Alexandre Guelievitch Douguine, né à Moscou le 7 janvier 1962, dans une famille de militaires, est un théoricien politique russe. Son père était officier du KGB. Douguine est décrit comme un patriote russe passionné, un intellectuel et un fidèle de la religion orthodoxe (dans la branche traditionaliste des « vieux croyants »). Il serait polyglotte, parlant neuf langues, et a obtenu un doctorat en histoire de la science, en 2001, et un second en science politique, en 2004. Récemment dans la presse française, en particulier dans le Nouvel Observateur, nous avons eu droit à des portraits du personnage. Il serait une sorte de Raspoutine mâtiné de rouge brun, que l’on transformait en conseiller le plus écouté de Poutine. Ce qui bien évidemment n’était pas destiné à nous rassurer sur l’ennemi favori du moment de nos médias.
Il est vrai que le personnage fait partie de ces gens qui ont oscillé à la chute de l’Union soviétique entre le communisme et un nationalisme grand russe et noué de ce fait des liens avec une certaine extrême-droite européenne, ils sont issus d’un traumatisme de la société russe post-soviétique que l’on peut symboliser par un événement qui a été évacué de la mémoire occidentale: la manière dont Elstine pour imposer les privatisations et les diktats américains, la base de l’oligarchie encore actuellement au pouvoir, a fait tirer sur l’Assemblée du peupe hostile aux réformes.Sous la direction de conseillers US et soutenu par les milieux capitalistes occidentaux, Boris Eltsine avait lancé son programme de réformes le 2 janvier 1992, qui entraînèrent rapidement une baisse catastrophique du niveau de vie pour la population (ce qui fut qualifié de « génocide économique » par le vice-président Alexandre Routskoï). Survint alors la « crise constitutionnelle russe » ; le pouvoir législatif (encore largement basé sur des structures de l’époque soviétique tardive) et le pouvoir exécutif entrèrent en conflit.
En septembre 1993, la crise politique atteignit un point de non-retour. Eltsine proclama son intention de poursuivre ses réformes et déclara dissous le Parlement (ce qu’il n’avait pas le droit de faire d’après la Constitution). Le Parlement refusa cette dissolution, démit Eltsine, et en appela au soutien de la population.
Limonov et Douguine soutinrent cette « révolte » des députés, maladroitement dirigée par Khasboulatov (président du Parlement) et par l’ancien colonel de l’Armée rouge, Alexandre Routskoï. Finalement, la hiérarchie militaire bascula du côté d’Eltsine (qui bénéficiait aussi du soutien des États-Unis) et la « révolte » fut écrasée par la force. Le 4 octobre, Eltsine fit tirer au canon sur le Parlement, qui fut ensuite pris d’assaut. Douguine fut lui-même pris dans la fusillade dans le quartier d’Ostankino (devant le bâtiment de la télévision russe). La population dans son ensemble était hostile aux réformes ultra-libérales mais n’avait ni organisation, ni leader.
On ne comprend rien à ce qui se joue aujourd’hui y compris à partir de la situation en Ukraine si l’on occulte ce drame que fut la fin de l’Union soviétique. Les tentatives multiples de trouver dans le Parti communiste une force de résistance aussi bien par Douguine que par l’autre conseiller du président Poutine Sergei Glazyev, qui lui s’affirme beaucoup plus à gauche… La seule chose qui rapproche ces deux hommes est leur refus de l’oligarchie, de la corruption qui entraîne la Russie vers la soumission à l’occident et qui les oppose à toute une aile du parti de Poutine, pro-occidental, y compris le premier ministre.
Poutine, malgré sa réputation d’autocrate, est un homme qui prend des avis contradictoires, y compris du Parti communiste de la Fédération de Russie dont il ne cesse de chercher un soutien qui lui est accordé au plan international, mais qui se heurte à une franche opposition en ce qui concerne le plan intérieur et la politique au profit des oligarques qui nuit autant à la population qu’au développement national, selon les communistes. Ces derniers dans la crise ukrainienne ont marqué une volonté anti-occidentale, ne cherchant pas à ménager, ni les Etats-Unis, ni l’Europe et un soutien plus affirmé aux insurgés, de ce fait on retrouve dans la révolte de la population du Donbass les mêmes forces qui s’unissent pour résister.
Mais il est évident que la situation en Ukraine, offensive de l’OTAN, et surtout le massacre dans le Donbass d’une population russe se traduit par un débat très âpre chez les intellectuels comme dans le peuple russe. Si la position de Poutine est majoritairement approuvée, il existe des tensions et aussi bien à gauche que les chez ultranationalistes orthodoxes une volonté de remettre en question l’oligarchie et un soutien plus affirmée aux Russes du Donbass. C’est dans ce contexte qu’il faut lire ce portrait de Strelkov qu'a récemment publié Douguine qui donne le sentiment que cette droite est à la recherche de son général Boulanger.
Danielle Bleitrach
notes
Danielle Bleitrach est une sociologue française née en 1938, elle a été membre du Comité central du PCF, puis du Comité national de ce parti de 1981 à 1996, date à laquelle elle en démissionne. En 2003, elle a quitté le PCF, tout en se considérant toujours comme communiste. Elle a également été rédactrice en chef adjointe de l'hebdomadaire du Parti communiste destiné aux intellectuels, Révolution.