La première n’est autre que l’inusable puritanisme américain. (...) Tout y est : la culture du soupçon tous azimuts, la chasse inquisitrice à la « masculinité toxique », forcément toxique, les procès d’intention, les repentis, les confessions publiques, la dénonciation des « porcs », les accusations sans preuves qui suffisent à ruiner une carrière. Partout l’oblation, la repentance, la contrition, la pénitence – en attendant le bûcher.
Qui sont les victimes ? Tout le monde. L’humour, les blagues, le second degré, la liberté d’expression. Tout récemment, le poète André Chénier a été dénoncé comme ayant fait l’« apologie du viol » (heureusement, on l’a guillotiné). Ne nous y trompons pas, de proche en proche, c’est la totalité des créations littéraires, artistiques, poétiques, théâtrales, des trente siècles écoulés qui finiront par être ainsi délégitimées par des procureurs formés à repérer partout le « racialisme » et le « sexisme ». Jusqu’à ce qu’on décrète l’abolition du passé, puisqu’il n’aura été qu’une suite de « crimes de haine » commis au nom du « patriarcat ». (...)
L’autre cause profonde du politiquement correct n’est autre que la métaphysique de la subjectivité, qui est comme la clé de voûte de la modernité. Descartes en est le grand ancêtre : « Je pense, donc je suis ». Je, je. En termes plus actuels : moi, moi. La vérité n’est plus extérieure au moi, elle se confond avec lui. La société doit respecter mon moi, elle doit bannir tout ce qui pourrait m’offenser, m’humilier, choquer ou froisser mon ego. Les autres ne doivent pas décider à ma place de ce que je suis, faute de faire de moi une victime. (...)
Au fond, je suis le seul qui a le droit de parler de moi. Ainsi s’alimente le narcissisme du ressentiment, tandis que la société se transforme en un empilement de susceptibilités.
Le symbole le plus fort du monde actuel, c’est le selfie. Le monde entier tourné vers le moi. « Le moi est haïssable », disait Pascal. Aujourd’hui, il serait en prison.