CHRONIQUE - Manuel Valls, Ségolène Royal, Vincent Peillon, Audrey Azoulay ou Benoît Hamon... Gilles-William Goldnadel recense les « fadaises, billevesées et autres coquecigrues » qui ont ces derniers jours alimenté le débat public [Figarovox - 9.01]. Avec son style, sa dialectique percutante, ses idées, ses préoccupations propres, qu'on n'est pas forcé de toutes partager, Goldnadel dit ici les quatre vérités de la gauche d'aujourd'hui. Et il a raison. LFAR
Les dernières déclarations de M. Peillon m'autorisent plus que jamais à poser cette question : la gauche française n'est-elle pas entrée dans un processus irréversible de crétinisation ? Cette question est sérieuse, elle ne se veut ni blessante ni offensante, mais elle s'impose plus que jamais.
Un livre savoureux reste à écrire pour décrire comment un parti d'intellectuels souvent prestigieux aura perdu son crédit et son sérieux par le truchement de ses fadaises, billevesées et autres coquecigrues.
Ainsi, pour prix des voix LGBT était-il absolument nécessaire de souscrire à la théorie du genre avant que de la nier ?
Sans parler de son jargon jargonnant pour faire société et vivre ensemble grâce à l'en commun inclusif.
Je sais bien que les socialistes organisent une primaire qui porte en l'espèce bien son nom. Je sais bien qu'ils sont tenus de complaire, ce verbe est cruel, à leur clientèle des terres neuves, mais tout de même, un Peillon n'est pas un Hamon, pris dans une trappe électorale.
Par quelle funeste magie un être aussi lettré peut-il se laisser aller à comparer le sort du mahométan d'aujourd'hui à l'israélite d'hier ? Pourquoi faut-il m'obliger à l'exercice ingrat de devoir rappeler que les juifs en 1940 ne massacraient personne en invoquant leur Dieu et que fort heureusement aucun enfant musulman n'a été massacré dans une école ou un supermarché ?
Ainsi donc , en voulant fustiger niaisement Vichy et la lepenisation, M. Peillon aura contribué à la plénélisation des esprits ou du moins de ce qu'il en restait au parti socialiste.
En réalité, on pourrait avancer que les gauches européennes sont en train de payer leur goût immodéré de l'étiquette. J'entends par là leur addiction pour l'essentialisme, autre nom du préjugé religieux, racial, sexuel ou social et leur détestation symétrique de la réalité dérangeante.
Pour la gauche, le musulman doit porter en toutes circonstances et par tous les temps, même contre les évidences météorologiques, l'étiquette de victime.
Sauf que les temps ayant changé et les étiquettes valsé, la gauche s'est ridiculisée.
Mais, étrangement, elle continue à ne pas s'en apercevoir et poursuit son étiquetage saugrenu sans en mesurer le prix sur son crédit.
C'est ainsi que la gauche télévisuelle de service public, dans le cadre de l'Émission Politique sur la deuxième chaîne continue d'échantillonner les téléspectateurs sélectionnés pour poser des questions à leur invité selon un étiquetage idéologique stéréotypé.
Pour poser une question à M. Valls, il était apparemment indispensable de sélectionner une musulmane voilée qui se plaignait de sa condition victimaire. L'étiquetage devient rituel : c'est ainsi qu'au mois de janvier 2016, la chaîne invitait une certaine Wiam Berhouma pour porter la contradiction la plus offensante à Alain Finkielkraut dans l'émission « des paroles et des actes ».
Cette femme était, renseignements aisément pris, une proche du Parti des Indigènes de la République, organisation que certains esprits chagrins étiquettent de raciste. Par une coïncidence cosmique la femme voilée questionnant Manuel Valls, Mme Trabelsi, est également proche du Parti précité et admiratrice de M. Ramadan. Le jeune et sympathique étudiant choisi dans l'émission politique également en 2016 pour questionner Nicolas Sarkozy présentait un profil assez voisin.
