Mathieu Bock-Côté revient sur les moyens déployés par les partis de gouvernement pour lutter contre le FN ; ceux-ci ne contribuent qu’à le faire progresser.
Les formules sont convenues et un peu creuses, mais elles sont encore utilisées, comme si elles étaient rassurantes, et même réconfortantes : la poussée du Front national aux élections régionales est accueillie par des cris indignés qu’on veut aussi douloureux. Pour les uns, l’intolérance progresse et la percée du FN confirmerait en fait l’avilissement moral des Français. Pour les autres, les années 1930 pointent leur museau. Dans tous les cas, la démocratie serait en danger contre lequel il faudrait se mobiliser. Les éditorialistes, pour l’essentiel, partagent cette grille d’analyse, qui reconduit, pour l’essentiel, les catégories de l’antifascisme des dernières décennies. Et un peu partout, la presse étrangère, avec quelques nuances, reprend ces catégories et annonce une poussée historique de l’extrême-droite en France.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce cri de scandale ne nous aide pas vraiment à comprendre sa progression. Il confirme la vétusté de l’appareil conceptuel utilisé pour penser le populisme européen. Mais quoi qu’on en pense, on ne pourra pas toujours rabattre la vie politique contemporaine sur la Deuxième guerre mondiale. On cherche souvent, pour confirmer la disgrâce démocratique du Front national, à l’associer à différentes figures de la droite antiparlementaire de la première moitié du vingtième siècle. Mais l’opération est moins scientifique que rhétorique : elle vise à confirmer la culpabilité originelle d’un mouvement politique condamné à représenter l’ennemi de la République, même quand il prétend s’y rallier et cherche à y donner des gages.
Mais dans les faits, la référence à l’extrême-droite est de moins en moins opérante : il faut sans cesse redéfinir cette notion pour y faire entrer ceux qu’on veut y associer à tout prix. Politologues et sociologues en élargissent sans cesse la définition. Mais aujourd’hui, elle sert moins à décrire qu’à décrier. Elle a surtout pour fonction d’assurer l’exclusion politique de ceux à qui on l’accole, à tort ou à raison et en vient presque à relever de la démonologie. De ceux à qui on accolera l’étiquette, on dira qu’ils sentent le soufre, ou encore, qu’ils ont des idées nauséabondes. C’est l’argument olfactif. On renifle l’adversaire, on l’accuse de puer, on le transforme en ennemi, et on le chasse du domaine public. On conviendra qu’il ne suffit plus à détourner massivement les Français du FN. On atteint probablement aujourd’hui les limites d’un antifascisme anachronique. [...]
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