religieux étant une invention chrétienne, la croix pourrait légitimement être revendiquée comme un emblème de la laïcité, et plus généralement de la sécularité des sociétés occidentales. On ne peut que souhaiter le maintien de la prédominance en Europe des signes religieux chrétiens. Ce sera l’indice que la sécularisation de la société engendrée par le christianisme y résiste encore.
La France a-t-elle réellement un statut spécial, un rôle spécial, qui fonderait sa vocation universaliste ?
À partir de la Révolution, la France a prétendu sur un mode millénariste guider les autres peuples sur les chemins de la liberté, confondant la raison universelle et sa raison particulière. Ce qui était bon pour la France était réputé être bon pour le monde : c’était parfois vrai. Mais, du fait des deux guerres mondiales et de la décolonisation, les États-Unis se sont emparés de la posture de la nation porteuse de l’universel, au détriment de la France. Celle-ci, ne parvenant plus à se faire reconnaître dans ce rôle, essaye de se persuader elle-même qu’il est toujours le sien. Pour cela, la France a retourné contre elle-même sa passion de l’universel. Ce qui est bon pour le monde est maintenant réputé bon pour la France : mais ce n’est jamais vrai. La France martyrise les Français au nom de l’universel.
Propos recueillis par Philippe Mesnard - L’AF 2285 .