Disons- le clairement d’entrée de jeu. Ce sont des Français renégats qui ont renoncé à leur patrie et à leurs origines religieuses. Mais il faut au préalable rappeler une évidence que l’on aurait tendance à perdre de vue. Ce triste phénomène, qui fait la Une des médias, est, en fait, parfaitement banal et marginal.
Marginal, car il ne concerne qu’une poignée de jeunes crétins désœuvrés et désorientés, dépourvus de cœur et de cervelle. On en aurait identifié formellement deux ou trois et on parle allègrement de plusieurs centaines. Mais qu’en sait-on exactement ? De toute façon, sur une population de 63 millions de personnes, c’est quand même fort peu. L’effet grossissant de la télévision et des médias qui adorent gonfler les chiffres à plaisir pour frapper les esprits est évidemment ici à l’œuvre.
Banal, car on sait que la nature humaine est, dans certaines circonstances, capable des pires atrocités. Cela s’est vu en tout temps et en tous lieux. Notre époque n’y fait nullement exception.
En troisième lieu, ces manifestations sordides qui exercent sur nous une sorte de fascination perverse, sont largement le fruit de l’action d’internet et des médias. Il est tellement plaisant de frissonner d’horreur devant son écran de télévision. Sans cela, ces épisodes sinistres cesseraient d’attirer l’attention et seraient promptement ramenés à leur place, celle d’un petit tas d’ordures sans intérêt. Il y a clairement une mise en scène médiatique. C’est exactement ce que cherchent ces malheureux.
Ceci étant, cela n’empêche nullement les pouvoirs publics, leurs représentants, et les médias, de s’interroger gravement sur les motivations de jeunes Français, lesquels s’en vont faire le djihad en Syrie, et ailleurs, comme on va passer ses vacances au Maroc ou faire le tour de l’Annapurna au Népal.
Remarquons au passage que la démarche de ces jeunes n’a vraiment rien d’une croisade héroïque. Voir des jeunes gens, le regard fixe, vitreux, sans doute sous l’effet du haschich ou de toute autre drogue, le chef enturbanné d’un turban crasseux et dotés d’une barbe malpropre, égorger paisiblement des prisonniers étrangers et désarmés devant les caméras, relève plutôt de la boucherie chevaline que de l’affrontement au combat.
A vrai dire, ce spectacle hideux n’engendre nullement la crainte ou l’effroi, comme le souhaiteraient ces apprentis terroristes , mais plutôt le mépris et la honte pour des hommes qui font preuve d’une inconcevable lâcheté. Ils vont en Syrie non pas combattre en soldats mais pour égorger des innocents. Ce ne sont pas des héros mais des renégats et des assassins. Ils devraient être considérés et traités comme tels.
Cela dit, les médias s’entêtent à rechercher frénétiquement le pourquoi des choses. Comme si des comportements aussi manifestement absurdes relevaient d’une quelconque rationalité. S’agissant de jeunes parfaitement ordinaires, voire quelconques dans leur vie antérieure, on veut à tout prix comprendre pourquoi ces derniers ont été amenés à abandonner une vie paisible et sans histoire pour se lancer dans la violence absurde dans des pays exotiques ravagés par guerre.
En fait, il y a plusieurs explications plausibles sur ces agissements aberrants. La violence et la cruauté sont des phénomènes naturels parfaitement ordinaires et tout à fait banals pour l’espèce humaine. L’homme a reçu ce cadeau à la naissance dans ses gènes, plus ou moins dissimulé sous une couche culturelle plus ou moins étanche. Rien de bien nouveau ici- bas.
En effet, combien de fois avons-nous vu, dans les enquêtes criminelles, un homme d’apparence parfaitement normale, sans le moindre écart de conduite ni d’inscription au casier judiciaire, se livrer sans gêne apparente à des actes horribles, souvent à l’encontre de sa propre famille.
Il est d’ailleurs curieux de voir les journalistes avides de sensationnel se précipiter chez les voisins, médusés, du criminel pour n’en obtenir, en fin de compte, que des réponses insignifiantes. La plupart du temps, le criminel en question se révélera, à travers ces témoignages, parfaitement doux et gentil, poli et bien élevé, bon père, bon fils, bon époux, même s’il a soigneusement découpé sa femme dans sa salle de bains quelques jours plus tôt. Les archives de la police criminelle regorgent d’histoires de ce genre. On en a même fait maints romans et films. Le procès d’Eichmann avait bien révélé l’existence de la « banalisation » du Mal ordinaire.
La leçon à en tirer est malheureusement très simple
Placé dans certaines circonstances, pas forcément extraordinaires, la nature humaine se révèle être capable de tout. Une bête sauvage sommeille souvent au fond de nous -mêmes, prête à se réveiller pour peu que le contexte s’y prête.
