C’est un phénomène massif, généralisé, sur tout le territoire. On imagine les préfets pointant des petites pastilles rouges ou orange (orange comme la peinture constatée par les gendarmes) sur la carte de leur département, et faisant remonter des notes à Paris : « En un mois, 35 radars vandalisés en Haute-Loire », et ainsi de suite pour chacun des départements français. Pour la Haute-Loire, c’est un reportage de BFM TV qui a dévoilé les chiffres, tout en interviewant un lieutenant-colonel de gendarmerie et un automobiliste qui, bien que le condamnant, expliquent le phénomène par le passage aux 80 km/h sur tout le réseau départemental et expriment de façon très policée ce que d’autres ont dit avec leurs coups de peintures multicolores sur les radars.
Même phénomène dans les Hautes-Pyrénées, cette fois décrit par La Dépêche :
« Les graffitis, sur les principaux radars des axes routiers les plus fréquentés des Hautes-Pyrénées, se sont multipliés ces derniers jours : à Tarbes, route de Vic-en-Bigorre ; à Pinas, à Capvern-les-Bains, à Orleix, à Ibos ou encore à Vic-en-Bigorre. Ce mouvement d’humeur s’est répandu comme une traînée de poudre. »
Le magazine Autoplus avait chiffré à 400 le nombre de radars vandalisés en juillet sur tout le territoire. Vu les premiers chiffres d’août dans certains départements, le mouvement ne faiblit pas.
« Traînée de poudre » : l’expression est bien choisie et dit bien l’état de révolte d’une partie du pays et des usagers de la route devant cette mesure considérée comme injuste. La même Dépêche se fait le relais du gendarme et rappelle la loi aux « vandaliseurs » :
« Attention, les sanctions peuvent être très lourdes pour les contrevenants car, selon les articles 322-1, 322-2 et suivants du Code pénal, « la destruction, la détérioration ou la dégradation » d’un radar est assimilée à une dégradation de bien public. L’article 322-2 du Code pénal prévoit une amende de 45.000 € ainsi que 3 ans d’emprisonnement. »
Pas sûr que ces rappels de la loi à l’encontre des auteurs des trois coups de peinture sur les radars atténuent le sentiment d’injustice et de révolte de la part de ces Français qui assistent, par ailleurs, quotidiennement à des actes illégaux bien plus graves d’atteintes aux personnes et aux biens publics et qui n’ont pas le sentiment que la loi soit alors appliquée avec toute sa rigueur.
Édouard Philippe pourra penser ce qu’il veut, drapé dans sa bonne conscience de « sauveur de vies », mais imposer cette mesure, qui n’est rien d’autre qu’un nouveau prélèvement de milliards d’euros supplémentaires, c’est s’en prendre frontalement à la France profonde, périphérique et populaire. Celle qui, par nécessité (prix de l’immobilier) ou par choix, ne vit pas dans les grandes agglomérations, est obligée d’avoir une, bien souvent deux, voire trois voitures (quand un enfant commence à travailler mais vit toujours sous le toit de ses parents). Cette France des classes moyennes et populaires qui essaie d’éviter les autoroutes et leurs péages exorbitants s’est vue imposer un péage insidieux sur son réseau secondaire. Elle ressent cette mesure comme une nouvelle stigmatisation avec un sentiment d’injustice et de relégation par rapport à d’autres zones géographiques et d’autres couches de la société que l’État se garde bien de « fliquer » ainsi et d’attaquer au portefeuille. Cela devrait être compréhensible, même pour un énarque qui ne se déplace qu’à vélo ou en avion.
Quand la révolte s’exprimera dans les urnes, Édouard Philippe pourra se souvenir qu’une déroute politique commence parfois par un coup de peinture sur une route départementale de la Haute-Loire, des Hautes-Pyrénées ou du Médoc.