Les autorités israéliennes l’avaient dit et répété: aucune manifestation de Gazaouis le long de la clôture séparant la bande de Gaza d’Israël ne sera tolérée. Des dizaines de milliers de Palestiniens ont passé outre hier pour protester contre le transfert de Tel-Aviv à Jérusalem de l’ambassade américaine. Le Figaro le rapportait, « les Palestiniens perçoivent comme une provocation la date choisie, précédant de 24 heures les commémorations de la Nakba , la catastrophe qu’a constitué la création d’Israël pour des centaines de milliers d’entre eux chassés ou ayant fui de chez eux en 1948. » Tsahal a indiqué que « les terroristes du Hamas » (accusés de manipuler les Palestiniens), étaient prioritairement la cible des tirs qui ont visé lundi cette foule impressionnante vivant à Gaza, ce territoire qui « ressemble de plus en plus à un camp de concentration» estimait déjà en 2009 le Cardinal et ministre du Vatican Renato Martino. Le bilan est lourd : 59 manifestants palestiniens abattus (dont huit enfants de moins de 16 ans d’après l’ambassadeur palestinien à l’ONU) et 2 400 blessés selon un bilan du ministère gazaoui de la Santé. La répression de cette manifestation a été vivement condamnée par Emmanuel Macron et les instances de l’UE. Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, n’a pas été le seul à dénoncer lundi un «massacre » israélien. Amnesty International, ONG, partis de gauche et d’extrême gauche évoquent une « violation abjecte » des droits de l’homme, et des « crimes de guerre. » Sans surprise, les Etats-Unis ont bloqué lundi l’adoption d’un communiqué du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à « une enquête indépendante » sur cette manifestation et la répression dont elle a été l’objet. La Maison Blanche affirme que «la responsabilité de ces morts tragiques repose entièrement sur le Hamas. »
Comme l’Afrique du Sud, la Turquie a rappelé pour consultations ses ambassadeurs en Israël et aux Etats-Unis, et a décrété trois jours de deuil en mémoire des Palestiniens tués hier. «Israël sème le terrorisme d’Etat. Israël est un Etat terroriste. » « Ce qu’Israël a fait est un génocide. Je condamne ce drame humanitaire, ce génocide, d’où qu’il vienne, d’Israël ou d’Amérique» a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan dans un discours prononcé hier devant des étudiants turcs à Londres. Le tout début de ce millénaire semble déjà très loin, période ou Ankara et Tel Aviv étaient des alliés qui coopéraient militairement….
Plus largement encore, le climat entre les occidentaux et la Turquie a bien changé depuis cette année 2002 qui a vu l’arrivée au pouvoir du parti AKP (Parti de la Justice et du Développement) et de Recep Tayip Erdogan au poste de Premier ministre. Un islamo-conservateur précédé d’une réputation de libéral raisonnable, favorable au développement des libertés individuelles et pro-européen. Le monde des affaires voyaient aussi d’un bon œil un pays qui a connu depuis le début des années 2000 une très belle embellie économique, laquelle a fait aussi des heureux en France, sixième fournisseur et client de la Turquie. Nos acteurs économiques y ont beaucoup investi, trois cents entreprises françaises y emploient des dizaines de milliers de salariés. Cette croissance de l’économie turque a été profitable à la classe moyenne, mais s’est sensiblement érodée ces derniers mois sur fond de hausse des prix et de dépréciation de la livre turque.
Il n’en reste pas moins que le président Erdogan et l’AKP gardent un réel soutien populaire. Sans énorme surprise, ils gagneront de nouveau les prochaines élections, présidentielle et législatives, qui devaient se dérouler en novembre 2019 mais dont la date a été avancée au 24 juin 2018; soit quatorze mois jour pour jour après le référendum -contesté par l’opposition ou ce qu’il en reste… - qui a enterré le régime parlementaire pour lui substituer un régime présidentiel.
