Quand on évoque officiellement, dans l'hexagone, matraqué par ses gros moyens de désinformation, la construction historique du "modèle social" et de sa pièce maîtresse, la sécurité sociale, c'est toujours pour entendre répercuter les mêmes incertitudes et répéter les mêmes demi-mensonges.
Pour parler comme Mme Aubry, il y a plus que du flou dans ce récit parce qu'il y a non pas "un", mais plusieurs "loups", une véritable meute.
Nous disposons à cet égard d'un mètre étalon. Il est proposé par un site qui s'intitule fièrement "sécurité sociale", avec un trait d'union et sans les accents et un suffixe ".fr". En elle-même, sa prose, – car ce n'est pas de la poésie, – nous renvoie à cette conception d'un universalisme administratif républicain, où l'on finirait presque par croire que Paris légifère, depuis toujours, grâce à la révolution de 1789 sans doute, pour le monde.
Le site indiqué plus haut se présente sur sa page d'accueil pour le "portail du service public de la sécurité sociale".
Pour le commun des mortels tout cela semble logique, et on passe aux centres d'intérêts pratiques.
On y trouve cependant une page qui mérite la visite et pas seulement le ricanement. Elle a été mise en ligne, avec la mention "à la une sur le portail", le 29 octobre 2013 et elle a été mise à jour 6 mars 2014. Elle s'intitule : "Rappel des obligations d’affiliation et de cotisation à la Sécurité sociale". Elle affirme ainsi de façon fort péremptoire :
"La Direction de la Sécurité sociale tient à rappeler l’obligation de s’affilier et de cotiser à la Sécurité sociale à la suite de différents articles ou émissions de radio annonçant une nouvelle fois à tort la fin du monopole de la Sécurité Sociale."
Les rédacteurs du site mettent ici des guillemets au concept de monopole. On se demande pourquoi : je les supprime.
Mais au fait qu'est-ce donc que cette "Direction de la Sécurité sociale" ?
Cette chose anonyme se trouve définie sur un autre site, mieux identifiable juridiquement, puisqu'il dépend, lui, de manière directe, d'une administration précise. Sa page d'accueil place en haut à droite la photo de notre irremplaçable ministre de la Santé "et des Affaires sociales", Mme Marisol Touraine.
Il nous y est révélé que "la direction de la Sécurité sociale, DSS, est chargée de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique relative à la Sécurité sociale : assurance-maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, retraite, famille, dépendance, financement et gouvernance. Elle est rattachée aux ministères des "Affaires sociales et de la Santé", d'une part, et au ministère de l’Économie et des Finances, d'autre part. On devient aisément qui porte la culotte et tire les chèques dans ce couple. Son adresse, toutefois se trouve 14, avenue Duquesne à Paris, 7e arrondissement.
Le siège apparent, l'enseigne est installée par conséquent au bon vieux ministère de la Santé.
Là aussi le public non averti n'y voit pas malice. Pour lui la "Sécu" c'est tout simplement sa caisse maladie. C'est ce qui émet désormais "la petite carte verte". La carte "vitale" a été instituée en 1997, à l'époque du plan Juppé. Et elle semble permettre de consommer gratuitement des soins, des médicaments, sans rien payer. Cela peut paraître une magnifique – jusqu'au jour où l'on découvre que rien ne coûte plus cher que la gratuité.
Au fait, qui dirige cet immense organisation dont le budget est supérieur à celui de l'État ? Posez la question pour briller en société. Il s'appelle Thomas Fatome.
Il n'a pas l'air méchant sur la photo.
Voilà comment Les Échos le présentaient lors de sa nomination par le gouvernement Fillon en mars 2012 :
"Un homme de cabinet à la Direction de la Sécurité sociale"
CV de premier de la classe pour le nouveau patron de la Direction de la Sécurité sociale : HEC, DEA de droit public, ENA, Inspection générale des Affaires sociales (Igas), cabinets ministériels et de la présidence de la République. Thomas Fatome, trente-sept ans à peine, marié et père de trois garçons, est un homme rapide. Ambitieux ? Ce n'est pas un forcené de l'ambition au mauvais sens du terme,(…) Thomas Fatome n'arrive pas en terrain inconnu à la Direction de la Sécurité sociale (DSS), rattachée au ministère du Travail, de l'Emploi et de la Santé, au ministère du Budget et au ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale."
L'essentiel me semble dévoilé dans ces quelques lignes.
On y découvre notamment le caractère hybride de cette administration molle, rattachée, à la fois, à la citadelle Bercy et la médecine publique. Le "social", et sa "cohésion", en effet pour ces gens-là, ce sont les soins hospitaliers.
Que la même structure, quasi anonyme, – car M. Fatome me le pardonnera mais son existence n'est pas très "médiatisée", – structure rattachée à la fois à Bercy et à l'avenue Duquesne, règne, en même temps, sur la retraite des Français, sur l'assurance-maladie, et donc sur toutes les professions de santé, mais aussi sur la branche dite "famille", mais aussi sur les accidents du travail, sur l'assurance veuvage, sur l'invalidité, et encore demain sur le risque dépendance, voilà qui pose d'abord un problème de transparence, un problème de démocratie, un problème de liberté.
Cela soulève certainement aussi un doute sur l'omni-compétence, aussi bien quand on mesure le coût de l'ensemble et son déficit chronique, mais également lorsqu'on prend acte de son refus, refus acharné, de la même structure d'entrer en concurrence.
JG Malliarakis