Le chien s'appelle Alain...
Pour un Juppé ultra-désappointé, blessé au plus profond dans son amour-propre de « premier de la classe » et de « meilleur d'entre nous », il ne peut s'agir, en ces derniers jours de campagne, que d'une fuite en avant, et cette fuite en avant se traduit par un « à gauche, toute ! » aussi désespéré qu'agressif.
Dès dimanche soir, le JT de France 2 a eu la cruauté de le montrer, à la sortie du restaurant où il dînait en famille, disant « On aurait dû sortir par derrière », pour éviter les journalistes, tant il venait de tomber de haut, de très haut : pour la troisième fois, donc, après le Brexit et Trump, ils venaient de se planter lourdement, les sondeurs et journaleux qui nous avaient expliqué par a+b, trois ou quatre fois par jour, depuis plusieurs mois, que c'était plié, et que c'était Juppé.
L'éventualité de son retrait a même été envisagée - par lui-même ou par l'un ou plusieurs de ses collaborateurs - puisqu'il a commencé son allocution par un surprenant « J’ai décidé de continuer le combat... »
Il faut dire que, sans les 15% d'électeurs de gauche qui sont venus pour éliminer Sarko, Fillon était peut-être même élu au premier tour, Sarko était deuxième, et Juppé - injure suprême - était éliminé à ce même premier tour ! Juppé a recueilli les voix de ces électeurs de gauche (qui ne se cachent pas d'avoir voté pour lui, et le disent au contraire, lisez les journaux), ainsi que celles du centre : il a donc été « sauvé » par ces deux courants, mais a été largement rejeté par la droite. Politique politicienne, quand tu nous tiens !
Que faire, donc, maintenant, pour l'ex élu des sondages ? Se tourner vers cette gauche qui l'a sauvé, faussant magistralement le résultat et le sens de « la primaire de la droite et du centre ».
Mais ce jeu est dangereux : d'abord, il n'est pas sûr du tout que ce qui a « marché » une fois « marchera » une seconde fois : les électeurs de gauche voulaient la peau de Sarko, ils l'ont eue ; reviendront-ils dimanche ? rien n'est moins sûr...
Et ensuite, dans ce genre d'affrontement, c'est le premier qui tire qui est mort. Or, Juppé, tout le montre, a perdu ses nerfs, et « agresse » Fillon tous azimuts (pour un autre, les journaleux diraient « dérape ») : « traditionaliste », « pas ouvert sur la modernité » en ce qui concerne les sujets de société, « réactionnaire », « intégriste », « homophobe » évidemment...
Benoist Apparu* a décrété, par exemple, et en substance, que si l'on était à titre personnel contre l'avortement, pour un responsable politique en charge des affaires de l'Etat cela posait un problème. Ce qui est d'autant plus surprenant que, peu de temps avant, Juppé avait déclaré qu'il préférait « le pape François à la Manif pour tous » : pour le coup, Apparu aurait mieux fait de se taire, car, sur l'avortement, de toute évidence, « le pape François » ne parle pas comme Alain Juppé !
Jean-Christophe Lagarde - président de l'UDI et parfait représentant de ce que Léon Daudet appelait « l'anarchie molle » - et l'inénarrable François Bayrou sont évidemment venus apporter leur soutien au dauphin de Chirac, l'objectif des juppéistes et des journaleux qui le soutiennent - puisque tout ce petit monde, en fait, est de la même famille de pensée - est évidemment de provoquer la mobilisation massive d’électeurs de gauche, défaitistes, et ne croyant plus en la victoire de leur camp en mai 2017; Alain Juppé pourrait leur sembler un moindre mal, pensent-ils. Sans se rendre compte que l'on se trouve, là, en pleine politique fiction...
Enfin, cerise sur le gâteau, Fabienne Sintès et son 7/9 ont attribué à Juppé la bonne note de 15/20 : comme aurait pu le dire Pascal, « dis-moi qui te soutient, je te dirai qui tu es... »
* Un bon point - sans illusion par ailleurs sur le personnage - à Gérard Longuet, qui a eu le mérite de dire, sur BFM, face à un tel déferlement d'attaques, que le terme de « réactionnaire » n'était pas péjoratif, et qu'il le revendiquait ; et qui a aussi eu une belle phrase sur la France, qui vient de deux millénaires, et, dans ces deux millénaires, tout n'est pas à jeter...