Notons que dans la même émission, les sélectionneurs, sans doute dans un esprit d'équilibre idéologique, se sont sentis dans l'obligation d'inviter Cédric Herrou, activiste No Border en Provence et renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir convoyé des sans-papiers. Dans la presse convenue, il est plus convenable d'étiqueter son geste « délit de solidarité » et tant pis s'il revient à s'octroyer le pouvoir souverain de décréter lui-même le droit d'asile au lieu et place des autorités républicaines. Il est vrai que ses amis de la Gisti, dans le cadre de la peillonnisation des esprits, se plaisent à étiqueter semblables individus comme des « Justes ». Au-delà de la comparaison scabreuse, les risques pris par les uns hier et par les autres à présent, ne semblent pas identiques, au regard de la jurisprudence pratiquée aujourd'hui par nos juges bienveillants.
Notons encore que M. Valls, qui hier encore morigénait Mme Merkel pour l'ouverture des portes et fenêtres de l'Allemagne aux migrants venus d'Orient, était tout d'un coup bien timide devant le sans frontières arrogant. Hier encore, étiqueté Jules Moch sur son képi, qui sait si demain ce n'est pas l'étiquette de Jules Guesde que Manuel portera sur sa casquette.
Certains - ou certaines - pratiquent un auto étiquetage essentialiste de la même farine désormais étouffante. C'est ainsi que dans Le Monde, Ségolène Royal s'affuble elle-même de l'étiquette sinon de femme battue, au moins d'injustement traitée ès qualités. En avant-première d'une émission sur la chaîne « Toute l'histoire », notre ministre explique sérieusement à un Gérard Miller, psychanalyste cathodique qui l'écoute religieusement, que les critiques qui lui ont été adressées lorsqu'elle a dit la « vérité » sur Cuba étaient de nature sexiste…
Et d'appeler révolutionnairement à la « transgression féminine ».
Pas moins.
Bien entendu, la gauche n'est pas avare d'épithètes pour les étiquettes sur ses adversaires. « Fachos », « populistes », « islamophobes », « extrême droite ». Ce genre d'étiquetage ne déchiquette plus méchamment depuis que les dents des étiqueteurs sont élimées.
Et depuis que le curseur qui fixe les extrémités du planisphère politique a changé un peu de mains.
Les islamo-gauchistes de la Seine-Saint-Denis m'ont évidemment étiqueté de raciste et certains de nazi pour avoir moqué l'étiquetage « colonie juive de Jérusalem ». Étrange appellation géographique. La valse des étiquettes fait place aux étiquettes Valls, puisque c'est sous son ministère que l'étrange arrêté qui plaît tant dans le 93 aura été pris. À voir un terroriste, sympathisant de l'État islamique, se déchaîner hier au volant de son camion à Jérusalem, en employant contre les « colons juifs » la même conduite que son compère de Nice, on comprendra qu'il est des petits étiquetages qui grandissent.
L'appellation sur la Toile connaît aussi la loi de l'étiquette. Ainsi du droit contesté pour les gueux et les fâcheux de contester les aristocrates de la presse convenable. Voilà la bien fâcheuse sphère rageusement étiquetée « fachosphère ». Apparemment nos aristocrates sont moins fâchés par une islamosphère ou une gauchosphère innommées et pourtant peu avares d'étiquetage racial. Rien à sphère. La gauche, c'est bien connu, a l'étiquette sélective.
Le meilleur - ou le pire - pour la fin et l'illustration du processus de crétinisation. Dans un étrange et dernier hommage à Michel Déon, notre ministre de la Culture, Audrey Azoulay a cru devoir étiqueter politiquement et pour l'éternité le dernier des hussards : « Malgré sa proximité avec les thèses de Charles Maurras, il gardait en littérature une totale liberté dans ses choix » (Le Figaro, Bertrand de Saint-Vincent).
Imagine-t-on un seul instant, un ministre de la Culture de droite rendant un hommage mérité à la liberté créatrice de Louis Aragon « malgré sa proximité avec les thèses de Joseph Staline » ?
Tout est là peut-être. La gauche avait Aragon et elle avait Ferrat. Elle avait tort, sans doute, mais elle faisait rêver et chanter. Aujourd'hui, elle a Peillon, Hamon et Azoulay . Elle fait encore pleurer.
« "Fachos" , "populistes" , "islamophobes", "extrême-droite". Ce genre d'étiquetage ne déchiquette plus méchamment depuis que les dents des étiqueteurs sont élimées. »
Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain. Toutes les semaines, il décrypte l'actualité pour FigaroVox.