Cahin-caha, le processus d’adhésion de la Turquie dans l’UE (enclenchée officiellement dés 1963 avec sa candidature à la Communauté Economique Européenne) s’est poursuivie. Certes celui-ci a été freiné par des opinions publiques européennes vent debout contre cette éventualité, mais aussi du fait des critiques sans cesse plus nombreuses des instances bruxelloises contre la dérive autoritaire, les atteintes aux droits-de-l’homme, voire l’agressivité et les menées géopolitiques d’Ankara. Le conflit syrien, le jeu très ambigu qui fut celui de M. Erdogan vis-à-vis de l’Etat islamique (EI) ou à tout le moins son soutien aux milices djihadistes anti-Assad -certes il ne fut pas le seul dans ce registre… – n’ont pas apaisé les tensions. Ni bien sûr le chantage opéré par l’Etat turc dans le dossier de la torrentielle immigration clandestine, qui a réclamé trois milliards d’euros à l’UE pour empêcher les centaines de milliers de migrants qui campent sur son sol de se répandre en Europe.
Le coup d’état militaire de juillet 2016 visant à renverser le régime, derrière lequel, non sans raison peut-être, Erdogan a vu la main des Etats-Unis, n’a pas arrangé la réputation d’Ankara dans le domaine du respect des droits de l’homme. La presse et les journalistes dissidents ont été muselés, 160 000 fonctionnaires -militaires, juges, enseignants… - ont été mis à pied et 50 000 Turcs ont été emprisonnés selon un rapport des Nations unies. Reuters rapportait en fin de semaine que la police turque a de nouveau arrêté 150 soldats, soupçonnés d’être liés à Fethullah Gülen, un prédicateur hébergé aux Etats-Unis qu’Ankara accuse d’avoir fomenté la tentative de coup d’Etat avec l’appui d’officiers kémalistes et de libéraux de gauche…
Si la Turquie est membre de l’Alliance atlantique, Michel Drac, dans une récente vidéo , s’interrogeait sur les conditions du maintien de la Turquie dans l’Otan, dont le régime estime t-il «est obligé de se durcir pour survivre car il est devenu un ennemi pour les Etats-Unis qui veulent le déboulonner.» Turquie qui apparaît au bord de de l’affrontement avec ses alliés - notamment en Syrie avec les forces spéciales françaises et américaines - du fait de sa volonté d’éradiquer les milices kurdes soutenues elles par les occidentaux car combattant l’EI. Le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg , le socialiste Jean Asselborn, qui n’avait pas de mots assez durs pour dénoncer la Hongrie de Viktor Orban au motif qu’elle refusait d’ouvrir ses frontières aux immigrés clandestins, a demandé un débat au sein de l’Otan sur l’intervention turque dans le nord de la Syrie. Il a rappelé solennellement que l’Alliance atlantique est «un club qui partage les même valeurs démocratiques…» Autre point de friction, les incidents récurrents entre l’armée grecque et turque (appartenant toutes deux à l’Otan donc…) qui se multiplient en Mer Egée alors que la Turquie a été condamnée officiellement par l’UE pour ses actions illégales en Méditerranée.
M. Drac constate encore que la frontière terrestre turco-grecque est devenue le principal point d’entrée de l'immigration massive vers l’Europe et souligne non sans ironie qu’ Emmanuel Macron s’était beaucoup avancé en déclarant que les frappes américano-franco-britanniques (visant des bâtiments vides) en Syrie mi-avril avaient permis d’enfoncer un coin dans l’alliance de fait entre la Turquie (qui a approuvé ces frappes) et la Russie. A l’évidence il n’en est rien. Ankara resserre ses liens commerciaux et ses coopérations (gazière, nucléaire) avec Moscou et est toujours partie prenante avec la Russie et l’Iran dans les négociations sur l’avenir de la Syrie – processus de paix d’Astana. Last but not least, nouveau camouflet pour l’Otan, comme cela avait été annoncé, la Russie a livré à la Turquie « des systèmes antiaériens russes S-400 Triumph. » Un geste rapporte le site sputnik « considéré par l’Otan comme une véritable provocation, a affirmé Der Spiegel, indiquant qu’ils pourraient devenir les yeux de Moscou et aider la Russie à obtenir des informations sur les F-35 », le chasseur furtif de nouvelle génération de l’US Air Force.
