« C’est un homme brisé mais digne, courageux. » Ainsi commence le reportage de TF1 sur l’exploitation laitière de Rodolphe Meunier lors du journal de 13 heures, du 19 octobre dernier. Il ne dure qu’une minute quarante, et pourtant il suscite autant l’indignation qu’un profond sentiment d’injustice.
Si l’on dresse un rapide état des lieux, on constate que le milieu agricole est aujourd’hui plein de disparités. On pourrait dire aussi plein de variétés, mais il reste de cruelles injustices liées à la politique agricole. On peut prendre aujourd’hui pour exemple ces cas extrêmes d’agriculteurs céréaliers et d’éleveurs :
- Il y a ceux qui travaillent avec un imposant parc de tracteurs, sur des centaines d’hectares. Ils sont à la merci des banques et des subventions, profitant d’une vague dont ils tirent le meilleur profit, un peu en opportunistes, car la politique agricole du moment leur est favorable, mais peuvent-ils être assurés qu’elle continuera dans le temps ?
- Il y a aussi les oubliés, les laissés pour compte, qui travaillent dur, sans profiter de leur dimanche ou autre jour chômé et qui ne vivent pas des fruits de leur travail. Parmi eux les éleveurs, dont le sort ne semble pas intéresser les politiques qui les ont livrés à la fois à la dictature agro-alimentaire, et à la concurrence des cours européens.
Et puis, tentant de survivre à la marge des circuits économiques classiques, on trouve les petites exploitations indépendantes qui avancent vaille que vaille, faisant de la vente directe, et transformant elles-mêmes leurs produits. Cette indépendance n’est pas toujours facile, mais elles peuvent fixer un prix de vente qui leur est juste, ce qui leur permet de mieux s’en sortir.
« La République sera la République des paysans ou ne sera pas ». Cette phrase de Jules Ferry semble bien obsolète aujourd’hui. Lorsque les pères fondateurs de la République entamèrent un travail intense de propagande dans les campagnes, ils avaient bien compris que le rattachement de la société rurale était indispensable à la sûreté et la stabilité du régime politique. Mais aujourd’hui, leurs héritiers semblent l’avoir oublié.
Les trois derniers Présidents de la République n’ont pas pris à cœur de défendre les intérêts des agriculteurs : même Jacques Chirac, pourtant réputé soucieux des intérêts de l’agriculture, n’a pas empêché le déclin des métiers agricoles.
Pendant que les présidents se pavanent au salon de l’agriculture sous les feux des projecteurs, ils ne semblent pas comprendre les réels enjeux de la condition paysanne, qui aujourd’hui paraît régresser. Chaque année, environ deux cents agriculteurs se suicident : les dettes sans fin, la mécanique infernale des prix cassés par les grandes distributions, la solitude, la pauvreté…
On se souvient que les rois de France avaient à cœur la condition paysanne. Henri IV disait : « Oui, ce que je veux, parce qu'ayant le cœur de mon peuple j'en aurai ce que je voudrai, et si Dieu me donne encore de la vie je ferai qu'il n'y aura point de laboureur en mon Royaume qui n'ait moyen d'avoir une poule dans son pot », ou par les plus discrètes attentions de Louis XVI envers les paysans, immortalisées par la gravure de Pierre-Michel Adam.
Ne soyons pas naïfs sur des promesses électorales faciles : car nous savons bien que la politique agricole est une affaire de long terme, impossible à mettre en place dans un régime quinquennal, où les présidents se succèdent tricotant et détricotant le travail du précédent. D’ailleurs, le nombre de paysans a tellement diminué, qu’il ne doit plus constituer un électorat signifiant aux yeux des hommes politiques, on peut donc douter du réel intérêt que la plupart portent à nos agriculteurs.
Et si Jules ferry avait cerné le problème ? Si la République s’effondrait parce qu’elle n’avait pas réussi à préserver ses paysans ?
Julie Langeais