Comment expliquer autrement la sauvagerie des exécutions capitales pendant la Révolution française, à la fin du Siècle des Lumières pourtant, ou pendant la révolution bolchevique dans le début du 20° siècle en Russie, et tout au long du régime stalinien, sans évoquer les abominations nazies perpétrées non par des sadiques mais par de paisibles citoyens allemands ayant revêtu l’uniforme peu de temps auparavant.
Il en va de même pour ces tueries de masse exécutées périodiquement dans des universités américaines par quelques fous furieux animés d’une haine incompréhensible envers leurs camarades étudiants La nature humaine est ainsi faite.
Mais au-delà de ces épisodes, l’escapade au Moyen Orient de Mickael Dos Santos et de Maxime Hauchard nous interpelle, qu’on le veuille ou non, sur nous-mêmes et la société que nous avons fabriqué à leur usage. Car dans le comportement étrange de ces charmants Français convertis à l’Islam, « à ses pompes et à ses œuvres », peut-être pourrait-on déceler une cause plus profonde de leurs agissements.
Certains d’entre eux ne sont pas seulement guidés par le goût de l’aventure en terre musulmane, affublés d’un costume étrange. Il faudrait peut-être y trouver aussi une sorte de révolte aveugle et inconsciente contre une société, la nôtre. Ils y voient, non sans quelque raison, une société largement déchristianisée, déshumanisée, aseptisée, une société avide de pensée unique et de mariage gay, une société qui marche clairement sur la tête et qui a perdu ses repères traditionnels, en quelque sorte une société construite sur un paradigme socialiste virtuel.
Mais pourquoi l’Islam ?
Sans doute l’Islam apparaît-il à ces esprits incultes, qui ne connaissent rien ni d’Allah ni du prophète Mahomet, comme une religion pure et dure débarrassée de ces impuretés qui souillent à leurs yeux notre religion.
En conséquence ces jeunes égarés, qui, dans l’immense majorité, n’ont aucune notion religieuse, s’en vont se fabriquer une religion sur mesure en pays exotique, ce qui les autorise à tuer des innocents désarmés, au nom d’Allah bien sûr.
Ces épisodes ne sont pas sans rappeler le geste fou d’un jeune norvégien, voici quelques années. Le 23 juillet 2011 Anders Behrig Breivik n’avait rien trouvé de mieux pour calmer sa fureur de voir son pays natal envahi par des flux d’immigrés venus d’ailleurs, que d’assassiner froidement sur une île déserte une petite centaine de ses compatriotes blonds aux yeux bleus. En fait de stupidité démente, il était difficile de faire mieux. Mais, comme toujours dans les cas de ce genre, si l’on gratte un peu derrière l’écorce de l’évènement se dissimulent peut-être des causes plus profondes.
Car ces épisodes nous renvoient une bien fâcheuse image sur nous-mêmes. Et cette image n’est guère reluisante. En effet, ces jeunes égarés, sans culture ni mémoire, nous lancent au visage un message de rejet et de dégoût devant une société perçue et interprétée, il est vrai, à travers le prisme déformant d’internet.
Là où nous voyons une société ordinaire, civilisée, policée, quiète et tranquille, ils perçoivent une société aseptisée, chloroformée, sans foi ni loi, une société qui a rejeté les valeurs fortes de naguère, patriotisme , foi enracinée, goût de l’effort ou du sacrifice ,au profit de valeurs molles, recherche du moindre effort et de la sécurité à tout prix, du confort et de la jouissance (sexe ou bouffe), une société qui a cru bon de remiser le patriotisme au magasin des accessoires et une foi volontiers foulée au pied ou tournée en ridicule.
Quant aux vertus républicaines dont se gargarisent si volontiers nos hommes politiques sans en croire un traitre mot, ces jeunes ne sauraient se nourrir de cette nourriture creuse. Ils sont à moment de leur existence où, comme tant d’autres, ils cherchent désespérément à donner un sens à leur vie ou se mobiliser pour une cause quelconque à laquelle se consacrer. Alors, faute de mieux, ils s’en créent une comme ils le peuvent, de bric et de broc, à la hauteur de leur culture de semi débiles et de leur stature de nains féroces.
On a les idéaux que l’on peut. A défaut d’en recevoir de la famille, de l’école, du cinéma ou de la télévision, on s’en fabrique une sur mesure. Et l’on part pour le Djihad en Syrie décapiter des femmes kurdes .On se distrait comme on peut.
Quoi qu’il en soit, un gouvernement digne de ce nom entreprendrait sur le champ de déchoir ces renégats de la nationalité française. Mais la France n’a pas de gouvernement digne de ce nom. Et d’autres Français renégats continueront à partir faire le Djihad en Syrie.
Yves-Marie Laulan
notes
*Yves-Marie Laulan préside aujourd'hui l'Institut de Géopolitique des Populations, après avoir été professeur à Sciences Po, l'ENA et Paris II. Il vient de publier aux Editions L'Harmattan , La préférence nationale pour la médiocrité, de Nicolas Sarkozy à François Hollande : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=44319
source : Metamag :: lien