A l’heure ou un nombre croissant de Turcs se résignent, voire même sont opposés à l’idée de voir leur pays adhérer un jour à l’UE, le site Euractiv a relayé au début du moins une tribune signée par le député européen socialiste français Gilles Pargneaux, l’universitaire new-yorkais Alon Ben Meir, qui dénonce de longue date de l’activisme néo-colonial de la Turquie dans les Balkans, notamment en Albanie, et par la journaliste d’investigation kosovare Arbana Xharra. Très connue dans son pays , proche du PDK (Parti démocratique du Kosovo), celle-ci alerte depuis des années sur la montée de l’islam radical au Kosovo et des liens existant entre extrémistes islamistes kosovars et réseaux terroristes.
Ils écrivent ainsi que « la dérive anti-libérale et anti-occidentale d’Erdogan » doit conduire à « mettre fin au processus d’adhésion de la Turquie à l’Union (…). Il ne peut y avoir de renforcement commercial entre l’Union et la Turquie sans qu’il n’y ait une amélioration de la situation des droits de l’Homme (…). L’influence grandissante de la Turquie dans les Balkans ne peut être ignorée. L’arrestation de six Turcs résidant au Kosovo et proche de la confrérie de Gülen, l’arrestation de douaniers grecs afin d’obliger l’extradition de militaires turcs ou bien l’interventionnisme turc dans les mosquées en Bosnie, en Albanie et en Serbie représentent les derniers avatars de cette influence néo-ottomane, teintée d’Islam politique, de la Turquie vers l’Europe. Ceci pose d’autant plus question que la plupart de ces pays sont en phase de négociation pour accéder à l’Union européenne. »
« En définitive, la Turquie est passée de meilleur allié de l’Occident, de l’OTAN et de l’Union européenne à un partenaire ambigu et revanchard (…) nous ne pouvons faire l’économie d’une redéfinition de notre relation avec la Turquie, sans céder à ces provocations turques. Voilà le chemin que la diplomatie européenne doit emprunter. »
Rappelons au passage que le FN avait encore vu juste et avait prévenu des conséquences de la guerre d’agression menée par l’Otan contre la Yougoslavie et les Serbes en 1999, sur cet appui alors apporté aux islamo-mafieux albanais et kosovars , lors de la partition du Kosovo retranchée de la Serbie et imposée par l’Alliance atlantique.
Redisons aussi fort et clair, nous le rappelions en octobre 2014 , que la réduction de la civilisation européenne au totalitarisme des droits de l’homme agités ici comme un hochet, va de pair avec une Europe qui subordonne le politique à l’économique, qui se construit sur la dépouille des Etats souverains. La dérive de cette Europe là avait été parfaitement anticipée par Julien Freund dans «La fin de la Renaissance» (1980) : « on s’en prend aux nationalismes, sources de guerres intra-européennes qui auraient été, durant ce siècle (le XXe siècle, NDLR), des guerres civiles européennes. Mais en réalité c’est l’Etat qui est visé dans sa substance.»
Au plus fort du débat sur l’adhésion de la Turquie dans l’UE, le refus de réaffirmer les racines chrétiennes de l’Europe, d’en faire un « club chrétien » comme le notait pour s’en offusquer M. Erdogan et chez nous la quasi totalité du microcosme politico-médiatique, répondait bien sûr à un objectif.
Bruno Gollnisch le soulignait alors, «si l’Europe se définit par l’adhésion à des valeurs communes laïques qui sont celles en gros de l’individualisme libéral et des droits de l’homme , alors effectivement à ce compte il n’y a pas de raison de ne pas l’étendre jusqu’au Zaïre le jour où ce pays pratiquera la démocratie parlementaire ! C’est là qu’on voit bien, sans déformation et sans exagération, que dans l’esprit de ces gens là, l’Europe n’est qu’une espèce de plate-forme commune qui a vocation à s’entendre de plus en plus, dans laquelle, à condition de respecter une règle sacrée qui est celle de l’ouverture et du métissage, n’importe quel pays pourrait finir par entrer ». Au-delà même de la question turque, les prochaines élections européennes offriront à l’opposition nationale l’occasion de présenter aux Français son projet européen, loin des outrances des uns, et des faiblesses des autres.
https://gollnisch.com/2018/05/15/otan-ue-turquie-la-derive-des-continents/