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Comment le Système défend sa vérité

Les derniers moments du calamiteux quinquennat seront consacrés à faire passer par tous les moyens, un délit d’entrave numérique à l’IVG - contre les sites qui ont le malheur de dissuader les femmes d’avorter. Mais ce délit d’entrave est l’arbre qui cache la forêt. C’est dans tous les domaines que le système défend sa vérité.

Au fur et à mesure que le populisme ravage les démocraties, un constat s'impose : les gens votent mal parce qu'on leur ment, et qu'ils se complaisent dans le mensonge. Non seulement les électeurs pratiquent un entre-soi peccamineux, refusant d'écouter les voix de la raison et de l'humanisme, mais en plus ils se délectent de contre-vérités, approximations et nouvelles échangées sous le manteau, montrant par là qu'ils persévèrent dans la non-vérité. Tel est à peu près le discours tenu depuis plusieurs mois sur les méfaits d'Internet : d'abord paré de toutes les vertus de l'ouverture, le réseau est désormais chargé de tous les péchés du repli sur soi. Grave désillusion : l'Ouverture à l'Autre n'a pas marché comme on croyait.

Et donc, il convient de censurer Internet. Plusieurs tactiques sont mises en place. D'une part, la participation active de Google, Face-book et autres Twitter, qui acceptent déjà de moduler leurs algorithmes pour que l'apprenti djihadiste ne puisse pas si facilement trouver sa pâture (Google), mais aussi pour que le gouvernement chinois garde un certain contrôle sur ce qui est échangé (Facebook), Facebook se pliant déjà aux exigences de la Turquie et de l'Inde en matière de censure. Désormais, ils sont prêts aussi à couper les vivres publicitaires aux sites mal pensants, réputés mensongers.

D'autre part, Twitter a fermé les comptes d'activistes « trumpiens », réputés diffuser de fausses nouvelles (remarquons au passage que la lutte contre ceux-qui-pensent-mal s'organise beaucoup plus vite depuis l'élection de Trump, visiblement considéré comme une plus grande menace que le terrorisme musulman). Enfin, Facebook est toujours sensible aux demandes des justiciers numériques (ironiquement appelés Social Justice Warriors) qui demandent et obtiennent la fermeture des comptes jugés offensants. Une insulte déclarée homophobe peut facilement vous valoir fermeture momentanée de votre compte (ce sera définitif si vous récidivez) ; une insulte à caractère antisémite sera pesée et un appel au meurtre des militants de La Manif Pour Tous passera pour la libre expression d'un désaccord. On voit que Facebook a son échelle de valeur. Rappelons que, Facebook, grand soutien de Clinton fut naguère accusé de manipuler l'information, en mettant en avant des sujets "progressistes" aux dépens de sujets "conservateurs"', pourtant plus discutés et plus partagés. Cela ne les avait pas empêchés de promettre un traitement neutre de l'actualité.

La chose n'est pas constatable dans la seule Amérique : Angela Merkel demandait en octobre que Facebook et Google révèlent comment fonctionnent leurs algorithmes, afin d'éviter que des malheureux ne soient piégés dans leurs bulles de filtres, selon l'expression désormais convenue, c'est-à-dire dans un entre-soi néfaste. Car les algorithmes ont tendance à vous proposer ce que vous semblez apprécier : un trumpien aura du Trump, via breitbart.com (mais heureusement Kellogg vient de lui supprimer sa publicité sur ce site réactionnaire, dans un acte citoyen courageux), un frontiste du Front aura fdesouche.com, etc. Et ça, c'est mal pour nos bien-pensants. S'il n'est pas question qu'un lecteur de L'Obs soit obligé de voir apparaître du Monde&vie sur ses comptes sociaux, il est en revanche sérieusement étudié que l'internaute assidu sur les sites alternatifs soit exposé à des messages différents.

C'est là que le système médiatique révèle toute son ambivalence : une information est réputée fiable si elle est reprise par des médias de référence... les mêmes qui peuvent décider de ne pas diffuser une nouvelle contraire aux intérêts de leur champion du moment. Le vertueux Médiapart a préféré, il y a quelques années, diffamer l'accusateur de Clearstream, avant que toute la presse ne finisse par dénoncer le scandale. En France, le scandale du sang contaminé ne fut d'abord dénoncé que par Minute. Et le traitement du contenu des mails de Clinton, révélés par WikiLeaks, est stupéfiant mais la presse française en a à peine parlé et la presse américaine a surtout évoqué l'origine de ces fuites : la Russie.

C'est l'une des dernières tactiques mises en œuvre : accuser la Russie d'être derrière l'élection de Trump, et la victoire de Fillon aux primaires. Tout ça, c'est complot et compagnie : le Parlement européen a donc voté, fin novembre, une résolution dénonçant la propagande russe et ses instruments (des sites comme sputniknews.com ou Russia Today). Bientôt, on demandera sans doute leur fermeture.

Évidemment, la bonne question est de savoir comment déterminer la vérité et le mensonge. .. Le tout récent débat sur l'extension du délit d'entrave numérique nous permet de constater que la "vérité" est surtout l'expression d'un rapport de forces. Quand Merkel la réclame, ou quand Hamon déclare « Tous ces médias-là ont une responsabilité évidente dans l'apparition déformes de contre-sociétés où chacun se construit une vérité même si cette vérité est très loin de la réalité. » (Franceinfo, 12 novembre), c'est leur vérité qu'ils défendent plus que la réalité qui, brusquement, ferait irruption dans le débat politique.

Hubert Champrun monde&vie 15 décembre 2016

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